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Date : 20231220


Dossier : T-431-23

Référence : 2023 CF 1711

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

CALVIN SANDIFORD

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Calvin Sandiford, est un ancien membre des Forces armées canadiennes. Il a été libéré pour des raisons de santé en 2004. M. Sandiford, qui a le titre d’avocat en Angleterre et au pays de Galles, agit pour son propre compte.

[2] Le 27 avril 2020, M. Sandiford a présenté au ministère de la Justice une demande d’accès à des renseignements personnels en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21 [la LPRP], qui visait la période allant de septembre 2009 jusqu’à la date de sa demande. Dans sa demande, M. Sandiford a précisé qu’il cherchait notamment à obtenir la correspondance entre plusieurs personnes nommées et divers ministères fédéraux, en plus de tous les documents relatifs à son dossier médical.

[3] Le mois suivant, un conseiller du Bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels [le conseiller en AIPRP] du ministère de la Justice a écrit à M. Sandiford pour l’informer que la demande comporterait un volume important de documents, à savoir 17 000 pages et 30 boîtes. Le conseiller en AIPRP était d’avis que le traitement des documents pourrait prendre plusieurs années, et il a formulé des suggestions visant à réduire le temps de traitement. M. Sandiford a demandé au conseiller en AIPRP de traiter la demande telle qu’elle avait initialement été présentée.

[4] Le 9 janvier 2022, M. Sandiford a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada [le Commissariat], étant donné qu’il n’avait toujours pas reçu de réponse du ministère de la Justice. Le 6 février 2023, le commissaire à la protection de la vie privée a conclu que le ministère de la Justice n’avait pas traité la demande de M. Sandiford dans les délais prévus par la LPRP, ce qui valait décision de refus de communication au titre du paragraphe 16(3) de la LPRP. Le commissaire à la protection de la vie privée a conclu que la plainte de M. Sandiford était fondée.

[5] M. Sandiford a exercé le présent recours en vertu de l’article 41 de la LPRP, en vue d’obtenir : i) la communication des documents visés par la demande; ii) une déclaration selon laquelle, en retenant les documents, le défendeur a violé les droits constitutionnels de M. Sandiford, en particulier ceux prévus aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte]; iii) une déclaration selon laquelle le défendeur a abusé du processus administratif; iv) la conversion du recours en action au titre de l’article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la LCF], pour que la Cour puisse accorder des dommages-intérêts.

[6] Il est clair, et le défendeur l’admet, que le ministère de la Justice n’a pas traité la demande d’accès de M. Sandiford dans les délais prévus par la loi.

[7] Le 24 mai 2023, la demande a été traitée, mais tous les renseignements demandés ont fait l’objet d’un refus de communication au titre des articles 26 et 27 de la LPRP. Par conséquent, le défendeur soutient que la présente affaire est désormais théorique. En outre, le défendeur fait valoir que M. Sandiford ne peut pas se voir accorder le jugement déclaratoire qu’il cherche à obtenir et qu’il n’y a pas de raison de convertir la présente demande de révision en action.

[8] M. Sandiford affirme que le défendeur déploie, depuis plus de 13 ans, tous les efforts pour éviter de lui communiquer son dossier médical et les renseignements connexes. M. Sandiford plaide que la réponse du défendeur à sa demande d’accès s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large d’abus de la procédure administrative pour éviter la communication de renseignements. M. Sandiford fait valoir que la présente affaire n’est pas théorique, que le litige subsiste et qu’il serait injuste de l’obliger à déposer une nouvelle plainte devant le Commissariat en ce qui a trait aux exceptions invoquées par le défendeur.

[9] Pour les motifs qui suivent, et malgré les observations habiles de M. Sandiford, la présente demande devra être rejetée. Compte tenu du contexte plus vaste dans lequel s’inscrit la présente affaire, je comprends la frustration de M. Sandiford et je ne doute pas qu’il trouvera ce résultat extrêmement décevant. Il a exprimé son profond mécontentement au regard de la lettre de réponse du ministère de la Justice, qui a refusé de communiquer les documents demandés. Le recours qui s’ouvre à lui, toutefois, consiste à déposer une nouvelle plainte auprès du Commissariat. Une fois que le commissaire à la protection de la vie privée aura rendu compte de ses conclusions relatives à la nouvelle plainte, M. Sandiford sera alors en mesure de renouveler ses efforts pour obtenir réparation devant notre Cour, advenant que la décision du commissaire à la protection de la vie privée ne lui soit pas favorable. Dans l’éventualité où M. Sandiford choisit de déposer une nouvelle plainte, j’ose espérer que le Commissariat la traitera rapidement.

II. Questions en litige

[10] M. Sandiford et le défendeur soulèvent plusieurs questions, que je reformule de la façon suivante :

  1. La demande de révision est-elle théorique?

  2. M. Sandiford a-t-il droit au jugement déclaratoire et aux dommages-intérêts qu’il demande dans le cadre de la présente demande de révision?

  3. La demande de révision doit-elle être convertie en action?

III. Analyse

A. La demande de révision est-elle théorique?

[11] L’article 41 de la LPRP prévoit que tout individu qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le commissaire à la protection de la vie privée peut exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour d’appel fédérale a confirmé que, pour saisir notre Cour en vertu de l’article 41 de la LPRP, le demandeur doit : i) s’être vu refuser communication d’un document demandé; ii) avoir déposé une plainte devant le commissaire à la protection de la vie privée; iii) avoir reçu un compte rendu des conclusions de l’enquête du commissaire à la protection de la vie privée (Statham c Société Radio-Canada, 2010 CAF 315 au para 64).

[12] Lorsque la Cour détermine que l’institution fédérale n’était pas autorisée à refuser de communiquer les renseignements personnels, elle peut ordonner, aux conditions qu’elle juge indiquées, aux responsables de l’institution dont relèvent les renseignements d’en donner communication à l’individu (art 48 de la LPRP).

[13] La compétence de la Cour fondée sur l’article 41 de la LPRP a toutefois été interprétée de manière restrictive. Ainsi, une fois que les renseignements demandés ont été fournis, « la Cour ne peut accorder aucune autre réparation » (Frezza c Canada (Défense nationale), 2014 CF 32 au para 56 [Frezza]). En d’autres termes, la compétence de la Cour se limite à ordonner la communication des renseignements demandés (Frezza, au para 57; Cumming c Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CF 271 au para 25 [Cumming]).

[14] En l’espèce, le commissaire à la protection de la vie privée a conclu que la plainte de M. Sandiford était fondée. Il a jugé qu’il y avait eu présomption de refus parce que le ministère de la Justice n’avait pas répondu à la demande d’accès, a fermé le dossier et a indiqué que le demandeur pouvait exercer un recours en révision du refus de communication devant la Cour.

[15] Après le dépôt de la demande de révision, le ministère de la Justice a répondu à la demande d’accès aux renseignements personnels de M. Sandiford dans une lettre datée du 24 mai 2023 [la réponse du ministère de la Justice]. Dans sa réponse, le ministère de la Justice a confirmé que la demande avait été traitée et que tous les renseignements demandés étaient soustraits à la communication par application des articles 26 et 27 de la LPRP. De plus, le ministère de la Justice a informé M. Sandiford de son droit de déposer une plainte auprès du commissaire à la protection de la vie privée concernant le traitement de la demande.

[16] Le commissaire à la protection de la vie privée a accueilli la plainte de M. Sandiford selon laquelle le ministère de la Justice n’avait pas traité sa demande dans les délais prescrits par la loi, mais son examen de l’affaire s’est arrêté là. À aucun moment le commissaire à la protection de la vie privée n’a examiné le caractère suffisant de la réponse du ministère de la Justice à la demande d’accès aux renseignements personnels de M. Sandiford.

[17] La Cour d’appel fédérale a récemment examiné une affaire dans laquelle un recours avait été introduit après que le commissaire à la protection de la vie privée eut conclu que l’institution fédérale n’avait pas répondu dans les délais prévus par la loi (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gregory, 2021 CAF 33 [Gregory]). Après l’introduction du recours, l’institution fédérale avait fourni une réponse indiquant que tous les renseignements demandés étaient visés par une exception (Gregory, au para 3).

[18] La Cour d’appel fédérale a conclu que l’examen du bien-fondé du refus par la Cour fédérale est subordonné au dépôt d’un rapport du commissaire à la protection de la vie privée sur la validité de l’exception invoquée par l’institution fédérale (Gregory, aux para 12-13). Comme l’institution fédérale avait répondu à la demande d’accès et qu’il n’y avait pas de rapport du commissaire à la protection de la vie privée sur la validité de l’exception invoquée, la Cour n’avait pas compétence (Gregory, aux para 8, 11). Au paragraphe 12 de l’arrêt Gregory, la Cour d’appel fédérale, citant l’arrêt Blank c Canada (Justice), 2016 CAF 189, a souligné la raison d’être de cette approche :

[…] L’examen indépendant des plaintes par le commissaire constitue la pierre angulaire du régime mis en place par le législateur, et la Cour fédérale est en droit de bénéficier de l’expertise et des connaissances considérables de cet agent du Parlement avant de se pencher sur l’application des exceptions et le caviardage de documents par une institution publique. Je souscris à l’avis du juge selon lequel l’appelant ne pouvait unilatéralement faire fi de cette exigence et s’adresser directement aux tribunaux.

[32] Il n’est pas permis de faire valoir que l’intimé a contrevenu à son devoir d’agir de bonne foi parce qu’il a omis de répondre complètement et en temps utile à la demande de l’appelant et que les annexes auraient dû être joints [sic] à la demande d’accès à l’information initiale déposée par l’appelant. […] Il ressort clairement de l’article 41 de la Loi que la Cour fédérale ne peut réviser la décision de refuser la communication des renseignements personnels que si le commissaire a fait enquête à cet égard. Par conséquent, le juge a conclu à bon droit qu’il n’avait pas compétence pour réviser les documents communiqués après la publication du rapport du commissaire.

[19] En l’espèce, compte tenu de la réponse du ministère de la Justice, la demande de révision est théorique. Dans l’arrêt Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2018 CAF 195 [Démocratie en surveillance], la Cour d’appel fédérale a résumé l’analyse en deux temps qui s’applique au caractère théorique :

[10] Il ressort clairement de l’arrêt de principe de la Cour suprême sur la doctrine du caractère théorique, Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 353 à 363, 1989 CanLII 123, que l’analyse du caractère théorique se fait en deux temps. Il faut d’abord se demander si le litige est devenu purement théorique; en d’autres termes, subsiste-t-il un différend qui porte ou pourrait porter atteinte aux droits des parties? Si le litige est devenu théorique, une deuxième question se pose : le tribunal devrait-il néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher l’affaire?

[20] La plainte déposée par M. Sandiford auprès du Commissariat était fondée sur l’absence de réponse du ministère de la Justice. Or, M. Sandiford a maintenant obtenu une réponse. Le différend tangible et concret entre les parties en l’espèce a disparu (Fibrogen, Inc c Akebia Therapeutics, Inc, 2022 CAF 135 au para 30). Aussi imparfaite et incomplète que soit la réponse du ministère de la Justice aux yeux de M. Sandiford, il n’est pas loisible à la Cour d’examiner la question maintenant qu’elle est théorique (Sheldon c Canada (Santé), 2015 CF 1385 aux paras 21, 25; Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 995 aux para 27-30 [Khan]).

[21] Lorsque la Cour se penche, dans un deuxième temps, sur la question de savoir si elle doit néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire, elle doit prendre trois facteurs en considération : 1) l’existence d’un débat contradictoire; 2) le souci d’économie des ressources judiciaires; 3) la nécessité pour la Cour d’être consciente de sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique (Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 au para 18; Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 aux para 31, 34, 40; Démocratie en surveillance, au para 13).

[22] Dans la décision Cumming, le juge Patrick Gleeson a examiné un cas analogue à la présente affaire dans lequel l’institution fédérale avait remédié à l’absence de réponse après l’introduction du recours en révision. Malgré l’insatisfaction du demandeur au regard de la réponse obtenue et les réserves du juge Gleeson concernant l’« indifférence apparente [de l’institution fédérale] à l’égard des obligations que lui impose la Loi sur la protection des renseignements personnels », le juge a conclu que l’affaire était théorique et que, de toute façon, rien ne laissait penser que la Cour devait quand même exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire l’affaire (Cumming, aux para 11, 32).

[23] Quoi qu’il en soit, je conclus que rien n’indique que la Cour devrait, ou même pourrait, exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l’affaire. La jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale établit très clairement que, si la Cour se penchait sur une affaire comme celle qui nous occupe sans d’abord avoir entre les mains un rapport du commissaire à la protection de la vie privée du Canada sur la validité de l’exception invoquée par le ministère de la Justice, elle « s’arrogerait le rôle du commissaire à la protection de la vie privée dans le régime des plaintes et ne bénéficierait pas de l’expertise de ce dernier quant à l’examen des demandes » (Cumming, au para 31). En l’absence d’un tel rapport, la Cour n’a tout simplement pas compétence (Gregory, au para 13; Khan, aux para 28-30).

B. M. Sandiford a-t-il droit au jugement déclaratoire et aux dommages-intérêts qu’il demande dans le cadre de la présente demande de révision?

[24] Comme je le mentionne précédemment, M. Sandiford demande un certain nombre de déclarations ainsi que des dommages-intérêts en raison d’atteintes alléguées à ses droits garantis par la Charte et de manquements fondés sur la common law (abus de la procédure administrative et délit de détournement notamment). M. Sandiford soutient que le refus du défendeur de lui communiquer son dossier médical constitue non seulement une violation de la LPRP, une loi de nature quasi constitutionnelle, mais aussi une atteinte à ses droits garantis par la Charte, ce qui donne ouverture à l’octroi de dommages-intérêts au titre du paragraphe 24(1) de la Charte et de dommages-intérêts au titre de la common law.

[25] M. Sandiford reconnaît toutefois qu’une demande de révision présentée au titre de l’article 41 de la LPRP a ses limites. Une partie ne peut pas obtenir de dommages-intérêts à l’égard du délai lié à la communication des documents demandés ou à l’égard du non-respect des délais prescrits de communication des documents (Connolly c Société canadienne des postes, 2000 CanLII 16590, [2000] ACF no 1883 aux para 10-12; Leahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227 au para 75). Il ressort clairement de la jurisprudence que, dans le cadre d’un recours exercé en vertu de l’article 41, le pouvoir de la Cour se limite à rendre une ordonnance de communication. Elle ne peut accorder ni déclarations ni dommages-intérêts (Cumming aux para 24-25; Frezza, aux para 56‑59).

[26] Étant donné que le ministère de la Justice a répondu à M. Sandiford, celui-ci ne peut pas exercer le recours prévu à l’article 41 de la LPRP. La Cour n’est pas en mesure d’accorder d’autres mesures de réparation en l’espèce.

C. La demande de révision doit-elle être convertie en action?

[27] M. Sandiford a reconnu les limites du recours prévu à l’article 41 de la LPRP et cherche à y remédier en demandant que la présente demande de révision soit convertie en action au titre du paragraphe 18.4(2) de la LCF. Essentiellement, M. Sandiford ne demande pas de mesures procédurales supplémentaires comme un interrogatoire préalable ou des témoignages en personne. Son objectif est plutôt de nature réparatrice. M. Sandiford est d’avis que la conversion en action lui permettra d’obtenir des dommages-intérêts pour les atteintes alléguées à ses droits garantis par la Charte et les manquements fondés sur la common law.

[28] Le défendeur soutient que rien ne permet de convertir la présente demande de révision en action. Le défendeur souligne que le paragraphe 18.4(2) de la LCF s’applique aux demandes de contrôle judiciaire introduites au titre de l’article 18, et non aux demandes de révision introduites au titre de l’article 41 de la LPRP, comme celle en l’espèce. Selon lui, une fois la décision rendue, la Cour n’est plus saisie de l’affaire et ne peut plus ordonner la conversion.

[29] Ni M. Sandiford ni le défendeur n’ont été en mesure de renvoyer la Cour à une décision dans laquelle la conversion aurait été demandée dans le cadre de l’exercice du recours visé à l’article 41.

[30] Le paragraphe 18.4 de la LCF est ainsi libellé :

Procédure sommaire d’audition

Hearings in summary way

18.4 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.

18.4 (1) Subject to subsection (2), an application or reference to the Federal Court under any of sections 18.1 to 18.3 shall be heard and determined without delay and in a summary way.

Exception

Exception

(2) Elle peut, si elle l’estime indiqué, ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

(2) The Federal Court may, if it considers it appropriate, direct that an application for judicial review be treated and proceeded with as an action.

 

[31] La règle générale énoncée au paragraphe 18.4(1) dispose que les demandes de contrôle judiciaire présentées au titre de l’article 18.1 et les renvois présentés par un office fédéral ou le procureur général au titre de l’article 18.3 doivent être traités à bref délai et selon une procédure sommaire. Le pouvoir discrétionnaire de la Cour fédérale de convertir une demande en action en vertu du paragraphe 18.4(2) ne constitue qu’une exception très rare à la règle générale énoncée au paragraphe 18.4(1) (Canada (Procureur général) c Slansky, 2013 CAF 199 au para 56 [Slansky]; Mahoney c Canada, 2021 CF 399 au para 10 [Mahoney]; Alam c Canada (Procureur général), 2023 CF 402 au para 12 [Alam]).

[32] Une ordonnance de conversion rendue au titre du paragraphe 18.4(2) a un effet purement procédural et n’agit pas sur le fond du litige (Canada (Commission des droits de la personne) c Nation crie de Saddle Lake, 2018 CAF 228 au para 24 [Saddle Lake]). L’acte introductif d’instance demeure l’avis de demande, et le droit applicable concerne toujours le contrôle judiciaire (Saddle Lake, au para 24). L’ordonnance de conversion devrait préciser en quoi une demande de contrôle judiciaire sera instruite comme une action. Par exemple, elle pourrait permettre des interrogatoires préalables ou autoriser des modifications étayant une réclamation pour dommages-intérêts en droit public (Saddle Lake, au para 25; Alam, au para 10). En clair, bien que le terme « conversion » soit employé dans la jurisprudence, le paragraphe 18.4(2) « n’a pas pour effet de convertir quoi que ce soit. Tout ce qu’il emporte, c’est que les règles applicables aux actions peuvent alors être appliquées à la demande » (Brake c Canada (Procureur général), 2019 CAF 274 aux para 42-43 [Brake]).

[33] Tant notre Cour que la Cour d’appel fédérale ont souligné que les situations dans lesquelles les ordonnances de conversion ont été autorisées sont « exceptionnelles » et « très rares » (Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 104; Slansky, au para 56; Alam, au para 12; Mahoney, au para 10).

[34] Après avoir examiné les articles 18.1 à 18.4 de la LCF, je considère que le paragraphe 18.4(2) ne s’applique pas aux recours exercés au titre de l’article 41 de la LPRP. La conversion ordonnée en vertu du paragraphe 18.4(2) est simplement une exception rare à la règle générale énoncée au paragraphe 18.4(1), qui régit la façon dont les demandes de contrôle judiciaire présentées au titre de l’article 18.1 et les renvois présentés au titre de l’article 18.3 doivent être traités. Les procédures visées aux articles 18.1 et 18.3 sont distinctes des procédures visées à l’article 41 de la LPRP. Je constate que, à l’article 300 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Partie 5 – Demandes) [les Règles], les demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives présentées en vertu de l’article 18.1 sont énumérées séparément des « instances engagées sous le régime d’une loi fédérale ou d’un texte d’application de celle-ci qui en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande » :

Application

Application

300 La présente partie s’applique :

300 This Part applies to

a) aux demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives, y compris les demandes présentées en vertu des articles 18.1 ou 28 de la Loi, à moins que la Cour n’ordonne, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi, de les instruire comme des actions;

(a) applications for judicial review of administrative action, including applications under section 18.1 or 28 of the Act, unless the Court directs under subsection 18.4(2) of the Act that the application be treated and proceeded with as an action;

b) aux instances engagées sous le régime d’une loi fédérale ou d’un texte d’application de celle-ci qui en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande, de requête, d’avis de requête introductif d’instance, d’assignation introductive d’instance ou de pétition, ou le règlement par procédure sommaire, à l’exception des demandes faites en vertu du paragraphe 33(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime;

(b) proceedings required or permitted by or under an Act of Parliament to be brought by application, motion, originating notice of motion, originating summons or petition or to be determined in a summary way, other than applications under subsection 33(1) of the Marine Liability Act;

[35] En outre, il est précisé à l’alinéa a) que le paragraphe 18.4(2) de la LCF représente une exception à l’application de la partie 5 des Règles, précision qui ne figure pas à l’alinéa b).

[36] Dans la décision Gregory c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 667, la Cour fédérale a converti une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la LCF en une demande de révision fondée sur l’article 41 de la LPRP. La demande portait sur le défaut d’une institution fédérale de communiquer les renseignements demandés par le demandeur. En première instance, la Cour a accueilli la requête présentée par le ministre (le défendeur) en vue de convertir la procédure, puisque celle-ci aurait dû être introduite sur le fondement de l’article 41 de la LPRP et non de l’article 18.1 de la LCF (au para 11). La seule question en litige devant la Cour d’appel fédérale était de savoir si la Cour fédérale pouvait exercer sa compétence pour juger du bien-fondé de la réponse donnée par l’institution fédérale au demandeur, une fois la demande de contrôle judiciaire convertie en demande de révision fondée sur l’article 41 (Gregory, précité, aux para 3, 11, 13).

[37] Je suis également consciente de la jurisprudence abondante sur la compétence limitée de la Cour dans le contexte d’une demande de révision fondée sur l’article 41 de la LPRP, comme je le mentionne à la section A de la présente décision. Compte tenu du fait que la compétence de la Cour se limite à ordonner la communication des renseignements demandés (Frezza, aux para 56-57; Cumming, au para 25), si je devais m’appuyer sur le paragraphe 18.4(2) de la LCF pour donner ouverture à des dommages-intérêts dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 41, je ferais indirectement ce que je ne peux pas faire directement. Au paragraphe 43 de l’arrêt Brake, le juge David Stratas a d’ailleurs confirmé que l’application du paragraphe 18.4(2) de la LCF n’entraîne aucune « conversion » et que l’avis de demande demeure, en tout temps, l’acte introductif d’instance. Par conséquent, le paragraphe 18.4(2) ne permet pas de « convertir » la présente demande de révision en quelque chose de fondamentalement différent.

[38] J’estime donc que le paragraphe 18.4(2) de la LCF ne permet pas de « convertir » une demande de révision fondée sur l’article 41 de la LPRP en une demande ou une action dans le cadre de laquelle des dommages-intérêts pourraient être réclamés à la suite du refus d’une institution fédérale de communiquer des renseignements personnels.

IV. Conclusion

[39] Puisque j’ai conclu que la demande de révision fondée sur l’article 41 de la LPRP est théorique, elle sera rejetée.

[40] Cela ne signifie toutefois pas que je ne suis pas troublée par certains aspects de la procédure en l’espèce. Je constate, à la lumière du dossier dont je dispose, que ce n’est pas la première fois que M. Sandiford présente des demandes d’accès à des renseignements personnels, en particulier à son dossier médical et à la correspondance qui s’y rapporte. Il a adressé de nombreuses demandes à diverses institutions fédérales, y compris une demande au ministère de la Défense nationale qui remonte à plus de dix ans. Il a ensuite déposé des plaintes auprès du Commissariat, qui ont été jugées fondées. Dans le cadre d’une communication antérieure, il a obtenu une correspondance datée du 13 octobre 2009, dans laquelle figurait une note manuscrite indiquant que son dossier, y compris son dossier médical entier, avait été envoyé de la BFC Esquimalt au ministère de la Justice à Vancouver. C’est ce qui explique que, dans le cadre de ses efforts continus pour obtenir son dossier médical, il a déposé une demande d’accès à des renseignements personnels auprès du ministère de la Justice en 2020. En 2009, un litige opposait M. Sandiford et le défendeur. Selon M. Sandiford, son dossier médical a été envoyé au ministère de la Justice et a sciemment été soustrait à la communication en raison de ce litige. Il s’appuie à cet égard sur une copie d’une note de service interne du ministère de la Justice concernant la mise en place de mesures de préservation de la preuve visant les documents relatifs à l’objet de la plainte de M. Sandiford.

[41] Essentiellement, M. Sandiford estime que le ministère de la Justice n’est pas de bonne foi et qu’il retient délibérément son dossier médical. Comme je l’ai expliqué lors de l’audience, la capacité de la Cour à évaluer cette allégation repose sur son accès aux documents en la possession du ministère de la Justice et sur son examen des exceptions qui ont été appliquées à ces documents. Un tel exercice ne peut avoir lieu qu’après le dépôt d’une plainte auprès du Commissariat concernant la réponse du ministère de la Justice et après l’enquête menée par le commissaire à la protection de la vie privée. Par conséquent, malheureusement pour M. Sandiford, ce qu’il cherche à obtenir dans le cadre de la présente procédure est en fin de compte soit théorique, soit prématuré.

[42] Bien que le défendeur ait obtenu gain de cause, il n’a pas demandé les dépens afférents à la présente demande. Quoi qu’il en soit, j’estime, compte tenu des circonstances, qu’il n’y a pas lieu d’en adjuger.


JUGEMENT dans le dossier T-431-23

LA COUR STATUE que la présente demande de révision est rejetée.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-431-23

INTITULÉ :

CALVIN SANDIFORD c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 DÉCEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 20 DÉCEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Calvin Sandiford

Pour le demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

Michelle Lutfy

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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