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Date : 20230814


Dossier : T-2019-22

Référence : 2023 CF 1107

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 14 août 2023

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

ADEEB AHMED

demandeur

(intimé)

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

(requérante)

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La défenderesse, l’Agence du revenu du Canada [l’ARC], présente cette requête en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, pour obtenir la radiation de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce et la suspension de tous les délais en attendant la décision de la Cour. Subsidiairement, si la requête en radiation n’est pas accueillie, l’ARC demande l’autorisation de déposer en preuve un affidavit supplémentaire.

[2] La Cour a examiné les documents de requête des parties et les lettres supplémentaires soumises par le demandeur les 5, 10 et 12 juillet 2023. La Cour prend acte de la demande présentée par le demandeur dans sa lettre du 12 juillet 2023 en vue de modifier une date dans son affidavit, souscrit le 26 juin 2023. La modification a été acceptée.

[3] La demande à laquelle s’applique la présente requête se rapporte à la prorogation d’une nomination temporaire au sein de l’ARC à un poste de vérificateur principal.

[4] Au printemps de 2021, l’ARC a lancé un processus de dotation annoncé au moyen d’un avis de possibilité d’emploi pour doter des postes de vérificateur principal au sein de diverses directions générales de l’ARC. L’une des gestionnaires de l’ARC [la directrice intérimaire] a eu recours au processus de dotation annoncé pour embaucher un vérificateur principal dans le cadre d’un poste intérimaire temporaire de six mois moins un jour au sein de son équipe d’évaluation du risque et d’élaboration de la charge de travail en décembre 2021. La nomination temporaire a été communiquée aux personnes faisant partie du bassin de candidats.

[5] À la fin de la nomination temporaire, en juin 2022, celle-ci a été prolongée de trois mois. Le demandeur n’a pas reçu d’avis de la prolongation dans le cadre du processus de nomination, mais la directrice intérimaire l’en a ultérieurement informé, à la suite d’une demande de renseignements du représentant syndical du demandeur.

[6] Le demandeur a présenté deux demandes de rétroaction individuelle [RI] concernant la mesure de dotation de juin 2022 et chacune a été rejetée, dans des décisions datées du 31 août 2022 (modifiée le 6 septembre 2022) et du 6 septembre 2022. Aux termes de l’article 5.9 des Procédures sur le recours en matière de dotation (Programme de dotation) de l’ARC, la RI correspond à « une révision des préoccupations soulevées par un employé concernant un traitement arbitraire ».

[7] Au moment de déposer la demande, le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire des décisions de l’ARC de ne pas lui fournir de RI relativement à la prolongation de la dotation [les décisions sur la RI]. Il a demandé que les décisions sur la RI soient renvoyées aux fins d’un nouvel examen. Le demandeur a ultérieurement modifié son avis de demande et a demandé que la décision de l’ARC de prolonger la nomination de l’employé soit annulée et renvoyée aux fins d’un nouvel examen [la décision sur la prolongation]. Le demandeur a également demandé que le dossier certifié du tribunal, qui comporterait des lacunes, fasse l’objet d’un [traduction] « examen sérieux ».

[8] La défenderesse fait valoir que la présente affaire est désormais théorique, puisque le demandeur a accepté d’offrir une RI concernant la prolongation de la nomination intérimaire temporaire, ce qui permettra au demandeur d’obtenir une décision sur la RI qui peut elle-même être examinée. De plus, puisque la personne dont la nomination a été prolongée n’occupe plus le poste, la défenderesse soutient que l’annulation et le nouvel examen de la décision sur la prorogation n’auraient aucune incidence sur le plan pratique.

[9] Comme je l’indiquerai plus loin, je souscris à la thèse de la requérante et j’accueillerai la requête pour les motifs qui suivent.

II. Analyse

[10] Le critère juridique applicable aux requêtes en radiation des demandes est bien établi. Le seuil requis pour radier un avis de demande est élevé : la Cour n’acceptera de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque l’avis « est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c Pharmacia Inc., [1995] 1 CF 588 (CA), à la p 600. Comme il a été résumé dans l’arrêt JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 [JP Morgan] au para 47, « [e]lle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c Western Grain Storage By-Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959 ».

[11] Une demande d’une efficacité assez radicale peut exister si l’affaire est théorique et que la décision de la Cour n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si sa décision ne peut avoir aucun effet pratique sur de tels droits, la Cour refusera de statuer sur l’affaire, sauf s’il y a de bonnes raisons d’instruire l’affaire malgré son caractère théorique : Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski] aux para 15-16.

[12] Pour décider si une affaire est théorique, il faut déterminer si elle présente un litige actuel. Si tel n’est pas le cas, il incombe alors à la partie qui veut procéder à l’instruction de l’affaire de justifier pourquoi la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire l’affaire. Dans le deuxième volet du critère, la Cour tiendra compte de divers facteurs, comme : (i) le contexte contradictoire; (ii) l’économie des ressources judiciaires; et (iii) le rôle de la Cour : Borowski, aux para 31, 34-37, 40, 42; Saskatchewan (Ministre de l’agriculture, de l'alimentation et de la revitalisation rurale) c Canada (Procureur général), 2005 CF 1027 aux para 25-29.

[13] En l’espèce, avec la proposition de la défenderesse, il n’y a plus de question actuelle ou concrète qui reste en litige entre les parties. En fournissant au demandeur la possibilité d’obtenir une RI concernant la prolongation de la dotation en juin 2022, l’ARC a accepté d’annuler effectivement les décisions sur la RI refusant une RI au demandeur et de procéder à une RI couvrant l’objet des demandes de RI de ce dernier.

[14] Même si le demandeur soulève la question de l’équité procédurale relativement au moment où survient la RI, je ne suis pas convaincue qu’un manquement à l’équité procédurale a été établi. L’invitation à participer à la RI n’est pas limitée dans le temps, mais demeure ouverte. La RI peut avoir lieu à un moment qui convient au demandeur. De même, bien que le demandeur exprime maintenant des craintes de partialité associées à la personne proposée comme décideur, la défenderesse confirme dans ses observations en réponse que la personne nommée ne constituait qu’une proposition et qu’il est toujours loisible au demandeur et à l’ARC de s’entendre sur un autre décideur. J’accepte ces observations comme si elles faisaient partie de l’offre de la défenderesse.

[15] Je conviens avec la défenderesse que les circonstances en l’espèce sont distinctes de celles de l’affaire Gerus c Canada (Procureur général), 2008 CF 1344 [Gerus], sur laquelle se fonde le demandeur. Dans l’affaire Gerus, la question en litige portait sur une demande en vue de présenter des observations dans le cadre du processus de « révision de la décision ». Il était difficile de savoir si l’offre de permettre au demandeur de déposer des observations après la décision était faite dans le contexte d’un nouvel examen ou si l’offre se limitait à autoriser des observations dans le but d’infirmer la décision déjà rendue. En l’espèce, la RI mènera à sa propre décision, qui pourra ensuite être examinée davantage. Les circonstances soulevées dans l’affaire Gerus ne s’appliquent pas.

[16] Bien que le demandeur souligne que le contrôle judiciaire a été modifié pour inclure la décision sur la prolongation, la personne dont l’emploi avait été prolongé au sein de l’équipe d’évaluation du risque et de l’élaboration de la charge de travail n’occupe plus le poste. Par conséquent, la demande présentée dans l’avis de demande modifié en vue de l’annulation et d’un nouvel examen de la décision sur la prolongation liée à sa nomination n’aurait aucune incidence sur le plan pratique. Le demandeur n’a pas établi en quoi une décision sur le caractère raisonnable de la décision sur la prolongation répondrait à ses préoccupations dans les circonstances de l’espèce.

[17] De plus, il y a une question sous-jacente quant à savoir si, vu la procédure de RI et la demande originale, l’ajout de la décision sur la prolongation à la demande et la demande d’examen de cette décision ont été dûment présentés à la Cour. Comme le souligne également la défenderesse, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée (article 302 des Règles des Cours fédérales). Toutes les parties directement touchées par l’ordonnance doivent être désignées (article 303 des Règles des Cours fédérales).

[18] À mon avis, étant donné qu’une RI a été prévue, il n’y a entre les parties aucun litige actuel ayant une incidence sur le plan pratique.

[19] Quant au deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt Borowski, le demandeur n’a pas établi pourquoi la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire la présente affaire. À mon sens, une telle demande dans le contexte de l’espèce va plutôt à l’encontre des facteurs décrits dans l’arrêt Borowski et de ceux qu’énonce l’article 3 des Règles des Cours fédérales, qui encourage une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

[20] L’affirmation du demandeur selon laquelle le dossier certifié du tribunal comporte des lacunes ne peut servir de fondement au contrôle judiciaire en ce qui concerne les étapes de la demande et ne se rapporte pas à la décision administrative sous-jacente. Une instance ne peut être tenue en suspens dans le seul but d’obtenir une communication additionnelle si le fondement de la demande n’existe plus.

[21] Le demandeur soutient que l’ARC avait l’obligation de répondre à ses besoins. Cette affirmation ne se rapporte pas à la demande qui a été déposée et, par conséquent, n’a pas été correctement soumise à la Cour. Comme l’a souligné la défenderesse, le contrôle judiciaire porte sur les décisions sur la RI qui ont refusé au demandeur une RI concernant la prolongation de la dotation. La demande de contrôle judiciaire ne peut être élargie de manière à inclure d’autres motifs sur lesquels elle n’était pas fondée.

[22] De même, j’estime non fondé l’argument du demandeur selon lequel la défenderesse a fait preuve de pratiques peu scrupuleuses en présentant la requête. La défenderesse a le droit de présenter une requête en radiation et de demander qu’elle soit abordée sur la foi d’observations écrites selon la procédure établie dans les Règles des Cours fédérales : Oleynik c Canada (Procureur général), 2023 CAF 162, au para 39. Le demandeur a eu la possibilité de répondre à la requête et a obtenu une prorogation en vertu de l’article 7 auprès de la défenderesse pour le faire. Bien que le demandeur ait déclaré dans une correspondance ultérieure qu’il voudrait peut-être déposer des éléments de preuve supplémentaires, aucune disposition ne prévoit la présentation d’éléments de preuve supplémentaires dans le cadre d’une requête et, en particulier, dans le cadre d’une requête en radiation lorsque la preuve admissible est limitée : JP Morgan aux para 51-54. Une demande présentée avec du recul pour obtenir une révision de la preuve ne justifie pas de rouvrir une requête ou de maintenir la demande.

[23] Je ne suis pas convaincue que l’un quelconque des arguments relatifs à l’équité procédurale qui ont été invoqués par le demandeur justifie de poursuivre la demande.

III. Conclusion

[24] Pour tous les motifs qui précèdent, la requête est accueillie et la demande sera radiée.

[25] Vu l’issue de la requête, je conviens que certains dépens sont justifiés. Étant donné que le demandeur n’est pas représenté par avocat, je suis d’avis que des dépens de 500 $ sont appropriés.


ORDONNANCE dans le dossier T-2019-22

LA COUR ORDONNE :

  1. Conformément à l’offre de la défenderesse et aux observations supplémentaires présentées dans le cadre de la requête, le demandeur a le droit d’organiser une rétroaction individuelle concernant la prolongation de la dotation de juin 2022, aux heure et date qui conviendront aux parties, devant un décideur dont celles-ci auront convenu. Sur ce fondement, la requête est accueillie et la demande de contrôle judiciaire est rejetée au motif qu’elle est théorique.

  2. Des dépens de 500 $ sont adjugés à la défenderesse.

« Angela Furlanetto »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2019-22

 

INTITULÉ :

ADEEB AHMED c L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT ET EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE :

LE 14 AOÛT 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Adeeb Ahmed

 

POUR LE DEMANDEUR

(INTIMÉ)

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Adam Feldman

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(REQUÉRANTE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

(REQUÉRANTE)

 

 

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