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Date : 20231107


Dossier : T‐2256‐22

Référence : 2023 CF 1485

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

PACIFIC COAST TERMINALS CO. LTD., VITERRA CANADA INC., CASCADIA PORT MANAGEMENT CORPORATION, FRASER GRAIN TERMINAL LTD. et ALLIANCE GRAIN TERMINAL LTD.

demanderesses

et

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

défenderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU MANITOBA

intervenants

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La BC Marine Terminal Operators Association [la BCMTOA] interjette appel de l’ordonnance du juge adjoint Trent Horne de la Cour fédérale (le juge adjoint Horne), qui a rejeté les requêtes en intervention de la Western Grain Elevators Association et de la BCMTOA. Seule la BCMTOA souhaite contester la décision du juge adjoint Horne en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales (DORS/98‐106). C’est l’article 109 des Règles qui confère à la Cour le pouvoir d’autoriser à intervenir dans une instance non engagée par les intervenants.

[2] Le juge adjoint Horne a accordé au procureur général de la Saskatchewan et au procureur général du Manitoba le statut d’intervenant, mais à de strictes conditions :

  1. ils ne peuvent réitérer aucune des observations formulées par les parties;

  2. ils ne peuvent pas soulever de nouvelles questions litigieuses;

  3. ils ne peuvent pas ajouter d’éléments au dossier de preuve ni procéder à des contre‐interrogatoires.

Le procureur général de la Saskatchewan est autorisé à déposer un mémoire des faits et du droit de 15 pages, tandis que le procureur général du Manitoba est autorisé à en produire un d’un maximum de 10 pages.

[3] L’Administration portuaire Vancouver Fraser s’est opposée aux quatre requêtes en intervention. En fin de compte, le juge adjoint Horne a conclu que l’article 110 des Règles confère aux procureurs généraux une latitude considérable à l’égard des requêtes et qu’ils jouissent de vastes droits d’intervention. En fait, leur intervention a pour but de défendre l’intérêt public. S’il y a une différence entre les procureurs généraux et les autres intervenants éventuels, c’est à cause de la jurisprudence et des règles différentes qui s’appliquent à ces deux catégories d’intervenants. L’intitulé de la cause a été modifié pour tenir compte de l’ajout des deux intervenants.

I. Quelle est l’instance sous‐jacente?

[4] Les requêtes en intervention ont été déposées à l’égard d’une demande de contrôle judiciaire qu’ont introduite les cinq demanderesses en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (LRC 1985, c F‐7).

[5] C’est une décision de l’Administration portuaire Vancouver Fraser [l’APVF], rendue le 13 septembre 2022, qui est contestée dans le cadre du contrôle judiciaire. L’APVF a fixé le barème des droits relatifs au programme des Frais liés à l’infrastructure de la porte d’accès de 2022 [les FIPA 2022 ou FIPA 2]. Les droits sont entrés en vigueur le 1er janvier 2023, et ils sont imposés en conformité avec l’article 49 de la Loi maritime du Canada (LC 1998, c 10).

[6] Les demanderesses exploitent des terminaux qui manutentionnent des marchandises en vrac, lesquelles sont soumises à des droits plus élevés. Étant donné qu’une administration portuaire engage des dépenses d’exploitation, l’article 49 l’autorise à fixer les droits à payer à l’égard de diverses activités. Le paragraphe 49(3) exige toutefois que ces droits soient fixés à un niveau qui permet à l’administration portuaire d’assurer le financement autonome de ses opérations. Les droits doivent être équitables et raisonnables.

[7] Les demanderesses se plaignent que les droits ne sont pas équitables et raisonnables, d’une manière qui fait que l’APVF a outrepassé sa compétence. Elles soutiennent notamment que le nouveau barème des droits oblige les demanderesses à financer une infrastructure ferroviaire et à dépenser des frais que les compagnies de chemin de fer sont tenues de supporter. Elles allèguent qu’il y a interfinancement, parce que les droits ne sont pas proportionnés à l’utilisation qui est faite de l’infrastructure, ce qui privilégie donc certaines catégories d’utilisateurs. Le juge adjoint Horne a écrit, au paragraphe 10 de sa décision :

[traduction]

[10] Il est allégué de plus dans l’avis de demande que l’APVF a fait abstraction des éléments de preuve ou les a mal interprétés, qu’elle a outrepassé sa compétence et qu’elle a commis une erreur de droit en établissant un barème des droits qui a pour effet d’imputer aux demanderesses, d’une part, les coûts d’une infrastructure qui a peu ou pas de lien apparent avec elles et, d’autre part, les coûts de projets d’infrastructure qui profitent principalement à d’autres utilisateurs. Il est également allégué que les droits excèdent le montant qui est nécessaire pour que l’APVF assure le financement autonome de ses opérations et que la décision de l’APVF tient pour acquis de manière déraisonnable que les demanderesses pourront recouvrer les FIPA 2022 auprès de leurs clients.

Il est également allégué que l’APVF a failli à son obligation de se conformer aux principes d’équité procédurale.

II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8] En plus des deux procureurs généraux provinciaux, la Western Grain Elevator Association et la BCMTOA ont souhaité intervenir dans la présente instance. Il ne reste plus que la BCMTOA, les procureurs généraux provinciaux ayant obtenu l’autorisation d’intervenir et la Western Grain Elevators Association ayant décidé de ne pas porter en appel la décision du juge adjoint Horne.

[9] Le juge adjoint Horne a fait référence à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 13 [Conseil canadien pour les réfugiés], lequel fait un bon exposé des principes qui régissent au sein des Cours fédérales toute intervention dans des instances introduites par d’autres parties :

[6] Ainsi, le critère actuel relatif à l’intervention qui s’applique au titre de l’article 109 des Règles est le suivant :

I. La personne qui se propose d’intervenir fournira d’autres observations, précisions et perspectives utiles qui aideront la Cour à se prononcer sur les questions juridiques soulevées par les parties à l’instance, et non sur de nouvelles questions. Pour déterminer l’utilité, il faut poser quatre questions :

a) Quelles sont les questions que les parties ont soulevées?

b) Quelles observations l’intervenant éventuel a‐t‐il l’intention de présenter concernant ces questions?

c) Les observations de l’intervenant éventuel sont‐elles vouées à l’échec?

d) Les observations défendables de l’intervenant éventuel aideront‐elles la Cour à trancher les véritables questions en jeu dans l’instance?

II. La personne qui se propose d’intervenir doit avoir un véritable intérêt dans l’affaire dont la Cour est saisie de façon à ce que la Cour puisse être certaine que la personne qui se propose d’intervenir a les connaissances, les compétences et les ressources nécessaires et qu’elle les appliquera à la question devant la Cour;

III. Il est dans l’intérêt de la justice que l’intervention soit autorisée.

Je signale que cet énoncé du critère a été entériné récemment dans l’arrêt Chelsea (Municipalité) c Canada (Procureur général), 2023 CAF 179 au para 9.

[10] Le juge Stratas avait déjà souligné quelques années plus tôt que ce sont les questions en litige figurant dans l’avis de demande qui délimitent la portée des interventions possibles. Le juge adjoint Horne a fait référence au paragraphe 19 de l’arrêt Canada (Procureur général) c Canadian Doctors for Refugee Care, 2015 CAF 34 [Canadian Doctors for Refugee Care] :

[19] Les avis de demande et avis d’appel servent à cerner les questions en litige dans le cadre d’une instance. Les parties à l’instance montent leur dossier de preuve et élaborent les arguments qu’ils entendent présenter en fonction de ces questions soigneusement cernées. Le tiers qui souhaite prendre part à l’instance à titre d’intervenant doit composer avec ces questions telles qu’elles sont formulées : il ne peut y apporter des modifications ou des ajouts. Ainsi, suivant l’alinéa 109(2)b) des Règles, la personne désireuse d’intervenir doit démontrer en quoi sa contribution ferait progresser le débat sur les questions déjà en jeu, et non pas indiquer de quelle façon elle entend modifier ces questions.

Il n’est pas surprenant que le juge adjoint Horne ait insisté sur le fait qu’une intervention n’était pas autorisée si un intervenant enthousiaste souhaitait invoquer de nouveaux arguments juridiques. En fin de compte, le critère est celui de savoir si la Cour sera mieux en mesure d’examiner les questions en litige grâce à la présence de l’intervenant. (Gordillo c Canada (Procureur général), 2020 CAF 198 au para 9).

[11] Tels sont les principes directeurs que le juge adjoint Horne a appliqués à la requête en intervention de la BCMTOA.

[12] Le juge adjoint Horne a dit de la BCMTOA qu’elle était formée de 17 exploitants de terminaux portuaires en Colombie‐Britannique. Ces exploitants gèrent des installations qui chargent et déchargent des marchandises à bord de navires, en vue de leur importation et de leur exportation. Seize de ses 17 membres exploitent des terminaux dans le port de Vancouver; 15 des 16 sont touchés par les FIPA 2022. En fait, la BCMTOA a pris part aux consultations qui ont mené à la décision de l’APVF et, d’ailleurs, elle siège au Comité consultatif du programme d’infrastructure de la porte d’entrée.

[13] La BCMTOA a annoncé que sa contribution en tant qu’intervenante avait pour but de faire valoir qu’il fallait prendre en compte la relation entre l’administration portuaire et les terminaux, qui sont des utilisateurs du port, pour évaluer le caractère équitable et raisonnable des droits imposés. Il était nécessaire de le faire pour évaluer quels étaient les coûts nécessaires et permissibles. Il fallait également prendre en compte cette relation pour évaluer de quels droits procéduraux les utilisateurs du port devraient bénéficier, car l’administration portuaire fixe les droits en conformité avec l’article 49 de la Loi maritime du Canada.

[14] Le juge adjoint Horne a ensuite signalé que la BCMTOA avait affirmé que la relation en question est une relation fiduciaire, ou une relation de cette nature, qui génère diverses obligations, comme des obligations de diligence, de prudence et de divulgation. L’argument que la BCMTOA souhaitait invoquer a été décrit par le juge adjoint Horne en ces termes :

[traduction]

[41] La BCMTOA affirme que la relation entre l’APVF et les terminaux portuaires et d’autres utilisateurs portuaires payeurs de droits est une relation fiduciaire, ou une relation de cette nature, et que l’APVF a de ce fait des obligations de type fiduciaire, comme des obligations de diligence, de prudence et de divulgation. Elle entend faire valoir qu’un droit imposé à un bénéficiaire en conséquence d’un investissement imprudent, fait sans consultation adéquate ou sans fondement suffisant, ne peut pas être équitable ou raisonnable, et qu’un droit imposé en raison d’un investissement censément fait pour le compte d’un bénéficiaire, sans une divulgation adéquate, ne peut pas être équitable ou raisonnable.

[15] L’APVF a fait valoir qu’il ne fallait pas donner l’autorisation d’intervenir, parce que la relation de type fiduciaire était une question nouvelle qu’il ne faudrait pas autoriser un intervenant à soulever. Le juge adjoint Horne a souscrit à cette prétention.

[16] Un avis de demande est un document important parce qu’il doit contenir « un énoncé complet et concis des motifs invoqués » (art 301e) des Règles). L’existence d’une forme quelconque de relation fiduciaire est alléguée dans les observations écrites de la BCMTOA, mais les demanderesses n’ont pas fait état de cette allégation dans ce qui est présenté comme un long avis de demande. Selon le juge adjoint Horne, cela soulève une question nouvelle que les demanderesses n’ont pas évoquée. Le juge adjoint Horne a conclu que, même si la BCMTOA avait fait valoir qu’elle ne faisait qu’avancer de nouvelles idées quant à la manière d’aborder les questions en litige en l’espèce, cet argument ne pouvait pas l’emporter sur la jurisprudence constante de la Cour d’appel quant au rôle que peut jouer un intervenant au vu de l’article 301 des Règles.

[17] L’article 301 des Règles fixe les limites des questions en litige qui doivent être tranchées. Un demandeur ne peut pas soulever une question qui n’a pas été mentionnée dans l’acte de procédure. En l’espèce, les demanderesses ne pouvaient pas, à l’audition éventuelle de la demande de contrôle judiciaire, plaider l’existence d’une relation de type fiduciaire si la question n’avait pas été soulevée dans l’avis de demande. Il devrait être impossible d’élargir la portée de l’avis de demande et, en fait, de le modifier en soulevant une nouvelle question. Revenant à l’arrêt Canadian Doctors for Refugee Care (précité), le juge adjoint Horne écrit que [TRADUCTION] « [t]oute autre conclusion permettrait aux intervenantes, et à la BCMTOA plus précisément, d’‘ajouter des mets sur la table’ » (para 47).

[18] La conclusion à laquelle est arrivé le juge adjoint Horne figure au paragraphe 48 de sa décision :

[traduction]

[48] Le pilier de la requête de la BCMTOA est une intention de soulever une nouvelle question (l’existence d’une relation fiduciaire ou de type fiduciaire) dont la Cour n’est pas saisie. Cela déborde le cadre d’intervention approprié, et la requête sera donc rejetée. Il n’est nul besoin que j’examine la mesure dans laquelle la BCMTOA demande l’autorisation de présenter des éléments de preuve, une question abordée dans les documents joints à la requête. Quoi qu’il en soit, et comme je l’ai indiqué plus tôt, un intervenant ne peut pas introduire de nouveaux éléments de preuve.

III. Les arguments invoqués et l’analyse

[19] Comme il a été mentionné plus tôt, c’est l’article 109 des Règles qui régit les interventions devant les Cours fédérales. Voici le libellé des paragraphes 109(1) et (2) :

109 (1) La Cour peut, sur requête, autoriser toute personne à intervenir dans une instance.

109 (1) The Court may, on motion, grant leave to any person to intervene in a proceeding.

(2) L’avis d’une requête présentée pour obtenir l’autorisation d’intervenir :

(2) Notice of a motion under subsection (1) shall

a) précise les nom et adresse de la personne qui désire intervenir et ceux de son avocat, le cas échéant;

(a) set out the full name and address of the proposed intervener and of any solicitor acting for the proposed intervener; and

b) explique de quelle manière la personne désire participer à l’instance et en quoi sa participation aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance.

(b) describe how the proposed intervener wishes to participate in the proceeding and how that participation will assist the determination of a factual or legal issue related to the proceeding.

[20] La BCMTOA interjette appel de la décision du juge adjoint Horne. Curieusement, selon moi, la BCMTOA ne traite pas du fardeau qui lui incombe dans sa tentative de faire annuler cette décision.

[21] Au contraire, elle prétend dès le départ que le juge adjoint Horne [TRADUCTION] « assimile à tort les motifs de contrôle des demanderesses aux questions en litige qui en découlent » (mémoire des faits et du droit, para 2), un passage qu’elle utilisera à plus d’une reprise. Ce qui n’est pas énoncé, c’est la norme par rapport à laquelle l’erreur alléguée doit être évaluée. L’appelante parle du désaccord avec le juge adjoint Horne sur ce qui constitue une nouvelle question, soulevée par une partie qui, selon ce dernier, est interdite d’intervenir par la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale. Seules les questions en litige qui sont déjà sur la table peuvent être plaidées par les intervenants.

[22] En l’espèce, la BCMTOA affirme que le juge adjoint Horne interprète erronément l’argument qu’elle invoque au sujet d’une [TRADUCTION] « relation de type fiduciaire », parce qu’il ne s’agit pas d’un nouveau motif de contrôle. Elle présente son observation comme un argument proposé pour évaluer ce qu’il y a d’« équitable et raisonnable » dans la fixation des droits. Elle allègue que [TRADUCTION] « la Cour est tenue d’examiner la relation qui existe entre l’administration portuaire qui impose les droits et les utilisateurs portuaires qui les paient » (mémoire des faits et du droit, para 3). Cela, de l’avis du juge adjoint Horne, constitue une nouvelle question, qu’il ne faudrait pas admettre dans le cadre d’une intervention, alors que la BCMTOA dit qu’il ne s’agit pas d’un motif de contrôle indépendant prohibé. L’un parle d’une nouvelle question, l’autre d’un motif de contrôle.

[23] Il devrait être évident que, en l’espèce, les demandeurs n’ont jamais envisagé d’inclure dans leurs motifs de contrôle la relation entre l’administration portuaire et les utilisateurs portuaires. En fait, leurs motifs de contrôle n’incluent pas le genre de relation qui existe entre l’APVF et les utilisateurs des installations. Leurs motifs sont d’un ordre différent. La BCMTOA a décidé de ne reproduire que des parties des alinéas 3a), c), f) et h), ainsi que l’alinéa 3g), de l’avis de demande dans sa tentative de montrer que son intervention se situerait dans les limites des motifs de contrôle qui, dans l’avis de demande, s’étendent sur huit pages. Je crois qu’il convient de reproduire ces alinéas dans leur intégralité, et pas seulement en partie, pour illustrer la nature véritable des motifs que les demanderesses souhaitent faire valoir. J’ai souligné dans les alinéas 3a), c), f) et h) les passages non reproduits dans le mémoire de la BCMTOA :

[traduction]

3. Les motifs de la demande sont les suivants :

a) L’APVF a outrepassé sa compétence et commis une erreur de droit dans la manière dont elle a interprété et appliqué le paragraphe 49(3) de la LMC en fixant des droits qui, pour les demanderesses, ne sont pas équitables et raisonnables. Plus précisément :

(i) le barème des droits que fixent les FIPA 2022 :

(A) est incompatible ou en conflit avec l’obligation légale qu’ont les compagnies de chemin de fer de fournir des installations convenables pour la réception et le chargement des marchandises à transporter par chemin de fer, conformément à l’article 113 de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (la LTC),

(B) a pour effet d’obliger les demanderesses, qui sont des terminaux de marchandises en vrac, d’effectuer des paiements à l’APVF en vue de financer l’infrastructure ferroviaire et les coûts connexes, infrastructure que les compagnies de chemin de fer sont légalement tenues de fournir afin d’offrir des installations convenables pour les marchandises à transporter par chemin de fer,

(C) a pour effet de faire obstacle ou d’autrement nuire à la capacité des expéditeurs d’exercer les recours que prévoit la LTC, afin de s’assurer que les compagnies de chemin de fer (plutôt que les terminaux, y compris les demanderesses) paient l’infrastructure que les compagnies de chemin de fer sont obligées de fournir en vue d’offrir des installations convenables pour les marchandises à transporter par chemin de fer.

(ii) le montant des droits que la décision a pour effet d’imposer aux demanderesses en lien avec les FIPA 2022 n’est pas proportionné à l’utilisation que celles‐ci font de cette infrastructure ou aux avantages directs ou indirects qu’elles peuvent tirer des projets d’infrastructure financés;

(iii) le montant des droits que la décision a pour effet d’imposer aux demanderesses en lien avec les FIPA 2022 n’est pas proportionné à toute hausse de la demande découlant des opérations des demanderesses qui rendrait les projets nécessaires;

(iv) le barème des droits fixé par les FIPA 2022 ne reflète pas de manière raisonnable l’utilisation que font les utilisateurs des projets d’infrastructure financés ou l’avantage qu’ils en tirent, et il privilégie donc de manière déraisonnable certains groupes ou certaines catégories d’utilisateurs, dont les suivants :

(A) les terminaux et les expéditeurs de marchandises conteneurisées;

(B) les compagnies de chemin de fer, qui tireront avantage et conserveront la propriété des projets d’infrastructure financés par les demanderesses, malgré que la LTC oblige ces compagnies à fournir cette infrastructure dans la mesure où cela est nécessaire pour qu’elles puissent offrir des installations convenables pour la réception, le transport et la livraison des marchandises à transporter par chemin de fer;

(C) les municipalités, qui tireront avantage et conserveront la propriété de l’infrastructure routière et des carrefours à niveaux différents financés par les demanderesses;

(v) le montant des droits que la décision a pour effet d’imposer aux demanderesses en lien avec les FIPA 2022 est démesurément supérieur à celui qui est imposé à d’autres groupes ou catégories d’utilisateurs, ce qui causera un préjudice important à leur compétitivité commerciale;

(vi) le montant des droits que la décision a pour effet d’imposer aux demanderesses en lien avec les FIPA 2022, à lui seul et de pair avec les hausses simultanées des autres droits imposés aux demanderesses par l’APVF, leur causera un préjudice financier important.

[...]

c) L’APVF a outrepassé sa compétence et commis une erreur de droit dans la manière dont elle a interprété et appliqué le paragraphe 49(3) de la LMC en fixant des droits qui excèdent, ou excèdent de manière déraisonnable ou inéquitable, le montant requis pour exploiter ses activités sur une base financièrement autonome. En particulier, aucune preuve dans le dossier n’établit qu’il est nécessaire que l’APVF tente de récupérer 90 % de son investissement par le truchement des FIPA 2022 pour que ses opérations soient autosuffisantes.

[...]

f) L’APVF a outrepassé sa compétence et commis une erreur de droit dans la manière dont elle a interprété et appliqué le paragraphe 49(3) de la LMC en établissant un barème de droits qui, de manière erronée, inéquitable et déraisonnable, tient pour acquis que les demanderesses seront en mesure de récupérer les FIPA 2022 auprès de leurs clients, à titre de propriétaires des marchandises non conteneurisées.

g) L’APVF a outrepassé sa compétence et commis une erreur de droit dans la manière dont elle a interprété et appliqué le paragraphe 49(3) de la LMC en imposant aux demanderesses des droits qui, de manière déraisonnable ou inéquitable, visent à recouvrer des frais que l’APVF avait décidé d’engager pour investir dans des projets d’infrastructure qui ne sont pas liés ou sont insuffisamment rattachés à l’exploitation, par l’APVF, du port de Vancouver (le « port ») ou à l’utilisation que font les demanderesses du port ou de ses installations.

h) L’APVF a omis d’observer les principes d’équité procédurale et a privé les demanderesses de la possibilité de procéder à des consultations valables et de faire valoir leur point de vue à l’égard des FIPA 2022. Plus précisément, avant de prendre sa décision :

(i) l’APVF a omis ou refusé de divulguer les renseignements, les observations ou les autres documents sur lesquels elle s’est fondée pour choisir les projets d’infrastructure à financer par le truchement des FIPA 2022, de même que les analyses de rentabilité qui ont été réalisées à propos de ces projets d’infrastructure;

(ii) l’APVF a omis ou refusé de divulguer les renseignements, les observations ou les autres documents sur lesquels elle s’est fondée pour décider pourquoi les FIPA 2022 s’appliqueront aux demanderesses et à d’autres parties;

(iii) l’APVF a omis ou refusé de divulguer les renseignements, les observations ou les autres documents sur lesquels elle s’est fondée pour déterminer la répartition des droits fixés au titre des FIPA 2022 entre les « secteurs commerciaux » et entre les utilisateurs de l’infrastructure de la porte d’accès, y compris l’imputation des droits aux demanderesses;

(iv) l’APVF s’est fondée sur des renseignements, des observations ou d’autres documents établis par des tiers, dont, notamment :

(A) des renseignements, y compris des données opérationnelles, émanant des compagnies de chemin de fer, qui tireront avantage et conserveront la propriété des projets d’infrastructure financés par les demanderesses,

(B) un rapport de consultation établi par le groupe Mott MacDonald (l’« étude de Mott MacDonald »),

sans mettre ces éléments à la disposition des demanderesses, sans donner à celles‐ci une possibilité quelconque de les évaluer ou d’y répondre, ou sans prendre d’autres mesures pour vérifier de manière indépendante les renseignements émanant des compagnies de chemin de fer sur lesquels l’APVF s’est fondée.

[24] Les alinéas 3b), d), e) et i) de l’avis de demande n’ont même pas été évoqués dans le mémoire des faits. Aux alinéas 3b), d) et e), il est question d’une mauvaise interprétation de la preuve et d’une allégation de conclusions de fait erronées, tirées de manière abusive et arbitraire. Quant à l’alinéa 3i), les demanderesses se plaignent du fait que l’APVF a changé après le fait les critères régissant la mise en œuvre des FIPA 2022, violant ainsi les principes d’équité procédurale.

[25] L’affaire est simple. Les demanderesses, agissant en conformité avec l’alinéa 301e) des Règles, ont présenté un énoncé complet et concis des motifs qu’elles entendent invoquer. Il n’y a rien dans les motifs de contrôle qui peuvent être associés, même de loin, à une prétendue relation de nature fiduciaire. Comme on peut le constater à la lecture des paragraphes complets de l’avis de demande auxquels la BCMTOA fait référence, les motifs sont de nature technique, se rapportant, par exemple, à des obligations légales ou à un interfinancement, et au fait que le montant des droits n’est pas proportionné à l’utilisation de l’infrastructure. Elles laissent entendre que la preuve n’établit pas qu’il est nécessaire de tenter de récupérer 90 % de l’investissement. Elles soutiennent que les utilisateurs ne seront pas capables de recouvrer les droits majorés auprès de leurs clients; en fait, les projets d’infrastructure sont soit non liés, soit insuffisamment rattachés à l’exploitation du port de Vancouver ou à l’utilisation de ses installations. Les demanderesses soulèvent également un certain nombre de préoccupations en matière d’équité procédurale au sujet de la divulgation de renseignements et d’observations, lesquelles les empêchent de participer pleinement au processus de fixation des droits.

[26] Après lecture de l’avis de demande, je n’ai rien relevé qui puisse s’apparenter à une relation spéciale que les exploitants des terminaux peuvent entretenir avec l’administration portuaire, comme le soutiennent les demanderesses. Leurs motifs de contrôle sont d’une nature et d’un ordre différents. Le juge adjoint Horne a conclu que cette nouvelle couche, qui n’a jamais été une question soulevée par les demanderesses dans leur demande de contrôle judiciaire, constitue une question nouvelle.

[27] En appel d’une décision d’un juge adjoint, la Cour d’appel fédérale a établi de manière non équivoque dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 RCF 331, que la norme de contrôle qui s’applique aux appels interjetés en vertu de l’article 51 des Règles est la même que dans d’autres affaires de nature civile. Cette norme est celle que la Cour suprême du Canada a décrite dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235.

[28] Si l’appel porte sur une question de droit, la norme de contrôle applicable en appel est la décision correcte. Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers le juge adjoint. Comme l’a décrété la Cour d’appel dans l’arrêt Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 RCF 344 [Mahjoub] : « s’il y a une erreur, la Cour peut substituer son opinion à celle de la Cour fédérale » (au para 58). Pour ce qui est des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, la norme est celle de l’erreur manifeste et dominante, à moins que l’appelant soit capable d’isoler une question de droit parmi les questions mixtes de fait et de droit. Il va sans dire qu’il incombe à l’appelant de faire état de la question de droit sur laquelle repose son appel.

[29] Qu’est‐ce qui constitue une erreur manifeste et dominante? La Cour d’appel fédérale a formulé la norme en termes clairs. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Benhaim c St‐Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 RCS 352, a entièrement souscrit à la description donnée par la Cour d’appel quelques années plus tôt et à celle qu’a formulée la Cour d’appel du Québec :

[38] Il est tout aussi utile de rappeler ce qu’on entend par « erreur manifeste et dominante ». Le juge Stratas décrit la norme déférente en ces termes dans l’arrêt South Yukon Forest Corp. c. R., 2012 CAF 165, 4 B.L.R. (5th) 31, par. 46 :

L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue [. . .] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

[39] Ou, comme le dit le juge Morissette dans l’arrêt J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, par. 77 (CanLII), « une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions. »

[30] La formulation a été expliquée plus en détail dans l’arrêt Mahjoub (précité). Malgré leur longueur, je reproduis dans leur intégralité les paragraphes 60 à 65, qui offrent, à mon avis, une explication supplémentaire fort utile de ce que constitue la norme « manifeste et évidente » :

[60] En l’espèce, un grand nombre des arguments de M. Mahjoub se concentrent sur la recherche de faits de la Cour fédérale et son application axée sur les faits des normes juridiques aux faits, en particulier sur la question du caractère raisonnable du certificat de sécurité. Ces affaires ne peuvent être assujetties qu’à la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[61] La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle qui commande une grande déférence : arrêts Benhaim c. St‐Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38, et H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. Voir l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 [South Yukon], au paragraphe 46, cité avec l’approbation de la Cour suprême dans l’arrêt St‐Germain, précité.

[62] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente. Bien des choses peuvent être qualifiées de « manifestes ». À titre d’exemples, mentionnons l’illogisme évident dans les motifs (notamment les conclusions de fait qui ne vont pas ensemble), les conclusions tirées sans éléments de preuve admissibles ou éléments de preuve reçus conformément à la doctrine de la connaissance d’office, les conclusions fondées sur des inférences erronées ou une erreur de logique, et le fait de ne pas tirer de conclusions en raison d’une ignorance complète ou quasi complète des éléments de preuve.

[63] Cependant, même si une erreur est manifeste, le jugement de l’instance inférieure ne doit pas nécessairement être infirmé. L’erreur doit également être dominante.

[64] Par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Il se peut qu’un fait donné n’aurait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas « dominante ». Le jugement du tribunal de première instance demeure.

[65] Il peut également y avoir des situations où une erreur manifeste en soi n’est pas dominante, mais lorsqu’on la prend en considération avec d’autres erreurs manifestes, la décision ne peut plus être maintenue. Pour ainsi dire, l’arbre est tombé non pas après un seul coup de hache déterminant, mais après plusieurs bons coups.

[31] Dans la présente affaire, la BCMTOA indique que la norme de contrôle applicable est celle qui est énoncée dans l’arrêt Housen c Nikolaisen (précité), mais elle s’abstient de mentionner la prétendue erreur, s’il s’agit bien d’une erreur de droit. Au contraire, elle postule que le juge adjoint Horne a mal interprété son argument en concluant que la question soulevée au sujet de la relation de type fiduciaire entre l’administration portuaire et les utilisateurs portuaires est [TRADUCTION] « un motif de contrôle indépendant » (mémoire des faits et du droit, para 28). Cependant, ce n’est pas de cette manière que le juge adjoint Horne a décrit l’affaire. Il n’a pas parlé d’un nouveau motif de contrôle, car l’APVF s’opposait à l’intervention de la BCMTOA, parce que celle‐ci souhaitait intervenir en soulevant une nouvelle question. Le juge adjoint Horne y a souscrit. Il se souciait du fait que l’on soulève une nouvelle question. L’absence de mention quant à l’erreur de droit donnerait à penser que la BCMTOA est soumise à la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[32] Il me semble essentiellement que la BCMTOA cherche à faire valoir qu’elle peut soulever de nouvelles questions litigieuses si celles‐ci se rangent dans les motifs de contrôle déjà mentionnés dans l’avis de demande. À mon avis, il s’agit plutôt du fait que les intervenants ne peuvent pas soulever de nouvelles questions, ce qui est la norme à appliquer aux interventions.

[33] Ceci étant dit avec égards, la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale n’étaye pas l’argument de la BCMTOA. L’analyse commence par l’article 109 des Règles, qui est « une disposition d’un règlement appartenant au cadre législatif [...] du Canada » et ses exigences « sont obligatoires et ne peuvent pas être réduites à de simples facteurs optionnels » (Tsleil‐Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 102 au para 31 [Tsleil‐Waututh Nation I]). Le paragraphe 109(2) des Règles prescrit que l’intervention « aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance », c’est‐à‐dire « les questions soulevées dans les demandes dont la Cour est déjà saisie » (Tsleil‐Waututh Nation I, para 47). [Non souligné dans l’original.]

[34] Ce qui constitue une nouvelle question a été examiné une fois de plus, récemment, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 13. Le juge Stratas a mis l’accent sur le fait que l’un « des éléments essentiels d’une intervention utile est qu’elle aborde les questions réelles; elle ne soulève pas de nouvelles questions » (au para 26). Le juge d’appel nous rappelle que les instances dans lesquelles une partie veut intervenir sont limitées par l’avis de demande :

[27] En première instance, les questions soulevées sont énoncées dans l’acte introductif d’instance, comme la déclaration ou l’avis de demande et expliqués par les arguments figurant dans les mémoires des faits et du droit des parties : Kattenburg, par. 9. Un intervenant éventuel n’a pas qualité pour modifier cet acte introductif d’instance, ajouter de nouvelles questions ou réinventer la thèse des parties. C’est la cause des parties, définie par elles, et d’autres ne sauraient s’en emparer : Kattenburg, par. 34. Elle devrait encore moins devenir une affaire de principe sur des questions générales de droit non plaidées par les parties.

[Non souligné dans l’original.]

[35] Ce point a été souligné au paragraphe 30 :

[30] Normalement, les parties ne peuvent pas soulever de nouvelles questions devant la cour d’appel : Quan c. Cusson, 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712; Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678. Il en va de même pour les intervenants : Canadians Doctors, par. 19; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ishaq, 2015 CAF 151, [2016] 1 R.C.F. 686, par. 17; Teksavvy Solutions, par. 11; Kattenburg, par. 9. En tant qu’étrangers à une instance qu’ils n’ont pas engagée, ils n’ont pas le droit de la modifier. S’ils le souhaitent, ils peuvent ester en justice en tant que plaideurs d’intérêt public pour soulever les questions qui les intéressent.

[Non souligné dans l’original.]

On ne trouve nulle part qu’une nouvelle question est en fait un nouveau motif d’appel ou de contrôle.

[36] Dans l’arrêt Tsleil‐Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 174 [Tsleil‐Waututh Nation II], une autre décision portant sur une demande d’autorisation d’intervenir, c’était la Colombie‐Britannique qui souhaitait intervenir, en vertu de l’article 110 des Règles, sur une question d’importance générale. Le juge Stratas a convenu avec la Colombie‐Britannique que celle‐ci satisfaisait à l’exigence de la « question d’importance générale ». Il a toutefois limité l’intervention de façon à ce qu’aucune nouvelle question ne puisse être soulevée :

[54] Devant la présente Cour, un intervenant n’est pas un demandeur; voir l’affaire Tsleil‐Waututh Nation, précitée. Un intervenant ne peut pas présenter de nouvelles questions ni demander un redressement qui n’a pas été demandé par un demandeur. Un intervenant doit plutôt se limiter aux questions qui ont déjà été soulevées dans l’instance, c’est‐à‐dire, à la portée des avis de requête. Dans la même veine, un intervenant ne peut pas présenter une nouvelle preuve. Voir, de façon générale, la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ishaq, 2015 CAF 151, [2016] 1 RCF 686.

[55] Devant la présente Cour, les intervenants sont des invités à une table qui est déjà mise et où les mets sont déjà disposés. Les intervenants peuvent commenter leur point de vue sur ce qu’ils voient, ce qu’ils hument et ce qu’ils goûtent. Ils ne peuvent en aucun cas ajouter d’autres mets à la table.

[56] Autoriser les intervenants à en faire davantage reviendrait à modifier l’instance que les parties directement touchées – les demandeurs et les défendeurs – ont élaborée, et dans laquelle elles ont plaidé pendant des mois, ce qui risquerait fort d’entraîner un manquement à l’équité procédurale et une injustice.

[Non souligné dans l’original.]

Dans l’arrêt Conseil canadien pour les réfugiés (précité), les paragraphes 55 et 56 sont une fois de plus cités à l’appui de la thèse qu’un intervenant ne peut pas chercher à ajouter de nouvelles questions. En l’espèce, la BCMTOA souhaite s’inviter à la table déjà mise et apporter son propre repas; elle souhaite soulever ses propres questions, qui n’apparaissent pas dans l’avis de demande.

[37] Il convient de noter que, dans le mémoire qu’elle a présenté au juge adjoint Horne, la BCMTOA a dû indiquer que [TRADUCTION] « la majeure partie du groupe des demanderesses est membre de la BCMTOA » (au para 61), et pourtant, la question qu’elle veut soulever n’a pas été incluse par les participants en question dans la demande de contrôle judiciaire. Il s’agit là d’une indication de plus de la nouveauté de la question soulevée, de pair avec le besoin, exprimé par la BCMTOA au paragraphe 57 de son mémoire, de solliciter le droit restreint de produire des éléments de preuve. La question de la relation de nature fiduciaire est en fait si nouvelle que [TRADUCTION] « [l]a Cour n’a pas pris en considération la nature de la relation entre les autorités portuaires et les utilisateurs du port » (au para 46). À vrai dire, la BCMTOA tente d’élargir la portée de l’instance que mène en partie ses propres membres (au para 62) : « [u]n intervenant ne saurait transformer l’instance, par exemple en soulevant des questions étrangères aux demandes que la Cour doit trancher » (Tsleil‐Waututh Nation I, au para 48).

[38] La jurisprudence donne des exemples de questions qu’un intervenant ne peut pas soulever. Dans l’arrêt Tsleil‐Waututh Nation II (précité), la Colombie‐Britannique voulait discuter des « limites constitutionnelles à la capacité de la province à réglementer le projet » [le réseau Trans Mountain] ainsi que du « régime de réglementation qui régi[ssait] les pipelines interprovinciaux » (au para 58) dans le cadre d’une affaire de contestation d’approbations administratives pour un certain nombre de motifs liés au droit administratif, à des dispositions législatives pertinentes ainsi qu’à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. En l’espèce, les intervenants veulent ouvrir eux aussi un nouveau front.

[39] Non seulement la Cour d’appel a‐t‐elle ordonné à la Colombie‐Britannique de s’abstenir de présenter ces questions (au paragraphe 61), mais elle a pris soin d’interdire la présentation de nouveaux arguments qui n’étaient rien d’autre que de nouvelles questions :

[62] La Colombie‐Britannique doit aussi veiller à ne pas présenter de nouveaux arguments qui constituent effectivement de nouvelles questions. À titre d’exemple, les observations qui débordent du cadre de l’obligation de consulter et de trouver des accommodements, autres que celles que les demandeurs ont présentées, sont irrecevables.

[63] La Colombie‐Britannique doit se limiter à des observations portant sur celles qu’ont présentées les autres parties, de son point de vue en tant que gardienne de l’intérêt public de la Colombie‐Britannique et de gouvernement ayant des responsabilités de révocation en vertu des lois provinciales. La Colombie‐Britannique doit s’acquitter de cela en ayant un but à l’esprit : aider la Cour à décider si les décisions administratives dont elle est saisie devraient être annulées, compte tenu des principes du droit administratif et de l’obligation de consulter.

[64] À titre d’exemple, la Colombie‐Britannique peut faire des observations sur la question qu’elle a soulevée dans ses observations en réplique à la présente requête : sur les questions de savoir si les risques liés au déversement en milieu marin ont été raisonnablement évalués, si cela entraîne un risque pour la Colombie‐Britannique et un manquement à l’obligation de trouver des accommodements aux préoccupations des peuples autochtones et des Premières Nations. Les demandeurs ont mis cette question sur la table.

[Non souligné dans l’original.]

Comme on peut le voir, même une province qui souhaite intervenir à l’égard d’une question d’importance générale voit la portée de son intervention restreinte aux questions déposées sur la table.

[40] Autre exemple se rapprochant peut‐être davantage du genre de question que la BCMTOA souhaite soulever, l’arrêt Conseil canadien pour les réfugiés (précité) illustre les limites imposées à la portée légitime d’une intervention. Dans cette affaire, d’éventuels intervenants se sont vu refuser la possibilité d’élargir la portée d’une allégation déjà avancée au sujet de violations des articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[41] Il est signalé que l’avis de demande et l’avis d’appel sont clairs et précis, comme c’est le cas en l’espèce. Les nouveaux arguments proposés par d’éventuels intervenants sont de nouvelles questions. Voici ce qu’on peut lire à propos de l’article 7 :

[36] Dans une certaine mesure, les intervenants éventuels soulèvent de nouveaux arguments fondés sur l’article 7. Par exemple, la British Columbia Civil Liberties Association soutient que les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 doivent être interprétés d’une manière qui incorpore divers instruments internationaux non contraignants ou le libellé d’autres articles de la Charte. Il s’agit de nouvelles questions qui n’ont pas été plaidées devant la Cour fédérale ni énoncées dans les actes introductifs d’instance déposés devant notre Cour. Le dossier d’intervention ne renvoie pas à la principale jurisprudence régissant l’interprétation des dispositions de la Charte et l’importance à accorder aux instruments internationaux non contraignants; de ce fait, l’intervention n’est pas suffisamment utile : Québec (Procureure générale) c. 9147‐0732 Québec inc., 2020 CSC 32.

[Non souligné dans l’original.]

Dans la présente affaire, la BCMTOA souhaite introduire la relation de type fiduciaire en tant qu’élément de l’exercice de fixation des droits qu’effectue l’APVF. Ce souhait n’est pas formulé dans l’avis de demande, le document qui structure l’instance.

[42] Plus pertinent encore, la Cour d’appel a refusé une intervention dont l’objet était bel et bien d’alléguer qu’il était nécessaire de prendre en compte d’autres motifs de discrimination :

[37] L’argument fondé sur l’article 15 présenté à la Cour fédérale concernait la discrimination à l’égard des femmes et des enfants, et non d’autres groupes. Certains des intervenants éventuels soulèvent d’autres motifs de discrimination qui n’avaient pas été invoqués auparavant, tels que la religion, le handicap et l’orientation sexuelle. Il s’agit là de nouvelles questions. Bien que le dossier comporte certains éléments de preuve concernant le traitement de ces groupes, la question de la discrimination à l’encontre de ces groupes n’a pas été soulevée ni plaidée à la Cour fédérale. En outre, elle n’a été invoquée par aucune des parties devant nous; ainsi, à toutes fins utiles, ce serait une nouvelle question devant cette Cour. Il est loisible aux requérants de solliciter la qualité de plaideurs d’intérêt public pour engager leur propre instance pour débattre de telles questions.

[Non souligné dans l’original.]

De façon non équivoque, la Cour a conclu que, même si l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés faisait partie de l’instance, l’ajout de nouveaux groupes constituait une nouvelle question. Je suis convaincu que c’est également le cas en l’espèce. La BCMTOA soulève un élément nouveau et cet élément n’était même pas envisagé dans l’avis de demande auquel ont contribué un certain nombre de ses membres.

IV. Conclusion

[43] À mon humble avis, le juge adjoint Horne a eu raison de refuser d’accorder à la BCMTOA la possibilité d’intervenir en l’espèce. Je signale que, dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demanderesses ont indiqué qu’elles [TRADUCTION] « ne prennent pas position et ne s’attendent pas à présenter à ce stade‐ci des observations portant sur le fond de la requête de BCMTOA » (observations écrites du 11 octobre 2023, para 8).

[44] Il va sans dire que si la conclusion est que le juge adjoint Horne a eu raison de considérer que l’intervention souhaitée par la BCMTOA comportait de nouvelles questions, parce que cela n’est pas acceptable, aucune erreur manifeste et dominante n’a été commise. Il reste qu’un appelant a le fardeau de faire clairement état de la question de droit pour que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique. Je suis d’avis, au vu du dossier, que cela ne fut pas le cas en l’espèce. Il n’est pas clair si le fait de qualifier une question de nouvelle constitue une question de droit et, dans l’affirmative, ce qu’elle est. En l’espèce, le juge adjoint Horne n’a pas dit que l’argument entourant la relation de type fiduciaire était un nouveau motif de contrôle. Il a dit que le nouvel argument constituait une nouvelle question. Est‐ce là une question mixte de fait et de droit? Si oui, y a‐t‐il un moyen d’isoler la question de droit? Cette analyse n’a jamais eu lieu, parce que les avocats étaient disposés à plaider l’affaire sur le fondement de la norme de contrôle de l’« erreur manifeste et dominante ». Quoi qu’il en soit, il suffit en fin de compte de conclure que le juge adjoint Horne a eu raison de considérer que [TRADUCTION] « [l]e pilier de la requête de la BCMTOA est une intention de soulever une nouvelle question (l’existence d’une relation fiduciaire ou de type fiduciaire) dont la Cour n’est pas saisie. Cela déborde le cadre d’intervention approprié, et la requête sera donc rejetée » (ordonnance et motifs, au para 48). Il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si la norme applicable est la décision correcte ou celle de l’erreur manifeste et dominante. Si l’on applique la norme plus stricte qu’est la décision correcte, il convient donc de rejeter l’appel.

[45] Dans un arrêt récent : Right to Life Association of Toronto and Area c Canada (Emploi, Développement de la main‐d’œuvre et du Travail), 2022 CAF 67, la Cour d’appel a énoncé trois politiques fondamentales qui guident les Cours dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire d’accorder le statut d’intervenant :

[17] En offrant les commentaires qui précèdent sur les interventions, la Cour se réconforte des changements récents que la Cour suprême a apportés à ses politiques en matière d’intervention « Novembre 2021 – Interventions » (15 novembre 2021), en ligne : Cour suprême du Canada <https://www.scc‐csc.ca/ar‐lr/notices‐avis/21‐11‐fra.aspx>. Bien qu’il ne lie pas notre Cour, l’avis de la Cour suprême souligne l’importance et la pertinence de trois politiques fondamentales de notre Cour qui ressortent de la discussion ci‐dessus : (1) l’intervention dans l’action en justice d’autrui est un privilège, et non un droit; (2) l’accent est mis sur ce que l’intervenant peut faire d’utile pour aider la Cour à trancher les questions dont elle est déjà saisie, et non d’autres questions; et (3) l’instance doit être scrupuleusement équitable, tant en réalité qu’en apparence.

[Non souligné dans l’original.]

Les mêmes politiques fondamentales s’appliquent en l’espèce.

[46] La BCMTOA ne sollicitait pas de dépens et elle a suggéré qu’il n’en soit pas ordonné, au cas où sa requête en intervention était rejetée. L’APVF n’en a pas sollicité non plus. En conséquence, aucuns dépens ne seront adjugés.

 


ORDONNANCE dans le dossier T‐2256‐22

LA COUR ORDONNE :

  1. L’appel de l’ordonnance et des motifs du juge adjoint Trent Horne datés du 11 août 2023 est rejeté.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐2256‐22

 

INTITULÉ :

PACIFIC COAST TERMINALS CO. LTD., VITERRA CANADA INC., CASCADIA PORT MANAGEMENT CORPORATION, FRASER GRAIN TERMINAL LTD. et ALLIANCE GRAIN TERMINAL LTD. c ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU MANITOBA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 OCTOBRE 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 NOVEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Forrest C. Hume

Taryn Urquhart

 

POUR Les demanderesses

 

Liam Y. Babbitt

 

POUR La défenderesse

 

Monique Evans

 

POUR L’INTERVENANTE PROPOSÉE,

BC MARINE TERMINAL OPERATORS ASSOCIATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‐Britannique)

 

POUR Les demanderesses

 

Gall Legge Grant Zwack LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‐Britannique)

 

POUR La défenderesse

 

Ministry of Justice and Attorney General

Regina (Sask.)

 

POUR L’INTERVENANT,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN

 

Manitoba Justice

Legal Services Branch

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR L’INTERVENANT,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU MANITOBA

 

Hunter Litigation Chambers Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‐Britannique)

 

POUR L’INTERVENANTE PROPOSÉE,

BC MARINE TERMINAL OPERATORS ASSOCIATION

 

 

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