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Date : 20231031


Dossier : IMM-8629-22

Référence : 2023 CF 1448

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2023

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

LEELA NIMRANI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Résumé

[1] La demande de Mme Leela Nimrani visant à obtenir un super visa pour grands-parents a été rejetée par un agent des visas d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] au motif qu’il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada pour retourner en Inde à la fin de la période de séjour autorisée. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, Mme Nimrani demande à la Cour d’annuler cette décision.

[2] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire de Mme Nimrani et j’annulerai la décision par laquelle la demande de super visa a été rejetée. Après avoir examiné les faits au dossier et les observations présentées à l’agent des visas, je conclus que sa décision ne satisfait pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité requises pour qu’une décision administrative soit jugée raisonnable. En particulier, bien que je reconnaisse qu’il n’est pas nécessaire de fournir des motifs longs ou détaillés pour justifier le rejet d’une demande de visa, je conclus que l’agent n’a tenu compte que des facteurs défavorables dans la demande de Mme Nimrani et a fait fi de facteurs positifs pertinents concernant son établissement en Inde et ses antécédents de voyage. De plus, dans sa lettre de rejet, l’agent a fait référence à des facteurs non expliqués et difficiles à comprendre étant donné la nature de la demande.

[3] Par conséquent, la demande de visa de Mme Nimrani sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[4] Les parties s’entendent pour dire que la décision de l’agent doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25. La seule question en litige devant la Cour consiste à savoir si la décision de l’agent était raisonnable. Bien que, dans ses observations écrites, Mme Nimrani soulevait également la question de l’équité procédurale, elle a renoncé à cet argument à l’audition de la présente demande.

[5] Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’abstenir de trancher elle-même l’affaire. Elle doit plutôt évaluer si la personne à qui le législateur a octroyé le pouvoir décisionnel a rendu une décision de façon légale et raisonnable : Vavilov, aux para 82-83. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La Cour doit faire preuve de retenue envers une décision qui répond à ces critères : Vavilov, au para 85.

[6] L’exigence voulant qu’une décision administrative soit « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » comprend l’exigence selon laquelle les motifs écrits doivent répondre au dossier factuel et aux observations soumises au décideur : Vavilov, aux para 85, 125‐128. Si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte, ou s’il n’a pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties, le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis : Vavilov, aux para 126, 128. Par ailleurs, lorsqu’elle procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour tient compte du contexte particulier dans lequel la décision administrative est prise et reconnaît que la complexité et l’importance d’une question peuvent avoir un impact sur ce qui est raisonnable dans un cas donné : Vavilov, aux para 88-90.

[7] Étant donné le contexte administratif des décisions relatives aux visas, la Cour a confirmé qu’il n’est pas nécessaire que les agents fournissent des motifs détaillés ou volumineux pour justifier le rejet de la demande : Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 aux para 15, 17, citant Vavilov, aux para 13, 67, 72, 127-128; He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1027 [He] aux para 19-20, citant Vavilov, aux para 91, 103. La décision de l’agent des visas doit également être examinée en fonction du dossier, qui « peut aussi révéler que ce qui semble être une lacune des motifs ne constitue pas en définitive un manque de justification, d’intelligibilité ou de transparence » : Vavilov, au para 94. Cela dit, interpréter les motifs eu égard au dossier ne permet pas à la Cour de fournir simplement de nouveaux motifs qui n’ont pas été exposés par l’agent, ni à émettre des hypothèses sur ce qu’il a pu penser : Vavilov, aux para 95-97, citant Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431; He, au para 20. Les motifs de l’agent des visas doivent exposer les éléments clés de son analyse et répondre à l’essentiel des observations du demandeur sur les points les plus pertinents : Nesarzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 568 au para 7.

III. Analyse

A. Cadre législatif

[8] Le « super visa » est un type de visa de résident temporaire accessible aux étrangers souhaitant rendre visite à un enfant ou à un petit-enfant citoyen ou résident permanent canadien. Il s’agit d’un visa pour entrées multiples qui couvre une période allant jusqu’à dix ans. Chaque période de séjour autorisée pouvait à l’origine durer jusqu’à deux ans, mais peut maintenant s’étendre jusqu’à cinq ans.

[9] Le programme de super visa a été instauré par l’Instruction ministérielle concernant un super visa pour les parents et les grands-parents, publiée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et par le ministre de la Sécurité publique au titre du paragraphe 15(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Cette disposition exige que l’agent d’IRCC qui examine une demande se « conform[e] aux instructions du ministre ». Les instructions du ministre relatives au super visa ont d’abord été publiées en décembre 2011, puis ont été modifiées en juillet 2022.

[10] Les instructions du ministre énoncent les critères d’admissibilité au super visa, selon lesquelles le demandeur doit notamment subir un examen médical, démontrer qu’il a contracté une assurance médicale privée et fournir une attestation d’engagement de soutien financier de la part de l’enfant ou du petit-enfant. Elles confirment également que pour être admissible, le demandeur doit « satisfaire à toutes les exigences législatives du [visa de résident temporaire] ». Parmi ces exigences législatives, l’article 179 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR] prévoit que l’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que le demandeur satisfait à tous les éléments énoncés. Aux fins de la présente demande, l’élément pertinent se trouve à l’alinéa 179b) du RIPR, qui exige que l’étranger établisse qu’il « quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable [...] ».

B. Demande de visa de Mme Nimrani

[11] Mme Nimrani est une citoyenne de l’Inde âgée de 72 ans. Sa fille et sa petite-fille sont des résidentes permanentes canadiennes et son fils vit lui aussi au Canada. Mme Nimrani a présenté une première demande de super visa dans le but de leur rendre visite au début de l’année 2020, peu après son retour en Inde au terme d’un séjour au Cambodge où elle avait vécu et travaillé. Cette demande a été rejetée en mars 2020 en raison de réserves concernant ses antécédents de voyage, ses liens familiaux, le but de sa visite, ses perspectives d’emploi limitées en Inde et sa situation d’emploi actuelle.

[12] Mme Nimrani a présenté une autre demande de super visa en novembre 2021. Dans cette demande, elle indiquait son intention d’entrer au Canada en décembre 2021 et de partir en septembre 2022 après la célébration hindoue du mariage de son fils. À l’appui de sa demande, sa fille a présenté une « lettre explicative » dans laquelle elle répond aux réserves soulevées lors du premier rejet. Elle y expose la passion de Mme Nimrani pour le voyage en relevant ses nombreuses expériences à l’étranger et le fait qu’elle a toujours été en règle lors de ces voyages, et fait remarquer qu’elle n’est jamais restée dans un pays au-delà de la période autorisée. Elle y explique également que Mme Nimrani est retournée en Inde au début de la pandémie de Covid-19 et qu’elle est retraitée depuis. Elle décrit les liens sociaux, économiques, religieux et financiers de Mme Nimrani avec l’Inde et réaffirme le but de sa visite au Canada, tout en maintenant que, en tant que retraitée, Mme Nimrani ne cherche pas d’emploi au Canada.

[13] La deuxième demande de super visa de Mme Nimrani a été rejetée en mars 2022. La lettre de rejet envoyée par IRCC à ce moment-là exposait les réserves de l’agent quant à la situation financière et aux biens personnels de Mme Nimrani, ainsi qu’au but de sa visite. Cette dernière a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de ce rejet. La demande de contrôle judiciaire a fait l’objet d’un règlement, car la décision de l’agent aurait été annulée et la demande de super visa renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[14] Conformément à l’entente de règlement, Mme Nimrani a eu l’occasion de déposer des documents à jour et des documents supplémentaires à l’appui de sa demande, ce qu’elle a fait le dimanche 17 juillet 2022. Elle a déposé une variété de renseignements financiers à jour, une autre lettre d’invitation de la part de sa fille, ainsi qu’une « lettre explicative » supplémentaire qui répond aux réserves soulevées dans la lettre de rejet de mars 2022 au sujet de la situation financière de Mme Nimrani et au but de sa visite.

C. Décision faisant l’objet du contrôle

[15] Le jour suivant, le 18 juillet 2022, l’agent des visas a rejeté encore une fois la demande de super visa de Mme Nimrani. Comme c’est habituellement le cas, les motifs de l’agent pour justifier sa décision sont exprimés dans la lettre envoyée à Mme Nimrani et dans les notes versées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC].

[16] Dans la lettre de rejet, l’agent indique qu’il n’était pas convaincu que Mme Nimrani quitterait le Canada à la fin de son séjour en raison des quatre facteurs suivants : i) elle n’avait pas de liens familiaux significatifs à l’extérieur du Canada; ii) elle avait des liens familiaux significatifs au Canada; iii) la durée de son séjour proposé au Canada; iv) le but de sa visite, qui, compte tenu des détails fournis dans la demande, ne semblait pas compatible avec un séjour temporaire.

[17] Dans ses notes versées au SMGC, l’agent a écrit que le but de la demande de Mme Nimrani était de rendre visite à sa famille pour une période de 7 mois et d’assister au mariage de son fils. L’agent a fait remarquer que Mme Nimrani avait vécu et travaillé aux Émirats arabes unis de 2005 à 2017, et au Cambodge de 2017 à 2020. Il a souligné que Mme Nimrani n’avait pas de liens familiaux en Inde puisque ses parents étaient décédés, qu’elle était séparée de son mari et que ses deux enfants vivaient au Canada, ce que l’agent a décrit [traduction] « d’importants facteurs d’attirance ». L’agent a fait remarquer qu’[traduction] « étant donné les liens familiaux et les motifs économiques de rester au Canada, l’incitation de la cliente à rester au Canada l’emporte sur ses liens avec son pays d’origine » et a conclu que Mme Nimrani « ne montrait aucun degré d’établissement » en Inde. L’agent a conclu que Mme Nimrani n’avait pas établi qu’elle était suffisamment établie en Inde ou qu’elle y avait des liens suffisants qui la motiveraient à y retourner. Il n’a donc pas été convaincu qu’elle serait une véritable visiteuse au Canada qui quitterait le pays à la fin de la période de séjour autorisée.

D. La décision n’est pas raisonnable

[18] Je conclus que la décision de l’agent des visas est déraisonnable. Son défaut d’aborder différents facteurs favorables soulevés par Mme Nimrani dans sa demande, conjugué à la mention de deux facteurs qu’il n’a ni étayés ni expliqués, fait en sorte que la Cour ne peut juger si l’agent des visas a tenu compte de la preuve dont il disposait et s’il a apprécié de manière raisonnable la demande de Mme Nimrani dans son ensemble.

(1) Défaut de traiter des facteurs favorables pertinents

[19] Comme la Cour l’a fait remarquer, l’agent des visas qui évalue si un demandeur a établi qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée doit tenir compte des différents facteurs qui pourraient soit l’inciter à dépasser la durée permise par son visa ou l’encourageraient à retourner dans son pays d’origine : Nesarzadeh, au para 9, renvoyant à Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 au para 14 et Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175 au para 23. Il n’est pas nécessaire que l’agent énumère chacun des facteurs soulevés ou envisagés, mais il doit traiter des questions centrales soulevées par le demandeur et de celles qui justifient sa décision : Vavilov, aux para 126, 128; Jalili c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CF 1267 aux para 11-12.

[20] En l’espèce, Mme Nimrani a mis l’accent sur les deux points suivants dans sa demande pour établir qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée : son respect des lois en matière d’immigration au cours de ses nombreuses années à voyager; ses liens sociaux, économiques, religieux et financiers avec l’Inde, où elle a pris sa retraite après de nombreuses années à vivre et à travailler à l’étranger. Ces points ont été soulevés en réponse aux rejets des demandes de super visa et concernaient particulièrement les réserves exprimées quant à la probabilité qu’elle quitte le Canada. Ils étaient appuyés par des éléments de preuve, dont des documents de voyage et des documents financiers attestant de la propriété de biens et d’investissements en Inde.

[21] Dans sa décision, l’agent des visas a seulement traité des liens familiaux de Mme Nimrani au Canada et de son établissement en Inde. À ce sujet, l’agent s’est concentré exclusivement sur les antécédents de travail de Mme Nimrani à l’extérieur de l’Inde et sur le fait qu’elle n’a pas de famille immédiate en Inde. Au-delà d’avoir brièvement fait référence aux [traduction] « motifs économiques de rester au Canada » sans donner d’explications, l’agent n’a mentionné ni les liens financiers de Mme Nimrani avec Inde, ni le fait qu’elle avait démontré un grand respect des lois sur l’immigration des nombreux pays qu’elle avait visités.

[22] À mon avis, il s’agit d’aspects suffisamment centraux de la demande de Mme Nimrani pour que l’agent en tienne compte. Le défaut de l’agent de tenir compte de ces facteurs donne l’impression qu’il s’est concentré sur des aspects de la demande qui soulevaient des doutes quant au fait que Mme Nimrani quitterait le Canada, au détriment d’observations et d’éléments de preuve qui indiquaient le contraire. En ce qui concerne les antécédents de voyage de Mme Nimrani, l’agent a mentionné seulement les aspects négatifs de ces voyages, soit la mesure dans laquelle ils ont nui à son établissement en Inde, sans prendre en considération ses observations selon lesquelles ses voyages démontraient qu’elle avait respecté pendant longtemps les conditions de ses séjours autorisés dans d’autres pays. En ce qui concerne la question de ses liens financiers avec l’Inde, dont sa nouvelle maison achetée en 2020, l’agent en a fait abstraction complètement et a plutôt fait vaguement référence aux « motifs économiques de rester au Canada » sans préciser lesquels.

[23] Dans ses observations orales, le ministre a fait référence à la jurisprudence de la Cour à l’égard des antécédents de voyage, faisant valoir qu’il s’agit surtout d’un facteur neutre. Toutefois, bien que la Cour ait reconnu que l’absence d’antécédents de voyage soit [traduction] « tout au plus un facteur neutre », des antécédents de voyages qui démontrent le respect des lois en matière d’immigration constituent un facteur favorable à l’appui du statut de « voyageur légitime à l’étranger » du demandeur : Kwasi Obeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 754 au para 13; Najmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 132 aux para 18-19; Punia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 184 au para 30. En l’espèce, Mme Nimrani a expressément mis de l’avant ses nombreux voyages et son respect des lois comme un facteur favorable à prendre en considération, mais l’agent semble avoir écarté complètement cette observation : He, au para 30. Il ne s’agissait pas d’un cas où les antécédents de voyage du demandeur étaient modestes, de telle sorte qu’il serait justifié de ne les mentionner que brièvement voire aucunement : voir par exemple Gupta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1270 au para 39. Au contraire, Mme Nimrani a mentionné et détaillé de nombreux voyages dans plus d’une douzaine de pays différents au cours des cinq dernières années, notamment pour rendre visite à des amis et à la famille, pour visiter des temples, pour pratiquer la méditation et le yoga, pour assister à des mariages, pour assister à des réunions professionnelles ou d’affaires et pour les vacances.

[24] Je souligne que Mme Nimrani fait également valoir qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de mettre l’accent sur ses liens familiaux au Canada dans le cadre d’un super visa, qui est offert exclusivement aux personnes ayant des liens familiaux au Canada et qui est conçu pour renforcer les liens entre l’étranger et sa famille au Canada en favorisant la réunification des familles. Bien que je reconnaisse une certaine incongruité à invoquer le fait même de répondre aux critères d’admissibilité à une catégorie de visa pour refuser l’octroi de ce visa, je suis d’accord avec le ministre pour dire que, puisque l’alinéa 179b) du RIPR concerne tout visa de résident temporaire, y compris les super visas, l’agent des visas est tenu de prendre en considération tous les faits et facteurs, dont l’existence de liens familiaux au Canada et dans le pays d’origine, lorsqu’il se demande s’il est convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

(2) Facteurs non expliqués

[25] Comme il a été exposé plus haut, selon la lettre envoyée à Mme Nimrani le 18 juillet 2022, sa demande avait été rejetée parce que, sur le fondement de quatre facteurs, elle n’avait pas établi qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Les deux premiers facteurs, soit l’absence de liens significatifs à l’étranger et l’existence de liens familiaux significatifs au Canada, sont examinés ci-dessus. Les deux autres facteurs concernent [traduction] « la durée de son séjour proposé au Canada » et le fait que [traduction] « le but de sa visite au Canada [ne soit] pas compatible avec un séjour temporaire compte tenu des détails fournis dans la demande ». Après avoir interprété ces facteurs à la lumière des notes versées au SMGC et du dossier qui les sous-tendent, la Cour n’est pas en mesure de comprendre pourquoi l’agent a relevé l’un ou l’autre de ces facteurs pour appuyer son évaluation au titre de l’alinéa 179b) du RIPR.

[26] Dans les notes versées au SMGC, l’agent mentionne que le but de la visite de Mme Nimrani était de [traduction] « rendre visite à sa famille pendant 7 mois et, au cours de cette période, d’assister au mariage de son fils ». Outre cette mention, il ne fait pas référence à la durée du séjour proposé et ne donne aucune explication à savoir pourquoi le but de la visite lui permettrait de conclure que Mme Nimrani ne quitterait pas le Canada. C’est particulièrement le cas dans le contexte d’une demande de super visa qui, au moment de la décision, pouvait être valide pour une durée totale allant jusqu’à dix ans, avec des périodes de séjours autorisées allant jusqu’à deux ans.

[27] De même, l’agent ne donne aucune indication qui explique pourquoi le but énoncé de la visite, soit de rendre visite à la famille et d’assister à une cérémonie familiale, [traduction] « ne concordait pas avec un séjour temporaire ». Une fois de plus, il est difficile de comprendre cette conclusion dans le contexte d’une demande de super visa.

[28] Je comprends que les motifs donnés dans une lettre de rejet ont tendance à être courts et doivent être interprétés à la lumière des notes versées au SMGC, qui « font partie intégrante des motifs » : Ezou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 251 [Ezou] aux para 17-20, renvoyant à Rabbani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 257 au para 35 et Ziaei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1169 au para 21. Toutefois, cela ne signifie pas que la lettre de rejet peut être écartée, que les notes versées au SMGC peuvent constituer l’intégralité des motifs de la décision ou que des déclarations non expliquées dans la lettre de rejet peuvent être simplement ignorées : Ezou, aux para 18, 20-21, 25. C’est d’autant plus vrai que la lettre de rejet constitue la seule explication que le demandeur éconduit reçoit, à moins que les notes versées au SMGC ne lui soient communiquées, ce qui n’est généralement fait que dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire : Ezou, au para 26.

[29] L’importance de la lettre de rejet pour un demandeur est illustrée dans la présente affaire à travers les lettres explicatives de Mme Nimrani. Ces lettres explicatives répondaient successivement à chacun des facteurs problématiques invoqués dans les lettres de rejet. Mme Nimrani a clairement et raisonnablement compris que les lettres de rejet énonçaient les motifs pour lesquelles ses demandes étaient rejetées.

[30] Le ministre soutient que les motifs invoqués concernant la durée et la nature temporaire de son séjour ne font que réaffirmer les réserves soulevées par l’agent quant au fait que Mme Nimrani ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Je ne peux souscrire à cette prétention. Dans la lettre de rejet, l’agent a déclaré que Mme Nimrani n’avait pas établi qu’elle quitterait le Canada et s’est fondé sur les quatre facteurs pour tirer cette conclusion. Si deux de ces facteurs ne sont en fait que la réaffirmation de la conclusion selon laquelle Mme Nimrani prolongerait son séjour sans autorisation, les motifs invoqués seraient alors circulaires et illogiques.

[31] La présence de ces facteurs non étayés et non expliqués dans la lettre de rejet ne rend pas en soi la décision de l’agent déraisonnable. Toutefois, le fait que l’agent a relevé des facteurs défavorables sans traiter des facteurs favorables pertinents porte à conclure que la décision dans son ensemble est dépourvue de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité nécessaires pour être raisonnable.

IV. Conclusion

[32] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la demande de super visa pour grands-parents présentée par Mme Nimrani sera renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision.

[33] Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier. Je suis d’accord pour dire que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8629-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision par laquelle l’agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté la demande de visa de résident temporaire de Mme Leela Nimrani est annulée et sa demande est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8629-22

 

INTITULÉ :

LEELA NIMRANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 mai 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 octobre 2023

 

COMPARUTIONS :

Christopher Elgin

 

Pour la demanderesse

 

Brett Nash

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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