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Date : 20231010

Dossier : IMM‐7898‐22

Référence : 2023 CF 1601

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2023

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

DARIUSH SEDGHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT

VU la demande de contrôle judiciaire visant à annuler la décision rendue le 8 août 2022, dans laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent) a rejeté la demande du demandeur en vue d’obtenir un permis de travail dispensé d’une étude d’impact sur le marché du travail au titre du code administratif C11 dans le cadre du Programme de mobilité internationale. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir que l’entreprise qu’il proposait créerait des débouchés ou des avantages sociaux, culturels ou économiques pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents au sens de l’alinéa 205a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‐227 (le RIPR);

APRÈS avoir lu les observations écrites et entendu les plaidoiries des avocats des parties;

APRÈS avoir examiné le dossier certifié du tribunal (le DCT);

ET APRÈS avoir conclu que la présente demande devrait être accueillie pour les motifs suivants :

[1] Le demandeur soutient que l’agent a mal interprété les lignes directrices publiées à l’intention des agents des visas au titre du code administratif C11 et intitulées « Entrepreneurs ou travailleurs autonomes demandant uniquement la résidence temporaire – [R205a) – C11] – Programme de mobilité internationale » (les lignes directrices). Le demandeur reproche également à l’agent d’avoir commis l’erreur de l’obliger à respecter des exigences qui n’étaient pas énoncées dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), le RIPR ou les lignes directrices.

[2] Dans les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), l’agent a souligné quatre points au sujet de la demande du demandeur : 1) les lieux de l’entreprise, 2) l’investissement initial, 3) le plan d’embauche et 4) la question de savoir si l’entreprise crée des avantages. Selon les lignes directrices, les trois premiers points sont tous des éléments que les agents peuvent évaluer pour en arriver à une décision sur le dernier point, soit la question de savoir si l’entreprise crée des avantages. Comme je le mentionne plus haut, l’agent a en définitive rejeté la demande en fonction de ce critère, car il a conclu que l’entreprise proposée ne permettait pas de créer des avantages au sens de l’alinéa 205a) du RIPR.

[3] Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur à l’égard de plusieurs aspects de sa décision, plus particulièrement dans son raisonnement au sujet des deux premiers facteurs, soit les lieux de l’entreprise et l’investissement. Je traite également des arguments du demandeur au sujet de l’interprétation et de l’application du mot « avantages ».

[4] En premier lieu, le demandeur soutient que l’agent a commis l’erreur d’exiger la location de lieux physiques et de rejeter du même coup tout autre type d’aménagement de bureau. Dans les notes consignées dans le SMGC, l’agent souligne qu’[traduction] « [u]n état de compte a été fourni à l’égard d’un bureau virtuel dont l’adresse est [...]. En général, un espace de bureau est nécessaire (et le demandeur doit disposer de cet espace pour lui‐même au départ). Or, j’ignore pourquoi le demandeur n’a pas obtenu de bail ou n’a pas trouvé de lieux physiques de travail ».

[5] Dans son plan d’affaires, le demandeur ne précise pas que des lieux physiques lui sont nécessaires. Il indique plutôt, aux pages 21 et 22, que [traduction] « [d]ès l’approbation du permis de travail de M. Dariush Sedghi, la société effectuera des recherches dans la région pour trouver les lieux qui conviendront le mieux à ses activités particulières. Depuis ses bureaux, la société sera en mesure de joindre des clients potentiels à l’échelle du pays, étant donné qu’elle peut exercer en ligne la plupart de ses activités de consultation ». Ce passage montre que le plan d’affaires comporte des réserves en ce qui a trait à l’espace de bureau proposé, ce qui signifie que, même si l’agent a présumé que des lieux physiques étaient nécessaires, le plan d’affaires énonce en toutes lettres que l’entreprise se mettra à la recherche de cet espace dès l’approbation du permis de travail. Par ailleurs, le plan d’affaires ne précise nullement le type de lieux nécessaires (lieux physiques ou virtuels). Enfin, le plan d’affaires prévoit qu’une grande partie des activités de l’entreprise seront exercées en ligne, ce qui laisse entendre qu’un bureau virtuel est acceptable jusqu’à un certain point.

[6] L’agent ne donne aucune explication au sujet du raisonnement qu’il a suivi sur ce point, même s’il sous‐entend que l’absence de lieu constitue un facteur défavorable dans la demande. À mon avis, la décision est déraisonnable parce que l’agent n’a pas expliqué pourquoi il estime que le demandeur doit louer un local, surtout compte tenu du plan d’affaires de ce dernier.

[7] En deuxième lieu, en ce qui a trait à l’aspect financier, le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur de droit en l’obligeant à disposer d’un investissement initial en argent liquide. Le demandeur affirme que la liquidité n’est pas exigée par la LIPR, le RIPR ou les lignes directrices. À l’audience, il a fait valoir qu’il a fourni une preuve de sa situation financière, laquelle était plus que satisfaisante et viable. Il affirme également qu’il a présenté trois formes d’éléments d’actif et qu’il possède environ 358 775,53 $ en liquidités, même si l’investissement initial requis ne s’élevait qu’à 200 000 $. En conséquence, le demandeur fait valoir qu’il a plus d’argent liquide qu’il n’est nécessaire. Dans son affidavit, il affirme que [traduction] « [d]e plus, si l’entreprise du Canada a besoin de plus de liquidités, deux des immobilisations corporelles, soit l’immeuble de Bahar, actuellement loué, et la villa de Mazandaran pourront également être vendus, ce qui dégagera une somme additionnelle de 323 289 $ CAN, qui pourra être investie au Canada ».

[8] Le demandeur a présenté un deuxième élément d’actif, soit les actions de l’Adak Control Arya Company (Ltd.) (« Adak Control »), dont 80 % lui appartiennent et 20 % appartiennent à son épouse. Le demandeur soutient que l’agent a mal interprété l’évaluation des actions d’Adak Control; cependant, dans sa demande, il n’a pas donné d’explication au sujet de l’évaluation de 2012. Dans les notes consignées dans le SMGC, l’agent a reconnu qu’il était difficile de connaître à première vue la valeur actuelle des actions.

[9] Le troisième élément d’actif que le demandeur a présenté se composait de biens immobiliers et comprenait des évaluations, des actes-titres et un bail. Le demandeur a montré que ces biens étaient évalués à plus de 600 000 $ et qu’ils pouvaient être vendus. L’agent n’a pas conclu que les biens immobiliers du demandeur constituaient un facteur favorable étant donné qu’ils n’étaient pas représentatifs de l’argent liquide disponible. Le demandeur soutient qu’en tout état de cause, il avait prouvé qu’il disposait d’un financement suffisant en raison des liquidités qu’il possédait, même sans tenir compte des deux autres immobilisations corporelles (dont l’une est un bien loué qu’il serait possible de vendre pour dégager davantage de fonds à investir).

[10] Dans ce contexte, le demandeur soutient que le raisonnement de l’agent est flou et qu’il ne tient pas compte des éléments de preuve concernant la liquidité de ses placements en capitaux propres. Je conviens que l’agent n’explique pas pourquoi le demandeur a besoin d’actifs liquides pour lancer la société et payer les employés. De plus, l’agent ne précise pas pourquoi les biens immobiliers et le bail subséquent du demandeur sont insuffisants pour illustrer la situation financière de ce dernier. Le raisonnement ne figure pas dans les notes consignées dans le SMGC, ce qui signifie qu’aucune justification satisfaisante n’appuie l’exigence d’un investissement en argent liquide plutôt qu’en capitaux propres.

[11] Selon les lignes directrices, pour décider si l’entreprise présente des avantages au sens de l’alinéa 205a), il faut analyser plusieurs critères : les lieux de l’entreprise, la capacité financière et le plan d’embauche.

[12] Enfin, le demandeur reproche à l’agent d’avoir commis une erreur de droit et d’avoir ignoré des éléments de preuve dans son interprétation et son application du mot « avantages ». Selon le demandeur, l’agent a conclu à tort que l’entreprise ne pourrait se démarquer sur le marché; il souligne que l’identification de concurrents potentiels est une pratique courante. De plus, le demandeur fait valoir que l’agent a ignoré des éléments de preuve établissant que l’entreprise créerait des avantages sociaux, culturels ou économiques, dont les suivants : augmenter l’efficacité dans le secteur manufacturier, améliorer la concurrence, offrir une formation de grande valeur, transférer des connaissances, créer des emplois, augmenter les recettes fiscales canadiennes, atténuer les effets de la COVID‐19 dans le secteur manufacturier et améliorer le niveau de vie au moyen d’un investissement direct étranger.

[13] Je souligne que, dans sa lettre de présentation, le consultant en immigration du demandeur énumère (dans le dossier complet de la demande), à la page 21 du DCT, les avantages culturels de l’entreprise proposée et donne les explications suivantes :

[traduction]

Accroissement de la diversité culturelle dans le secteur manufacturier du Canada : les participants du secteur manufacturier du Canada (qu’il s’agisse de fabricants de meubles, de portes et de fenêtres ou de fabricants d’instruments médicaux ou autres) proviennent de plus en plus du milieu de gens d’affaires immigrants issus de cultures diverses. Les intervenants du secteur de consultation en gestion doivent de plus en plus composer avec cette transformation culturelle en Ontario et ailleurs. Étant donné que M. Sedghi vient du Moyen‐Orient et qu’il a travaillé avec différents clients provenant de plusieurs pays, notamment des pays d’Asie, son entreprise permettra dans une large mesure de combler les lacunes actuelles du domaine de la consultation dans le secteur manufacturier au Canada.

[14] Même si cette déclaration ne figure pas dans le plan d’affaires lui‐même, elle fait partie de la demande et a sans doute été portée à l’attention de l’agent, qui aurait dû la considérer comme un facteur à prendre en compte, ce qu’il ne semble pas avoir fait.

[15] En conclusion, les questions des finances et des lieux d’affaires constituent des éléments importants de la décision qui représentent la moitié de la justification. Cependant, dans la présente affaire, l’agent n’a pas expliqué pourquoi son raisonnement sur ces questions est justifié. En conséquence, l’absence de raisonnement sur ces facteurs, qui sont importants, rend la décision déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 100). Je suis d’avis d’accueillir la présente demande.


LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

blanc

« Glennys L. McVeigh »

blanc

Juge

 

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