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                                                                                                                               Date : 20060125

                                                                                                                    Dossier : IMM-2818-05

                                                                                                                  Référence : 2006 CF 39

ENTRE :

                                 ROSMERY IVONNE HERNANDEZ HERNANDEZ

                                                            OSCAR NAVARRO

                                                                                                                    Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                      Partie défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s=agit d=une demande de contrôle judiciaire d=une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l=immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 13 avril 2005, statuant que le demandeur n=est pas un * réfugié + au sens de la Convention, ni une * personne à protéger + selon les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l=immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27.

[2]         Monsieur Oscar Navarro (le demandeur) et sa conjointe de fait, Rosmery Ivonne Hernandez Hernandez (la demanderesse) sont des citoyens salvadoriens qui prétendent avoir reçu des menaces verbales d=une bande armée.


[3]         Pour ce qui est du demandeur, la CISR s=est contentée de traiter de la question de l=exclusion et a conclu à des raisons de croire à la participation et à la complicité de ce dernier dans la commission de crimes contre l=humanité, compte tenu :

-           de son témoignage quant à son adhésion volontaire à la Garde nationale dès juillet 1982, à un moment où ce corps policier était déjà engagé dans la perpétration d=actes inhumains à grande échelle;

-           des promotions aux grades de caporal et de sous-sergent dont il avait bénéficié;

-           de sa connaissance des violations graves et systématiques des droits humains dont ce corps policier se rendait coupable, violations qu=il ne pouvait ignorer vu ses nombreuses années de service au sein de la Garde nationale et les fonctions qu=il avait occupées; et

-           du fait qu=il n=avait jamais songé à démissionner.

[4]         Quant à la demanderesse, la CISR a rejeté sa demande d=asile n=ayant identifié aucun élément crédible appuyant sa demande, refusant, en particulier, de croire qu=elle avait été attaquée par des délinquants comme le demandeur le prétendait.

[5]         En ce qui concerne d=abord le demandeur Oscar Navarro, il soutient que la CISR a erré en trouvant qu=il y avait des raisons sérieuses de penser qu=il a commis un crime contre l=humanité. Le demandeur déclare avoir appartenu à la Garde nationale de 1982 à 1994, mais il soutient que la Garde nationale, en tant qu=institution nationale, n=était pas vouée à la répression, mais avait la responsabilité de la protection des civils.

[6]         De plus, selon le demandeur, rien dans la preuve soumise devant la CISR ne peut permettre de conclure qu=il a participé de près ou de loin à des massacres, violations des droits humains ou crimes contre l=humanité.


[7]         La qualification des actes en tant que crime international contre l=humanité est une question de droit. Il doit être satisfait aux critères juridiques prévus par le Code criminel et par le droit international pour que l=acte soit considéré comme un crime contre l=humanité.

[8]         Selon la Cour suprême du Canada dans Mugesera c. Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration, 2005 CSC 40 :

[170]      . . . l'exigence d'un acte criminel pour qu'il y ait crime contre l'humanité au sens des par. 7(3.76) et (3.77) [du Code criminel] comporte trois volets essentiels : (1) un acte prohibé, (2) qui est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique, (3) laquelle est dirigée contre une population civile. . . .

[9]         La preuve documentaire a permis à la CISR de conclure que la Garde nationale s=était adonnée de façon systématique à la torture, à l=enlèvement et au meurtre à grande échelle d=hommes, de femmes et d=enfants dans la population civile. La preuve documentaire a aussi permis à la CISR de conclure que les attaques de la Garde nationale ont été commises dans le cadre d=attaques généralisées et systématiques. À mon avis, ces conclusions de la CISR sont correctes.

[10]       Quant à la deuxième question, soit la participation du demandeur, la jurisprudence est claire quant au fardeau qui était celui du ministre au chapitre de l=exclusion, * raisons sérieuses de penser +, à savoir un fardeau moindre que la prépondérance des probabilités. Pour appliquer la clause d=exclusion, la CISR devait simplement être satisfaite, à un niveau moindre que la prépondérance des probabilités, que le demandeur avait été complice des crimes contre l=humanité dont la Garde nationale s=était rendue coupable (voir Sivakumar c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 433, permission d=en appeler à la Cour suprême du Canada, no 23962, refusée le 2 juin 1994 et Ramirez c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.)). Il faut plus qu=un doute ou une conjecture sans toutefois qu=il soit nécessaire d=avoir une prépondérance des probabilités.


[11]       Les faits permettaient à la CISR de conclure (d=avoir * des raisons sérieuses de penser +) à la complicité du demandeur dans les crimes commis par la Garde nationale durant les années au cours desquelles il avait servi dans ses rangs, années qui coïncidaient exactement avec les années au cours desquelles la Garde nationale s=était adonnée de façon systématique à la torture, à l=enlèvement et au meurtre à grande échelle.

[12]       Les principes de complicité ont été résumés de la façon suivante par madame la juge Reed dans l=arrêt Penate c. Canada (M.E.I.), [1994] 2 C.F. 79, à la page 84 :

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s=il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l=appuie activement. On voit là une intention commune. . . .

[13]       Dans l=arrêt Harb c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 108 (C.A.F.) (QL), le juge Décary a expliqué la notion de complicité par association en ces termes :

[11]      . . . Ce n=est pas la nature des crimes reprochés à l=appelant qui mène à son exclusion, mais celle des crimes reprochés aux organisations auxquelles on lui reproche de s=être associé. Dès lors que ces organisations commettent des crimes contre l=humanité et que l=appelant rencontre les exigences d=appartenance au groupe, de connaissance, de participation ou de complicité imposées par la jurisprudence, . . . l=exclusion s=applique quand bien même les gestes concrets posés par l=appelant lui-même ne seraient pas, en tant que tels, des crimes contre l=humanité. . . .

[14]       À mon avis, la CISR a appliqué correctement les principes jurisprudentiels en concluant à la complicité du demandeur avec la Garde nationale. La preuve révélait qu=il était hautement probable que toute personne ayant été membre de la Garde nationale en 1982 et 1983 ait non seulement été au courant des activités criminelles de ce corps policier, mais y ait participé. De plus, le demandeur ne s=est pas dissocié du groupe.


[15]       En ce qui concerne enfin la demanderesse Rosmery Ivonne Hernandez Hernandez, elle soutient que la CISR a erré en lui reprochant de ne pas avoir porté plainte auprès de la police au El Salvador à propos de ses problèmes avec la bande armée. Selon elle, la preuve documentaire démontre l=incapacité des autorités policières.

[16]       Cependant, le demanderesse n=appuie pas cette prétention par affidavit, n=a pas déposé de preuve documentaire et n=a pas référé à des pages de documents déjà déposés à la CISR.

[17]       Selon la demanderesse, la CISR a aussi erré en lui reprochant de ne pas avoir répondu à la question 31 de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) à propos des mesures qu=elle avait prises pour obtenir la protection dans son pays. La demanderesse soutient que son dossier était lié à celui de son conjoint de fait et que cette question avait été répondue dans son FRP.

[18]       De plus, la demanderesse prétend que la CISR a erré en lui reprochant de ne pas avoir revendiqué au Mexique et aux États-Unis, parce qu=elle n=a de la famille qu=au Canada et au El Salvador. La demanderesse soutient qu=elle ne considère pas la soeur de son conjoint comme étant membre de sa famille directe.

[19]       Cependant, la demanderesse n=a déposé aucun affidavit pour appuyer cette explication. Bien plus, la demanderesse elle-même a indiqué dans son FRP qu=elle a un frère à * L.A., USA +, ce qui contredit directement ses prétentions.


[20]       À mon avis, il était entièrement raisonnable pour la CISR de conclure que si la demanderesse avait véritablement fui son pays dans la crainte, elle aurait vraisemblablement demandé la protection internationale sinon au Mexique, du moins aux États-Unis (voir Hafez c. Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration (le 17 novembre 1994), IMM-3127-93, Huerta c. Ministre de l=Emploi et de l=Immigration (le 17 mars 1993), A-448-91 et Ilie c. Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration (le 22 novembre 1994), IMM-462-94).

[21]       Cette Cour ne peut intervenir que si l=inférence négative tirée à partir du comportement d=un revendicateur est déraisonnable, absurde ou arbitraire (Huerta, ci-dessus).

[22]       Les arguments des demandeurs au chapitre de l=inclusion se ramènent en fait à un effort pour amener la Cour à apprécier différemment la preuve dont la CISR disposait. Toutefois, il est bien établi que cela n=est pas permis (Zrig c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 565 (C.A.F.) (QL)).

[23]       À mon avis, la CISR n=a pas erré en trouvant que la demanderesse n=est pas une réfugiée ou une personne à protéger.

[24]       Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée dans sa totalité.

                                                                    

        JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 janvier 2006


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2818-05

INTITULÉ :                                                       ROSMERY IVONNE HERNANDEZ HERNANDEZ, OSCAR NAVARRO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L=IMMIGRATION

LIEU DE L=AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L=AUDIENCE :                           Le 14 décembre 2005

MOTIFS DE L=ORDONNANCE :                Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                                   Le 25 janvier 2006

COMPARUTIONS:

Me Odette Desjardins                                                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Marie-Nicole Moreau                               POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Odette Desjardins                                          POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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