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Date : 20231124


Dossier : T-2441-22

Référence : 2023 CF 1562

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2023

En présence de l’honorable juge Régimbald

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

AÉROPORTS DE MONTRÉAL

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

I. Introduction 2

II. Contexte factuel 5

A. Les PERI 5

B. Historique de la cession 7

C. Les trois conventions 9

(1) Convention de cession : 9

(2) Convention générale de services : 10

(3) Le Bail foncier : 11

D. Le litige entre les parties 14

E. Décision du tribunal arbitral 16

III. Questions en litige 18

IV. Analyse 19

A. Le cadre juridique devant guider l’analyse de la compétence du tribunal d’arbitrage dans le cadre d’une demande de moyen déclinatoire présenté en vertu du paragraphe 16(3) du CAC 19

B. Quelles sont les règles d’interprétation gouvernant les conventions en l’espèce et la clause compromissoire? 23

C. Le tribunal a-t-il compétence sur la question résultant des PERI puisqu’elle est incluse au Bail? 28

(1) Éléments intrinsèques aux conventions 29

a) Prétentions du PGC 29

b) Prétentions de ADM 32

(2) Contexte extrinsèque aux conventions 35

a) Prétentions du PGC 35

b) Prétentions de ADM 36

(3) Application des principes pour déterminer si la question des PERI est sujette à la clause compromissoire de la CC puisqu’elle est incluse au Bail 37

a) Éléments intrinsèques aux conventions 38

b) Contexte extrinsèque aux conventions 45

(4) Conclusion 51

D. Est-ce que le caractère véritable de la demande de ADM requiert un contrôle judiciaire de l’exercice de la discrétion du ministre de SPAC? 53

(1) Prétentions du PGC 53

(2) Prétentions de ADM 54

(3) Analyse de la question à savoir si un contrôle judiciaire est nécessaire 56

V. Conclusion 59

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande pour statuer sur la compétence d’un tribunal arbitral en vertu de l’article 16(3) du Code d’arbitrage commercial [CAC] (prévu à l’Annexe 1 de la Loi sur l’arbitrage commercial, LRC 1985, c 17 (2e supp)) et de la règle 324(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles].

[2] Le Procureur général du Canada [PGC] sollicite l’intervention de la Cour afin de faire rejeter, sur une base préliminaire par un moyen déclinatoire, une demande d’Aéroport de Montréal [ADM] portée devant un tribunal arbitral en vertu du CAC. ADM a déposé sa demande en vertu d’une clause compromissoire prévue dans une convention entre les parties, laquelle donnait compétence au tribunal arbitral pour trancher certaines questions entre les parties.

[3] Ce litige a débuté en 2016. Toutefois, ce sont les documents contractuels conclus par les parties en 1992, dans le cadre de la cession de la gestion et du développement de l’aéroport Pierre-Elliott Trudeau [l’Aéroport] du ministre des Travaux publics Canada à ADM, qui sont à l’origine de celui-ci.

[4] Lors du transfert, il fut convenu que l’Aéroport demeurerait la propriété de la Couronne, afin que ADM puisse être exemptée du paiement des impôts fonciers. Plutôt, ADM souhaitait maintenir la situation qui prévalait à l’époque, où le ministre des Travaux publics Canada payait aux autorités municipales des paiements en remplacement des impôts fonciers [PERI] prévus sous ce qui est maintenant connu comme étant le régime de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôt (LRC 1985, c M-13) [Loi sur les PERI]. La solution retenue dans les documents contractuels entre les parties était que ADM rembourserait à Travaux publics Canada les PERI payés aux autorités municipales.

[5] La relation entre les parties comporte plusieurs documents contractuels, notamment une Convention de cession [CC], une Convention générale de services [CGS], et un Bail foncier. La CC prévoit une clause compromissoire donnant compétence au tribunal arbitral sur certaines questions relevant, entre autres, du Bail foncier. La véritable question en litige est à savoir si les PERI sont inclus au Bail foncier à titre de « Loyer Supplémentaire » au sens du Bail. Si tel est le cas, le tribunal arbitral aurait compétence en vertu de la clause compromissoire de la CC.

[6] ADM allègue que le montant qu’elle s’est engagée à rembourser à Travaux publics Canada pour rembourser les PERI payés aux autorités municipales constitue du « Loyer Supplémentaire » au sens du Bail. ADM allègue ensuite que le calcul des montants devant être payés en vertu de la Loi sur les PERI fait partie d’une obligation contractuelle en vertu de la CGS. Cette CGS mandate au ministre des Travaux publics Canada d’établir le montant des PERI selon les mêmes « normes et règles régissant les propriétés fédérales ». Selon ADM, le ministre des Travaux publics Canada a établi le montant des PERI sur la base d’une mauvaise méthodologie, ce qui a fait en sorte que ADM a remboursé un montant de PERI supérieur à ce qu’elle aurait dû payer et, par conséquent, en « Loyer Supplémentaire » en vertu du Bail. Puisqu’il s’agit d’une dispute sur une obligation prévue au Bail, ADM a donc décidé de porter la question devant le tribunal arbitral en vertu de la clause compromissoire prévue à la CC.

[7] Le PGC répond que la question du remboursement des PERI ne fait pas partie du Bail, mais bien exclusivement de la CGS. De plus, la clause compromissoire de la CC ne comprend pas les questions litigieuses qui tirent leur origine de la CGS. Par conséquent, le tribunal arbitral n’a pas compétence pour entendre la demande de ADM.

[8] Pour les motifs qui suivent, le remboursement des PERI fait partie des obligations de ADM en vertu du Bail à titre de « Loyer Supplémentaire ». Par conséquent, un litige quant au montant payé en trop pour ce « Loyer Supplémentaire » constitue une dispute en vertu du Bail qui peut être soumise au tribunal arbitral en vertu de la clause compromissoire de la CC. La demande du PGC est donc rejetée.

II. Contexte factuel

A. Les PERI

[9] L’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3 [Loi constitutionnelle de 1867] prévoit que « nulle terre ou propriété appartenant au Canada ou à aucune province en particulier ne sera sujette à la taxation ». En d’autres termes, la Couronne fédérale possède une immunité fiscale face aux taxes foncières, municipales ou scolaires.

[10] Afin de reconnaître et de contribuer aux services fournis par les municipalités, le Parlement a adopté en 1951 un régime prévoyant le versement juste et équitable de montants « en remplacement d’impôts » ou « en lieu de taxes » aux autorités taxatrices, sans abandonner l’immunité fiscale de la Couronne. Il s’agissait d’une façon de compenser les municipalités pour leurs services en payant, sur une base volontaire, ce qui fut appelé des « en lieu de taxe » (Montréal (Ville) c Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14 aux para 13-14; Chelsea (Municipalité) c Canada (Procureur général), 2023 CF 103 au para 7). Ce régime a pris différentes formes au cours des années et le régime législatif mettant en œuvre celui-ci a changé de nom. Dans ces motifs, la référence au terme « PERI » ou à la « Loi sur les PERI » incorpore aussi l’ancien régime, puisque les changements apportés au régime des PERI applicable au cours des années n’ont aucun impact sur les questions en litige dans le présent dossier.

[11] En vertu de la Loi sur les PERI, le ministre des Travaux publics Canada (maintenant Services publics et Approvisionnement Canada [SPAC] – dans ces motifs le terme SPAC est utilisé au lieu de « Travaux publics Canada » malgré que l’ancienne entité ait conclu la CGS avec ADM) détermine chaque année le montant des PERI qui est versé aux autorités taxatrices (soit en l’espèce, la Ville de Dorval, la Ville de Pointe-Claire et la Ville de Montréal à titre de ville-centre; collectivement désignées les « Villes ») à l’égard des propriétés fédérales dont l’Aéroport fait partie. Ce montant correspond au produit de la « valeur effective » et du « taux effectif » de la propriété. Ces deux notions sont définies dans la Loi sur les PERI et correspondent à la valeur et aux taux qui, selon SPAC, seraient applicables à la propriété si celle-ci était imposable.

[12] La Loi sur les PERI permet donc à SPAC de verser à une autorité taxatrice un PERI pour une année d’imposition donnée pour toute propriété fédérale située sur le territoire de cette autorité taxatrice. Il s’agit donc d’une façon alternative de percevoir un montant équivalent à des taxes municipales.

[13] Fait important à noter, l’immunité prévue à l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne s’applique pas aux entités qui ne sont pas la propriété de la Couronne. Par exemple, des tiers comme ADM, qui sont des locataires d’une propriété appartenant à la Couronne, ne peuvent bénéficier de l’immunité.

B. Historique de la cession

[14] ADM a été créée suite à la décision du gouvernement fédéral de transférer la gestion et le développement de certains aéroports à des entités corporatives. ADM est une société à but non lucratif sans capital-actions. La Couronne a cédé la gestion, l’exploitation, l’entretien et le développement de l’Aéroport à ADM en vertu de différents documents contractuels, notamment un Bail foncier qui arrivera à échéance en 2072.

[15] Sa Majesté (représenté par le ministère de Transports Canada [TC]) et ADM ont débuté les discussions sur la cession par bail des aéroports de Dorval et de Mirabel en 1988 (Dossier du demandeur [DD], vol. 1, pièce D-3 à la p 326).

[16] Lors des discussions dans le cadre de la cession de la gestion et du développement de l’Aéroport, ADM a exigé la conservation du régime fiscal des PERI. ADM, n’étant pas une société de la Couronne, n’est pas exempte des impôts fonciers en vertu de l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867. Afin d’éviter une hausse marquée en matière des impôts fonciers devant être payés par ADM aux Villes, il fut convenu d’adopter un processus où ADM serait soustraite de la Loi sur la fiscalité municipale, RLRQ c F-2.1 [LFM], tout en maintenant l’obligation de SPAC de continuer à payer des PERI, et que le montant de ces PERI lui serait remboursé par ADM. Il faut comprendre que le régime fiscal des PERI est plus avantageux pour ADM que l’application de la LFM qui serait autrement applicable.

[17] Par conséquent, l’utilisation du régime fiscal des PERI fut un facteur important dans les négociations menant à la conclusion des conventions en cause. En effet, lors de la phase précontractuelle, ADM, avec l’assentiment du gouvernement fédéral, a demandé que des modifications législatives soient adoptées afin de soustraire l’Aéroport de l’application de la LFM, pour permettre à ADM de bénéficier du régime fiscal des PERI même si ADM est locataire de la Couronne.

[18] Le gouvernement fédéral, n’y voyant à première vue qu’une opération à coût nul dans la mesure où ADM acquittait la facture des PERI, ne s’y est pas opposé. Par contre, en échange, ADM devait s’engager à agréer à un protocole prévoyant le remboursement à SPAC des montants que SPAC débourserait aux Villes à titre de PERI. Les trois documents contractuels dans lesquels se retrouvent les spécificités de paiement seront abordés dans la prochaine section.

[19] À la demande de ADM, et concurremment à la cession par Bail, l’intervention législative des gouvernements fédéral et provincial a maintenu l’Aéroport dans le régime des PERI en l’exemptant de l’application de la LFM. L’Assemblée nationale du Québec a adopté la Loi concernant Aéroports de Montréal, LQ 1991, c 106 ainsi qu’un décret, qui soustraient ADM de la LFM. Le gouvernement fédéral a modifié le Règlement de 1980 sur les subventions aux municipalités DORS/92-505, afin que les propriétés louées à une administration aéroportuaire demeurent comprises dans la définition d’« immeuble fédéral » assujetti à la Loi sur les PERI, malgré qu’elles soient louées à des tiers.

[20] C’est ainsi que trois conventions furent signées. La CC fut signée le 1er avril 1992, la CGS, le 26 juin 1992 et enfin le Bail Foncier, annexé à la CC, fut signé le 31 juillet 1992.

C. Les trois conventions

(1) Convention de cession :

[21] SPAC et ADM ont tout d’abord signé la CC le 1er avril 1992.

[22] Au paragraphe 10.01, la CC prévoit une clause compromissoire qui précise :

10.01.01 Tout différend ou désaccord entre les parties contractantes qui naît de la présente Convention ou de l’un ou l’autre des Actes, sauf un différend ou un désaccord qui a pour objet un point de droit, peut être déféré à un tribunal arbitral et soumis au moyen d’une demande écrite signée soit par le ministre soit par l’[ADM].

[23] Par ailleurs, le paragraphe 1.01.01 de la CC définit le terme « Acte » en ces mots :

« Actes » s’entend des documents énumérés au sous-paragraphe 3.02.01, une fois signés et livrés, et tels que modifiés de temps à autres.

[24] Le Bail foncier est énuméré au sous-paragraphe 3.02.01, mais pas la CGS.

[25] Par conséquent, selon le paragraphe 10.01, toute question portant sur le « Bail » peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal arbitral.

(2) Convention générale de services :

[26] Le 26 juin 1992, ADM et SPAC ont signé un protocole d’entente pour l’administration des PERI de l’Aéroport qu’ils ont intitulé « Convention générale de services entre Travaux Publics Canada et Aéroports de Montréal concernant l’administration des subventions en guise d’impôts fonciers ». Il s’agit d’une entente entre Sa Majesté, représentée par SPAC, et le gestionnaire privé de l’Aéroport, ADM, pour l’administration du régime de PERI de droit public qui relève de SPAC.

[27] La CGS confie, en vertu de l’article 4 de la CGS, la détermination du montant des PERI pour l’Aéroport à SPAC. L’article 4 de la CGS se lit comme suit :

4. Les subventions tenant lieu d’impôts fonciers seront établies par TPC en vertu des normes et règles régissant les propriétés fédérales. De plus, ces subventions seront versées selon les dispositions de la Loi de 1980 sur les subventions aux municipalités S.R.C. 1985, c.M-13.

[Je souligne.]

[28] L’article 5.2 de la CGS prévoit que ADM avance les montants nécessaires aux versements des subventions aux autorités taxatrices :

5.2 À remettre à l’avance à TPC, dans les délais requis et sur présentation des pièces justificatives appropriées, les sommes d’argent nécessaires aux versements des subventions.

[Je souligne.]

[29] Habituellement, les propriétés fédérales sont gérées par SPAC et non par une société à but non lucratif indépendante du gouvernement comme ADM en l’espèce. Ainsi, ici, la CGS sert à préciser les modalités d’application du régime public de PERI à l’Aéroport entre les parties et permet également le remboursement par ADM des subventions versées par SPAC.

[30] Bien que la CGS ait été signée un mois avant le Bail foncier, elle demeure en vigueur « ... jusqu’à expiration du bail liant la Corporation (ADM) à Transports Canada » (article 2, alinéa 2 de la CGS).

[31] Par conséquent, les dispositions de la CGS dans son ensemble permettent à ADM de respecter son engagement à ce que la qualification de ADM à titre d’« immeuble fédéral » soit, en théorie, à coût nul pour la Couronne.

[32] Il est important de noter que depuis mars 1995, ADM verse les montants de PERI sur réception d’une facture de SPAC plutôt qu’à l’avance, tel que l’exige l’article 5.2 de la CGS. De plus, ADM ne défraye pas les coûts d’évaluation de SPAC nonobstant l’article 5.3 de la CGS, mais retient plutôt les services d’évaluateurs indépendants. Ces changements dans le comportement des parties sont acceptés de part et d’autre, bien qu’aucun amendement formel de la CGS n’ait été conclu (DD, vol. 1, onglet 3, AB-2 Déclarations sous serment des témoins du PGC, Onglet B Déclaration assermentée de Jacques Demers (TPSGC) aux para 25-27 à la p 280).

[33] Les parties reconnaissent que la CGS n’est pas un « Acte » au terme de la CC et que sa clause compromissoire ne s’applique pas à un litige qui tire son origine de la CGS.

(3) Le Bail foncier :

[34] Le Bail foncier a été signé le 31 juillet 1992, pour une durée de 60 ans, à l’égard des terrains et installations des aéroports Montréal-Trudeau et de Mirabel. Celui-ci fut alors annexé à la CC.

[35] Le Bail prévoit au sous-paragraphe 4.02.01 la définition de « Loyer Supplémentaire » :

4.02.01 « Loyer Supplémentaire » Toute somme d’argent ou tous frais devant être versés au Locateur par le Locataire aux termes du présent Bail, autres que le Loyer de l’Aéroport, qu’ils soient ou non désignés comme « Loyer Supplémentaire ».

[Je souligne.]

[36] Le Bail foncier définit le terme « Impôts Fonciers » en ces mots :

Paragraphe 5.01 – Définitions

5.01.01 « Impôts Fonciers » désigne, en ce qui concerne les Lieux Loués, l'ensemble des taxes, contributions, droits et cotisations (incluant les impôts et taxes d'améliorations locales, sur la façade, pour l'eau, le déneigement et les égouts) et autres redevances, taxes et impôts ou taxes à l'aménagement, qu'ils soient généraux ou spéciaux, ordinaires ou extraordinaires, prévus ou imprévus, de quelque nature qu'ils soient et qu’ils existent ou non à la Date d’Entrée en Vigueur, et les amendes, pénalités, intérêts et frais afférents, qui sont prélevés, imposés, évalués, cotisés ou perçus (collectivement, « Perçus ») sur tout ou partie des Lieux Loués en tout temps par une administration fiscale, qu'elle soit de juridiction fédéral [sic], provincial [sic], municipal [sic], scolaire ou autre, ainsi que toutes taxes ou tous autres montants Perçus au lieu des Impôts Fonciers ou en sus de ceux-ci (qu'ils soient ou non de la nature de ceux qui sont mentionnés précédemment et qu'ils existent ou non à la Date d'Entrée en Vigueur) et tous les Impôts Fonciers Perçus du Locateur à l'égard de sa propriété de tout ou partie des Lieux Loués ou de son intérêt dans ceux-ci, de même que tous Impôts Fonciers qui sont Perçus du Locataire ou de toute autre Personne à titre de détenteur ou d'occupant de tout ou partie des Lieux Loués.

[...]

[Je souligne.]

[37] Le paragraphe 5.04 est également pertinent puisqu’il s’agit de la seule disposition du Bail qui traite spécifiquement des « Subventions en compensation d’impôts », maintenant connu sous le terme « PERI » :

Paragraphe 5.04 – Subventions en compensation d’impôt

5.04.01 Sous réserve de toute entente intervenue entre Sa Majesté, représentée par le ministre des Travaux publics, et le Locataire relativement aux questions faisant l'objet des alinéas a) et b) ci-dessous, le Locataire doit sur demande, sans délai avancer au Locateur, à titre de Loyer Supplémentaire, toute somme requise par le Locateur afin

a) de permettre au Locateur de verser des subventions en compensation des Impôts Fonciers pour toute partie des Lieux Loués conformément à la Loi sur les subventions aux municipalités, L.R.C. (1985), ch. M-13 ou toute loi semblable ou qui la remplace; et

b) de couvrir tous frais généraux et d'administration raisonnables du Locateur.

5.04.02 Le Locataire s’engage à observer intégralement toutes les conditions de toute entente mentionnée au sous-paragraphe 5.04.01.

[Je souligne.]

[38] Puisque le Bail constitue un « Acte » au sens de la CC, toute dispute relevant du Bail peut être sujette à l’arbitrage en vertu de la clause compromissoire prévue à l’article 10.01.01 de la CC.

[39] Or, puisque la CGS n’est pas un « Acte » au sens de la CC, le tribunal arbitral n’aura compétence que si les obligations des parties prévues à la CGS sont incorporées au Bail. Il s’agit de la question en litige en l’espèce.

D. Le litige entre les parties

[40] Le présent litige tire ses origines du désaccord entre les parties quant au montant des PERI établi par le ministre de SPAC en vertu de la CGS, et remboursé par ADM.

[41] ADM allègue que le montant n’a pas été établi « en vertu des normes et règles régissant les propriétés fédérales » tel que le prévoit la CGS. ADM allègue certains manquements aux « normes et règles » qu’elle considère applicables à la détermination du montant des PERI versé aux Villes où est situé l’Aéroport. En d’autres termes, ADM est en désaccord avec les paramètres d’évaluation retenus par le ministre pour déterminer la « valeur effective » et le « taux effectif » pour l’Aéroport, servant à calculer le montant des PERI dû chaque année. ADM doit donc démontrer que la méthode suivie par le ministre pour établir le montant des PERI n’est pas la même que celle utilisée pour les autres immeubles fédéraux, puisque l’article 4 de la CGS requiert à SPAC d’utiliser les mêmes « normes et règles » que pour les autres propriétés fédérales.

[42] ADM allègue que le remboursement des PERI qu’elle doit faire à SPAC en vertu de la CGS constitue un « Loyer Supplémentaire » au sens du Bail, et donc sujet à la clause compromissoire de la CC – le litige relève donc d’une dispute sur un élément prévu au Bail – soit le montant du « Loyer Supplémentaire ». ADM a donc déposé un avis d’arbitrage en vertu de la clause compromissoire de la CC puisque le Bail y constitue un « Acte » susceptible de faire l’objet d’une demande devant le tribunal arbitral. L’avis d’arbitrage demandait au tribunal arbitral de :

a) FIXER la Valeur Effective totale des Terrains de l’Aéroport pour le rôle d’évaluation foncière quant à l’exercice triennal 2017-2018-2019;

b) FIXER le Taux Effectif total des Terrains de l’Aéroport pour le rôle d’évaluation foncière quant à l’exercice triennal 2017-2018-2019;

c) FIXER le Loyer Supplémentaire correspondant aux Paiements versés en remplacement d’impôts pour le rôle foncier triennal de 2017-2018-2019;

d) CONDAMNER la défenderesse à payer à la demanderesse le trop-perçu à titre de Loyer Supplémentaire, correspondant aux Paiements versés en remplacement d’impôts, pour les exercices financiers de 2017 et 2018 pour l’Aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, sauf à parfaire, en sus des intérêts au taux légal et l’intérêt additionnel prévu à l’art. 1619 du Code civil du Québec, à compter du 20 avril 2017.

[...]

[43] Selon ADM, les articles 5.01 et 5.09 du Bail ayant trait aux « Impôts Fonciers » lui permettent de contester le montant des PERI que ADM qualifie de « Loyer Supplémentaire » à être remboursé à SPAC. À cet égard, ADM note qu’en vertu des articles 5.01.01 et 5.04 du Bail, ADM doit payer un « Loyer Supplémentaire » pour rembourser les « Impôts Fonciers ». Comme les « Impôts Fonciers » incluent les PERI, les paiements versés à SPAC pour rembourser les PERI constituent donc une compensation des Impôts Fonciers à titre de « Loyer Supplémentaire » en vertu du Bail. ADM soutient que le Bail incorpore donc la CGS à ses paragraphes 5.04.01 et 5.04.02 et que par conséquent les paiements en guise de PERI n’ont pas été écartés du Bail.

[44] Le PGC a déposé un moyen déclinatoire devant le tribunal d’arbitrage, afin que celui-ci rejette la demande de ADM faute de compétence pour entendre le litige. Le PGC soumet que la clause compromissoire prévue à la CC ne s’applique pas à la CGS, laquelle prévoit la détermination du montant des PERI et son remboursement par ADM. En somme, le PGC soutient que ADM aurait dû faire une demande en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale parce que l’article 4 de la CGS qui fait référence aux « normes et règles régissant les propriétés fédérales » et sur lequel ADM fonde son recours est exclu de la clause compromissoire, puisque la CGS n’est pas incluse dans les « Actes » énumérés de façon exhaustive dans l’article 3.02.01 de la CC.

[45] Selon le PGC, la détermination du montant à être versé en vertu de la Loi sur les PERI doit faire l’objet d’un contrôle judiciaire, puisqu’il s’agit d’une décision discrétionnaire administrative du ministre de SPAC. Le PGC allègue que ni le Bail, ni la CC, ni la CGS n’établissent un régime contractuel permettant à un tribunal arbitral de fixer le montant de « Loyer Supplémentaire » constitué de PERI. Le PGC prétend que le différend n’est pas né des ententes contractuelles, mais plutôt de la Loi sur les PERI.

E. Décision du tribunal arbitral

[46] Le tribunal arbitral, constitué de trois membres, s’est déclaré compétent uniquement pour trancher la dernière réclamation de ADM, soit le trop-payé en PERI en vertu du Bail et de la CGS.

[47] Le tribunal arbitral a conclu que la clause compromissoire liant les parties trouve application puisque ADM réclame des dommages résultant de manquements contractuels attribués à SPAC dans sa détermination du montant des PERI en vertu de la CGS, qui est incorporée au Bail, et donc le litige est sujet à la clause compromissoire de la CC.

[48] Plus spécifiquement, le tribunal arbitral a conclu que ADM paie en vertu du Bail un « Loyer Supplémentaire » en guise de PERI, en vertu des articles 4.02.01 et 5.04.01, conformément aux modalités établies dans la CGS. Par ailleurs, les modalités de la CGS sont incorporées par renvoi au Bail en raison de son intégration aux articles 5.04.01 et 5.04.02 du Bail, puisque l’obligation d’assumer les paiements de PERI prévue à l’article 5.04.01 doit être lue de concert avec la CGS qui assujettit la détermination aux « normes et règles régissant les propriétés fédérales » (article 4 de la CGS) (DD, vol. 1, onglet 2, Décision sur la compétence aux para 45-46, 49-50, 54, 58).

[49] Il est important de noter que le tribunal arbitral s’est toutefois déclaré incompétent pour trancher les trois autres questions qui avaient été soumises par les demanderesses à l’époque, soient :

FIXER la Valeur Effective totale des Terrains de l’Aéroport pour le rôle d’évaluation foncière quant à l’exercice triennal 2017-2018-2019;

FIXER le Taux Effectif total des Terrains de l’Aéroport pour le rôle d’évaluation foncière quant à l’exercice triennal 2017-2018-2019;

FIXER le Loyer Supplémentaire, correspondant aux Paiements versés en remplacement d’impôts pour le rôle foncier triennal de 2017-2018-2019;

[50] Le tribunal a précisé que ces questions ressortaient du pouvoir exclusif et discrétionnaire du ministre de SPAC et qu’une demande de contrôle judiciaire visant à annuler ou à réviser la décision du ministre devait être portée devant la Cour fédérale.

[51] Ainsi, le tribunal arbitral a accueilli en partie le moyen déclinatoire du PGC puisque le tribunal arbitral s’est déclaré compétent pour trancher une seule des quatre questions qui lui avaient été soumises. Le PGC demande à la Cour de déclarer que le tribunal arbitral n’est pas compétent à l’égard de la seule question qui demeure, soit par laquelle il se déclare « compétent pour trancher la réclamation de [ADM] pour bris d’engagement contractuel et, advenant le cas [pour] l’octroi de dommages dans le cadre du Bail Foncier, de la Convention de [cession] et de la Convention générale de services ».

[52] Puisque la Cour ne peut contraindre judiciairement un tribunal arbitral à exercer une compétence qu’il ne se reconnait pas, ADM ne peut porter appel de la décision au sujet des trois autres questions qu’elle avait posées initialement dans sa demande (« Rapport de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international sur les travaux de sa dix-huitième session » (DOC NU A/40/17) dans Annuaire de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, volume XVI, partie 1, chapitre VII, Vienne, NU, 1985 au para 163 à la p 23).

III. Questions en litige

[53] La question en litige devant la Cour est à savoir si la clause compromissoire prévue à la CC comprend la question portée par ADM au sujet du montant des PERI qu’elle a dû rembourser à Sa Majesté en vertu de la CGS, puisque la question du paiement de PERI prévu par la CGS est incorporée au Bail.

[54] Pour répondre à cette question, la Cour doit notamment déterminer les questions suivantes :

  1. Quel est le cadre juridique devant guider l’analyse du tribunal d’arbitrage saisi d’un moyen déclinatoire présentée en vertu du paragraphe 16(3) du CAC?

  2. Quelles sont les règles d’interprétation gouvernant les conventions en l’espèce et la clause compromissoire?

  3. Le tribunal a-t-il compétence sur la question résultant des PERI puisqu’elle est incluse au Bail?

  4. Est-ce que le caractère véritable de la demande de ADM requiert un contrôle judiciaire de l’exercice de la discrétion du ministre de SPAC?

IV. Analyse

A. Le cadre juridique devant guider l’analyse de la compétence du tribunal d’arbitrage dans le cadre d’une demande de moyen déclinatoire présenté en vertu du paragraphe 16(3) du CAC

[55] Contrairement à un appel ou à un contrôle judiciaire, la Cour est appelée à se prononcer de novo sur la compétence que le tribunal arbitral s’est reconnue (CAC aux articles 6 et 16(3)).

[56] Bien que la Cour procède de novo, celle-ci peut tout de même considérer et s’inspirer de la décision du tribunal arbitral, sans toutefois y accorder de déférence (Code de procédure civile [Cpc], art 632; Khalilian c Murphy, 2020 QCCS 831 au para 22; Groupe Dimension Multi Vétérinaire inc c Vaillancourt, 2020 QCCS 1134 aux para 9-10 [Groupe Dimension]; Alice & Smith Divertissement Inc c Duro, 2020 QCCS 2253 aux para 8, 37-38).

[57] Puisqu’il s’agit d’un moyen déclinatoire, la Cour n’a pas à se prononcer sur le fond du litige. La Cour doit « plutôt tenir pour avérés les faits que le demandeur allègue pour que la compétence » du tribunal lui soit reconnue (Spar Aerospace Ltée c American Mobile Corp, 2002 CSC 78 au para 31 [Spar Aerospace]; Stormbreaker Marketing and Productions Inc c Weinstock, 2013 QCCA 269 au para 30; voir aussi Cpc art 163).

[58] Par contre, lorsque les faits prima facie considérés comme avérés sont contestés dans la requête en exception déclinatoire ou dans la demande de rejet, il faut alors prouver les éléments établissant la compétence du tribunal. Les parties peuvent alors présenter une preuve au soutien de la demande. La Cour ne doit pas se lancer dans une analyse exhaustive et se prononcer sur le fond du litige, mais il doit y avoir la présentation de certains éléments de preuve suffisants pour lui permettre de conclure qu’il y a eu démonstration prima facie de la compétence du tribunal arbitral.

[59] La Cour doit donc tirer les conclusions de fait nécessaires sur la base de la preuve présentée pour établir la compétence du tribunal arbitral (Spar Aerospace aux para 31-32; Transax Technologies inc c Red Baron Corp Ltd, 2017 QCCA 626 aux para 13-16, 23; Barer c Knight Brothers LLC, 2019 CSC 13 (CanLII), [2019] 1 RCS 573 aux para 33-34; OSE Coaching immobilier inc c Pelletier, 2021 QCCQ 2784 aux para 11-13; Hornepayne First Nation v Ontario First Nations (2008) Ltd, 2021 ONSC 5534 aux para 13-28; Electek Power Services Inc v Greenfield Energy Centre Limited, 2022 ONSC 894 aux para 22, 26-29, 128, 131-134, 157-162 [Electek]; Groupe Dimension aux para 9-10).

[60] Comme l’explique la Cour d’appel de l’Ontario dans Russian Federation v Luxtona Limited, 2023 ONCA 393 aux paragraphes 34 à 40, en citant une jurisprudence internationale sur le sujet, le pouvoir du tribunal arbitral de statuer sur sa propre compétence ne pose aucune limite sur les pouvoirs de la Cour de pondérer et de tirer ses propres conclusions de faits, sur la base de la preuve, pour évaluer et statuer de novo sur cette compétence. Ces propos s’appliquent aussi en l’espèce :

[34] That is as far as the competence-competence principle goes. It does not require any special deference be paid to an arbitral tribunal’s determination of its own jurisdiction. Competence-competence is best understood as “a rule of chronological priority” rather than as “empowering the arbitrators to be the sole judge of their jurisdiction”: see Emmanuel Gaillard & John Savage, eds., Fouchard, Gaillard, Goldman on International Commercial Arbitration (The Hague: Kluwer Law International, 1999), at paras. 659-60.

[35] As the Divisional Court correctly noted, the “uniformity principle” set out in Article 2A(1) of the Model Law makes international decisions strongly persuasive in Ontario. The very nature of international arbitration makes it highly desirable that Ontario’s regime should be coherent with those of other countries, especially (but not exclusively) those that have also adopted the Model Law. The weight of international authority shows that the competence-competence principle does not limit the fact-finding power of a court assessing an arbitral tribunal’s jurisdiction.

[...]

[38] Because the court retains the final say over questions of jurisdiction, it necessarily follows that the court must be, as a Singapore court put it, “unfettered by any principle limiting its fact-finding ability”: AQZ v. ARA, [2015] SGHC 49, at para. 57.

[...]

[40] For these reasons, as the Singapore court held in AQZ, a court assessing an arbitral tribunal’s jurisdiction is not limited to the record that was before the tribunal. Put another way, an application to set aside an arbitral award for lack of jurisdiction is a proceeding de novo, not a review of or appeal from the tribunal’s decision.

[Je souligne.]

[61] En somme, je suis d’accord avec le tribunal arbitral qui a, lui aussi, accepté l’admissibilité d’une preuve visant à évaluer la compétence du tribunal arbitral tout en tenant d’abord pour avérés les faits allégués quant au fond du litige. Il y a en effet une distinction notable entre les allégations qui doivent être tenues pour avérées à ce stade (que le ministre de SPAC a commis une faute en omettant de déterminer les montants remboursables de PERI « selon les normes et règles régissant les propriétés fédérales ») et la compétence du tribunal pour statuer sur cette allégation au fond, qui relève de l’interaction entre la CC, la CGS, et le Bail. Dans sa décision, le tribunal arbitral a précisé :

[26] À cette étape, le Tribunal peut, au départ, tenir pour avérés les faits allégués dans la demande détaillée de la demanderesse. La partie qui soulève l’absence de compétence du Tribunal et qui conteste les faits allégués dans la demande peut, dans une certaine mesure, faire la preuve de faits au soutien de ses prétentions (Transax Technologies inc. c Red Baron Corp. Ltd., 2017 QCCA 626 ; Spar Aerospace Ltd. c American Mobile Satellite Corp. 2002 CSC 78).

[27] Il ne s’agit toutefois pas, à ce stade préalable, d’entreprendre une étude détaillée de la preuve soumise ni de sa portée sur le fond du litige.

[62] La Cour peut donc considérer une preuve quant à la portée des dispositions contractuelles invoquées par les parties, soit la clause compromissoire de la CC, les articles de la CGS ainsi que le Bail, à un stade préalable, sans toutefois se prononcer sur le fond du litige.

B. Quelles sont les règles d’interprétation gouvernant les conventions en l’espèce et la clause compromissoire?

[63] La question principale en l’espèce est à savoir si les trois conventions, interprétées ensemble, confèrent la compétence au tribunal arbitral d’entendre la demande de ADM portant sur son remboursement des PERI à SPAC. ADM allègue que le montant des PERI a été établi par SPAC contrairement aux obligations contractuelles de Sa Majesté tel que prévu à la CGS, et que ADM est contrainte de rembourser ce montant à titre de « Loyer Supplémentaire » en vertu du Bail.

[64] Dans l’arrêt Uniprix Inc c Gestion Gosselin et Bérubé inc, 2017 CSC 43 aux paragraphes 34 à 37), la Cour suprême du Canada [CSC] a expliqué la démarche à suivre pour interpréter un contrat :

[34] La première étape de l’exercice d’interprétation d’un contrat est de déterminer si ses termes sont clairs ou ambigus (Droit de la famille — 171197, 2017 QCCA 861, para. 62 (CanLII); Samen Investments Inc. c Monit Management Ltd., 2014 QCCA 826, par. 46 (CanLII)). Cette étape, que certains auteurs identifient comme la règle de l’acte clair (Gendron, p. 27), vise à empêcher le ou la juge de déroger, volontairement ou inopinément, à la volonté manifeste des parties. Bref, le contrat clair s’impose au juge. Ainsi, cette étape « “joue le rôle de rempart” contre le risque d’une interprétation qui écarterait la volonté réelle des parties et bouleverserait l’économie de leur convention » (Baudouin et Jobin, no 413 (référence omise); voir aussi Lluelles et Moore, no 1570).

[35] Si cette étape se fonde d’abord et avant tout sur l’étude des termes eux-mêmes, elle ne s’y limite pas nécessairement dans tous les cas puisque le texte d’un contrat peut parfois ne pas être fidèle à l’intention commune des parties (Lluelles et Moore, no 1574; Droit de la famille — 171197, par. 62). En effet, « [r]eplacés dans le contexte des autres stipulations de la convention ou celui des circonstances de sa conclusion, les termes apparemment limpides d’une stipulation peuvent [parfois] se révéler ambigus et contredire l’économie du contrat, la véritable intention des parties » (Baudouin et Jobin, no 413; voir aussi Lluelles et Moore, nos 1572-1574; Tancelin, no 316; Gendron, p. 27, 31 et 34; Éolectric inc. c Kruger, groupe Énergie, 2015 QCCA 365, par. 18-19 (CanLII); Rouge Resto-bar inc. c Zoom Média inc., 2013 QCCA 443, par. 78-79 (CanLII)). De même, une stipulation qui pourrait être perçue comme ambiguë peut être parfaitement claire lorsque considérée dans son contexte.

[36] Si les termes du contrat sont clairs, le rôle du tribunal se limite à les appliquer à la situation factuelle qui lui est soumise. À l’inverse, si le tribunal décèle une ambiguïté, il doit la résoudre en procédant à la seconde étape de l’interprétation du contrat (Baudouin et Jobin, no 413; Lluelles et Moore, nos 1584-1586; Samen Investments, par. 46-47). La distinction entre ces deux étapes est parfois difficile à cerner, mais elle demeure fondamentale. À la première étape, le juge peut par exemple considérer le contexte entourant la conclusion et l’exécution du contrat afin de confirmer la clarté de ses termes (voir p. ex. Habitations Gilles Stébenne inc. c 9166-9929 Québec inc., 2016 QCCS 2953, par. 34 et 41-47 (CanLII)). En principe, il ne doit toutefois pas recourir aux principes d’interprétation énoncés aux art. 1425 à 1432 du Code (Baudouin et Jobin, no 413; Lluelles et Moore, no 1571). En ce sens, l’interprétation du contrat est plus superficielle à la première étape qu’à la seconde (Lluelles et Moore, no 1572).

[37] Le principe cardinal qui guide la seconde étape de l’exercice d’interprétation consiste à « rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés » (art. 1425 CcQ). Dans cet exercice, il faut tenir compte des éléments intrinsèques du contrat, tels que les termes de la disposition en cause et les autres clauses du contrat, afin de donner un effet utile à chacune d’entre elles et de les interpréter les unes par les autres (art. 1427 et 1428 CcQ; Baudouin et Jobin, no 417; Lluelles et Moore, nos 1593-1594). L’interprétation du contrat doit également s’appuyer sur sa nature, de même que sur son contexte extrinsèque, qui inclut notamment les circonstances factuelles entourant sa conclusion, l’interprétation que les parties lui ont donnée et les usages (art. 1426 CcQ; Baudouin et Jobin, no 418; Lluelles et Moore, nos 1600, 1603 et 1607).

[Je souligne.]

[65] Ainsi, en d’autres termes, si le contrat est clair, on ne doit pas se poser plus de questions. On ne doit pas tenter de rechercher une interprétation différente dans la preuve extrinsèque. La preuve n’est donc nécessaire que lorsqu’il y a ambiguïté.

[66] Si les termes du contrat ne sont pas clairs, les règles d’interprétation des articles 1425 à 1432 du Code civil du Québec [CcQ] s’appliquent. Il s’agit de la seconde étape où l’on doit alors rechercher l’intention commune des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés (art 1425 CcQ), tout en tenant compte de la nature du contrat. Par ailleurs, les articles du contrat doivent être interprétés ensemble en donnant à chacun le sens qui résulte de l’ensemble du contrat (art 1427 CcQ; Jean-Louis Baudoin, Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2013 [Les obligations] aux para 416-417 aux pp 497-498; Didier Lluelles et Benoit Moore, Droit des obligations, 3e éd, Montréal (QC), Les Éditions Thémis inc., 2018 [Droit des obligations] aux para 1593-1598 aux pp 891-895).

[67] La Cour doit tenir compte des éléments intrinsèques, mais doit aussi analyser la preuve extrinsèque des circonstances entourant la conclusion des conventions et de l’interprétation que les parties leurs ont donnée par leur conduite (art 1426 CcQ; Uniprix Inc c Gestion Gosselin et Bérubé inc, 2017 CSC 43 aux para 34-37, 52 [Uniprix]; voir aussi Sattva Capital Corp c Creston Moly Corp, 2014 CSC 53 au para 57).

[68] Lorsqu’il y a ambiguïté, l’article 1426 du CcQ permet d’avoir recours à des éléments extérieurs au contrat lui-même, notamment une preuve testimoniale des circonstances dans lesquelles il a été conclu, et l’interprétation faite par les parties telle que déduite de leur conduite après la conclusion du contrat. Procéder de cette façon permet de déterminer l’intention commune des parties (Les obligations au para 196 à la p 500; Droit des obligations aux para 1599-1606 aux pp 895-901).

[69] La preuve extrinsèque peut aussi être admise malgré une clause d’intégralité (Invenergy Wind Canada c Eolectric inc, 2019 QCCA 1073 au para 10 [Invenergy]). En l’espèce, et comme le tribunal arbitral l’a retenu au paragraphe 31, la Cour peut prendre en compte les éléments de preuve soumis dans la mesure où l’interprétation des conventions serait ambiguë, malgré la clause d’intégralité présente au Bail.

[70] Pour ce qui est de l’interprétation d’une clause compromissoire, dans l’arrêt Desputaux c Éditions Chouette (1987) inc, 2003 CSC 17 au paragraphe 35 [Desputaux], la CSC explique qu’une telle clause octroyant compétence à un tribunal arbitral doit faire l’objet d’une interprétation libérale reflétant l’intention des parties :

[35] Malgré les incertitudes déplorables qu’a laissées la procédure suivie pour définir la mission arbitrale, celle-ci comprenait nécessairement le problème dit des « coauteures » dans le contexte de cette affaire. Pour comprendre la portée du mandat de l’arbitre, il ne suffit pas de se livrer à une analyse purement textuelle des communications entre les parties. Il ne faut pas interpréter le mandat de l’arbitre de façon restrictive en le limitant à ce qui est expressément énoncé à la convention d’arbitrage. Le mandat s’étend aussi à tout ce qui entretient des rapports étroits avec cette dernière, ou, en d’autres mots, aux questions qui entretiennent un « lien de connexité de la question tranchée par les arbitres avec le litige qui leur est soumis » (S. Thuilleaux, L’arbitrage commercial au Québec : droit interne — droit international privé (1991), p. 115). Depuis les réformes de l’arbitrage de 1986, l’étendue des conventions d’arbitrage fait l’objet d’une interprétation libérale (N. N. Antaki, Le règlement amiable des litiges (1998), p. 103; Guns N’Roses Missouri Storm Inc. c Productions Musicales Donald K. Donald Inc., [1994] RJQ 1183 (CA), p. 1185-1186, le juge Rothman). Une interprétation libérale de la convention d’arbitrage, fondée sur la recherche de ses objectifs, permet de conclure que la question des coauteures était intrinsèquement liée à la détermination des autres questions soulevées par la convention d’arbitrage. Par exemple, afin de déterminer les droits de Chouette de fabriquer et de vendre des produits dérivés de Caillou, il est nécessaire de vérifier si les titulaires des droits d’auteur de Caillou lui ont cédé leurs droits patrimoniaux. La réponse à cette question exige alors l’identification des auteures autorisées à céder leurs droits patrimoniaux sur l’œuvre.

(voir aussi GreCon Dimter inc c JR Normand inc, 2005 CSC 46 au para 22 [GreCon]; Elliott c Forecam Golf Ltd, 2011 QCCA 1029 au para 7)

[71] L’importance des clauses compromissoires ne doit pas être sous-estimée, d’autant plus que l’arbitrage a été érigé au rang de forme privilégiée de mode de règlement des différends et a préséance sur les tribunaux lorsque les parties en conviennent ainsi (Specter Aviation c Laprade, 2021 QCCA 1811 au para 21; GreCon au para 22; arts 1, 622 Cpc).

[72] Dans la mesure où deux interprétations de la clause compromissoire sont possibles, et l’une accorde compétence au tribunal arbitral, cette seconde interprétation doit être favorisée (Electek aux para 159, 161 citant Hopkins v Ventura Custom Homes Ltd, 2013 MBCA 67 aux para 58-64; Ontario v Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 ONCA 525 at para 60; Wright v Nova Scotia Public Service Long Term Disability Plan Trust Fund, 2006 NSCA 101 at para 77). Comme l’explique le juge Frédéric Bachand, alors à la Cour supérieure du Québec, dans la décision Groupe Dimension :

[32] Compte tenu de l’interprétation « large et libérale » qu’il faut donner aux clauses d’arbitrage ainsi que de la politique législative favorisant le développement de l’arbitrage conventionnel, la présomption qui devrait guider l’analyse de l’étendue de la compétence d’un tribunal arbitral en est plutôt une selon laquelle les parties, dans un souci d’efficacité, ont souhaité conférer au tribunal arbitral le pouvoir de connaître de tous les litiges découlant directement ou indirectement de leur relation contractuelle, et ce, afin d’éviter la multiplicité des instances et les risques de décisions contradictoires. [...]

[33] En somme, il y a lieu de considérer que la compétence d’un tribunal arbitral conventionnel s’étend à tous les litiges se rapportant directement ou indirectement au contrat dans lequel la clause d’arbitrage est insérée, à moins qu’il ne se dégage du libellé de cette clause, ou encore d’éléments contextuels pertinents, une réelle intention des parties d’en limiter la portée.

[Je souligne.]

C. Le tribunal a-t-il compétence sur la question résultant des PERI puisqu’elle est incluse au Bail?

[73] En appliquant ces principes, il s’agit de déterminer si, à la lumière des conventions signées par les parties et de leur intention, la clause compromissoire de la CC s’applique aux montants des PERI remboursés par ADM à Sa Majesté dans le cadre de la CGS et, selon ADM, du Bail.

[74] Tout comme le tribunal arbitral avant moi, je constate une ambiguïté dans la portée des conventions. Si d’une part, l’interprétation de ADM est plausible, il est tout aussi clair que les parties étaient en mesure d’inclure spécifiquement la CGS dans les « Actes » sur lesquels la clause compromissoire de la CC s’applique. L’omission d’inclure la CGS tant dans la définition du terme « Acte » à l’article 1.01.01 de la CC, que les articles 1.04 et 1.10 du Bail, porte suffisamment à confusion quant à l’interprétation soumise par ADM. Les termes des conventions n’étant pas suffisamment clairs quant à l’intention commune des parties, la Cour doit donc procéder à la seconde étape et « rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés » (Uniprix au para 37).

[75] Selon moi, un examen des éléments intrinsèques des conventions, interprétés ensemble, ainsi que le contexte extrinsèque, incluant la preuve factuelle entourant leurs conclusions, m’amènent à conclure, tout comme le tribunal arbitral avant moi, que la CGS est intégrée au Bail par l’entremise des articles 5.04.01 et 5.04.02 et par l’intermédiaire de la définition du terme « Impôts Fonciers » à l’article 5.01 du Bail.

(1) Éléments intrinsèques aux conventions

a) Prétentions du PGC

[76] Au niveau des éléments intrinsèques aux conventions, le PGC soutient que le Bail lui-même aux articles 1.04 et 1.10 incorpore des clauses externes au Bail, mais aucun article émanant de la CGS n’est inclus, ce qui est en soi une indication explicite que les parties ont voulu exclure la CGS du Bail. Ces articles du Bail incorporent différentes dispositions et documents, notamment de la CC, mais aucune de la CGS. Le Bail comprend aussi une clause d’intégralité prévue à l’article 1.05.01 du Bail.

[77] Quant à la CC, la clause compromissoire s’applique aux « Actes » inclus dans la CC. Or, la définition du terme « Acte » à l’article 1.01.01 fait référence à une liste de 14 documents (à l’article 3.02.01). Toutefois, la CGS est spécifiquement omise de cette liste. Par conséquent, puisque la CC n’incorpore pas la CGS, elle doit par définition l’exclure.

[78] Quant à l’article 5.04 du Bail et la question à savoir si cet article incorpore et intègre la CGS, selon le PGC, une telle clause de renvoi intégrant un instrument externe doit être expresse et sans équivoque afin que le contenu de cet instrument fasse partie intégrante du contrat principal (citant Dell Computer Corp c Union des consommateurs, 2007 CSC 34 au para 93 [Dell Computer]; Les obligations au para 196 à la p 309; Frédéric Levesque, Précis de droit québécois des obligations – Contrat, responsabilité, exécution et extinction, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2014 [Précis de droit québécois]; Didier Lluelles, Le mécanisme du renvoi contractuel à un document externe : droit commun et régimes spéciaux (2002) 104 R. du N. 11 [Le mécanisme de renvoi] à la p 21). De plus, la clause compromissoire ne peut être présumée s’appliquer à toutes les questions en litige entre les parties (Cut & Run Holdings v Booze Bros Holdings et al, 2005 BCSC 167 au para 24).

[79] Selon le PGC, l’article 5.04 du Bail n’est pas suffisamment précis ni exprès pour incorporer la CGS. Pour incorporer une clause externe comme la CGS au Bail, il ne suffit pas que celui-ci y réfère comme c’est le cas à l’article 5.04. L’article 5.04 ne rencontre donc pas l’exigence de l’arrêt Dell Computer précisant que la clause de renvoi doit être expresse, sans équivoque et fasse partie intégrante du contrat principal comme si la CGS y était inscrite.

[80] De plus, non seulement l’article 5.04 du Bail n’intègre pas la CGS, mais il est conditionnel et donne préséance à la CGS par l’expression « sous réserve de toute entente intervenue entre Sa Majesté [...] et le locataire ». La prétention de ADM que le remboursement des PERI est un « Loyer Supplémentaire » vide aussi l’article 5.2 de la CGS de son contenu alors que la CGS a préséance sur l’article 5.04.01 du Bail.

[81] Pour ce qui est de l’article 5.04.02 du Bail, selon le PGC, son effet est limité à l’incorporation des obligations de ADM contenues dans la CGS puisque cet engagement ne vise que ADM. Par conséquent, cet article ne peut servir d’assise pour incorporer au Bail une obligation contractuelle énoncée à l’article 4 de la CGS.

[82] Le PGC soutient que le « Loyer Supplémentaire » de l’article 5.04 du Bail n’entre en jeu qu’en cas de défaut de ADM de remettre le montant des PERI à SPAC en vertu de la CGS ou de se conformer à ses autres obligations. Dans la mesure où ADM ne rembourserait pas les PERI, le locateur pourrait faire une demande expresse et exiger le montant à titre de « Loyer Supplémentaire », faute de quoi le locateur pourrait avoir recours à la clause de défaut du Bail prévue à l’article 20. Cette notion de « Loyer Supplémentaire » est donc prévue pour que Sa Majesté puisse récupérer les montants versés pour pallier au défaut de ADM d’assumer une dépense reliée aux lieux loués. La référence à la CGS dans l’article 5.04.01 est donc dans un esprit de protection des droits de la Couronne en cas de défaut de ADM d’acquitter le remboursement des PERI.

[83] Par conséquent, selon le PGC, l’absence de la CGS dans trois dispositions explicites des différentes conventions dénote une intention claire et sans équivoque d’exclure la CGS de leur contenu. Le principe général de l’interprétation large et libérale des clauses compromissoires doit donc céder le pas à l’intention des parties d’exclure la CGS et les questions de PERI de la compétence tu tribunal (DD, vol. 2, Mémoire des faits et du droit aux para 162-163 citant Groupe Dimension aux para 31-33).

b) Prétentions de ADM

[84] Toujours au niveau des éléments intrinsèques des conventions, ADM allègue que les montants remboursés à Sa Majesté en lien avec les PERI sont des « Impôts Fonciers » aux termes du Bail et que ADM doit les rembourser à titre de « Loyer Supplémentaire » en vertu du Bail. Si ADM a raison, la CGS est incorporée au Bail, donnant effet à la clause compromissoire de la CC qui s’applique à « Tout différend ou désaccord [...] qui naît de la présente Convention ou de l’un ou l’autre des Actes [...] ». Or, le Bail constitue l’un de ces « Actes » et par conséquent, le tribunal arbitral a compétence. Une interprétation large et libérale de la clause compromissoire donne donc compétence au tribunal arbitral.

[85] ADM soutient en réponse aux arguments du PGC que le Bail est un « Acte » aux termes des articles 1.01.01 et 10.01.01 de la CC. La clause compromissoire s’applique donc au Bail et ce Bail intègre spécifiquement la CGS à son sous-paragraphe 5.04.02. Le tribunal arbitral est donc saisi d’une question qui naît précisément du Bail, c’est-à-dire un montant excessif payé à titre de « Loyer Supplémentaire » en vertu du Bail, que ADM est contractuellement obligée de payer.

[86] De plus, ADM précise que l’article 5 du Bail prévoit les obligations des parties en lien avec les taxes et impôts. ADM cite l’article 5.01.01 qui définit les « Impôts Fonciers » comme incluant « l’ensemble des taxes, contributions, droits et cotisations [...] et autres redevances, taxes et impôts [...] de quelque nature qu’ils soient [...] qui sont prélevés, imposés, évalués, cotisés ou perçus [...] qu’elle soit de juridiction fédéral [sic], provincial [sic], municipal [sic], scolaire ou autre, ainsi que toutes taxes ou tous autres montants Perçus au lieu des Impôts Fonciers » [je souligne]. Selon ADM, les PERI sont inclus dans la définition du terme « Impôts Fonciers » par les termes « tous autres montants Perçus au lieu des Impôts Fonciers » de l’article 5.01.01.

[87] Par la suite, l’article 5.04.01 du Bail prévoit expressément que ADM doit « avancer au locateur, à titre de Loyer Supplémentaire, toute somme requise [...] afin de permettre au locateur de verser des subventions en compensation des Impôts Fonciers » [je souligne]. Selon ADM, le paiement requis en vertu de l’article 5.04.01 devant être fait d’avance, constitue un « Loyer Supplémentaire », et vise le paiement des PERI.

[88] ADM précise que si l’intention des parties était que le paiement du « Loyer Supplémentaire » en guise de PERI s’effectue exclusivement en vertu de la CGS et non en vertu du Bail, elles n’auraient pas prévu le sous-paragraphe 5.04.01 lequel consacre l’obligation de ADM de payer de tels montants et confirme qu’il s’agit bien de « Loyer Supplémentaire ». La prétention du PGC vide donc l’article 5.04.01 de son sens et devient redondant.

[89] Selon ADM, cette conclusion est renforcée par l’article 4.02.01 du Bail, lequel définit le terme « Loyer Supplémentaire » comme étant « Toutes sommes d’argent ou de tous frais devant être versés au Locateur par le Locataire aux termes du présent Bail [...] qu’ils soient ou non désignés comme ‘Loyer Supplémentaire’ » [je souligne]. Par conséquent, la somme que doit rembourser ADM doit d’autant plus être considérée comme étant un « Loyer Supplémentaire » en vertu du Bail.

[90] ADM soutient aussi que l’emploi au paragraphe 5.04.01 de la mention « sous réserve de toute entente intervenue... » vise à confirmer que les paiements en guise de PERI sont couverts par le Bail, bien que certaines modalités d’exécution puissent être prévues dans la CGS. ADM rappelle d’ailleurs que la CGS et le Bail sont si intimement liés que la survie des obligations de la CGS est tributaire du fait que le Bail foncier demeure en vigueur (selon l’article 2 de la CGS).

[91] ADM précise que contrairement à ce que plaide le PGC, l’application du paragraphe 5.04 du Bail ne vise pas à garantir le recouvrement des PERI « qu’en cas de défaut d’ADM » de les verser. Il serait surprenant selon ADM qu’un tel terme défini au Bail puisse avoir une signification variable dépendamment de la partie qui l’invoque. Selon ADM, l’effet de l’argument du PGC est que les paiements faits en guise de PERI peuvent constituer du « Loyer Supplémentaire » seulement quand ADM est en défaut de payer et que le montant est réclamé par Sa Majesté aux termes du Bail, mais que ces mêmes paiements ne seraient pas du « Loyer Supplémentaire » pour les fins de l’arbitrage quand ADM se plaint d’en payer trop. De plus, si le paiement par ADM suite à une demande de la Couronne constitue du « Loyer Supplémentaire » comme le plaide le PGC, la question pourrait être soumise au tribunal arbitral par la Couronne. ADM serait alors en mesure, à titre de moyen de défense, de plaider que le montant exigé par la Couronne est contraire à ses obligations contractuelles. C’est le même argument qu’elle fait en l’espèce.

(2) Contexte extrinsèque aux conventions

a) Prétentions du PGC

[92] Pour ce qui est du contexte extrinsèque, le PGC note que compte tenu de la discrétion du ministre de SPAC à l’égard de la détermination du montant des PERI en vertu de la Loi, le contexte global des conventions doit mener à un résultat qui favorise la cohérence entre les dispositions contractuelles et les obligations de droit public imposées par la Loi sur les PERI. Le recours doit donc être un contrôle judiciaire et non un arbitrage conventionnel.

[93] Le PGC se base sur l’affidavit et le témoignage de Baffour Apraku, gestionnaire du Bail, pour affirmer que Sa Majesté (représenté par TC pour la gestion du Bail avec ADM) considère la CGS comme la seule entente qui régit les questions de PERI pour l’Aéroport. Selon ce témoignage, TC n’est pas impliqué dans les versements de PERI aux autorités ni dans le recouvrement de ces montants par SPAC, et TC ne considère pas les PERI comme du « Loyer Supplémentaire ». Selon M. Apraku, TC n’a jamais transmis de demande de paiement de « Loyer Supplémentaire » à ADM sous le paragraphe 5.04.01 et ADM n’a versé aucun « Loyer Supplémentaire » à TC pour rembourser les PERI.

[94] De plus, selon les rapports annuels et les états annuels du locataire, ADM ne traite pas les remises de PERI et n’a jamais versé un montant en « Loyer Supplémentaire » pour rembourser les PERI à la Couronne (DD, vol. 1, onglet 3, AB-3, pièce D-50.1 États annuels du locataire à la p 1452; DD, vol. 1, onglet 3, AB-2 Déclarations sous serment des témoins du PGC, onglet B, Déclaration assermentée de Jacques Demers (TPSGC) aux para 32, 82-84 aux pp 281, 288; DD, vol. 1, onglet 3, AB-2 Déclarations sous serment des témoins du PGC, onglet C, Déclaration assermentée de Baffour Apraku (TC) aux para 28, 37-51 aux pp 308, 309-312). Il s’agit donc d’aveux extrajudiciaires, qui ne peuvent être contredits par la preuve testimoniale présentée par ADM étant donné que ces documents sont des actes sous seing privé signés par ADM.

b) Prétentions de ADM

[95] En réponse à l’argument du PGC selon lequel ADM n’indique pas avoir versé un montant à titre de « Loyer Supplémentaire » pour 2016 et 2017 dans ses états annuels, ADM précise qu’un tel argument sur la conduite des parties relève du mérite. Elle précise également que l’objectif de ces états annuels est simplement de fournir à Sa Majesté les montants des revenus de l’Aéroport, lesquels sont nécessaires au calcul du Loyer de l’Aéroport. Comme le remboursement des PERI était effectué en réponse à une facture de SPAC, il n’était pas nécessaire d’inclure ces montants aux états annuels. Aussi, puisque ADM n’a pas besoin d’attester la véracité de l’information nécessaire au calcul du « Loyer Supplémentaire », aucune information à ce sujet n’est incluse dans les états annuels (Dossier de la partie défenderesse, vol. 1, onglet 3C, onglet 06 Déclaration assermentée de Ginette Maillé aux para 18-21 aux pp 198-199).

[96] ADM se base ensuite sur la correspondance entre les parties avant la conclusion des conventions, c’est-à-dire sur les circonstances dans lesquelles les conventions ont été conclues, preuve admissible en vertu de l’article 1426 du CcQ. Selon ADM, ces correspondances démontrent que les parties se sont entendues sur des modalités quant au remboursement des PERI, mais que ces modalités ont aussi été incluses comme obligations dans le Bail.

(3) Application des principes pour déterminer si la question des PERI est sujette à la clause compromissoire de la CC puisqu’elle est incluse au Bail

[97] Selon les enseignements de la CSC dans l’arrêt Uniprix, et puisque la Cour constate une ambiguïté dans le chevauchement des conventions, il est nécessaire de procéder à l’interprétation de l’intention commune des parties, en fonction des termes qu’elles ont utilisés, des éléments intrinsèques, mais aussi du contexte extrinsèque.

[98] Tel qu’expliqué plus haut, la véritable question est à savoir si la CGS est incorporée au Bail malgré son exclusion des clauses d’incorporation situées aux articles 1.04 et 1.10. Si la CGS est intégrée au Bail, alors la clause compromissoire s’y applique, puisque le Bail est un « Acte » tel que défini à la CC. La CC ne s’applique pas autrement à la CGS puisque celle-ci n’est pas un « Acte » aux termes de la CC.

[99] D’abord, il est important de noter que ADM et Sa Majesté sont les parties aux différentes conventions, bien que Sa Majesté soit représenté par TC dans la CC et le Bail, alors qu’il est représenté par SPAC dans la CGS. À l’audience, le PGC a admis ne pas faire de distinction à cet égard et ne pas plaider une séparation des différentes entités de la Couronne.

[100] Selon moi, et comme l’a aussi conclu le tribunal arbitral, les modalités importantes de la CGS discutées plus bas sont intégrées au Bail, et c’est la raison pourquoi il n’était pas nécessaire de les inclure par renvoi dans la définition du terme « Acte » à la CC, ni aux deux articles d’incorporation prévus aux dispositions 1.04 et 1.10 du Bail. Je m’explique.

a) Éléments intrinsèques aux conventions

[101] Premièrement, l’article 5.01.01 du Bail définit le terme « Impôts Fonciers » de façon très large. La référence à « l’ensemble des taxes [...] taxes et impôts [...] de quelque nature qu’ils soient [...] ou tous autres montants Perçus au lieu des Impôts Fonciers [...] » [je souligne] doit nécessairement comprendre les PERI.

[102] À l’audience, le PGC a présenté deux arguments pour réfuter cette thèse. D’abord, l’article 5.01.01 utilise le terme « Perçu » au sujet des « Impôt Fonciers ». Or, les PERI sont évalués selon les « normes et règles régissant les propriétés fédérales ». De plus, SPAC ne « perçoit » rien de ADM, mais reçoit un remboursement – les PERI sont perçus par les Villes. L’article 5.01.01 ne peut donc pas s’appliquer aux PERI remboursés par ADM. Deuxièmement, l’article 5.01.01 stipule que les « montant Perçus au lieu des Impôts Fonciers » ne peuvent viser les PERI, puisque les PERI sont des « en lieu » de taxes.

[103] Je ne peux souscrire à ces arguments. D’abord, l’article 5.01.01 inclus tous les montants perçus tant par « une administration fédéral [sic], provincial [sic], municipal [sic], scolaire, ou autre ». Ainsi, bien qu’ils ne sont peut-être pas ultimement « perçus » par SPAC tel que le suggère le PGC, les montant des PERI demeurent un montant « de quelque nature qu’i[l] soi[t] » et éventuellement « perçu » par une « administration municipale » au sens de l’article 5.01.01. Pour ce qui est du terme « au lieu des Impôt Fonciers » plutôt que « en lieu », il ne peut s’agir que d’une erreur. Les parties n’ont proposé aucune interprétation possible de ce qu’un « au lieu » de taxe puisse vouloir dire, et l’article 5.01.01 comprend déjà trois erreurs grammaticales dans l’accord des administrations fiscales « fédéral [sic], provincial [sic], municipal [sic] ». Puisqu’un « au lieu » de taxe est un concept inconnu, alors que le terme « en lieu » de taxe réfère aux PERI, il y a lieu de croire que l’intention des parties en utilisant ces mots était de faire référence aux « en lieu » de taxes et d’inclure les PERI dans la définition du terme « Impôts Fonciers » au sens du Bail.

[104] Ensuite, l’article 5.04.01 du Bail stipule que :

5.04.01 Sous réserve de toute entente intervenue entre Sa Majesté, représenté par le ministre des Travaux publics, et le Locataire relativement aux questions faisant l'objet des alinéas a) et b) ci-dessous, le Locataire doit sur demande, sans délai avancer au Locateur, à titre de Loyer Supplémentaire, toute somme requise par le Locateur afin

a) de permettre au Locateur de verser des subventions en compensation des Impôts Fonciers pour toute partie des Lieux Loués conformément à la Loi sur les subventions aux municipalités, L.R.C. (1985), ch. M-13 ou toute loi semblable ou qui la remplace; et

b) de couvrir tous frais généraux et d'administration raisonnables du Locateur.

[Je souligne.]

[105] D’abord, tel que discuté plus haut, les parties au Bail sont ADM et Sa Majesté (représenté par TC), alors que les parties à la CGS sont Sa Majesté (représenté par SPAC) et ADM. Dans les deux cas, c’est Sa Majesté qui est la partie co-contractante. Sa Majesté est donc le « Locateur » au Bail, et aussi celui qui détermine le montant des PERI payable aux Villes par l’entremise de SPAC dans le cadre de la CGS.

[106] Les parties sont aussi d’accord que la CGS est l’« entente intervenue entre Sa Majesté, représenté par le ministre de [SPAC], et le Locataire » mentionnée à l’article 5.04.01.

[107] Les articles 4 et 5.2 de la GGS stipulent que SPAC (qui représente Sa Majesté selon l’article 5.04 du Bail) va déterminer le montant des PERI et que ADM doit les payer d’avance à Sa Majesté (représenté par SPAC). En outre, l’article 5.04.01 du Bail prévoit que ADM doit verser d’avance une somme afin de permettre au Locateur (Sa Majesté, mais représenté par TC) de verser les PERI; et que ce paiement sera considéré comme étant un « Loyer Supplémentaire » en vertu du Bail.

[108] L’article 5.04.02 du Bail prescrit ensuite que « [l]e locataire s’engage à observer intégralement toutes les conditions de toute entente mentionnée au sous-paragraphe 5.04.01 », soit la CGS.

[109] Par conséquent, tant la CGS que le Bail reprennent l’obligation de ADM de payer un montant d’avance à Sa Majesté afin de rembourser les sommes d’argent nécessaires aux versements des PERI. Dans le Bail, ce montant est à titre de « Loyer Supplémentaire ». Il n’en pourrait d’ailleurs pas être autrement puisqu’à l’article 4.02.01 du Bail, le terme « Loyer Supplémentaire » est défini comme étant « Toute somme d’argent ou tout frais devant être versés au Locateur par le Locataire aux termes du présent Bail [...] qu’ils soient ou non désignés comme ‘Loyer Supplémentaire’ » [je souligne].

[110] Tant l’article 5.04.01 que 5.04.02 reprennent et intègrent les modalités importantes de la CGS au Bail. Même si l’article 5.04.01 mentionne que l’obligation de paiement de ADM est « sous réserve » de la CGS, toutes les conditions importantes imposées par la CGS à ADM sont intégrées au Bail par l’entremise de l’article 5.04.02.

[111] Les conditions de la CGS imposables à ADM sont incluses au Bail malgré que la CGS ne soit pas spécifiquement incluse aux articles 1.04 et 1.10 du Bail, et en dépit de la clause d’intégralité prévue à l’article 1.05.01 du Bail. Les conditions de la CGS sont donc sujettes à la clause compromissoire de la CC puisque cette clause s’applique à toute dispute relevant du Bail, et ce même si la CGS n’est pas incluse à titre d’« Acte » aux termes de l’article 1.01.01 de la CC. Ainsi, une dispute sur une obligation de ADM prévue à la CGS relève de l’article 5.04.01 ou, à tout le moins, de l’article 5.04.02 du Bail, et est sujette à la compétence du tribunal d’arbitrage.

[112] Pour ce qui est des termes « sous réserve de toute entente intervenue entre Sa Majesté [...] et le Locataire », il y a tout lieu de croire que l’intention des parties était de prévoir certaines modalités pertinentes au paiement des PERI qui seraient exclues du Bail, notamment les modalités administratives et de participation de ADM dans la détermination du montant des PERI par le ministre de SPAC.

[113] Ensuite, l’argument du PGC selon lequel l’interprétation proposée par ADM que le remboursement des PERI est un « Loyer Supplémentaire », vide l’article 5.2 de la CGS de son contenu et va à l’encontre de l’article 1428 du CcQ (alors que la CGS a préséance sur l’article 5.04.01 du Bail), est sans fondement. L’article 5.2 de la CGS prévoit que ADM doit remettre « à l’avance » et « dans les délais requis et sur présentation des pièces justificatives appropriées, les sommes d’argent nécessaires aux versements des subventions ». Or, les termes de l’article 5.2 de la CGS, loin d’être caducs en raison de l’interprétation proposée par ADM, sont aussi incorporés intégralement au Bail par l’article 5.04.01 lequel exige « sur demande, sans délai avancer [...] toute somme requise [...] afin [...] de verser des subventions ». Si l’article 5.2 de la CGS, adopté par les parties avant la conclusion du Bail, est caduc, c’est qu’il fait maintenant partie intégrale de l’article 5.04.01. De fait, l’article 5.2 de la CGS est un exemple patent de l’incorporation explicite de la CGS dans le Bail.

[114] De plus, les parties sont d’accord que ni l’article 5.2 de la CGS, ni l’obligation prévue au Bail de « payer d’avance » le montant nécessaire pour verser les PERI, ne sont appliqués. Tout comme d’autres dispositions de la CGS (comme le remboursement des honoraires et les débours pour les services d’évaluation prévus à la clause 5.3) qui sont aussi caduques malgré qu’aucun amendement ne fut apporté à la CGS (DD, vol. 1, onglet 3, AB-2 Déclarations sous serment des témoins du PGC, Onglet B Déclaration assermentée de Jacques Demers (TPSGC) aux para 25-27 à la p 280).

[115] Enfin, l’interprétation du PGC que l’article 5.04.01 est un « mécanisme de recouvrement au profit de la Couronne » qui ne s’applique que si ADM ne rembourse pas les PERI en vertu de la CGS, et vise une situation qui pourrait mener au recours à la clause de défaut du Bail prévue à l’article 20, n’est pas compatible avec les termes de l’article 5.04.01. Cet article requiert à ADM d’« avancer au Locateur, à titre de Loyer Supplémentaire » le montant de PERI nécessaire. Si le Bail requiert le paiement d’« avance », alors la circonstance prévue au Bail est « avant » que les PERI ne soient payés, et est compatible avec l’article 5.2 de la CGS, qui est donc incorporé tel que mentionné plus haut.

[116] Par contre, selon les termes du Bail, si ADM ne paie pas d’avance, alors il y a une violation de l’article 5.04.01 qui peut permettre le recours à la clause de défaut du Bail prévue à l’article 20, mais aussi de l’article 5.04.02 qui requiert à ADM de respecter la CGS, dont l’article 5.2 qui requiert le paiement d’avance. Le recours à la clause de défaut du Bail prévue à l’article 20 est donc possible si le paiement n’est pas fait d’« avance » à SPAC en vertu de l’article 5.2 de la CGS, ou des articles 5.04.01 et 5.04.02 du Bail. Un manquement à la CGS peut donc entrainer le recours à la clause de défaut sans l’entremise du « mécanisme de recouvrement » plaidé par le PGC.

[117] Contrairement à l’argument du PGC, il n’y a nul besoin d’avoir recours à l’article 5.04.01 et de demander un « Loyer Supplémentaire » en vertu du Bail pour pouvoir enclencher les modalités de défaut prévues au Bail. L’argument du PGC à l’effet que l’article 5.04.01 n’existe que pour s’assurer du remboursement des PERI par ADM, après une présumée faute de ADM de ne pas avoir « avancé » les sommes d’argent nécessaires en vertu de l’article 5.2 de la CGS, est donc non conforme aux termes mêmes des articles 5.04.01 et 5.04.02 du Bail.

[118] Cette interprétation est aussi appuyée par l’article 4.02.01 du Bail, lequel définit le terme « Loyer Supplémentaire » comme étant « Toute somme d’argent [...] qu’ils soient ou non désignés comme ‘Loyer Supplémentaire’ ». Ainsi, peu importe si le remboursement est exigé par TC dans les circonstances suggérées par le PGC, ou que ce soit en vertu de l’article 5.04.02 parce que ADM doit respecter les conditions de la CGS et faire un paiement, la somme que doit rembourser ADM est néanmoins un « Loyer Supplémentaire » au sens du Bail.

[119] Surtout, je suis d’accord avec ADM que l’interprétation du PGC suggérant que l’article 5.04.01 ne s’applique qu’en cas d’omission ou de refus de ADM de payer les PERI est non seulement contraire aux termes de l’article requérant un paiement d’« avance », mais est aussi asymétrique. Le PGC suggère que les paiements faits en guise de PERI peuvent constituer du « Loyer Supplémentaire » seulement quand ADM est en défaut de payer et que le montant est réclamé par le Locateur (qui est Sa Majesté) aux termes du Bail. Cependant, ces mêmes paiements ne seraient pas du « Loyer Supplémentaire » s’ils sont payés dans le cours normal (comme l’exige les articles 5.04.01 et 5.04.02) puisque dans ce cas, le paiement est fait non pas en vertu des articles 5.04.01 et 5.04.02 du Bail, mais en vertu de l’article 5.2 de la CGS.

[120] L’argument du PGC fait en sorte que si la circonstance qu’elle identifie est véritable, alors le refus par ADM de payer le « Loyer Supplémentaire » requis par TC en vertu de l’article 5.04.01 pourrait faire l’objet d’un arbitrage, sur demande de Sa Majesté, puisqu’il s’agirait alors d’une dispute relevant de l’article 5.04.01 du Bail. Par contre, si l’on pousse la logique plus loin, dans le cas d’un avis d’arbitrage de Sa Majesté en vertu de l’article 5.04.01, ADM pourrait alors présenter en défense qu’elle n’a pas négligé de payer, mais plutôt que Sa Majesté n’a pas le droit de lui réclamer le montant puisqu’il lui charge un montant supérieur aux obligations de ADM de payer des PERI selon les « normes et règles régissant les propriétés fédérales ». ADM pourrait alors présenter les mêmes arguments qu’elle présente en l’instance, c’est-à-dire que le montant exigé est trop élevé puisque le ministre de SPAC n’a pas respecté les « normes et règles régissant les propriétés fédérales ». Le tribunal arbitral serait alors en mesure d’entendre le moyen de défense plaidé par ADM. Par conséquent, le tribunal arbitral devrait aussi être compétent pour considérer la même question, même si elle est portée devant lui par ADM et non par Sa Majesté.

[121] Ainsi, je suis d’accord avec le tribunal arbitral aux paragraphes 45 et 46 que la CGS est incorporée par renvoi au Bail en raison de son intégration aux articles 5.04.01 et 5.04.02 du Bail. Contrairement aux prétentions du PGC, le Bail n’exclut pas spécifiquement toute incorporation de la CGS en omettant de la mentionner dans les deux articles d’incorporation. Plutôt, l’obligation de ADM de rembourser les PERI doit être lue dans le contexte de la relation établie entre les parties dans le Bail, notamment son article 5.04.01, et la CGS qui assujettit la détermination du montant des PERI aux « normes et règles régissant les propriétés fédérales ».

b) Contexte extrinsèque aux conventions

[122] Le contexte extrinsèque n’appuie pas la thèse du PGC. Je note tout d’abord qu’en vertu de l’article 1426 du CcQ, une preuve sur les circonstances dans lesquelles les conventions ont été conclues, et sur l’interprétation que les parties leurs ont déjà données, est admissible afin de les interpréter en raison de l’ambiguïté. La preuve est aussi admissible nonobstant la clause d’intégralité prévue au Bail à l’article 1.05.02; la portée de telles clauses est limitée lorsque le contrat présente des ambiguïtés (Invenergy au para 10).

[123] La preuve extrinsèque démontre que le paiement des PERI devait faire l’objet d’un protocole d’entente à l’origine, et celui-ci, prenant la forme de la CGS, fut ratifié le 26 juin 1992. Le Bail, quant à lui, fut entériné le 31 juillet 1992. Les communications entre les parties avant la ratification du Bail démontrent qu’il était de l’intention commune des parties que le Bail incorpore l’obligation de ADM de rembourser les montants de PERI à Sa Majesté.

[124] Dès juin 1991, les parties s’échangèrent des correspondances dans lesquelles on notait qu’ «[a]vec l’accord du Ministre de SPAC, ADM indemniserait TPC en avance en versant un montant équivalent, par le biais du loyer payé ou autrement » [je souligne.] (DD, vol. 1, onglet 3, AB-3, pièces du PGC, pièce D-6 Lettre d’Yvon Soucy de TC à Jacques Auger de ADM datée du 18 juin 1991 à la p 353). L’article 5.04.01 du Bail entérine ces mots.

[125] Entre le 17 septembre 1991 et le 3 juillet 1992 (pièce D-10), les parties se sont échangées des ébauches du Bail. Dans une correspondance du 17 septembre 1991, l’ébauche du Bail inclut un article 5.04.01 qui réfère au paiement des PERI au locateur (« Landlord » - Sa Majesté) et donc en vertu du Bail, mais sans faire référence à la CGS. Il appert qu’à cette date, la CGS n’était pas conclue, mais qu’un « système » de remboursement de PERI était déjà prévu au Bail. Évidemment, la CGS n’étant pas encore conclue, l’article 5.04.01 n’est pas encore « sous réserve » de la CGS (DD, vol. 1, onglet 3, AB-3, pièce D-10 Correspondances et ébauches de la Clause 5 du Bail Foncier en liasse aux pp 370, 430).

[126] Le 8 octobre 1991, une lettre entre les parties fait part de discussions à l’effet que de nouvelles clauses du Bail foncier devaient être inscrites « pour y inclure le système des tenants lieu de taxes » [je souligne] ((DD, vol. 1, onglet 3, AB-3, pièce D-13 Lettre d’Yvon Soucy de TC à Jacques Auger de ADM datée du 8 octobre 1991, point 8 à la p 616), et ce « système » faisait référence à une lettre préalable du 24 septembre 1991 ((DD, vol. 1, onglet 3, AB-3, pièce D-11 Lettre d’Yvon Soucy de TC à Arthur P. Earle de ADM datée du 24 septembre 1991 à la p 608), qui elle décrit un « protocole d’entente » qui a éventuellement pris la forme de la CGS. L’intention commune semble donc inclure le « système » prévu, soit la CGS, au Bail.

[127] Par la suite, le 22 octobre 1991, lors d’un échange entre les parties sur le contenu des clauses du Bail, un procureur de ADM a fait des commentaires au procureur de TC et a commenté l’article 5 du Bail. Il mentionne que l’article devra être « sous réserve » de la CGS, que SPAC devra donner un préavis à ADM avant tout paiement de PERI, que l’évaluation des PERI sera selon les [TRADUCTION] « normes et règles applicables aux propriétés fédérales », et que le paiement de ADM sera fait au locateur (« Landlord » - Sa Majesté) (DD, vol. 1, onglet 3, AB-3, pièce D-15 Lettre de Me Daniel Picotte à Yvon Soucy datée du 22 octobre 1991 à la p 636).

[128] Cette mention que les PERI seront « sous réserve » n’apparaît que plus tard. Dans une lettre datée du 17 juin 1992 à ADM, le Ministère de la Justice partage des commentaires, notes et annexes, incluant des modifications proposées au Bail. Une ébauche datant du 7 février 1992 (mais comprise dans cet échange du 17 juin 1992 - et donc toujours avant la conclusion de la CGS) inclut pour la première fois une mention « sous réserve » à l’article 5.04.01 du Bail, et ajoute en même temps l’article 5.04.02. Une comparaison de l’article 5.04 entre les versions du 7 février 1992 et la version précédente du 17 septembre 1991 démontre l’ajout du terme « sous réserve » à l’article 5.04.01, l’ajout de l’article 5.04.02, mais aussi la substitution de la mention du paiement au locateur (Landlord) par « avancer au Bailleur, à titre de Loyer Supplémentaire », qui redeviendra éventuellement l’obligation d’ « avancer au Locateur, à titre de Loyer Supplémentaire » le montant de PERI dans la version finale de l’article 5.04.01 du Bail (DD, vol. 1, onglet 3, AB-3, pièce D-10 Correspondances et ébauches de la Clause 5 du Bail Foncier en liasse aux pp 578, 582).

[129] L’intention commune des parties a donc toujours été que la question du remboursement des PERI soit une obligation de ADM envers Sa Majesté en vertu du Bail, mais qu’elle fasse aussi l’objet d’un « système » particulier. Ce « système » particulier était nécessaire puisque le montant résultait de l’exercice de la discrétion du ministre de SPAC en vertu de ses obligations dans la Loi sur les PERI.

[130] Ensuite, le 27 août 1992, lors de l’amendement requis au Règlement de 1980 sur les subventions aux municipalités, nécessaire afin que la Loi sur les PERI s’applique à l’Aéroport, le résumé de l’étude d’impact de la règlementation note lui-même que la modification est réclamée par TC (et non SPAC) afin de maintenir l’Aéroport sous la définition du terme « immeuble fédéral », que l’amendement s’applique au Bail entre TC et ADM, et permettra à SPAC de verser les PERI bien que les installations soient louées à ADM (DD, vol. 1, onglet 3, AB-3, pièce D-22 Règlement de 1980 sur les subventions aux municipalités datée du 27 août 1992 aux pp 1234-1235).

[131] Enfin, une lettre de TC (représentant Sa Majesté qui est le Locateur en vertu du Bail) datée de décembre 1994, soit après la ratification des conventions, confirme que ADM a accepté les conditions relatives au paiement des PERI dans une « entente à long terme [...] ainsi qu’en vertu du Bail » [je souligne]. La lettre demande aussi à ADM de ne pas s’impliquer et de laisser à TC (et non SPAC) la tâche de contacter les municipalités, bien que la détermination du montant des PERI appartienne au ministre de SPAC (DD, vol. 1, onglet 3, AB-3, pièce D-25 Lettre de François Brazeau de TPSGC à Richard Cacchione de ADM datée du 23 décembre 1994 à la p 1308).

[132] La preuve extrinsèque déposée par les parties démontre donc qu’il a toujours été de l’intention des parties d’incorporer la question du paiement de PERI au Bail, d’une façon ou d’une autre. La raison est fort simple, Sa Majesté devait pouvoir être en mesure de résilier le Bail si ADM refusait de rembourser les paiements de PERI, et la seule façon de le faire était d’incorporer l’obligation au Bail lui-même. Ce fut fait par les articles 5.04.01 et 5.04.02. Cette preuve extrinsèque renforce donc l’interprétation que le Bail incorpore la question des PERI. D’ailleurs, un lien additionnel existe entre la CGS et le Bail : en vertu de l’article 2 de la CGS, celle-ci est valide jusqu’à l’expiration du Bail.

[133] En tirant cette conclusion, je note aussi avoir examiné la preuve soumise par le PGC à l’effet que ADM n’a jamais déclaré de « Loyer Supplémentaire » dans ses états financiers. Je note aussi l’argument du PGC que l’article 2863 du CcQ interdit une preuve par témoignage pour contredire un acte constaté par écrit et que par conséquent, la Cour ne peut retenir la preuve de ADM en réponse.

[134] Le PGC présente une preuve que ADM n’a jamais indiqué les remboursements des PERI à titre de « Loyer Supplémentaire » dans ses états financiers, afin de démontrer que l’interprétation des parties établie par leur conduite subséquente était justement que le remboursement des PERI ne soit pas un « Loyer Supplémentaire ». Cette preuve est admissible en vertu de l’article 1426 du CcQ.

[135] Ceci dit, la preuve présentée par ADM en l’espèce ne contrevient pas à l’article 2863 du CcQ, puisqu’elle ne vient pas contredire ou changer un acte constaté par écrit (ses états financiers), ou les termes du Bail. Elle vient plutôt expliquer la conduite des parties et leur interprétation des conventions. Certes, ADM a le droit de présenter une preuve en réponse, toujours admissible en vertu de l’article 1426 du CcQ, pour réfuter l’allégation du PGC quant à l’interprétation que les parties ont donnée aux conventions. La preuve de ADM en réponse n’a pas pour but de contredire un écrit (soit ses états financiers), mais plutôt de démontrer sa compréhension de ce qui devait être inclus dans ses états financiers à titre de « Loyer Supplémentaire ». Avec cette preuve, ADM tente également de démontrer que le remboursement des PERI ne devait pas être inclus dans ses états financiers, pour les raisons notées dans sa preuve. La recherche de l’intention des parties, par une preuve testimoniale, a préséance sur l’interdiction de contredire un acte écrit (Les obligations au para 418 à la p 500).

[136] À cet effet, la preuve de ADM vise à démontrer que ses états financiers servaient à établir le « Loyer de l’Aéroport » et à inclure de l’information financière inconnue de Sa Majesté. Aussi, ADM soumet qu’elle n’avait pas à « attester de la véracité » des remboursements de PERI, puisqu’ils étaient facturés et payés par SPAC. Par conséquent, ces montants ne devaient pas être inscrits à titre de « Loyer Supplémentaire » puisque les montants étaient connus des parties.

[137] Selon moi, la preuve du PGC de l’exclusion des paiements de PERI à titre de « Loyer Supplémentaire » n’est pas concluante. Il est possible que l’interprétation de ADM selon laquelle il n’était pas nécessaire d’inclure les montants dans ses états financiers est bonne, tout comme il est possible que ADM ait été en faute de ne pas les avoir déclarés dans ses états financiers à titre de « Loyer Supplémentaire ». Il est aussi possible, comme le PGC le suggère, que ADM interprétait aussi le terme « Loyer Supplémentaire » comme excluant les PERI.

[138] Néanmoins, cette preuve n’est pas suffisante, selon moi, pour réfuter les autres éléments notés plus haut, intrinsèques comme extrinsèques, portant sur l’interprétation des conventions en l’espèce.

[139] Je suis donc d’accord avec le tribunal au paragraphe 61 que les extraits des témoignages et les lettres échangées entre les parties ne m’amènent pas à conclure que les parties ont exclu les PERI de leurs arrangements contractuels.

(4) Conclusion

[140] Quoi qu’il en soit, en pondérant la preuve dans son ensemble, et en considérant les articles 1425 à 1432 du CcQ, je conclus que le paiement des PERI constitue un « Loyer Supplémentaire » au sens de l’article 5.04 du Bail et que la CGS est incorporée au Bail par l’entremise des articles 5.04.01 et 5.04.02. Cette conclusion est le fruit de mon interprétation de l’intention originale commune des parties, démontrée par les termes utilisés dans le contexte global des conventions interprétées ensemble, ainsi que des circonstances dans lesquelles les conventions ont été conclues tel que le démontrent les communications entre les parties avant leur ratification.

[141] De plus, selon moi, les articles 5.04.01 et 5.04.02 du Bail, interprétés dans le contexte discuté plus haut, sont suffisamment expresses et sans équivoque. La CGS est raisonnablement accessible puisqu’elle a été ratifiée par les mêmes parties, et constitue donc une clause externe qui lie les parties avec le Bail en vertu de l’article 1435 du CcQ (Précis de droit québécois au para 131; Le mécanisme de renvoi à la p 21). Par ailleurs, les conventions en question ne sont pas des contrats de consommation ou d’adhésion, et la prudence notée par la CSC dans l’arrêt Dell Computer au paragraphe 93 ne s’applique pas en l’espèce.

[142] Enfin, puisque la clause compromissoire doit être interprétée de façon large et libérale, ou même si les deux interprétations proposées par les parties sont possibles, il faut prioriser une interprétation favorisant la compétence du tribunal arbitral (Desputaux au para 35; Groupe Dimension aux para 32-33). En l’espèce, bien que l’interprétation du PGC ne soit pas dénuée de fondement, c’est plutôt l’interprétation suggérant que la CGS est intégrée au Bail qui doit être retenue. Par conséquent, la clause compromissoire de la CC s’y applique et le tribunal arbitral est compétent pour se saisir de la question posée par ADM.

[143] Le contexte est donc que Sa Majesté et ADM ont conclu trois conventions, et ont inclus une clause compromissoire conférant la compétence au tribunal arbitral pour déterminer toute question en litige entre les parties relevant, entre autres, du Bail. En l’espèce, le Bail et la CGS stipulent tous les deux que ADM doit verser un montant d’avance à Sa Majesté pour qu’elle puisse verser les PERI. Bien que le ministre de SPAC ait une discrétion afin de déterminer le montant payable aux Villes, Sa Majesté s’est engagé à facturer à ADM un montant de PERI conforme aux « normes et règles régissant les propriétés fédérales ». Il est fort possible que le montant établi par le ministre de SPAC en vertu de la Loi sur les PERI soit aussi un montant établi selon les « normes et règles régissant les propriétés fédérales ». Par contre, si le montant établi par le ministre de SPAC est conforme et raisonnable en vertu de la Loi sur les PERI, mais néanmoins contraire aux « normes et règles régissant les propriétés fédérales », alors Sa Majesté ne peut requérir que ADM paie ce montant et le tribunal arbitral est compétent pour trancher cette question au fond. La question en litige dont le tribunal est compétent est donc très étroite, mais elle est prévue au Bail et est sujette à la clause compromissoire.

D. Est-ce que le caractère véritable de la demande de ADM requiert un contrôle judiciaire de l’exercice de la discrétion du ministre de SPAC?

(1) Prétentions du PGC

[144] Le PGC conteste la compétence du tribunal arbitral puisque le caractère véritable de la demande de ADM est de contester la validité du montant établi par le ministre de SPAC en vertu de la Loi sur les PERI. Selon le PGC, ADM devait plutôt procéder par voie de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, et si elle a gain de cause, elle pourra recouvrer le trop-payé s’il y a lieu. ADM n’a donc pas à procéder en deux temps comme le prévoit l’arrêt Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62 [TeleZone].

[145] Selon le PGC, la Cour doit déterminer le caractère essentiel de la demande, et non se limiter aux faits allégués ou à la réparation demandée (Windsor (City) c Canadian Transit Co [2016] 2 RCS 617 aux para 25-26). Or, selon le PGC, le caractère essentiel et concret de la demande d’arbitrage est d’obtenir la révision du montant des PERI déterminé par SPAC en vertu de la Loi sur les PERI, et notamment en ce qui concerne la détermination de la « valeur effective » et du « taux effectif » d’une propriété fédérale.

[146] Le PGC soumet que le recours de ADM constitue une attaque envers la décision discrétionnaire que le ministre de SPAC a rendue en vertu de la Loi sur les PERI; et l’article 4 de la CGS ne crée pas de recours ni d’obligation contractuelle envers ADM outre l’application par le ministre de SPAC des règles qui régissent les propriétés fédérales énoncées à la LPERI [je souligne] (DD, vol. 2, Mémoire des faits et du droit du PGC au para 130 à la p 1747).

[147] Le PGC soumet que si le raisonnement de ADM est suivi, cela voudrait dire que le ministre de SPAC aurait accepté qu’un tribunal arbitral révise les décisions qu’il rend sous l’autorité de la Loi sur les PERI, ce qui ne peut être le cas puisqu’autrement, ce raisonnement mènerait à une violation de la Loi sur les PERI et à une entrave de la discrétion du ministre (citant Cold Lake (Ville) c Canada, 2021 CF 405 aux para 35-36 [Cold Lake]).

[148] Enfin, le PGC s’appuie sur la décision Morin c Canada, 2013 CF 670 [Morin] et soumet qu’une action en dommage ne peut se fonder sur des motifs donnant ouverture au contrôle judiciaire, ce qui est le cas en l’espèce puisque le fondement de la demande de ADM est que le ministre de SPAC aurait mal appliqué les critères prévus à la Loi sur les PERI.

(2) Prétentions de ADM

[149] ADM soumet qu’elle ne cherche pas à obtenir la nullité ou la révision de la décision discrétionnaire du ministre de SPAC, ni à ce que les Villes remboursent les montants à SPAC. ADM réclame plutôt des dommages-intérêts découlant des manquements commis par le ministre de SPAC dans la détermination du calcul des PERI puisque ces montants n’ont pas été établis conformément aux « normes et règles régissant les propriétés fédérales ». En d’autres mots, la décision du ministre n’est pas contestée et les montants des PERI payés peuvent être raisonnables en vertu de la Loi sur les PERI, mais en même temps ne pas avoir été adoptés en conformité avec les « normes et règles régissant les propriétés fédérales », tel que prévu à la CGS.

[150] ADM se base entre autres sur la décision Uniroc inc c Ville de Saint-Jérôme, 2022 QCCA 1032 aux paragraphes 33 et 34 [Uniroc] qui cite la CSC dans Entreprises Sibeca inc c Frelighsburg, 2004 CSC 61 aux paragraphes 15-16 où celle-ci précise qu’il y a une différence fondamentale entre le contrôle de la légalité de l’exercice d’un pouvoir public et l’indemnisation du préjudice résultant de l’inexécution contractuelle de ce même pouvoir public. Cette distinction se retrouve dans le remède demandé. Un recours en dommages-intérêts pour l’indemnisation d’un préjudice est un recours privé faisant intervenir la responsabilité civile alors que l’annulation d’une décision est un recours public.

[151] ADM soumet que les principes de l’arrêt TeleZone s’appliquent. Contrairement à ce qui est plaidé par le PGC, si elle devait intenter un contrôle judiciaire afin de contester la détermination du taux effectif et de la valeur effective des immeubles, elle ne pourrait être compensée pour les dommages subis. Comme l’explique la CSC dans TeleZone aux paragraphes 26 et 27, la nature même du contrôle judiciaire est d’obtenir la nullité d’une décision de l’administration publique au moyen d’un processus expéditif, tout en confirmant aussi, du même souffle, qu’un tel recours ne permet pas d’obtenir des dommages-intérêts (voir aussi Conseil de la Nation Huronne-Wendat c Sa Majesté la Reine (Canada), 2014 CF 91 au para 28; Uniroc aux para 40-41). Ainsi, et conformément à l’arrêt TeleZone, aucun contrôle judiciaire préalable n’est nécessaire comme condition à un recours en dommages.

(3) Analyse de la question à savoir si un contrôle judiciaire est nécessaire

[152] Comme le soumet le PGC, il est important de bien comprendre la nature du recours intenté par ADM.

[153] D’une part, en vertu de la Loi sur les PERI, le ministre de SPAC établit un montant de PERI payable annuellement aux Villes. D’autre part, ADM est liée par une obligation contractuelle de rembourser à Sa Majesté les montants des PERI établis selon les « normes et règles régissant les propriétés fédérales ». Au paragraphe 130 de son mémoire, le PGC admet que Sa Majesté a une obligation contractuelle envers ADM d’appliquer les « normes et règles qui régissent les propriétés fédérales » dans l’établissement du montant des PERI.

[154] La dispute entre les parties est donc à savoir si les « normes et règles régissant les propriétés fédérales » sont dissociables des obligations du ministre de SPAC en vertu de la Loi sur les PERI. Dans la mesure où la Loi sur les PERI requiert du ministre d’appliquer les « normes et règles régissant les propriétés fédérales », alors le recours de ADM implique aussi de déterminer si le montant établi et payé par SPAC, et remboursé par ADM, est valide. Si tel était la conséquence véritable du recours de ADM, un contrôle judiciaire pourrait s’avérer nécessaire. Or, il ne s’agit pas là de la demande de ADM.

[155] Plutôt, ADM ne s’intéresse qu’à l’obligation du ministre de SPAC d’appliquer les « normes et règles régissant les propriétés fédérales », soit l’obligation contractuelle. Si le ministre de SPAC a bel et bien appliqué ces « normes et règles », tout en exerçant simultanément sa discrétion de façon conforme à la Loi sur les PERI, le recours de ADM tombe, même si une mesure de discrétion demeure. Ainsi, si le ministre de SPAC s’est engagé à appliquer les « normes et règles régissant les propriétés fédérales », le ministre ne s’est pas engagé à exercer sa discrétion favorablement envers ADM. En d’autres mots, si une application des « normes et règles régissant les propriétés fédérales » peut raisonnablement mener à deux montants différents (tout en respectant la Loi sur les PERI), le ministre de SPAC ne s’est pas engagé à imposer le montant le plus favorable à ADM (donc le plus bas), aux Villes.

[156] Je suis d’accord avec ADM que le recours en l’espèce ne requiert pas la nullité de la décision du ministre de SPAC. ADM réclame plutôt un dédommagement si Sa Majesté (par l’entremise du ministre de SPAC) a déterminé et imposé un montant de PERI à ADM qui n’a pas été établi selon les « normes et règles régissant les propriétés fédérales », alors qu’il avait une obligation contractuelle de le faire dans le Bail et dans la CGS. Le caractère véritable, ou l’essence, du recours de ADM n’est donc pas de faire réviser le montant des PERI déterminé en vertu de la Loi sur les PERI, mais bien d’obtenir compensation si le montant contrevient à la méthode requise en vertu des obligations contractuelles entre les parties.

[157] Il s’ensuit que les enseignements de la CSC dans l’arrêt TeleZone s’appliquent en l’instance (aux para 3-5, 19, 25-27; voir aussi Uniroc aux para 33-34, 40-41). Il est possible, théoriquement du moins, que le ministre de SPAC ait appliqué raisonnablement la Loi sur les PERI dans la détermination des PERI, tout en n’ayant pas suivi les « normes et règles régissant les propriétés fédérales ». Si tel est le cas, il s’agit d’une violation du droit contractuel de ADM donnant ouverture à un remède, nonobstant le fait que la décision du ministre demeure raisonnable et exécutoire envers les Villes en vertu de la Loi sur les PERI. Par contre, il est aussi possible, théoriquement, que les « normes et règles régissant les propriétés fédérales » soient les mêmes que celles enchâssées dans la Loi sur les PERI, auquel cas Sa Majesté n’a pas contrevenu à ses obligations contractuelles. Il s’agira pour le tribunal arbitral de déterminer cette question au fond.

[158] Par conséquent, ADM n’a pas à entamer une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de SPAC. De plus, je rejette l’argument du PGC selon lequel un contrôle judiciaire permettrait à ADM d’obtenir le remède recherché. À l’audience, le PGC a plaidé qu’advenant le cas où ADM avait gain de cause dans une demande de contrôle judiciaire, Sa Majesté ne conserverait pas les fonds obtenus en trop et les remettrait à ADM. Il s’agit là effectivement d’une position juste, mais elle n’est pas obligatoire. Normalement, afin de recouvrer les montants versés en trop, ou si les parties ne s’entendaient pas sur les modalités, ADM devrait entamer une poursuite en dommages-intérêts devant la Cour, ou devant un tribunal arbitral.

[159] Par conséquent, puisque la clause compromissoire comprend toute dispute relative au Bail, le tribunal arbitral a compétence pour trancher la question posée par ADM, à savoir si Sa majesté (par l’entremise de SPAC) a manqué à ses obligations contractuelles en déterminant un montant de PERI qui n’est pas conforme aux « normes et règles applicables aux propriétés fédérales ».

[160] Enfin, les arguments du PGC sur les décisions Cold Lake et Morin ne s’appliquent pas en l’espèce et peuvent être distingués. Dans Cold Lake, la Cour a statué qu’une entité ne pouvait contracter avec la Couronne en vertu du régime des PERI. Or, en l’espèce, et contrairement à ce que plaide le PGC, la question de l’obligation contractuelle de Sa Majesté n’implique pas directement que le tribunal arbitral applique la Loi sur les PERI, ni la « valeur effective » ou le « taux effectif » ni ne révise les décisions du ministre en vertu de la Loi sur les PERI. De fait, le tribunal arbitral a rejeté sa compétence sur cet aspect dans sa décision sur le moyen déclinatoire du PGC.

[161] Pour ce qui est de Morin, la Cour a statué qu’un recours en dommages-intérêts pour le rejet d’une demande de visa devait être rejeté puisqu’aucune faute n’était alléguée envers la Couronne. Dans cette affaire, l’action était fondée sur des motifs donnant ouverture à un contrôle judiciaire, et non à un recours en dommages-intérêts. Seul un contrôle judiciaire pouvait donc être entamé à l’encontre de la décision. En l’espèce, une faute est alléguée envers le ministre pour l’omission de déterminer les montants de PERI en vertu des « normes et règles applicables aux propriétés fédérales », pour laquelle un dommage a été subi et laquelle ne nécessite pas la détermination préalable d’un contrôle judiciaire.

V. Conclusion

[162] Pour ces motifs, le moyen déclinatoire du PGC est rejeté.

[163] Comme le soumet ADM au paragraphe 101 de son mémoire, le tribunal arbitral demeure libre de conclure qu’à la lumière de toute la preuve administrée, la question et le remède demandé ne relèvent pas de la clause compromissoire présente dans la CC ou relèvent plutôt de la compétence exclusive de la Cour fédérale (Marques Nuway inc c Jardin Jouvence inc, 2014 QCCA 825 au para 9).

[164] Or, en l’espèce, la Cour doit considérer les allégations au fond comme avérées. Si, de l’opinion du tribunal arbitral et suite à ses conclusions sur la preuve administrée, ces allégations sont prouvées, alors le tribunal arbitral a compétence pour trancher le litige.

[165] À l’audience, ADM a réclamé ses dépens selon le barème applicable au Tariff de la Cour. En vertu de la règle 400 des Règles, et après avoir considéré le critère applicable, ADM a droit à des dépens calculés sur la base du milieu de la Colonne III du tarif B.


JUGEMENT au dossier T-2441-22

LA COUR STATUE que :

  1. Le moyen déclinatoire est rejeté.

  2. La défenderesse a droit à ses dépens, calculés sur la base du milieu de la Colonne III du tarif B.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2441-22

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c AÉROPORTS DE MONTRÉAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JUIN 2023

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS :

LE 24 NOVEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Me Diane Pelletier

Me Pavol Janura

Me Benjamin Chartrand

Pour le demandeur

Me François Grondin

Me Patrick Plante

Me Maude Lamoureux-Bisson

Me Antoine Gamache

Pour LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Borden Ladner Gervais

S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Montréal (Québec)

Pour LA DÉFENDERESSE

 

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