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Date : 20231215


Dossier : IMM-8785-21

Référence : 2023 CF 1706

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa, Ontario, le 15 décembre 2023

En présence de l’honorable juge Pallotta

ENTRE:

TOSIN ADEYEMI DADA

IREMIDE JOSH AMOS

AKOREDE JOEL AMOS

ADESIRE JASON AMOS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Tosin Adeyemi Dada et ses trois enfants sont les demandeurs en l’espèce. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 27 octobre 2021 par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAR a rejeté l’appel des demandeurs et a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger pour l’application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR], car ils ont une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable au Nigéria.

[2] S’ils retournent au Nigéria, les demandeurs craignent que les enfants soient enlevés à Mme Dada par la famille de leur père et que celle-ci les contraigne à subir des rituels, notamment de scarification tribale, comme l’exigent les traditions familiales royales et les pratiques culturelles.

[3] La seule question à trancher est celle de déterminer si la conclusion de la SAR quant à la PRI est déraisonnable. Les demandeurs ne contestent pas la conclusion de la SAR selon laquelle un des enfants, qui est un citoyen des États-Unis d’Amérique, n’avait pas établi le bien-fondé de sa demande d’asile fondée sur les articles 96 ou 97 de la LIPR.

[4] La conclusion de la SAR quant à la PRI est évaluée, sur le plan du caractère raisonnable, d’après les principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Bien que la norme de contrôle de la décision raisonnable soit empreinte de retenue judiciaire, il s’agit d’une norme rigoureuse : Vavilov aux paragraphes 12-13, 75 et 85. Dans l’application de la norme de la décision raisonnable, la cour de révision détermine si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov au paragraphe 99. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov au paragraphe 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au paragraphe 100.

[5] Les demandeurs prétendent que la SAR a commis une erreur dans l’évaluation de leur risque.

[6] Premièrement, ils soutiennent que la décision de la SAR était fondée sur des spéculations, des inférences injustifiées et des conclusions d’invraisemblance plutôt que sur la preuve. Le témoignage de Mme Dada est présumé vrai et il n’a pas à être corroboré s’il est non contredit.

[7] Deuxièmement, les demandeurs affirment que la SAR a arrêté à tort son analyse à l’évaluation de la PRI, sans considérer s’ils étaient exposés à un risque objectif. Même si la SAR ne croit pas un demandeur, elle a l’obligation de déterminer s’il est exposé à un risque d’après son profil.

[8] Troisièmement, les demandeurs avancent que la SAR et la SPR ont fondé à mauvais droit leurs analyses sur l’article 97 de la LPRI. Le fait que les demandeurs d’âge mineur sont recherchés par leur famille paternelle, de sang royal, pourrait constituer un motif de persécution au sens de la Convention selon l’article 96 de la LPRI.

[9] Quatrièmement, les demandeurs soutiennent que la SAR a fondamentalement mal compris la nature de leur demande en centrant l’analyse sur Mme Dada plutôt que sur les enfants, et que la SAR a commis une erreur en ignorant les demandes des enfants lors de l’analyse du premier volet du critère de la PRI. Il ne peut pas y avoir de PRI pour les enfants, car, dans la culture nigériane, ils appartiennent à leur père et à sa famille. Aucune frontière géographique ne peut empêcher la famille de l’ex-mari de Mme Dada de lui enlever les enfants.

[10] Quant au second volet du critère de la PRI, les demandeurs soutiennent que la SAR avait tort de fonder sa décision sur les études de Mme Dada et ses perspectives d’emploi. Les demandeurs avancent que la SAR a commis une erreur en statuant que Mme Dada serait probablement en mesure de trouver un emploi compte tenu de ses qualifications. De plus, les demandeurs prétendent que la SAR a omis de prendre en compte la preuve contenue au Cartable national de documentation (CND) sur le Nigéria. Selon cette preuve, il n’est pas toujours viable de déménager dans une autre région du Nigéria, particulièrement pour les non-indigènes. Il ne faut pas ignorer le sort des non-indigènes, car ils peuvent se voir refuser l’exercice de droits fondamentaux, comme un traitement médical, et ce, dans n’importe quelle ville du pays. Cela dit, et indépendamment des qualifications de Mme Dada, les demandeurs soutiennent que, même si la PRI proposée était adéquate pour Mme Dada en tant que femme divorcée, la demande de protection était axée sur les enfants, qui vont toujours appartenir à la famille de leur père au Nigéria.

[11] Je conclus que les demandeurs n’ont pas établi d’erreur susceptible de contrôle qui justifie l’annulation de la décision de la SAR.

[12] Les demandeurs n’ont pas démontré d’erreur dans l’évaluation du risque faite par la SAR.

[13] Les demandeurs ne mentionnent aucun élément dans la décision de la SAR ou dans le dossier révélant que la SAR a fondé sa décision sur des spéculations, des inférences injustifiées ou des conclusions d’invraisemblance plutôt que sur le témoignage de Mme Dada. Les demandeurs avançaient un argument similaire à l’égard de la décision de la SPR, et la SAR y a répondu. Elle a conclu que, même si Mme Dada croyait que la famille de son ex-mari était fortunée et influente, cette croyance, à elle seule, n’atteste pas de la vérité. Ainsi, selon la SAR, la SPR avait raison d’exiger des éléments de preuve pour corroborer la croyance de Mme Dada. Même quand un demandeur est jugé crédible, il n’est pas libéré de la nécessité de produire des éléments de preuve objective selon lesquels la PRI proposée n’est pas viable : Awakan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 797 au paragraphe 23, citant Iyere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 67 au paragraphe 37 et Figueroa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 521 au paragraphe 54. À cet égard, les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une erreur susceptible de révision dans les conclusions de la SAR.

[14] La SAR n’a pas commis d’erreur en centrant l’analyse sur la PRI proposée. Le concept de PRI est inhérent à la définition d’un réfugié ou d’une personne à protéger. Un demandeur d'asile doit être un réfugié d’un pays, et non d’une région d’un pays : AHA c Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2020 CF 787 au paragraphe 1.

[15] En ce qui concerne l’argument relatif à l’article 96 de la LIPR, la SAR a répondu aux prétentions des demandeurs et elle a conclu qu’ils n’avaient pas prouvé qu’ils seraient exposés à un risque de persécution pour un motif prévu à la Convention. La SAR a conclu que la SPR avait correctement analysé la demande fondée sur l’article 97 de la LIPR. Les demandeurs n’ont pas établi d’erreur susceptible de contrôle dans les conclusions de la SAR à cet égard.

[16] Quoi qu’il en soit, la SAR a conclu que l’existence d’une PRI viable était déterminante, que la demande soit analysée sur le fondement de l’article 96, de l’article 97, ou des deux. À ce sujet, la SAR a accepté la preuve selon laquelle les demandeurs seraient exposés à une menace à leur vie ou à un risque de traitements cruels et inusités aux mains de la famille du père et elle a conclu que celle-ci était un agent de persécution. Ultimement, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi le bien-fondé de leur prétention selon laquelle la PRI proposée n’était pas viable. Comme la SAR a conclu que la famille du père était un agent de persécution et qu’elle a déterminé l’existence d’une PRI en tenant compte de ce fait, une analyse suivant l’article 96 n’aurait pas joué sur la décision. Les demandeurs n’ont pas démontré d’erreur dans l’approche préconisée par la SAR.

[17] La SAR a accepté la preuve selon laquelle la famille de l’ex-mari de Mme Dada était motivée à rechercher les demandeurs. Elle a toutefois estimé que la preuve n’établissait pas que la famille avait les moyens de ratisser le pays au complet pour dénicher les demandeurs dans la PRI proposée. Bien que la famille puisse avoir une certaine influence locale, la SAR a déterminé qu’il n’y avait pas de preuve que la famille jouissait d’un statut royal, que ce statut était largement reconnu ou qu’il lui donnerait une influence pour traquer les demandeurs à travers le Nigéria. La SAR a conclu que la SPR avait exigé à bon droit des éléments de preuve pour corroborer la richesse ou l’influence de la famille de l’ex-mari. Les demandeurs n’ont pas soulevé d’erreur dans la conclusion de la SAR voulant que l’agent de persécution ne dispose pas des moyens pour les trouver dans la PRI proposée.

[18] Les demandeurs soulèvent plutôt un argument différent, à savoir que, dans la culture nigériane, les enfants de la famille appartiennent à l’ex-mari de Mme Dada et à sa famille. Mme Dada ne peut donc pas empêcher cette dernière de lui enlever les enfants. Cet argument n’a pas été soulevé dans l’appel à la SAR. En outre, les demandeurs n’ont indiqué aucun élément de preuve établissant que, selon la culture nigériane, Mme Dada ne peut pas empêcher la famille de son ex-mari de prendre les enfants. La preuve au dossier montre qu’en 2016, dans le cadre du divorce, Mme Dada a obtenu la garde exclusive de ses enfants.

[19] En résumé, les demandeurs n’ont pas soulevé d’erreur dans l’analyse ou les conclusions de la SAR suivant lesquelles ils n’avaient pas présenté d’éléments de preuve suffisants et crédibles pour établir qu’ils sont exposés à un risque prospectif de préjudice dans la PRI proposée.

[20] Quant au deuxième volet du critère de la PRI, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient raisonnablement déménager à l’endroit proposé comme PRI. À cet égard, le défendeur souligne avec justesse qu’il appartient au demandeur de faire la preuve du caractère déraisonnable d’une PRI proposée, et qu’il s’agit là d’un lourd fardeau. Un demandeur doit fournir des éléments de preuve réels et concrets de l’existence de conditions qui mettraient en péril sa vie et sa sécurité s’il tentait de se déplacer dans cette région ou de s’y établir : Amadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1166 aux paragraphes 45-46; Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 aux paragraphes 13-15, 2000 CanLII 16789 (CAF). Je conviens avec le défendeur que la SAR a apprécié de manière raisonnable les circonstances personnelles des demandeurs, y compris les perspectives d’emploi de Mme Dada et les questions en lien avec ses origines indigènes. À l’instar du défendeur, j’estime également que la conclusion de la SAR – voulant que les demandeurs n’aient pas établi qu’un déménagement dans la PRI serait déraisonnable pour l’application du deuxième volet du critère de la PRI – est raisonnable. Les prétentions des demandeurs reviennent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui ne correspond pas à son rôle dans le cadre du contrôle judiciaire.

[21] En conclusion, les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR avait commis une erreur en concluant qu’ils avaient une PRI viable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[22] Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et, à mon avis, l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

JUGEMENT dans IMM-8785-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8785-21

 

INTITULÉ :

TOSIN ADEYEMI DADA, IREMIDE JOSH AMOS, AKOREDE JOEL AMOS, ADESIRE JASON AMOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 13 juin 2023

 

JUGeMENT et motifs :

la juge PALLOTTA

 

DATE :

le 15 décembre 2023

 

COMPARUTIONS

Rasaq Ayanlola

 

pour les demandeurs

 

Rishma Bhimji

 

pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Rohi Law Firm

Barristers and Solicitors

Scarborough (Ontario)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour les intimés

 

 

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