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Date : 20060224

Dossier : T-503-05

Référence : 2006 CF 251

Ottawa (Ontario), le 24 février 2006

En présence de monsieur le juge Blanchard

ENTRE :

MARC GRAVELLE

Demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1.          Introduction

[1]                   Cette demande de contrôle judiciaire vise une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) datée le 15 février 2005, par laquelle la Commission a rejeté la plainte de discrimination du demandeur.

[2]                   Le demandeur recherche les conclusions suivantes :

(a)                 une ordonnance accueillant la présente demande;

(b)                une ordonnance annulant la décision de la Commission;

(c)                 une ordonnance renvoyant l'affaire à la Commission pour qu'elle soit reconsidérée par un autre enquêteur ou enquêteuse;

(d)                le tout avec dépens.

2.          Les Faits

[3]                Le demandeur est embauché par Travaux publics et services gouvernementaux Canada (le Ministère) comme agent d'approvisionnement au niveau CR-05 pour une période déterminée, du 19 avril 2001 au 10 Octobre 2001. Ce poste, dans la section de Science informatique, licences et logiciels du groupe de permis d'utilisation (la Division ET), relève de M. Scott Soucy. Le Ministère prolonge le terme de ce poste au 29 mars 2002. Avant le 19 avril 2001, le demandeur occupait essentiellement ce poste par l'entremise d'une agence de personnel depuis le 17 novembre 2000.

[4]                Le 25 juillet 2001, le demandeur demande à être muté au projet gouvernement en direct (GeD), qui relève de M. Sylvain Cardinal. La demande lui fut accordée la semaine suivante. Le demandeur est parti en congé estival le 30 juillet 2001 avant d'entrer en fonction avec GeD, dont la date prévue était le 13 août.

[5]                Le 3 août 2001, le demandeur a subi une crise de panique qui a nécessité un séjour à l'hôpital. Il est alors en congé de maladie. En octobre 2001, les médecins lui ont diagnostiqué d'une dépression majeure avec anxiété aiguë, épuisement professionnel et trouble de panique dû au surmenage. Les médecins recommandent un arrêt de travail, suivi d'une réintégration graduelle à temps partiel.

[6]                Le demandeur retourne à son travail le 3 octobre 2001, mais trois semaines plus tard il est de nouveau parti en congé de maladie et n'est pas retourné au travail par la suite.

[7]                Alors que le demandeur était en congé de maladie, une agente aux ressources humaines l'informe d'un concours visant des postes à durée indéterminée d'agents d'approvisionnement de niveau PG-2. Malgré son état de santé, le demandeur pose sa candidature à ce concours et s'y classe 10ième. Neuf personnes ont été inscrites sur la liste d'admissibilité et neuf postes ont été comblés. Le demandeur n'a pas été embauché.

[8]                En janvier 2002, le demandeur est informé que son contrat ne serait pas renouvelé. Le 14 février 2002, le gestionnaire du Bureau des achats du GeD, M. Sylvain Cardinal, envoie une lettre au demandeur lui confirmant que sa « nomination pour une période déterminée au poste de commis (CR-05) au Bureau des achats du [GeD] » se terminerait le 29 mars 2002.

[9]                Le 10 décembre 2002, en réponse au courriel envoyé par le demandeur, M. Cardinal explique que le contrat du demandeur n'a pas été renouvelé du fait que le « besoin opérationnel d'une ressource au niveau CR5 a [cessé] d'exister » .

[10]            En décembre 2002, l'ancien groupe d'attache du demandeur, la Division ET, ouvrait des postes d'adjoints principaux aux achats au niveau CR-05 pour une durée indéterminée. Le demandeur a postulé mais ne s'est pas qualifié.

[11]            Le 17 mars 2003, le demandeur dépose une plainte de discrimination à la Commission contre le Ministère (no de dossier 20021404). Il fait deux allégations dans sa plainte. Premièrement, il prétend qu'en raison de sa déficience, son employeur n'a pas renouvelé son contrat d'emploi au-delà du 29 mars 2002. Deuxièmement, il prétend qu'en raison de sa déficience, son employeur a refusé de l'embaucher pour le poste indéterminé au niveau PG-2. Le demandeur allègue que le Ministère a lésé ses droits contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985 ch. H-6 (la LCDP).

[12]            La Commission a chargé l'enquêteuse d'enquêter sur la plainte du demandeur en vertu du paragraphe 43(1) de la LCDP.

[13]            L'enquêteuse de la Commission produit son rapport le 28 octobre 2004. Elle y recommande le rejet de la plainte parce que, selon elle, « la preuve n'appuie pas l'allégation du plaignant à l'effet que le mise en cause [le Ministère] a agi de façon discriminatoire en matière d'emploi en raison de sa déficience » .

[14]            Le rapport est divulgué et le demandeur y fait des représentations écrites dans lesquelles il répète que son poste d'attache était dans la Division ET et non au GeD. Il remarque également que suite à son départ de la Division ET, son poste a été comblé par Mme Suzy Bouchard. Aucune réponse à ces représentations n'est déposée par le Ministère.

[15]            Dans sa décision du 15 février 2005, la Commission accepte la recommandation de l'enquêteuse et rejette la plainte du demandeur en vertu de l'alinéa 44(3)b) de la LCDP.

3.          Décision Contestée

[16]            Les documents suivants ont été considéré par la Commission : le formulaire de plainte; le rapport de l'enquêteuse; la réponse du demandeur avec renseignements additionnels (Annexes A à G); et la chronologie de l'enquête.

[17]            La Commission accepte la conclusion tirée dans le rapport de l'enquêteuse et rejette la plainte du demandeur.

[18]            Le rapport d'enquête contient un sommaire de la plainte et de la défense du Ministère, un précis détaillé des faits pour établir le contexte de la plainte, les prétentions du demandeur et du Ministère. L'analyse de l'enquêteuse se retrouve aux paragraphes 33 à 35 du rapport :

33.        La preuve recueillie démontre que le plaignant a [postulé] pour un concours PG-02, a été reçu à l'examen écrit où sa demande d'accommodation a été respectée et a terminé 10ème. Seuls les neuf premiers candidats ont été placés sur une liste d'admissibilité. Bien que le plaignant prétend que le mis en cause aurait dû attendre son retour au travail avant de procéder avec le concours, le plaignant a été absent pour plus de cinq mois (jusqu'à l'expiration de son contrat) et aucune demande n'a été faite en ce sens.

34.        La preuve recueillie démontre que le plaignant a tenté un retour au travail progressif le 3 octobre 2001 et a quitté en congé de maladie le 22 octobre 2001. Durant son congé de maladie, le travail lié au projet GeD a été effectué. Les services du plaignant n'étaient plus requis ni au projet GeD, ni à titre d'adjoint principal aux achats. La nomination du plaignant a pris fin le 29 mars 2002, à la fin de sa nomination.

35.       La preuve recueillie démontre que le plaignant a postulé pour un poste CR-05 à l'automne 2002 mais ne s'est pas qualifié. Il s'est classé 43ème et les trente premiers candidats ont été convoqués à l'entrevue. Ensuite, les quinze premiers se sont classés sur la liste d'éligibilité. Le plaignant pouvait contester les résultats du concours en vertu d'un droit d'enquête prévu à la section 7.1 de la Loi sur la fonction publique du Canada. Le plaignant n'a pas exercé ce droit.

Pour ces motifs, l'enquêteuse conclut que la plainte du demandeur n'est pas fondée et recommande que la plainte ne devrait pas être référéeau Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal).

4.          Contexte Législatif

[19]            L'article 2 de la LCDP établit l'intention de la loi :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.

2. The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability or conviction for an offence for which a pardon has been granted.

[20]            L'article 7 interdit la discrimination dans l'emploi :

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a)    de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination

[21]            La LCDP autorise la Commission à enquêter sur les plaintes. Aux termes de l'article 44, sur réception du rapport d'enquête, la Commission peut instruire une plainte devant le Tribunal ou, comme dans le cas présent, rejeter la plainte :

44. (3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,

(ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

...

44. (3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) that, having regard to all circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41 (c) to (e); or

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

5.          Question en Litige

[22]            La question en litige peut être formulée comme suit :

La Commission a-t-elle violé les principes de justice naturelle et d'équité procédurale en manquant de mener une enquête approfondie et rigoureuse de la plainte du demandeur?

6.          Norme de Contrôle

[23]            La LCDP ne prescrit aucune directive régissant la conduite des enquêtes. La jurisprudence établit que les tribunaux administratifs, en règle générale, sont considérés maîtres de leur propre processus, pourvu qu'ils respectent les principes d'équité procédurale : Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560.

[24]            La Cour d'appel fédérale a récemment décidé dans Canada (Attorney General) v. Sketchley, 2005 FCA 404, qu'aucune retenue judiciaire ne doit être accordée lorsqu'un tribunal administratif agit à l'encontre des principes d'équité procédurale. Au paragraphe 53, le juge Linden a dit que :

CUPE [Canadian Union of Public Employees v. Ontario (Minister of Labour), [2003] 1 S.C.R. 539, 2003 SCC 29] directs a court, when reviewing a decision challenged on the grounds of procedural fairness, to isolate any act or omission relevant to procedural fairness (at para. 100). This procedural fairness element is reviewed as a question of law. No deference is due. The decision-maker has either complied with the content of the duty of fairness appropriate for the particular circumstances, or has breached this duty.

[25]            Dans Sketchley, un cas concernant une décision de la Commission où les termes de l'alinéa 44(3)b) étaient aussi à l'étude, la Cour d'appel a appliqué les facteurs de l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, en déterminant l'étendue de l'obligation d'équité procédurale. Après avoir appliqué les facteurs de l'arrêt Baker, la Cour d'appel a décidé que la teneur de l'obligation d'équité telle qu'exprimée par la Cour fédérale dans l'arrêt Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (C.F.); confirmé par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.), est appropriée. Dans cet décision, le juge Nadon (alors à la Cour de première instance) a statué que les principes d'équité procédurale exigent que la Commission informe les parties de la substance de la preuve obtenue par l'enquêteuse et produite devant elle, et que la Commission donne aux parties l'occasion de réfuter cette preuve et de faire toutes les observations pertinentes, à tout le moins, par écrit. Aussi, l'équité procédurale exige que la Commission dispose d'un fondement adéquat et juste pour évaluer s'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la constitution d'un Tribunal.

[26]            Quant aux enquêtes sur les allégations de discrimination menées par la Commission, le juge Nadon, à la page 600, a décidé qu'il est nécessaire de maintenir un équilibre entre les intérêts du plaignant et de la Commission :

Pour déterminer le degré de rigueur de l'enquête qui doit correspondre aux règles d'équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu: les intérêts respectifs du plaignant et de l'intimé à l'égard de l'équité procédurale, et l'intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif. [...]

À la page 598, il a conclu que la décision de la Commission quant à savoir si un examen de la plainte est justifié doit reposer sur une enquête neutre et rigoureuse conformément aux principes d'équité procédurale.

Pour qu'il existe un fondement juste pour que la CCDP estime qu'il y a lieu de constituer un tribunal en vertu de l'alinéa 44(3)a) de la Loi, je crois que l'enquête menée avant cette décision doit satisfaire à au moins deux conditions : la neutralité et la rigueur.

[27]            Le juge Nadon, aux pages 600-01, a poursuivi en expliquant qu'une enquête peut manquer le degré de rigueur légalement requis lorsque, par exemple, un enquêteur « n'a pas examiné une preuve manifestement importante » :

Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l'égard des activités d'appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.

Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l'enquêteur, comme c'est le cas en l'espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l'attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s'il ne s'agit pas d'une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l'enquêteur devraient comprendre: (1) les cas où l'omission est de nature si fondamentale que le seul fait d'attirer l'attention du décideur sur l'omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n'a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l'information ou encore du rejet explicite qu'il en a fait.

[28]            J'estime donc que la teneur de l'obligation d'équité procédurale en l'espèce est celle articulée par le juge Nadon dans la décision Slattery.

7.          Analyse

[29]                    Il est convenu entre les parties que la décision de la Commission en l'espèce est essentiellement fondée sur le rapport d'enquête adopté par la Commission. Vu l'absence de motifs de décision, le rapport constituera les motifs de la décision de la Commission pour toutes fins pratiques [Voir le paragraphe 37 de Sketchley, précité]. Cette demande de contrôle judiciaire tournera donc sur la suffisance de l'enquête et de son rapport relativement aux exigences d'équité procédurale.

[30]                    Le demandeur soutient que l'enquête menée par la Commission ne satisfait pas aux exigences d'équité procédurale parce que l'enquête a manqué de rigueur. Le demandeur maintient donc, qu'aucune retenue judiciaire ne doit être accordée par cette Cour et puisque la décision de la Commission est fondée sur une enquête et un rapport déficient, la décision est aussi déficiente et doit nécessairement être cassée. J'accepte les propos du demandeur que si le rapport et l'enquête sont jugés déficients en l'espèce, la décision de la Commission sera aussi déficiente : Singh c. Canada (Procureur général) 2002 CAF 247, [2002] A.C.F. no 885 (QL); Garvey c. Meyers Transport Ltd. 2005 CAF 327, [2005] A.C.F. no. 1684 (QL).

[31]                    Le demandeur prétend que l'enquêteuse a manqué de rigueur en menant l'enquête pour trois raisons, notamment : 1) elle n'a pas identifié qui aurait pris les décisions dites discriminatoires de ne pas renouveler son contrat et de ne pas l'embaucher; 2) elle n'a pas interrogé certain témoins clés, notamment les preneurs de décisions; et, 3) elle n'a pas adéquatement analysé la preuve pour répondre aux plaintes de discriminations.

[32]                    Le demandeur prétend aussi que plusieurs questions cruciales n'ont pas été posées lors de l'enquête et demeurent sans réponse, notamment :

a)          Quel processus a été suivi dans le passé pour renouveler le contrat d'emploi du demandeur? Est-ce que le processus était différent par rapport à la fin du contrat effectif le 29 mars 2002?

b)          Qui a pris la décision de ne pas renouveler le contrat du demandeur?

c)          Est-ce que la personne responsable pour la décision de terminer le contrat du demandeur a considéré s'il y avait encore du travail à faire dans le département de licences et logiciels (Division ET)?

d)         Est-ce que la personne responsable pour la décision de ne pas renouveler le contrat savait que le demandeur était en congé de maladie? Est-ce que la déficience du demandeur était un facteur dans sa décision?

e)          Pourquoi est-ce que TPSGC [le Ministère] a initialement indiqué que le contrat du demandeur ne sera pas renouvelé et se terminera le 29 mars 2002 à cause d'un manque de travail dans le projet GeD, quand son poste d'attache était dans le département licences et logiciels (Division ET) sous la direction de Scott Soucy?

f)           Pourquoi la liste d'éligibilité pour le poste de PG-02 s'est limitée à neuf personnes? Est-ce que la déficience médicale du demandeur était un facteur dans cette décision?

[33]                    Le demandeur prétend qu'il est sans réponse à ces questions, et que la question de fond à savoir si le demandeur a été victime de discrimination demeure également sans réponse. Selon le demandeur, l'enquête n'est donc ni approfondie, ni complète.

[34]                    Le défendeur maintient que la décision de la Commission est raisonnable, s'appuie sur une enquête approfondie et exempte de partialité, et s'accorde aux principes d'équité procédurale.

[35]                    La première allégation dans la plainte du demandeur est que le Ministère a refusé de renouveler son contrat en raison de sa déficience. Dans une lettre adressée à l'enquêteuse, le sous-ministre adjoint du Ministère explique que le demandeur n'a pas été réembauché parce que le Ministère n'avait plus besoin de ses services dans le cadre du projet GeD ou à titre d'adjoint principal aux achats. Pourtant, la preuve au dossier indique que le demandeur était très occupé avant son départ en congé de maladie, et qu'en date du 25 juillet 2001 on cherchait à le remplacer à son poste d'adjoint principal aux achats dans la Division ET. En effet, il a été remplacé. En surplus, à l'automne 2002, soit 8 mois après que son contrat fut terminé, le Ministère a déterminé qu'il était nécessaire de doter des postes d'adjoint aux achats au niveau CR-5 pour une durée indéterminée. Un concours suivit, et 15 postes ont été comblés. Le demandeur s'est classé 43ième, et il ne s'est donc pas qualifié. Il semblerait que ces nouveaux postes impliquent le même genre de travail effectué par le demandeur lorsqu'il était à contrat avec le Ministère, quoique la preuve ne soit pas claire sur ce point.

[36]                    Compte tenu de ces constats dans la preuve, il est évident que la raison principale de ne pas réembaucher le demandeur, le manque de travail, est douteuse. Du moins il y avait matière à soulever des questions chez un enquêteur averti. L'enquêteuse, dans son rapport, semble avoir simplement accepté l'explication du Ministère que « ...les services du demandeur n'était plus requis ni au projet de GeD, ni à titre d'adjoint principal aux achats. » L'enquête s'arrête là. Il y avait un besoin, à mon avis, de clarifier certaines questions qui portent directement sur la plainte de discrimination du demandeur, à savoir, qui aurait pris la décision de ne pas le réembaucher, et si cette personne a été influencée par la déficience médicale du demandeur dans cette décision. Dans le contexte actuel on ne peut le savoir puisque les personnes directement impliquées et responsables n'ont pas été approchées. L'enquêteuse n'a pas interrogé M. Soucy ou M. Cardinal, les superviseurs immédiats du demandeur lorsqu'il était en fonction, ni Mme Bouchard, la personne qui l'aurait remplacé lors de son congé, ni d'autres employés qui travaillaient dans la Division ET afin d'adresser la question à savoir si un remplaçant a été trouvé ou si les tâches du demandeur ont été confiées aux autres employés? Il y aurait eu lieu d'interroger ces intervenants sur plusieurs aspects du dossier, à savoir si le travail existait toujours et si il y avait un aspect discriminatoire dans la décision. À mon avis, une telle rigueur s'impose dans les circonstances, et aurait permis un examen approfondi de la preuve que je considère manifestement important compte tenu de la plainte.

[37]                    La deuxième allégation dans la plainte du demandeur est que le Ministère a refusé de l'embaucher pour le poste indéterminé d'agent d'approvisionnement (PG-02, octobre 2001) en raison de sa déficience. M. Richard Cole, le directeur responsable pour les dossiers de ressources humaines de la Division ET, responsable de limiter la liste d'admissibilité pour le poste d'agent d'approvisionnement PG-02 à neuf personnes, n'a pas été interrogé par l'enquêteuse. Et ce, en dépit du fait que M. Cole a pris cette décision sachant que le demandeur s'était classé 10ième dans le concours. Compte tenu de la plainte, la rigueur exigeait que M. Cole soit interrogé sur les allégations soulevées par le demandeur. Dans son rapport, l'enquêteuse n'a aucunement analysé cette deuxième allégation du demandeur, à savoir qu'il y avait un aspect discriminatoire dans la décision de limiter le nombre de personnes admissible. Elle s'est contentée de constater que seuls les premiers neuf candidats ont été placés sur les liste d'admissibilité.

[38]                    Je reconnais que la Commission est maître de son processus et la Cour doit faire preuve de retenue dans la façon dont elle mène ses enquêtes. La Commission a le devoir d'assurer l'efficacité du système sur le plan administratif, avec des ressources limitées. Elle doit aussi tenir compte des intérêts des plaignants à l'égard d'une enquête la plus complète possible et toujours en respectant les principes d'équité procédurale.

[39]                    Je suis d'avis que la décision par laquelle la Commission rejette les plaintes devrait faire l'objet d'un examen plus attentif que les décisions par lesquelles des plaintes sont déférées au Tribunal. Sur ce point, j'adopte les propos du juge Evans, dans l'arrêt Larsh c. Canada [1999] A.C.F. no. 508. Au paragraphe 36 de ses motifs, ce dernier écrit :

...Un débouté est, après tout, une décision définitive qui empêche le plaignant d'obtenir toute réparation prévue par la loi et qui, de par sa nature même, ne saurait favoriser l'atteinte de l'objectif général de la Loi, c'est-à-dire protéger les personnes physiques de toute discrimination, mais qui, s'il est erroné, risque de mettre en échec l'objet de la Loi.

D'ailleurs, le principe a été reconnu et adopté par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sketchley précité, aux paragraphes 79 et 80.

[40]                    En s'abstenant d'interviewer les personnes clés impliquées dans le dossier du demandeur, particulièrement, M. Soucy, M. Cardinal, Mme Bouchard et M. Cole, je suis d'avis que l'enquêteuse n'a pas mené une enquête approfondie et rigoureuse. En agissant ainsi l'enquêteuse n'a pas examiné une preuve manifestement importante dans le contexte de ce dossier. L'enquête relative à la plainte du demandeur ne respecte pas, par conséquent, la norme en matière de rigueur prescrite dans la décision Slattery, et confirmée par la Cour d'appel fédérale, dans la décision Sketchley. La décision de la Commission de rejeter la plainte doit donc être annulée parce qu'elle viole l'obligation d'équité procédurale.

8.         Conclusion

[41]                    Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j'annulerais la décision de la Commission de rejeter la plainte du demandeur, et je renverrais l'affaire à la Commission afin qu'elle soit reconsidérer en conformité avec ces motifs.

[42]                    Vu le résultat, le demandeur aura droit à ses dépens.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.          La décision de la Commission canadienne des droits de la personne est annulée.

3.         L'affaire est retournée à la Commission canadienne des droits de la personne afin de reconsidérer la plainte du demandeur en conformité avec ces motifs.

4.          Le tout avec dépens.

« Edmond P. Blanchard »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSIER :                                            T-503-05

INTITULÉ :                                        MARC GRAVELLE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 16 janvier 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE                          le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 24 février 2006

COMPARUTIONS :

Me James Cameron                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Me Sonia Barrette                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron &                                                          POUR LE DEMANDEUR

Ballantyne

Ottawa (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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