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Date : 20231212


Dossier : IMM-12758-22

Référence : 2023 CF 1669

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2023

En présence de l'honorable monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

JEISSON GIOVANNI RAVELO YOMAYUSA

partie demanderesse

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dans une décision datée du 29 novembre 2022, la Section de l’immigration [la SI ou le tribunal] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a déterminé que M. Yomayusa, un citoyen de la Colombie sollicitant l’asile, était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, puisqu’il a été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans. Ce faisant, le demandeur est inadmissible au Canada en vertu de l’article 36(1)(b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SI [la Décision] conformément à l’article 72 de la LIPR. Il soumet que la décision est déraisonnable parce que la SI a fait une appréciation factuelle qui manque de base légale et a fait une mauvaise application des principes jurisprudentiels.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SI est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]). Le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que la décision de la SI était déraisonnable.

II. Contexte factuel

[4] Le demandeur, M. Jeisson Giovanni Ravelo Yomayusa [demandeur] est un citoyen de la Colombie. Alors qu’il travaillait comme gardien de sécurité d’un stationnement, son superviseur lui a remis un revolver afin d’effectuer la surveillance du stationnement.

[5] Le demandeur n’a posé aucune question ni cherché à obtenir quelconque information que ce soit lorsque son employeur lui a remis l’arme. Pendant un mois, il a porté l’arme dans le cadre de ses fonctions. Son superviseur n’était présent sur les lieux que de temps en temps.

[6] Un jour, en l’absence de son superviseur, des policiers ont mené une inspection et ont découvert que le demandeur portait une arme sur le lieu de travail. Bien que celui-ci possédait l’arme dans le cadre de ses fonctions, son employeur et lui ne détenaient aucune autorisation d’une autorité compétente pour posséder l’arme en question.

[7] Le demandeur a donc été arrêté et reconnu coupable de l’infraction de possession d’une arme défensive en vertu de l’article 365 du Code pénal de Colombie. Devant la SI, le demandeur a admis avoir été en possession de l’arme, que l’arme en question était un revolver et qu’il avait la connaissance d’être en possession d’une arme sans permis.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[8] La seule question en litige devant la Cour est à savoir si la décision de la SI selon laquelle le demandeur est interdit de territoire conformément à l’article 36 (1)(b) de la LIPR est raisonnable.

[9] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La décision sera raisonnable si elle est justifiée, transparente et intelligible et fait partie des issues possibles au regard des faits et du droit (Vavilov au paragraphe 99).

IV. Analyse

A. La Décision de la SI est raisonnable

[10] Les parties sont d’accord que la norme de preuve applicable à la détermination d’une interdiction de territoire est celle des « motifs raisonnables de croire ». Ainsi, cette norme exige davantage qu’un simple soupçon, mais reste moins stricte que la prépondérance des probabilités applicables en matière civile. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 au para 114; Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 au para 39).

[11] Une personne sera donc interdite de territoire au Canada s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle est interdite de territoire selon l’article 36 de la LIPR, même si cela n’est pas établi selon la norme de la prépondérance de la preuve. La norme des motifs raisonnables de croire ne s’applique qu’aux questions de fait.

[12] Dans le cas ci-présent, la SI devait déterminer si le crime commis par le demandeur en Colombie constituait une infraction à une loi fédérale canadienne comportant un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

[13] Afin de déterminer si le demandeur était visé par l’article 36(1)(b) de la LIPR, la SI a appliqué la troisième méthode décrite par la Cour d’appel dans l’arrêt Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1987] ACF No 47 [Hill], qui consiste à combiner un examen du libellé de l’infraction et de la preuve relative aux faits ayant mené à la condamnation.

[14] Le Code pénal colombien a été amendé en 2007 et en conséquence, l’une ou l’autre des dispositions suivantes pouvait s’appliquer au demandeur lorsqu’il a été accusé :

Quiconque, sans l’autorisation de l’autorité compétente, importe, trafique, fabrique, transporte, entrepose, distribue, vend, fournit, répare ou porte des armes à feu d’autodéfense, de même que des munitions

ou des explosifs encourt une peine de […] .

Quiconque, sans l’autorisation de l’autorité compétente, importe, trafique, fabrique, transporte, entrepose, distribue, vend, fournit, répare ou porte des armes à feu d’autodéfense et des munitions, encourt une

peine de […].

[15] L’infraction correspondante à celle de l’article 365 du Code pénal colombien est l’article 92 du Code criminel, RSC 1985, c C-46 [Code criminel] canadien:

Possession non autorisée d’une arme à feu — infraction délibérée

92 (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5) et de l’article 98, commet une infraction quiconque a en sa possession une arme à feu sachant qu’il n’est pas titulaire d’un permis qui l’y autorise et du certificat d’enregistrement de cette arme.

[…]

Peine

(3) Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1) ou (2) est coupable d’un acte criminel passible des peines suivantes :

a) pour une première infraction, un emprisonnement maximal de dix ans;

b) pour la deuxième infraction, un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de un an;

c) pour chaque récidive subséquente, un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de deux ans moins un jour.

Réserve

(4) Les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent pas :

a) au possesseur d’une arme à feu, d’une arme prohibée, d’une arme à autorisation restreinte, d’un dispositif prohibé ou de munitions prohibées qui est sous la surveillance directe d’une personne pouvant légalement les avoir en sa possession, et qui s’en sert de la manière dont celle-ci peut légalement s’en servir;

b) à la personne qui entre en possession de tels objets par effet de la loi et qui, dans un délai raisonnable, s’en défait légalement ou obtient un permis qui l’autorise à en avoir la possession, en plus, s’il s’agit d’une arme à feu, du certificat d’enregistrement de cette arme.

[…]

Possession of firearm knowing its possession is unauthorized

92 (1) Subject to subsections (4) and (5) and section 98, every person commits an offence who possesses a firearm knowing that the person is not the holder of

(a) a licence under which the person may possess it; and

(b) a registration certificate for the firearm.

[…]

Punishment

(3) Every person who commits an offence under subsection (1) or (2) is guilty of an indictable offence and liable

(a) in the case of a first offence, to imprisonment for a term not exceeding ten years;

(b) in the case of a second offence, to imprisonment for a term not exceeding ten years and to a minimum punishment of imprisonment for a term of one year; and

(c) in the case of a third or subsequent offence, to imprisonment for a term not exceeding ten years and to a minimum punishment of imprisonment for a term of two years less a day.

Exceptions

(4) Subsections (1) and (2) do not apply to

(a) a person who possesses a firearm, a prohibited weapon, a restricted weapon, a prohibited device or any prohibited ammunition while the person is under the direct and immediate supervision of a person who may lawfully possess it, for the purpose of using it in a manner in which the supervising person may lawfully use it; or

(b) a person who comes into possession of a firearm, a prohibited weapon, a restricted weapon, a prohibited device or any prohibited ammunition by the operation of law and who, within a reasonable period after acquiring possession of it,

(i) lawfully disposes of it, or

(ii) obtains a licence under which the person may possess it and, in the case of a firearm, a registration certificate for the firearm.

[…]

 

[16] Outre l’exigence de la connaissance de l’absence d’un permis et certificat autorisant la possession de l’arme, la distinction majeure entre les deux infractions est qu’au Canada, il existe entre autres un moyen de défense au paragraphe 92(4) qui n’existe pas en Colombie, soit que le défendeur en possession d’une arme l’était sous la supervision directe d’une personne, par exemple, détenant un permis de port d’arme.

[17] La SI a donc d’abord analysé si le demandeur remplissait les éléments constitutifs de l’infraction de l’article 92 du Code criminel et a conclu que ces éléments ont été rencontrés:

Article 92

Connaissance de ne pas être titulaire d’un permis qui l’y autorise et du certificat d’enregistrement de l’arme

Possession

D’une arme à feu

Faits admis

Possession de l’arme à feu dans l’exercice de son emploi sachant qu’il n’était titulaire d’aucun permis permettant la possession de cette arme

Possession

Revolver

[18] Puisque le demandeur a commis les actes reprochés qui correspondent aux éléments constitutifs de l’infraction de l’article 92 du Code criminel canadien, la seule question en litige est à savoir si le demandeur pouvait démontrer être éligible aux moyens de défense additionnels existant au Canada. S’il pouvait le faire, l’exclusion prévue à l’alinéa 36(1)(b) de la LIPR ne s’appliquerait pas à son cas.

[19] La SI a donc par la suite examiné si le demandeur pouvait bénéficier des moyens de défense prévus au paragraphe 92(4) du Code criminel canadien. La SI a conclu qu’afin de bénéficier de ce moyen de défense, le demandeur devait démontrer qu’il était sous la « supervision immédiate et constante » de son superviseur qui doit être titulaire d’un permis [Décision de la SI aux para 23-28]. Le tribunal conclut que ce n’est pas le cas en l’espèce puisque le demandeur a témoigné qu’il surveillait le stationnement alors que son superviseur était absent. La SI note d’ailleurs que le demandeur n’a pas fait preuve de diligence raisonnable puisqu’il n’a posé aucune question à son superviseur afin de savoir si celui-ci était propriétaire ou détenteur des autorisations nécessaires ou non.

[20] Le demandeur allègue qu’en concluant que la notion de surveillance directe s’entend à la fois de la « supervision immédiate et constante », le tribunal a fait une interprétation restrictive et stricte du paragraphe 92(4) du Code criminel canadien qui n’est ni supportée par le libellé de la disposition, ni par la jurisprudence. Le demandeur soumet qu’il était nécessairement sous la surveillance et la supervision d’un responsable du seul fait du principe de subordination. Le demandeur soumet enfin que de requérir que le superviseur soit présent à chaque seconde, sans pouvoir s’éloigner pendant quelque temps, n’est pas raisonnable et ne correspond pas à l’objet du paragraphe 92(4) du Code criminel.

[21] Le défendeur soumet en réponse que l’interprétation de la SI est raisonnable puisque le Code criminel indique clairement une « surveillance directe » et non une surveillance sporadique. Ensuite, la preuve établit également que le superviseur n’était présent sur les lieux que de temps en temps et que celui-ci n’a donné aucune information ni formation sur le port d’arme à feu au demandeur.

[22] Dans Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au paragraphe 69, la Cour suprême du Canada rappelle que l’interprétation d’une disposition législative par un tribunal administratif doit être « conforme au “principe moderne” d’interprétation législative, laquelle est axée sur le texte, le contexte et l’objet de la disposition législative ». Il incombe au décideur de démontrer dans ses motifs qu’il était conscient de ces éléments essentiels (voir aussi Vavilov au para 120).

[23] C’est exactement ce que la SI a fait en l’espèce. La SI a examiné le texte et l’objet du Code criminel. La SI note au paragraphe 28 de sa décision que « la possession d’arme à feu au Canada est strictement réglementée et contrôlée ». La SI ajoute que « [l]’objet de ces lois et règlements est d’assurer la sécurité de la population en interdisant les comportements dangereux pour la sécurité publique et en règlementant strictement la possession d’armes en l’assujétissant [sic] à de nombreuses conditions, telles que la formation et les conditions d’émissions de permis. Le tribunal est d’avis qu’il irait contre l’objet de ces lois qu’une personne puisse être en possession d’une arme à feu, sans formation et sans permis, et ce, sans une supervision directe et immédiate d’une personne qualifiée s’assurant d’un usage légal et sécuritaire. » Enfin, la SI a fait une interprétation croisée des dispositions anglaises et françaises du texte du paragraphe 92(4) du Code criminel canadien et conclu que la version anglaise de la disposition qui indique « direct and immediate » est plus claire (la version française ne contient que le terme « direct ») et conforme à l’objet du paragraphe 92(4) (Décision du SI au para 27).

[24] Par conséquent, la SI a bien appliqué les principes d’interprétation des lois et bien expliqué le fondement de son interprétation. La conclusion qu’elle a tirée selon laquelle un individu doit démontrer une « supervision immédiate et constante » afin de se prévaloir du moyen de défense, est raisonnable.

[25] Statuant ensuite sur la preuve, la SI a conclu que bien que le demandeur était un exécutant dans les circonstances, le demandeur a témoigné que son superviseur ne venait qu’occasionnellement sur le lieu de travail. Aussi, le superviseur n’a donné aucune information ni formation au demandeur au sujet de la manipulation de l’arme à feu. Enfin, le demandeur n’a fait aucune démarche pour s’assurer que son superviseur était propriétaire des certificats et autorisations requises. Par conséquent, la conclusion selon laquelle il n’était pas sous « supervision immédiate et constante » et qu’il ne pouvait alors faire appel à ce moyen de défense, est raisonnable.

[26] Enfin, dans son mémoire, le demandeur a soumis que la SI a erré en concluant que la croyance erronée du demandeur que son superviseur était titulaire d’un permis n’était pas pertinente ni suffisante pour le disculper, puisque la croyance erronée est une erreur de droit qui ne soustrait pas le demandeur à la commission de l’infraction. Le demandeur soumet qu’il s’agit plutôt d’une erreur de fait puisque le demandeur avait une appréciation erronée des circonstances entourant l’infraction – alors qu’une erreur de droit relève d’une fausse appréciation d’une règle de droit ayant conduit à l’accomplissement d’un acte qu’il croyait bien fondé (voir R c Forster, [1992] 1 RCS 339; R c Macdonald, 2014 CSC 3 aux paras 56-60).

[27] En réalité, la question ne porte pas à savoir si le demandeur croyait erronément que son superviseur était titulaire des autorisations nécessaires au port d’arme. La croyance erronée, qu’elle soit une erreur de droit ou de fait, ne donne pas ouverture au moyen de défense prévu au paragraphe 92(4) du Code criminel canadien, puisque peu importe si son superviseur avait un permis ou non, le demandeur n’était pas sous sa « supervision immédiate et constante ». Ainsi, peu importe si la croyance du demandeur constitue une erreur de fait ou de droit, les éléments constitutifs de l’infraction sont rencontrés, tant en vertu du Code pénal de la Colombie que du Code criminel canadien. Comme l’explique la SI, ces éléments constitutifs impliquent seulement (1) que le demandeur savait qu’il n’était pas lui-même titulaire d’un permis; (2) avoir été en possession; et (3) d’une arme à feu. Ces trois éléments ont été admis. Enfin, comme discuté plus haut, les éléments constitutifs du moyen de défense de la « supervision immédiate et constante » ne sont pas rencontrés.

[28] La décision de la SI quant à cet aspect n’est donc pas déraisonnable. Et pour les motifs notés plus haut, la décision de la SI quant à l’application du moyen de défense prévu au paragraphe 92(4) du Code criminel canadien est aussi raisonnable.

V. Conclusion

[29] Les motifs de la SI sont logiques, cohérents et rationnels comme prescrit par l’arrêt Vavilov au paragraphe 86. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[30] Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale à certifier et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-12758-22

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-12758-22

INTITULÉ :

JEISSON GIOVANNI RAVELO YOMAYUSA c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 NOVEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS :

LE 12 DÉCEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Me Mweze Jugauce Murhula

Pour le demandeur

Me Sherry Rafai Far

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mweze Jugauce Murhula

Montréal, (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal, (Québec)

Pour le défendeur

 

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