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Date : 20231204

Dossier : IMM-11740-22

Référence : 2023 CF 1621

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2023

En présence de madame la juge Azmudeh

ENTRE :

MOHSIN HOSSAIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Mohsin Hossain [le « demandeur »] sollicite le contrôle judiciaire, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR], du rejet de son appel en matière d’asile par la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR]. La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs suivants.

I. Aperçu

[2] Le demandeur affirme être citoyen du Bangladesh et être né le 17 mars 1989. Sa demande d’asile présentée auprès de la Section de la protection des réfugiés [SPR] a été rejetée parce que la commissaire n’a pas été convaincue que le demandeur avait établi son identité. La SAR a rejeté l’appel du demandeur et a confirmé la décision portant que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité et que sa crédibilité, en ce qui a trait à la question de l’identité, avait été sérieusement ébranlée en raison d’incohérences majeures dans son témoignage et dans la preuve documentaire.

[3] Dans toute instance visant à déterminer le statut de réfugié, l’identité est une question préliminaire, c’est-à-dire qu’il s’agit là d’une question juridique cruciale qui doit être résolue avant que d’autres considérations juridiques ne soient examinées.

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[4] Selon les parties, dont je partage l’avis, la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII), [2019] 4 RCS 653 [Vavilov]).

III. Cadre juridique

[5] L’article 106 de la LIPR et l’article 11 des Règles de la SPR sont les dispositions juridiques pertinentes en matière d’établissement de l’identité. Voici le libellé de l’article 106 de la LIR :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Crédibilité

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

[6] Selon l’article 11 des Règles de la SPR, il incombe au demandeur d’asile de fournir des preuves crédibles suffisantes pour établir son identité et, s’il ne les possède pas, de fournir une explication raisonnable à ce sujet. Les demandeurs doivent établir les faits pertinents de leur demande d’asile, notamment en ce qui concerne leur identité, selon la prépondérance des probabilités :

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256

Documents

11 Le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

[7] Notre Cour a également constamment affirmé que l’identité est la pierre d’assise du régime canadien d’immigration (Bah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 373 au para 7; voir aussi Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 2004 CF 1634 au para 38; Canada (Citoyenneté et Immigration) c X, 2010 CF 1095, 375 FTR 204 au para 23). Comme l’a déclaré le juge LeBlanc dans Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gebreworld, 2018 CF 374 au para 21, « [i]l en est ainsi parce que plusieurs éléments importants de la mise en œuvre de ce régime, tels l’admissibilité au Canada, l’évaluation du besoin de protection, l’appréciation du danger pour la sécurité publique au Canada ou la propension à se plier ou non aux contrôles exigés par la Loi, en dépendent. »

IV. Analyse

La conclusion de la SAR portant que le demandeur n’a pas établi son identité est-elle raisonnable?

[8] L’examen de l’ensemble des éléments de preuve, notamment le dossier de la SPR, permet de résumer dans les termes qui suivent les conclusions de la SAR concernant les diverses incohérences relevées dans les documents d’identité fournis par le demandeur :

  • La SAR a examiné et analysé les documents fournis par le demandeur. Il s’agit notamment de l’acte de naissance du demandeur, délivré le 11 décembre 2014, de la photocopie de la page de garde d’un passeport délivré par l’intermédiaire d’un représentant en 2013, de la photocopie de la page de garde d’un passeport de 2018 qui est toujours en la possession du gouvernement du Bangladesh et qui n’a pas été remis au père du demandeur, ainsi que de divers affidavits à l’appui de l’identité apparente du demandeur.

  • La SAR s’est intéressée aux explications du demandeur, notamment le fait qu’il ne pouvait dire avec certitude où et comment ses documents d’identité avaient été obtenus. La SAR a indiqué que le demandeur, tout au long de son témoignage, avait précisé que son acte de naissance de 2013 et ses passeports de 2018 avaient été obtenus par son père par l’intermédiaire d’un représentant. Le demandeur a quitté le Bangladesh en 2007, n’y est jamais retourné et a perdu son passeport depuis.

  • La SAR a accepté l’allégation du demandeur selon laquelle celui-ci ne détenait pas de carte d’identité nationale du Bangladesh (CIN) parce qu’il avait quitté le pays lorsqu’il était mineur. La SAR a formulé des observations sur l’exigence de disposer d’une CIN pour obtenir un passeport et sur l’explication non convaincante du demandeur quant à la manière dont il a obtenu un passeport sans acte de naissance en 2013 et sans CIN, et pendant qu’il se trouvait à l’extérieur du pays.

  • La SAR a examiné la contradiction entre le numéro d’enregistrement figurant sur l’acte de naissance du demandeur et celui figurant sur la photocopie du ou des passeports fournis. La SAR a jugé que cette contradiction ainsi que les autres éléments figurant au dossier étaient des facteurs importants. Elle a notamment fondé sa conclusion sur l’absence de passeports originaux et sur le fait que les passeports qui ont été fournis ont été délivrés par un représentant et qu’ils ont été sortis du pays sans le demandeur.

  • La SAR a constaté que le demandeur n’était pas en mesure d’expliquer comment le représentant avait pu obtenir des documents sans qu’il ne soit présent au Bangladesh et sans qu’il n’ait fourni ses données biométriques.

  • Compte tenu des incohérences relevées sur l’acte de naissance, de la fourniture de copies uniquement partielles de passeports, et de l’absence d’explication claire à ce sujet, la SAR a conclu que l’acte de naissance présenté était, selon la prépondérance des probabilités, insuffisant pour établir l’identité du demandeur.

[9] La SAR, après avoir examiné le dossier qui lui a été soumis, notamment la transcription et la décision de la SPR, ainsi que les observations écrites et verbales des parties, et en s’appuyant sur le droit applicable, a en dernière analyse conclu que le demandeur n’avait pas réussi à la convaincre qu’il avait établi son identité.

[10] Le demandeur a fait valoir à l’audience que la décision était déraisonnable parce que la SAR n’avait pas tenu compte du contexte particulier de la situation du demandeur et de la situation au Bangladesh, à savoir le recours fréquent à des représentants pour faciliter l’obtention de documents.

[11] En ce qui concerne la situation au Bangladesh, le demandeur s’est appuyé sur l’onglet 3.17 du Cartable national de documentation présenté à la SAR (Country information Note. Bangladesh: Documentation. Version 2.0, United-Kingdom, Home Office. March 2020) : [traduction] « Les Bangladais obtiennent couramment des documents grâce à un représentant (un “intermédiaire”) ». Le demandeur a admis que cette pratique pouvait donner lieu à des fraudes, mais il a soutenu que la SAR n’aurait pas dû reprocher au demandeur d’avoir fait appel à un représentant étant donné que cette pratique était courante.

[12] La SAR, aux paragraphes 21 à 28 de ses motifs, indique que l’explication selon laquelle le demandeur a obtenu le passeport par l’entremise d’un représentant ne suffit pas à pallier les graves lacunes en matière d’établissement de l’identité. Je ne souscris pas à l’avis du demandeur selon lequel une pratique pouvant donner lieu à une fraude constitue une explication raisonnable pour pallier l’absence de preuves crédibles suffisantes. La commissaire de la SAR ne devait pas tenir compte de la pratique fréquente du recours aux représentants au Bangladesh, mais plutôt du fait que le demandeur croyait lui-même que ses documents d’identité avaient pu être obtenus de façon irrégulière par l’entremise de ces voies non officielles. Le dossier présenté à la SAR ne contenait qu’un seul document d’identité, un acte de naissance, et encore, il portait un numéro d’enregistrement différent de celui qui figurait sur les photocopies de passeports sur lesquelles le demandeur s’appuyait. Aucun autre document digne de foi ne permettait de pallier ces lacunes. La commissaire de la SAR décrit tout cela de façon détaillée dans son raisonnement. Il n’appartient pas à notre Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[13] Le demandeur a affirmé que, compte tenu de sa situation particulière, on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’il ait de meilleurs documents en sa possession ni à ce qu’il sache comment des documents ont été obtenus en son absence. La SAR a tenu compte de sa situation personnelle, y compris son état mental, et a conclu qu’elle n’offrait pas d’explication satisfaisante quant aux lacunes et aux contradictions dans les documents d’identité du demandeur. En vérité, au paragraphe 43 de sa décision, la SAR a reconnu que le diagnostic médical que le demandeur a reçu et les médicaments qui lui sont prescrits ont une incidence sur sa mémoire et son témoignage. Elle a toutefois conclu que cela n’atténuait pas l’importance du fait que le demandeur ne savait tout simplement pas comment les documents avaient été obtenus ou qu’il ne pouvait pas expliquer de manière satisfaisante les incohérences dans la manière dont un représentant avait obtenu des documents contrairement aux processus établis relevés dans la preuve objective. Je conclus que l’analyse de la SAR est raisonnable.

[14] Pour ce qui est de la question de l’établissement de l’identité, je m’inspire des commentaires du juge Norris dans Yusuf Adan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1383 :

[traduction]

[55] Lus conjointement, l’article 11 des Règles et l’article 106 de la LIPR imposent au demandeur d’asile le fardeau de fournir des documents acceptables pour établir son identité. De toute évidence, pour être en mesure de fournir ces documents, le demandeur doit les avoir en sa possession. Le demandeur d’asile qui n’est pas en possession de documents acceptables établissant son identité doit fournir une explication raisonnable de cette situation ou démontrer que des mesures raisonnables ont été prises pour obtenir ces documents. Il s’agit là d’un lourd fardeau : voir Su au para 4; Malambu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 763 au para 41; et Tesfagaber c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 988 au para 28.

[15] Je m’appuie également sur les commentaires du juge Lafrenière relativement aux questions touchant à l’établissement de l’identité et à l’expertise de la SAR : « Les questions touchant à l’identité d’un demandeur relèvent du domaine d’expertise de la SAR et la Cour devrait faire preuve d’une grande retenue à l’égard de celle‑ci. La Cour n’interviendra que si la décision faisant l’objet du contrôle est dénuée de justification, de transparence et d’intelligibilité et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Kagere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 910 au para 11).

[16] Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel la demande d’asile du demandeur n’a pas été rejetée pour des détails, mais en raison d’importantes incohérences dans sa preuve d’identité, et en particulier dans ses passeports. Le juge Nadon a déclaré, dans Elazi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 14891 (FC) aux para 16-18, qu’un tel constat suffit à lui seul à rejeter une demande d’asile :

[…] il ne peut faire de doute, à mon avis, que la conclusion de la Section du Statut concernant la preuve d’identité offerte par le demandeur, n’est nullement déraisonnable. Cette conclusion est, à mon avis, suffisante pour disposer de la demande de contrôle judiciaire. Non seulement la preuve offerte par le demandeur concernant son identité est insuffisante, cette preuve, à plusieurs égards, était telle que la crédibilité du demandeur était entachée. J’en profite pour ajouter qu’il est tout à fait raisonnable pour la Section du Statut de donner une grande importance au passeport d’un demandeur […].

[17] L’examen des arguments des deux parties et du dossier présenté à la SAR ne me convainc pas que cette dernière a commis une erreur pouvant faire l’objet d’un contrôle dans son analyse des documents d’identité du demandeur. Nous l’avons indiqué ci-dessus : une grande retenue est de mise à l’égard de la décision de la SAR. Compte tenu des éléments de preuve en l’espèce, en particulier la présence d’un seul document, à savoir l’acte de naissance qui contenait un numéro d’enregistrement ne correspondant pas à celui figurant sur les photocopies des passeports, le fait que ceux-ci ont été obtenus de manière irrégulière et différente de celle prévue officiellement, et l’examen détaillé de chaque document par la SAR, je ne considère pas qu’il y ait lieu d’intervenir. Je conclus en définitive que les arguments présentés par le demandeur ne justifient pas une nouvelle appréciation des éléments de preuve examinés par la SAR, ce qui n’est pas la fonction de notre Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125).

V. Conclusion

[18] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la SAR satisfait au critère du caractère raisonnable énoncé dans l’arrêt Vavilov. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[19] Aucune question grave de portée générale à certifier n’a été proposée par les parties, et je conviens qu’aucune question de ce type ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM-11740-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

blank

« Negar Azmudeh »

blank

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-11740-22

 

INTITULÉ :

MOHSIN HOSSAIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 NOVEMBRE 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE AZMUDEH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 DÉCEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Sohana Sara Siddiky

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mario Blanchard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blain avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

Ministère de la Justice Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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