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Date : 20231130


Dossier : IMM-12159-22

Référence : 2023 CF 1610

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Montréal (Québec), le 30 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

Entre :

GODWIN SOLOMON RAPHAEL ANIGHORO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Monsieur Anighoro demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui refuse de lui accorder l’asile en raison de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], et de l’article 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (résolution 429(V) du 14 décembre 1950 de l’Assemblée générale des Nations Unies, adoptée le 28 juillet 1951) [la Convention].

[2] Monsieur Anighoro est un citoyen du Nigéria, et sa famille possède des terres agricoles dans l’État de Kaduna. Après que des bergers peuls aient détruit ses récoltes, M. Anighoro a décidé de défendre ses champs avec l’aide de son pasteur et de membres de sa communauté. Muni d’une arme à feu que son pasteur lui avait fournie, il a pris part à une altercation avec des bergers peuls, et plusieurs personnes en sont mortes. Il est ensuite allé vivre aux États-Unis. Peu après son arrivée au Canada, il a dit à un agent de l’immigration que durant cette altercation, il avait abattu des bergers peuls.

[3] Monsieur Anighoro a fait une demande d’asile au Canada au motif qu’il craignait pour sa vie s’il retournait au Nigéria, en raison des conflits avec les bergers peuls en lien avec le territoire et la religion. La Section de la protection des réfugiés (SPR), en s’appuyant sur les déclarations de M. Anighoro à l’agent d’immigration, a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de penser qu’il avait commis un crime grave – soit celui d’avoir déchargé volontairement une arme à feu en direction d’autres personnes, ce qui avait causé leur mort, en contravention de l’article 244 du Code criminel, LRC 1985, c C-46. La SPR a conclu que M. Anighoro avait agi pour des motifs d’ordre économique, et non pas d’ordre politique. Par conséquent, la SPR a jugé qu’il ne pouvait bénéficier du statut de réfugié au sens de la Convention, en raison de l’article 1Fb) de celle-ci.

[4] Monsieur Anighoro a interjeté appel de cette décision à la SAR, qui a rejeté l’appel. La SAR a conclu que la preuve démontrait l’existence de raisons sérieuses de croire qu’il avait commis un crime grave. Elle a estimé qu’il ne lui avait pas fourni d’explication satisfaisante qui la justifierait de douter de ses déclarations à l’agent d’immigration. Elle a aussi conclu que les contradictions inexpliquées entre ces déclarations et son témoignage à l’audience de la SPR minaient sa crédibilité. Par conséquent, la SAR a conclu qu’il ne pouvait bénéficier du statut de réfugié en application de l’article 98 de la Loi et de l’article 1Fb) de la Convention.

[5] Devant la Cour, M. Anighoro a avancé deux principaux arguments pour contester la décision de la SAR. Premièrement, il a soutenu que la transcription de son entrevue avec l’agent d’immigration n’était pas crédible, car elle était incomplète. Deuxièmement, il a prétendu avoir agi en légitime défense.

[6] En premier lieu, il n’y a pas de raison de douter de la crédibilité ou de l’exactitude de la transcription de l’entrevue de M. Anighoro avec l’agent d’immigration. Elle se trouvait dans le dossier certifié du tribunal, transmis par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il ne s’agit pas des notes manuscrites de l’agent lors de l’entrevue; il s’agit plutôt de la transcription mot pour mot de l’entrevue enregistrée. Monsieur Anighoro n’a pas fourni d’élément de preuve qui jetterait un doute sur l’exactitude ou l’exhaustivité de cette transcription. Par conséquent, la SAR pouvait à bon droit se fier à ce document.

[7] En deuxième lieu, M. Anighoro soutient qu’il a agi en légitime défense. Dans ses observations écrites, il prétend aussi qu’il n’avait pas l’intention de tuer ou qu’il a agi par crainte de subir les représailles de sa communauté s’il ne participait pas à l’altercation. Ces arguments ne me convainquent pas.

[8] Pour que la demande d’asile soit rejetée en application de l’article 98 de la Loi et de l’article 1Fb) de la Convention, le ministre n’avait qu’à démontrer qu’il existait des raisons sérieuses de penser que M. Anighoro avait commis un crime grave. La preuve n’a pas à être établie hors de tout doute raisonnable ni selon la norme de la prépondérance des probabilités : Ezokola c Canada (Ministre de l’Immigration et la Citoyenneté), 2013 CSC 40 aux paragraphes 40 et 101, [2013] 2 RCS 678.

[9] La transcription de l’entrevue de M. Anighoro montre clairement qu’il s’est procuré une arme à feu à l’avance, et qu’il attendait l’attaque des bergers peuls avec l’intention de défendre ses champs. Son témoignage devant la SPR diffère quelque peu, mais il y a admis avoir eu une arme à feu et l’avoir déchargée en direction d’autres personnes. La SAR avait donc raison de rejeter les prétentions de M. Anighoro selon lesquelles il avait agi en légitime défense ou sans avoir l’intention de tuer.

[10] Dans ses observations écrites, M Anighoro soutient également que sa conduite ne serait pas suffisamment grave pour justifier le refus de l’asile en application de l’article 1Fb) de la Convention. Une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans est généralement considérée comme un crime grave : Febles c Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2014 CSC 68 au paragraphe 62, [2014] 3 RCS 431; Jayasekara c Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2008 CAF 404 aux paragraphes 44 et 55, [2009] 4 RCF 164 [Jayasekara]. En l’espèce, l’article 244 du Code criminel prévoit une peine maximale d’emprisonnement de 14 ans. En outre, compte tenu des faits de l’affaire et du manque de crédibilité de M. Anighoro, la SAR avait raison de conclure que les circonstances atténuantes décrites dans l’affaire Jayasekara n’étaient pas présentes.

[11] Pour ces motifs, je rejette la demande de contrôle judiciaire de M. Anighoro.

 


 

JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12159-22

 

INTITULÉ :

GODWIN SOLOMON RAPHAEL ANIGHORO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 29 NovembrE 2023

 

JUGEMENT et motifs :

le juge GRAMMOND

 

DATE :

le 30 NovembrE 2023

 

COMPARUTIONS

Zacharie Kalieu Njomkam

 

pour le demandeur

 

Zoé Richard

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Zacharie Kalieu Njomkam

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

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