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Date : 20231221


Dossiers : T-402-19

T-141-20

T-1120-21

Référence : 2023 CF 1739

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2023

En présence de madame la juge Aylen

Dossier : T-402-19

ENTRE :

XAVIER MOUSHOOM, JEREMY MEAWASIGE (REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, JONAVON JOSEPH MEAWASIGE) ET JONAVON JOSEPH MEAWASIGE

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T-141-20

ET ENTRE :

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS, ASHLEY DAWN LOUISE BACH, KAREN OSACHOFF, MELISSA WALTERSON, NOAH BUFFALO-JACKSON (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, CAROLYN BUFFALO), CAROLYN BUFFALO ET DICK EUGENE JACKSON, ALIAS RICHARD JACKSON

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LE ROI

REPRÉSENTÉ PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T-1120-21

ET ENTRE :

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS ET ZACHEUS JOSEPH TROUT

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

(Requête relative aux honoraires des avocats des groupes)


[1] Dans les recours collectifs sous-jacents, les demandeurs ont présenté des réclamations relatives à deux catégories de conduite discriminatoire : i) Le Canada n’a jamais fourni de financement suffisant au programme des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations [le programme des SEFPN] offert dans les réserves et au Yukon, programme qu’il a mis en œuvre de façon discriminatoire, ce qui a créé des incitatifs systémiques favorisant le retrait des enfants des Premières Nations de leur foyer, de leur collectivité et de leur culture; ii) Le Canada n’a pas assuré un accès libre de discrimination aux services de santé et aux services sociaux essentiels, ce qui est contraire à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et au principe de Jordan.

[2] Les trois recours collectifs sous-jacents ont finalement fait l’objet d’un règlement, récemment approuvé, dans le cadre duquel le Canada a convenu de verser 23 343 940 000 $ en dommages-intérêts pour sa conduite discriminatoire et de financer diverses mesures de soutien supplémentaires à l’intention des jeunes et des familles des Premières Nations touchés.

[3] La Cour est maintenant saisie d’une requête déposée par Sotos LLP, Kugler Kandestin S.E.N.C.R.L., Miller Titerle + Co., Nahwegahbow, Corbiere et Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l., qui représentent les groupes de demandeurs dans les recours collectifs sous-jacents [collectivement, les avocats des groupes]. Les avocats des groupes sollicitent une ordonnance visant à faire approuver leurs honoraires.

[4] Les circonstances de la présente requête sont uniques. Le règlement sous-jacent est ce qu’on appelle communément un « règlement associé à des mégafonds », c’est-à-dire que le montant du recouvrement accordé dans le contexte des recours collectifs dépasse 100 millions de dollars. C’est, de loin, le plus important règlement de ce genre de l’histoire des recours collectifs au Canada, et notre Cour ne s’est pas encore expressément penchée sur l’incidence d’un règlement de cette ampleur sur l’approche qu’elle devrait adopter pour évaluer le caractère juste et raisonnable des honoraires d’avocat qui doivent être approuvés.

[5] En outre, et plus important encore, les recours collectifs en question n’ont pas soulevé de réclamations entièrement nouvelles. Au contraire, les avocats des groupes ont délibérément intenté des recours collectifs qui recoupaient une instance en cours depuis longtemps devant le Tribunal canadien des droits de la personne [le Tribunal]. Dans cette instance, le Canada avait déjà été jugé responsable de la même conduite discriminatoire alléguée par certains membres des groupes pour une partie de la période pertinente.

[6] Au moment où le premier recours collectif sous-jacent a été intenté (par des avocats qui ne participaient pas à l’instance devant le Tribunal), la conclusion de responsabilité tirée par le Tribunal était définitive et celui-ci s’affairait à déterminer la réparation appropriée. Six mois plus tard, le Tribunal a rendu une décision ordonnant le versement d’indemnités totalisant environ 9,59 milliards de dollars.

[7] Le règlement conclu par les parties réglait à la fois les recours collectifs et la question des indemnités accordées par le Tribunal. Étant donné que les réclamations formulées dans le cadre des recours collectifs recoupent, en partie, celles qui ont été présentées au Tribunal, les avocats des groupes bénéficient financièrement des efforts de recouvrement déployés devant le Tribunal. Aux termes des conventions définitives sur les honoraires qui ont été conclues (dont je traiterai plus en détail ci-après), les avocats des groupes auraient droit au montant maximal prévu au titre des honoraires (80 millions de dollars) sur la base uniquement du recouvrement de 9,59 milliards de dollars octroyé par le Tribunal.

[8] La présente requête comporte un autre élément unique, c’est-à-dire que les parties ont conclu une entente quant au montant des honoraires des avocats des groupes après l’audience relative à la requête. Lorsque la requête a été initialement déposée et débattue devant la Cour, les avocats des groupes sollicitaient des honoraires de 80 millions de dollars (taxes non comprises) et les débours. Le Canada s’est opposé au montant des honoraires demandé, faisant valoir qu’il était excessif et qu’une somme de 40 à 50 millions, taxes et débours compris, était juste et raisonnable. Toutefois, les contre-arguments du Canada sur la question de l’approbation des honoraires n’ont pas été d’une grande utilité pour la Cour, car l’analyse effectuée par le Canada dans ses observations manquait de rigueur. Compte tenu de l’approche du Canada, lors de l’audience relative à la requête, j’ai émis de sérieuses réserves sur le montant, et le fondement, des honoraires demandés, réserves que le Canada n’avait pas formulées. Malgré mes réserves, les avocats des groupes ont continué de soutenir à l’audience que des honoraires de 80 millions étaient entièrement justes et raisonnables dans les circonstances.

[9] Cependant, cinq jours après l’audience, les avocats des groupes ont informé la Cour que les parties avaient conclu une entente quant au montant des honoraires d’avocat et que les avocats des groupes avaient accepté une réduction considérable de leurs honoraires. Plus précisément, les parties ont convenu d’un règlement fondé sur les modalités suivantes :

  1. Les avocats des groupes toucheraient des honoraires de 50 millions de dollars (taxes et débours non compris) pour l’ensemble du travail accompli jusqu’au 31 octobre 2023;

  2. Les avocats des groupes seraient rémunérés selon un taux horaire commercial pour le travail effectué après le 31 octobre 2023 jusqu’à ce que la Cour approuve le dernier protocole de distribution, jusqu’à concurrence de 5 millions de dollars.

[10] L’entente des parties quant au montant des honoraires est, de toute évidence, une considération pertinente. Toutefois, elle n’a pas d’incidence sur le degré d’examen requis lorsque la Cour évalue le caractère juste et raisonnable des honoraires.

[11] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le montant des honoraires d’avocat qui est maintenant proposé conjointement par les parties demeure excessif. J’approuve des honoraires d’avocat de 40 millions de dollars, plus les débours et les taxes, pour l’ensemble du travail accompli jusqu’au 31 octobre 2023. De plus, je suis convaincue que les honoraires d’avocat pour le travail accompli du 1er novembre 2023 jusqu’à l’achèvement du dernier protocole de distribution doivent être versés en fonction du travail accompli (sans majoration) selon un taux horaire commercial, jusqu’à concurrence de 5 millions de dollars. Toutefois, le montant approuvé au titre de ces honoraires sera établi au moyen d’une ou de plusieurs requêtes qui seront présentées lorsque le travail en question sera terminé, avec éléments de preuve à l’appui.

I. Contexte

A. Instance devant le Tribunal canadien des droits de la personne

[12] En 2007, l’Assemblée des Premières Nations [l’APN], représentée par le cabinet d’avocats Nahwegahbow, Corbiere, et la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada [la Société de soutien] ont déposé une plainte contre le Canada auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission]. Le 14 octobre 2008, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal.

[13] L’APN et la Société de soutien faisaient valoir que le Canada violait la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la LCDP], car il faisait preuve de discrimination envers les enfants et les familles des Premières Nations vivant dans des réserves et au Yukon en sous-finançant la prestation des services à l’enfance et à la famille. Elles soutenaient que la discrimination était fondée sur la race et l’origine nationale ou ethnique. La plainte soulignait la très forte surreprésentation des enfants des Premières Nations dans les foyers d’accueil, la nature systémique et continue de la discrimination et la nécessité d’appliquer le principe de Jordan comme il se doit. Le principe de Jordan est un principe qui place l’intérêt de l’enfant en premier. Il prévoit que, lorsqu’un service gouvernemental est offert à tous les autres enfants et qu’un conflit de compétences surgit entre le Canada et une province ou un territoire, ou entre des ministères du même gouvernement, au sujet des services à offrir à un enfant d’une Première Nation, le ministère qui a reçu la première demande doit payer pour les services et demander à être remboursé par l’autre ministère ou gouvernement, après que l’enfant a reçu les services. Ce principe vise à empêcher que les enfants des Premières Nations se voient refuser des services publics essentiels ou qu’ils soient laissés en attente de services.

[14] La plainte décrivait également les efforts déployés par le passé par la Société de soutien, l’APN et d’autres organismes pour réclamer une réforme du programme et un financement supplémentaire.

[15] Après une audience d’une durée de 70 jours pendant laquelle 25 témoins ont comparu et 500 pièces documentaires ont été déposées, le Tribunal a conclu, le 26 janvier 2016, que le Canada avait contrevenu à l’article 5 de la LCDP de deux façons : i) le programme des SEFPN a entraîné une discrimination envers les enfants et les familles des Premières Nations vivant dans des réserves et au Yukon qui s’est traduite par un financement fixe inadéquat qui a restreint la capacité de fournir des services de protection de l’enfance adaptés à la réalité culturelle, a incité ses organismes à placer les enfants des Premières Nations et ne tenait pas compte des besoins propres aux enfants et aux familles des Premières Nations; ii) le Canada a fait preuve de discrimination en appliquant le principe de Jordan de manière beaucoup trop limitative, ce qui a engendré des lacunes dans les services, des retards et des refus [la décision sur le bien-fondé]. Dans la décision sur le bien-fondé, le Tribunal a constaté que les pratiques discriminatoires du Canada en matière de financement ont causé des souffrances aux enfants et aux familles des Premières Nations vivant dans des réserves et au Yukon.

[16] Le Tribunal a ordonné au Canada de cesser immédiatement ses pratiques discriminatoires, de mettre en branle les réformes nécessaires pour se conformer à la décision sur le bien-fondé et d’appliquer immédiatement le principe de Jordan en lui donnant sa pleine portée et tout son sens. En dernier lieu, le Tribunal a demandé aux parties de formuler des observations sur les mesures de réparation.

[17] Ni le Canada ni les plaignants n’ont sollicité le contrôle judiciaire de la décision sur le bien-fondé, qui est devenue définitive le 2 mars 2016.

[18] En mars 2019, le Tribunal s’est penché sur la question de la réparation. Le Canada a déposé des observations dans lesquelles il s’est opposé au droit à une indemnité individuelle, au motif que le recours collectif Moushoom (défini ci-après) était le forum à privilégier pour déterminer la nature des droits des membres du groupe à une indemnité, le cas échéant.

[19] En septembre 2019, le Tribunal a rejeté les arguments du Canada contre l’indemnisation et lui a ordonné de verser des indemnités de 40 000 $, plus les intérêts, aux enfants ainsi qu’aux parents et grands-parents responsables de ces enfants qui ont été touchés par le sous-financement discriminatoire des services aux enfants et à la famille ou par l’application étroite du principe de Jordan par le Canada (voir la décision sur le bien-fondé) [la décision sur l’indemnisation]. Dans sa décision sur l’indemnisation, le Tribunal a octroyé la réparation maximale permise par la LCDP, en indiquant ce qui suit :

En accordant le montant maximal permis par la Loi, la formation reconnaît, au mieux de sa capacité et avec les outils que la LCDP met actuellement à sa disposition, que la présente affaire de discrimination raciale constitue l’un des pires scénarios possibles et qu’elle justifie l’octroi des indemnités maximales.

[20] Le 14 octobre 2019, le Canada a demandé le contrôle judiciaire de la décision sur l’indemnisation.

[21] Le 29 septembre 2021, la Cour fédérale a rejeté cette demande de contrôle judiciaire. Dans sa décision, notre Cour a exhorté les parties à en arriver à un règlement juste et équitable.

[22] Le 29 octobre 2021, le Canada a interjeté appel de la décision rendue par la Cour à l’égard du contrôle judiciaire.

[23] Le 5 novembre 2021, le Canada a demandé, au nom de toutes les parties, que l’appel soit mis en suspens jusqu’au 31 décembre 2021, les parties ayant entamé des discussions en vue d’un règlement. Par la suite, les parties ont demandé que la mise en suspens soit prorogée pendant que les discussions se poursuivaient. L’appel est demeuré en suspens jusqu’à ce que l’Entente de règlement définitive soit approuvée, et il sera bientôt abandonné, comme le requiert le règlement.

B. Recours collectifs sous-jacents

[24] Dans les instances sous-jacentes, les demandeurs ont présenté des réclamations relatives à deux catégories de conduite discriminatoire :

  1. Le Canada n’a jamais fourni de financement suffisant au programme des SEFPN offert dans les réserves et au Yukon, programme qu’il a mis en œuvre de façon discriminatoire, ce qui a créé des incitatifs systémiques favorisant le retrait des enfants des Premières Nations de leur foyer, de leur collectivité et de leur culture;

  2. le Canada n’a pas assuré un accès libre de discrimination aux services de santé et aux services sociaux essentiels, ce qui est contraire à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et au principe de Jordan.

[25] Dans la première catégorie (le retrait d’enfants de leur foyer), les demandeurs soutiennent que, pendant des décennies, le Canada a sous-financé les services à l’enfance et à la famille destinés aux enfants des Premières Nations vivant dans des réserves et au Yukon. Plus particulièrement, il a sous-financé les services de prévention qui auraient permis aux enfants des Premières Nations de rester dans leur milieu familial. En même temps, le Canada finançait le retrait de ces enfants de leur foyer et de leur collectivité, créant un effet incitatif pervers : les enfants devaient être retirés de leur milieu familial pour recevoir des services publics dont bénéficiaient les enfants ne vivant pas dans une réserve.

[26] Le retrait d’enfants de leur foyer cause de graves traumatismes qui sont souvent permanents. Voilà pourquoi cette mesure est généralement employée seulement en dernier recours. Toutefois, dans le cas des enfants des Premières Nations qui vivaient dans une réserve et au Yukon, cette mesure s’est retrouvée appliquée à la première occasion à cause du sous-financement des services, d’où une surreprésentation effarante des enfants des Premières Nations parmi les enfants pris en charge par l’État.

[27] Selon les demandeurs, ce sous-financement a persisté malgré : a) le besoin plus grand de tels services dans les réserves en raison des traumatismes intergénérationnels subis par les Premières Nations et qui sont les séquelles des pensionnats indiens ainsi que de la rafle des années 1960; b) le fait que le Canada savait que des lacunes affligeaient le programme des SEFPN, vu les nombreux rapports gouvernementaux et indépendants qui décrivaient ces graves problèmes de même que l’iniquité dans l’offre du programme des SEFPN et ses conséquences préjudiciables sur les membres des Premières Nations.

[28] Les demandeurs affirment que les mesures incitant le retrait des enfants des Premières Nations de leur milieu familial ont eu des conséquences traumatisantes et durables sur les enfants en question (y compris les représentants demandeurs), dont bon nombre souffrent déjà des effets des traumatismes infligés par le Canada à leurs parents, grands-parents et ancêtres dans les pensionnats indiens et durant la rafle des années 1960.

[29] Dans la deuxième catégorie (les services essentiels), les demandeurs soutiennent que le Canada a omis de fournir aux enfants des Premières Nations un accès adéquat et libre de discrimination aux services et aux produits essentiels en matière de santé et de services sociaux, ce qui va à l’encontre du principe de Jordan. Le principe de Jordan, ainsi nommé en mémoire de Jordan River Anderson (enfant des Premières Nations né avec des maladies complexes), désigne l’obligation juridique suivant laquelle le ministère qui reçoit la demande initiale de services essentiels destinés à un enfant des Premières Nations doit payer pour ces services avant de tenter de déterminer quel ordre de gouvernement ou ministère devrait assumer la note. Selon les demandeurs, même s’il a reconnu qu’il avait l’obligation juridique de se conformer au principe de Jordan, le Canada a fait fi de cette obligation pendant des décennies et refusé à de nombreux enfants des Premières Nations des services et produits essentiels en matière de santé et de services sociaux.

[30] Le 4 mars 2019, soit trois ans après que le Tribunal a rendu la décision sur le bien-fondé, Xavier Moushoom a introduit un recours collectif envisagé (dossier de la Cour no T-402-19) visant l’indemnisation des enfants lésés par la discrimination liée au programme des SEFPN depuis le 1er avril 1991 et à l’offre de services essentiels ainsi que par le non-respect du principe de Jordan depuis le 1er avril 1991 [le recours collectif Moushoom].

[31] Le 28 janvier 2020, l’APN et plusieurs représentants demandeurs envisagés ont intenté un deuxième recours collectif envisagé (dossier de la Cour no T-141-20) [le recours collectif APN], qui recoupait le recours collectif Moushoom.

[32] Le 7 juillet 2021, le recours collectif Moushoom et le recours collectif APN ont été réunis [le recours réuni] sur consentement. Cependant, les parties ont convenu de supprimer du recours réuni les réclamations relatives aux retards, aux refus ou aux lacunes liés à la fourniture de services essentiels avant le 11 décembre 2007, puisqu’elles feraient l’objet d’une action distincte déposée plus tard par Zacheus Trout et l’APN. À ce moment-là, le Canada considérait que le principe de Jordan n’existait pas avant le 12 décembre 2007 (date à laquelle la Chambre des communes a adopté une motion appuyant le principe de Jordan) et s’opposait donc à l’autorisation de toute réclamation antérieure au 12 décembre 2007.

[33] Le 16 juillet 2021, M. Trout et l’APN ont déposé leur recours collectif envisagé (dossier de la Cour no T-1120-21) concernant les demandes qui avaient été formulées dans le recours collectif Moushoom relativement aux retards, aux refus et aux lacunes liés à la fourniture de services essentiels entre le 1er avril 1991 et le 11 décembre 2007 [le recours collectif Trout]. Le groupe des enfants du groupe Trout est ainsi nommé en mémoire des deux enfants décédés de M. Trout, Sanaye et Jacob.

[34] Le 26 novembre 2021, le recours réuni a été autorisé comme recours collectif, sur consentement.

[35] Le Canada a par la suite mis fin à son opposition aux réclamations antérieures au 12 décembre 2007 et, le 11 février 2022, le recours collectif Trout a aussi été autorisé sur consentement.

C. Mandats de représentation en justice et Convention de consortium

[36] En 2019, les avocats du groupe du recours collectif Moushoom (Sotos LLP, Kugler Kandestin S.E.N.C.R.L. et Miller Titerle + Company) ont signé des mandats de représentation en justice prévoyant des honoraires conditionnels avec les demandeurs du recours collectif Moushoom, et, en 2020, les mêmes avocats ont conclu un mandat de représentation en justice prévoyant des honoraires conditionnels avec M. Trout relativement au recours collectif Trout. Les mandats de représentation prévoyaient les pourcentages d’honoraires conditionnels standards suivants :

[traduction]
a) Pour toute somme globale recouvrée à l’issue du recours collectif : vingt pour cent (20 %) de la première tranche de deux cents millions de dollars de la somme globale recouvrée, plus dix pour cent (10 %) du reste la somme globale recouvrée (ces pourcentages ne s’appliquent à aucune somme recouvrée à la suite d’une réclamation individuelle); plus

b) Pour toute somme recouvrée à la suite d’une réclamation individuelle par un membre particulier du groupe : vingt‐cinq pour cent (25 %) de la somme; plus

c) Les dépens adjugés par la Cour en faveur du client ou du groupe.

[37] Les avocats du groupe du recours collectif APN (Nahwegahbow, Corbiere et Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l., de même que Strosberg Sasso Sutts LLP pendant un certain temps) ont signé avec leurs clients des mandats de représentation en justice prévoyant des honoraires conditionnels fondés sur des pourcentages d’honoraires standards similaires, mais assortis d’un plafond :

[traduction]
a) DIX POUR CENT (10 %) de toute somme recouvrée avant le début du procès, sous réserve d’un plafond de 80 millions de dollars; et par la suite,

b) QUINZE POUR CENT (15 %) lorsque le procès sur les questions communes a commencé, sous réserve d’un plafond de 100 millions de dollars.

[38] Le 26 juin 2020, les avocats des groupes du recours collectif Moushoom et du recours collectif APN ont signé une convention de consortium [la Convention de consortium], selon laquelle ils ont convenu de travailler ensemble pour intenter les recours collectifs. La Convention de consortium a été signée par chacun des cinq cabinets d’avocats pour lesquels travaillent les avocats des groupes, mais aucun des représentants demandeurs ne l’a signée.

[39] Les objectifs de la Convention de consortium sont les suivants :

[traduction]

  1. Les parties conviennent de travailler ensemble pour faire avancer l’affaire dans l’intérêt collectif de leurs clients respectifs et des membres du groupe, par la voie judiciaire ou par la négociation d’un règlement.

  2. Les parties demanderont une indemnité pour tous les membres du groupe et la mise en œuvre de changements permanents et systémiques pour lutter contre la discrimination historique envers les enfants des Premières Nations et améliorer la protection des enfants autochtones au Canada.

[40] Sous la rubrique des honoraires, la Convention de consortium indique notamment ce qui suit :

[traduction]

17. Les parties demanderont à la Cour d’approuver le paiement des honoraires ainsi calculés :

a) Dix pour cent (10 %) de tout paiement obtenu par le groupe par la voie d’un règlement ou d’un jugement (la somme recouvrée) avant le début du procès sur les questions communes, sous réserve d’un plafond de 80 millions de dollars; et par la suite,

b) Quinze pour cent (15 %) de tout paiement obtenu après le début du procès sur les questions communes, mais avant le jugement ou le règlement, sous réserve d’un plafond de 100 millions de dollars; et par la suite,

c) Vingt pour cent (20 %) de tout paiement obtenu après la conclusion du procès en première instance sur les questions communes, sous réserve d’un plafond de 120 millions de dollars.

d) Les sommes ci-dessus ne comprennent pas les taxes applicables.

18. Les parties pourront, d’un commun accord, demander une somme moins élevée lorsque cela est raisonnable, approprié et conforme aux principes énoncés dans la présente Convention.

[41] L’inclusion d’un plafond d’honoraires était une condition exigée par l’APN et à laquelle les avocats des groupes ont finalement consenti.

D. Faits survenus après l’introduction des recours collectifs et ayant mené au règlement global

[42] Le Tribunal a rendu publique sa décision sur l’indemnisation le 6 septembre 2019. Conformément à cette décision, des indemnités de 40 000 $, plus les intérêts, devaient être versées aux enfants des Premières Nations retirés de leur famille, de leur foyer et de leur communauté, et aux enfants touchés par les retards, les refus ou les lacunes liés aux services essentiels à partir de 2006, de même qu’aux parents et aux grands-parents responsables d’eux.

[43] Environ deux mois plus tard, le 5 décembre 2019, le gouvernement fédéral s’est engagé dans son Discours du Trône à « [veiller] à ce que les peuples autochtones qui ont été blessés par le système d’aide à l’enfance soient indemnisés équitablement et en temps opportun ».

[44] À la suite de l’introduction du recours collectif APN le 28 janvier 2020, celui-ci n’a pas progressé pendant quelques mois, au cours desquels la Convention de consortium a été signée.

[45] En juillet 2020, le Canada a proposé aux avocats des groupes du recours réuni que les parties acceptent d’aller en médiation. Les discussions concernant une éventuelle médiation ont eu lieu en juillet et en août. À la fin du mois d’août, les parties ont consenti à demander la nomination de l’honorable juge Leonard Mandamin à titre de médiateur.

[46] De novembre 2020 à septembre 2021, les parties au recours réuni ont participé à une médiation dirigée par le juge Leonard Mandamin. Cependant, durant cette période, le Canada a refusé d’entamer des négociations relativement au recours collectif Trout. Les parties n’ont pas réussi à s’entendre, et les avocats des groupes ont cherché à faire avancer l’instance.

[47] En septembre 2021, à la suite du rejet par notre Cour de la demande de contrôle judiciaire de la décision sur l’indemnisation, le Canada a proposé de poursuivre les négociations en vue d’un règlement global visant les recours collectifs et l’instance devant le Tribunal. Par la suite, les parties au recours réuni ont convenu de procéder à d’autres négociations dirigées par l’honorable Murray Sinclair. Vers la fin de ces négociations, le Canada a accepté de joindre le recours collectif Trout aux discussions en vue d’un règlement.

[48] Le 29 octobre 2021, l’honorable Patty Hajdu, ministre des Services aux Autochtones, l’honorable Marc Miller, ancien ministre des Relations Couronne-Autochtones, et l’honorable David Lametti, ancien ministre de la Justice et procureur général du Canada, ont fait la déclaration publique suivante :

Nous avons été sans équivoque depuis le début : nous indemniserons les personnes lésées par les politiques de services à l’enfance et à la famille afin de réparer les torts du passé et de jeter les bases d’un avenir plus équitable et plus solide pour les enfants des Premières [N]ations, leurs familles et leurs communautés.

Aujourd’hui, le gouvernement du Canada et les parties, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations, annoncent que nous avons convenu de travailler ensemble dès aujourd’hui afin d’en arriver à une résolution globale d’ici décembre 2021 sur les questions en suspens qui ont fait l’objet de litiges. Il s’agira notamment de :

  • fournir une compensation juste et équitable aux enfants des Premières Nations qui vivent dans les réserves et au Yukon et qui ont été retirés de leur foyer par des agences de services à l’enfance et à la famille, ainsi qu’à ceux qui ont été lésés par la portée limitée de la définition du principe de Jordan mise de l’avant par le gouvernement,

  • réaliser une réforme à long terme du programme des services à l’enfance et à la famille des Premières [N]ations, et de

  • financer l’achat ou la construction d’immobilisations en appui à la prestation de services à l’enfance et à la famille dans les réserves et au principe de Jordan.

Tout en veillant à ce que les personnes lésées soient indemnisées équitablement, nous nous engageons également à faire des investissements importants pour en arriver à une réforme à long terme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations et nous travaillerons avec les parties pour mettre en place une approche qui servira le mieux ces enfants. Nous poursuivrons également ce travail par la mise en œuvre continue de la Loi sur les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, qui affirme et reconnaît leur compétence en matière de services à l’enfance et à la famille.

Afin de donner aux parties le temps de tenir des discussions significatives et de parvenir à une entente durable, le Canada, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations ont convenu de suspendre les procédures judiciaires relatives à la décision du Tribunal canadien des droits de la personne. En nous donnant l’espace nécessaire pour parvenir à une entente sur l’indemnisation et le financement des réformes futures, nous pourrons obtenir le meilleur résultat possible. Cela signifie que, bien que le Canada ait déposé un « appel conservatoire » de la décision de la Cour fédérale du 29 septembre 2021, l’appel sera suspendu et l’accent sera mis sur la conclusion d’une entente hors cour et à la table de négociation.

[Non souligné dans l’original.]

[49] Dans le Discours du Trône du 23 novembre 2021, le gouvernement a réitéré cet engagement :

Le gouvernement s’assurera que les communautés ont le soutien nécessaire pour garder les familles unies et que les personnes lésées par le programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations reçoivent une indemnisation juste et équitable.

[50] Le 13 décembre 2021, la ministre Patty Hadju et l’ancien ministre Marc Miller ont fait une autre déclaration publique dans laquelle ils se sont engagés à indemniser les personnes lésées :

Nous avons été très clairs tout au long de ces négociations historiques : nous indemniserons les personnes lésées par les pratiques de financement discriminatoires du gouvernement fédéral et nous jetterons les bases d’un avenir équitable et meilleur pour les enfants des Premières Nations, leurs familles et leurs communautés.

[51] Le 16 décembre 2021, dans la lettre de mandat qu’il a fait parvenir à la ministre de Services aux Autochtones Canada [SAC], le premier ministre a demandé à SAC de s’acquitter des engagements suivants :

continuer de travailler avec les partenaires des Premières Nations pour assurer le versement d’une indemnisation juste et équitable aux personnes auxquelles le programme des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations a fait du tort, et pour assurer la réforme à long terme des services à l’enfance et à la famille dans les communautés des Premières Nations, et aider les enfants et les familles à demeurer ensemble ainsi que fournir aux jeunes des Premières Nations qui atteignent la majorité le soutien requis pendant un maximum de deux années supplémentaires.

[52] Le 31 décembre 2021, les demandeurs et le Canada ont conclu une entente de principe, qui énonçait les principales modalités de leur entente concernant le règlement des recours collectifs. Le Canada a demandé que l’entente relative à l’indemnisation soit conditionnelle à ce que les parties ayant saisi le Tribunal en viennent à une entente sur la réforme à long terme du programme fédéral de SEFPN. Une entente de principe distincte portant sur la réforme à long terme a été conclue, mais n’a pas été soumise à la Cour en l’espèce.

[53] Après plusieurs mois de négociations, les parties ont signé une entente de règlement définitive datée du 30 juin 2022 [la première entente], qui prévoyait un règlement total, à l’exclusion des frais juridiques et administratifs, se chiffrant à 20 milliards de dollars. La première entente était conditionnelle à la confirmation, par le Tribunal, de sa conformité à la décision sur l’indemnisation et aux ordonnances d’indemnisation connexes.

[54] Le 22 juillet 2022, l’APN et le Canada ont présenté une requête conjointe au Tribunal dans laquelle ils lui ont demandé de confirmer que la première entente respectait bien la décision sur l’indemnisation et les ordonnances d’indemnisation connexes. La Société de soutien et la Commission se sont opposées à la requête conjointe.

[55] Le 24 octobre 2022, le Tribunal a envoyé une lettre de décision rejetant la requête conjointe et a transmis ses motifs complets le 20 décembre 2022. Dans ces motifs, le Tribunal a indiqué que la première entente satisfaisait en grande partie à la décision sur l’indemnisation et aux ordonnances d’indemnisation connexes, mais pas en ce qui a trait aux quatre aspects clés suivants :

  1. Les enfants des Premières Nations résidant habituellement dans une réserve qui ont fait l’objet d’un placement volontaire hors du réseau familial à l’extérieur de la réserve (les parties désignent maintenant ce groupe comme étant le « groupe des enfants pris en charge par un proche ») avaient droit à une indemnité.

  2. Les successions des parents et grands-parents décédés avaient droit à l’indemnisation.

  3. Même si l’indemnité versée aux enfants touchés était limitée à 40 000 $, soit le montant maximal que le Tribunal pouvait accorder, certains parents et grands-parents qui prenaient soin de plus d’un enfant touché avaient droit à ce maximum par enfant – ce qui veut dire, par exemple, qu’un père dont les quatre enfants lui avaient été retirés devrait avoir droit à 160 000 $.

  4. Le Tribunal voulait obtenir davantage de certitude et de clarté quant à l’approche que prendraient les parties pour l’application du principe de Jordan et souhaitait un délai d’exclusion plus long.

[56] Le 23 novembre 2022, l’honorable Patty Hadju, l’honorable Marc Miller et l’honorable David Lametti ont fait la déclaration suivante :

Le Canada veillera à ce que les enfants et les familles des Premières Nations qui ont subi un préjudice en raison du sous-financement discriminatoire du programme des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations et ceux qui ont été touchés par la définition étroite du principe de Jordan par le gouvernement fédéral reçoivent une indemnisation juste et équitable.

À cette fin, nous travaillerons avec les parties dans le cadre de l’accord de règlement définitif existant, afin que les enfants et les familles puissent être indemnisés.

[57] Après de nouvelles rondes de négociation qui se sont tenues entre janvier et avril 2023, les parties et la Société de soutien ont conclu une nouvelle entente le 19 avril 2023, qui a ensuite été modifiée au moyen d’un addenda daté du 10 octobre 2023 [collectivement, l’Entente de règlement définitive]. L’Entente de règlement définitive a réglé les quatre points soulevés par le Tribunal et a ajouté 3,34 milliards de dollars (pour un total de 23,34 milliards de dollars) à l’enveloppe d’indemnisation afin de couvrir les dépenses supplémentaires.

[58] Le 30 juin 2023, l’APN et le Canada ont présenté une nouvelle requête conjointe au Tribunal pour qu’il confirme par ordonnance que l’Entente de règlement définitive respectait bien la décision sur l’indemnisation et les ordonnances d’indemnisation connexes, ce qu’il a fait.

E. Entente de règlement définitive

[59] Aux termes de l’Entente de règlement définitive, le Canada versera 23 343 940 000 $ pour régler les réclamations des groupes du recours réuni et du recours collectif Trout ainsi que pour donner suite à la décision sur l’indemnisation du Tribunal, ce qui fait de l’entente, aux dires des parties, le plus important règlement dans l’histoire des recours collectifs au Canada.

[60] L’Entente de règlement définitive établit neuf groupes, totalisant plus de 300 000 personnes selon les estimations, en fonction des définitions simplifiées suivantes :

  1. Le « groupe des enfants retirés de leur foyer », soit tous les membres des Premières Nations qui i) n’avaient pas atteint l’âge de la majorité, ii) résidaient habituellement dans une réserve ou au Yukon, ou dont la personne responsable résidait habituellement dans une réserve ou au Yukon, iii) ont été retirés de leur foyer par les services de protection de l’enfance ou ont fait l’objet d’un placement volontaire entre le 1er avril 1991 et le 31 mars 2022 et iv) dont le placement a été financé par SAC.

  2. Le « groupe des familles des enfants retirés de leur foyer », soit toute personne qui est le frère, la sœur, la mère, le père, la grand-mère ou le grand-père d’un membre du groupe des enfants retirés de leur foyer au moment du retrait.

  3. Le « groupe ayant droit au service essentiel », soit les personnes membres des Premières Nations qui, entre le 12 décembre 2007 et le 2 novembre 2017, n’ont pas reçu du Canada un service essentiel (en raison d’un refus ou d’une lacune dans les services) lié à un besoin confirmé ou dont la prestation d’un service essentiel lié à un besoin confirmé a été retardée par le Canada à cause, notamment, d’un manque de financement ou d’un défaut de compétence ou encore d’une lacune dans l’offre de services ou d’un conflit de compétences.

  4. Le « groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan », soit tous les membres du groupe ayant droit au service essentiel qui ont subi les répercussions les plus importantes (notamment de la douleur, de la souffrance ou un préjudice d’une extrême gravité).

  5. Le « groupe des familles des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan », soit toute personne qui est le frère, la sœur, la mère, le père, la grand-mère ou le grand-père d’un membre du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan au moment du retard, du refus ou de la lacune dans les services.

  6. Le « groupe des enfants du groupe Trout », soit les personnes membres des Premières Nations qui, entre le 1er avril 1991 et le 11 décembre 2007, n’ont pas reçu du Canada un service essentiel (en raison d’un refus ou d’une lacune dans les services) lié à un besoin confirmé ou dont la prestation d’un service essentiel lié à un besoin confirmé a été retardée par le Canada à cause, notamment, d’un manque de financement ou d’un défaut de compétence ou encore d’une lacune dans l’offre de services ou d’un conflit de compétences.

  7. Le « groupe des familles des enfants du groupe Trout », soit toute personne qui est le frère, la sœur, la mère, le père, la grand-mère ou le grand-père d’un membre du groupe des enfants du groupe Trout au moment du retard, du refus ou de la lacune dans les services.

  8. Le « groupe des enfants pris en charge par un proche », soit les enfants des Premières Nations pris en charge par un proche responsable non rémunéré et vivant en dehors de la réserve pendant la période visée pour le groupe des enfants retirés de leur foyer dans le cadre d’une intervention des services de protection de l’enfance dans le dossier de l’enfant.

  9. Le « groupe des familles des enfants pris en charge par un proche », soit les parents responsables ou, en leur absence, les grands-parents responsables d’un membre approuvé du groupe des enfants pris en charge par un proche qui a fait l’objet d’un placement entre le 1er janvier 2006 et le 31 mars 2022.

[61] L’Entente de règlement définitive énumère les critères qui déterminent le droit à l’indemnisation pour chaque groupe ainsi que les principes permettant de calculer le montant que chaque membre du groupe peut recevoir. De façon générale, l’Entente de règlement définitive envisage le versement d’une indemnité de base et la possibilité de majorer cette indemnité pour ceux qui ont subi les préjudices les plus importants en raison des pratiques discriminatoires du Canada.

[62] Les membres du groupe des enfants retirés de leur foyer recevront une indemnité de base de 40 000 $, portant intérêt et rajustée en fonction du temps écoulé (pour assurer la parité entre les enfants membres de ce groupe qui auront droit à une indemnisation tout au long d’un processus de réclamation qui est censé durer 20 ans), et pourraient avoir droit à un paiement de majoration. Les demandeurs et les experts ont établi des facteurs objectifs qui ont aggravé le préjudice subi et donnent au membre d’un groupe le droit de recevoir un paiement de majoration. Il s’agit notamment des facteurs suivants : l’âge auquel l’enfant a été retiré de son foyer pour la première fois, le nombre total d’années de prise en charge, l’âge auquel le membre du groupe est sorti du système de protection de l’enfance, le fait que l’enfant ait été retiré de son foyer pour recevoir un service essentiel lié à un besoin confirmé ou pas, le fait que l’enfant ait été retiré d’une collectivité nordique ou éloignée et le nombre d’épisodes de prise en charge ou de placements à l’extérieur du milieu familial auxquels a été soumis l’enfant retiré de son foyer ayant été pris en charge pendant plus d’un an. Selon la démarche initiale adoptée par les avocats des groupes pour ce qui est du calcul des paiements de majoration (sous réserve de plus amples consultations auprès d’experts et de l’approbation du comité de mise en œuvre du règlement), les membres du groupe des enfants retirés de leur foyer qui satisfont aux critères correspondant à plusieurs facteurs de majoration peuvent recevoir des paiements qui atteignent environ 230 000 $.

[63] Un budget de 7,25 milliards de dollars a été affecté au groupe des enfants retirés de leur foyer, dont la taille a été estimée avec l’aide d’experts à 116 000 membres.

[64] Les membres du groupe des familles des enfants retirés de leur foyer recevront une indemnité de base de 40 000 $ (montant multiplié, dans certains cas, par le nombre d’enfants touchés), mais aucun paiement de majoration. Jusqu’à deux parents ou grands-parents responsables par enfant peuvent avoir droit à une indemnité, les conflits entre personnes responsables étant résolus en fonction de critères de priorité prédéfinis. Une personne responsable qui a commis des actes de maltraitance sexuelle ou de maltraitance physique grave liés au placement d’un membre du groupe des enfants retirés de leur foyer n’a droit à aucune indemnité à l’égard de cet enfant. Un budget de 5,75 milliards de dollars a été affecté au groupe des familles des enfants retirés de leur foyer, auquel s’ajoute un montant de 997 millions de dollars destiné aux indemnités de base multiples.

[65] Les membres du groupe ayant droit au service essentiel, du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan et du groupe des enfants du groupe Trout auront droit à une indemnité s’ils avaient un besoin confirmé et (i) ont demandé un service essentiel qui leur a été refusé; ii) ont demandé un service essentiel dont la prestation a fait l’objet d’un délai déraisonnable; ou iii) ont souffert d’une lacune dans les services empêchant la prestation de ce service essentiel, même si ce dernier n’avait pas été demandé. Les demandeurs seront tenus de fournir des pièces justificatives attestant que le service essentiel a été recommandé par un professionnel à la date pertinente.

[66] L’Entente de règlement définitive est structurée de manière à ce que les personnes ayant subi les plus graves préjudices (groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan) reçoivent au moins 40 000 $, tandis que ceux qui ont subi des préjudices moindres (groupe ayant droit à un service essentiel) recevront au plus 40 000 $. Les fonds seront versés en premier lieu aux personnes ayant souffert les préjudices les plus graves, et le reste sera distribué au prorata à ceux qui ont subi des préjudices moindres. Un budget de 3 milliards de dollars a été affecté au groupe ayant droit à un service essentiel et au groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan, la taille de ce dernier groupe ayant été estimée avec l’aide d’experts à 65 000 membres.

[67] L’indemnisation des membres du groupe des enfants du groupe Trout s’effectuera suivant les mêmes principes directeurs, c’est-à-dire que ceux qui ont subi les pires préjudices recevront au moins 20 000 $ alors que les autres toucheront au plus 20 000 $. La différence dans les indemnités destinées aux membres du groupe des enfants du groupe Trout, d’une part, et aux membres du groupe ayant droit à un service essentiel et aux membres du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan, d’autre part, découle du risque accru de poursuites judiciaires lié au recours collectif Trout, qui mettait de l’avant de nouvelles demandes relatives aux services essentiels, ne recoupait aucunement la décision sur l’indemnisation du Tribunal et était antérieur à l’adoption du principe de Jordan. Un budget de 2 milliards de dollars a été affecté au groupe des enfants du groupe Trout, dont la taille a été estimée avec l’aide d’experts à 104 000 membres.

[68] Seuls les parents ou grands-parents responsables d’un membre approuvé du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan peuvent avoir droit à une indemnité s’ils ont eux-mêmes subi les répercussions les plus importantes, auquel cas ils recevront l’indemnité de base de 40 000 $ calculée en fonction des facteurs objectifs établis en consultation avec les experts. De même, seuls les parents ou grands-parents responsables d’un membre approuvé du groupe des enfants du groupe Trout peuvent avoir droit à une indemnité s’ils ont eux-mêmes subi les répercussions les plus importantes, mais aucun montant fixe d’indemnisation n’est prescrit dans l’entente. L’indemnité versée sera plutôt calculée par le comité de mise en œuvre du règlement avec l’aide d’un actuaire. Les autres membres du groupe des familles des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan et du groupe des enfants du groupe Trout ne recevront aucune indemnité directe, mais ils sont censés bénéficier du fonds cy-près (dont il est question ci-dessous). Un budget de 2 milliards de dollars a été affecté au groupe des familles des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan et au groupe des familles des enfants du groupe Trout.

[69] L’indemnité de base versée à un membre approuvé du groupe des enfants pris en charge par un proche sera de 40 000 $, sans aucun paiement de majoration possible. Le calcul des indemnités destinées aux membres du groupe des familles des enfants pris en charge par un proche suit une méthode semblable à celle qui est appliquée dans le cas de certains membres du groupe des familles des enfants retirés de leur foyer (avec des nuances), et une indemnité de base de 40 000 $ est prévue. Un budget de 600 millions de dollars a été affecté au groupe des enfants pris en charge par un proche (nombre de membres estimé à 15 000) et un budget de 702 millions de dollars a été affecté au groupe des familles des enfants pris en charge par un proche (nombre de membres estimé à 17 550).

[70] En ce qui concerne les honoraires des avocats des groupes, le Canada et les avocats des groupes ont convenu que les honoraires d’avocat ne seraient pas déduits des sommes recouvrées par les groupes, même si les mandats de représentation en justice initiaux des avocats des groupes et la Convention de consortium le permettaient. L’article 17.01 de l’Entente de règlement définitive dispose :

Le Canada versera aux avocats des groupes le montant approuvé par la Cour, de même que les taxes applicables, à l’égard de leurs honoraires et débours juridiques pour la poursuite des recours jusqu’à la date de l’audience aux fins d’approbation du règlement et des conseils offerts aux membres des groupes concernant l’Entente et son approbation, en sus des fonds du règlement.

[71] L’Entente établit aussi la dotation des sommes suivantes au fonds cy-près, dirigé par les Premières Nations :

  1. 50 millions de dollars, provenant des intérêts générés par les fonds issus du règlement, pour les mesures de soutien destinées aux membres des groupes qui ne reçoivent pas d’indemnité directe. Ces mesures de soutien visent divers objectifs : i) permettre l’unification et la réunification, la connexion et la reconnexion familiales et communautaires pour les jeunes pris en charge et précédemment pris en charge; ii) réduire les coûts associés aux déplacements et à l’hébergement pour visiter la communauté et la famille, y compris pour les jeunes des Premières Nations pris en charge et précédemment pris en charge, les personnes de soutien ou les membres de leurs familles; iii) faciliter l’accès à des programmes, à des services et à des activités basés sur la culture, la communauté et la guérison pour les membres des groupes et les enfants des parents des Premières Nations qui ont subi un retard, un refus ou une lacune dans la prestation d’un service essentiel;

  2. 90 millions de dollars, provenant des intérêts générés par les fonds issus du règlement, pour les mesures de soutien destinées aux membres du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan qui ont des besoins importants entre l’âge de la majorité et leur 26e anniversaire afin d’assurer leur dignité personnelle et leur bien-être.

[72] L’Entente de règlement définitive contient plusieurs autres dispositions et caractéristiques importantes :

  1. Elle contient des dispositions détaillées concernant les membres des groupes qui sont décédés et l’admissibilité des successions aux paiements prévus dans l’entente.

  2. La mise en œuvre sera entièrement dirigée par les Premières Nations.

  3. Le processus de réclamation tiendra compte des traumatismes et des réalités culturelles; il a été approuvé par suite de vastes consultations approfondies auprès des intervenants des Premières Nations. Aucun membre des groupes ne sera tenu de se soumettre à une entrevue ou à un examen, ce qui réduira le plus possible le risque de nouveau traumatisme.

  4. Les membres des groupes bénéficieront de services de soutien entièrement financés qui les aideront à accéder au processus de réclamation et à répondre à leurs besoins en santé mentale, liés à la culture ou de nature administrative, juridique et financière tout au long du processus de réclamation.

  5. Des mesures ont été prévues afin de protéger les membres des groupes contre les pratiques prédatrices d’avocats autres que les avocats des groupes qui ont tenté, dans la présente instance et dans d’autres règlements liés à des recours collectifs présentés au nom des Premières Nations, de profiter du manque de connaissances des membres des groupes face au processus de réclamation.

  6. Il n’y aura aucun empiétement sur les fonds issus du règlement. Le Canada s’est engagé à prendre en charge les coûts relatifs à la notification des membres des groupes, les honoraires et débours des avocats des groupes, les mesures de soutien en matière de santé et de mieux‐être, les services de soutien aux réclamations de même que tous les coûts liés à l’administration et à la mise en œuvre de l’Entente de règlement définitive, en sus des fonds issus du règlement de 23,34 milliards de dollars.

  7. Le Canada s’est engagé à faire de son mieux pour : i) s’assurer que les sommes versées conformément à l’Entente de règlement définitive n’aient aucune incidence sur les prestations sociales ou l’aide sociale que des membres des groupes recevraient autrement du Canada, d’une province ou d’un territoire; ii) veiller à ce que les indemnités reçues dans le cadre du processus de réclamation ne soient pas considérées comme un revenu aux fins de l’impôt sur le revenu.

  8. Une partie importante des fonds issus du règlement sera investie (suivant les directives d’un comité de placement), étant donné la longue période pendant laquelle le règlement sera administré. On s’attend à ce que les intérêts et les revenus tirés du placement du principal soient élevés (dans les milliards de dollars), et ils seront versés intégralement aux membres des groupes.

  9. Le Canada proposera au Bureau du premier ministre que le premier ministre présente des excuses publiques pour les comportements discriminatoires sous-tendant les réclamations des membres des groupes ainsi que pour les dommages passés et persistants qui en découlent.

F. Requête en approbation des honoraires des avocats des groupes

[73] À l’appui de la présente requête, les avocats des groupes ont présenté les éléments de preuve suivants :

  1. L’affidavit de Xavier Moushoom souscrit le 2 octobre 2023;

  2. L’affidavit de Jonavon Joseph Meawasige souscrit le 3 octobre 2023;

  3. L’affidavit de Zacheus Joseph Trout souscrit le 5 octobre 2023;

  4. L’affidavit de Carolyn Buffalo souscrit le 11 octobre 2023;

  5. L’affidavit d’Ashley Dawn Louise Bach souscrit le 6 octobre 2023;

  6. L’affidavit de Melissa Walterson souscrit le 6 octobre 2023;

  7. L’affidavit de Dianne Corbiere souscrit le 6 octobre 2023;

  8. L’affidavit de David Sterns souscrit le 6 octobre 2023.

[74] En réponse à la requête, le Canada a déposé l’affidavit de Marc Boivin, souscrit le 18 octobre 2023.

[75] Me Sterns a été contre-interrogé sur son affidavit le 20 octobre 2023 et une copie de la transcription de son contre-interrogatoire a été présentée à la Cour.

[76] Quand les parties ont réglé la requête après l’audience, je les ai autorisées à déposer des documents supplémentaires. Les avocats des groupes ont déposé un affidavit souscrit par Me Corbiere le 6 novembre 2023, et des observations écrites supplémentaires. Dans son affidavit, Me Corbiere a présenté des éléments de preuve concernant le règlement des honoraires après l’audience, les facteurs prépondérants qui ont mené au règlement des honoraires, le budget des avocats des groupes pour le travail à venir, le travail associé au parachèvement des divers protocoles de distribution et une mise à jour sur le travail juridique effectué en date du 31 octobre 2023. Le Canada a présenté de brèves observations écrites supplémentaires sous la forme d’une lettre datée du 6 novembre 2023.

II. Analyse

A. Compétence de la Cour pour évaluer les honoraires des avocats des groupes

[77] La partie 5.1 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], confère à notre Cour un pouvoir de contrôle en matière de recours collectif. En ce qui concerne les honoraires d’avocat, l’article 334.4 des Règles dispose :

334.4 Tout paiement direct ou indirect à un avocat, prélevé sur les sommes recouvrées à l’issue d’un recours collectif, doit être approuvé par un juge.

334.4 No payments, including indirect payments, shall be made to a solicitor from the proceeds recovered in a class proceeding unless the payments are approved by a judge.

[78] Les avocats des groupes font valoir que, puisque l’Entente de règlement définitive prévoit que les honoraires d’avocat ne doivent pas être déduits de la somme recouvrée de 23,34 milliards de dollars, la Cour n’a pas compétence pour évaluer les honoraires d’avocat au titre de l’article 333.4 des Règles. Ils soutiennent que la compétence de la Cour pour évaluer les honoraires est plutôt de nature contractuelle et découle de l’article 17.01 de l’Entente de règlement définitive, qui indique que « [l]e Canada versera aux avocats des groupes le montant approuvé par la Cour ». Le Canada n’a pas traité directement de cette question dans ses observations.

[79] Les avocats des groupes n’ont invoqué aucun précédent pour étayer leur argument et n’ont cité aucune décision de la Cour dans laquelle cette question a été soulevée directement. Les juges de notre Cour ont conclu que l’article 334.4 des Règles exige que la Cour approuve tous les honoraires d’avocat dans un recours collectif, peu importe si les honoraires doivent être déduits de la somme recouvrée par le groupe ou non. Dans la décision Bande indienne Tk’emlúps te Secwépemc c Canada, 2023 CF 357 [Tk’emlúps], la juge McDonald a conclu aux paragraphes 13 et 21 que la Cour avait compétence au titre de l’article 334.4 des Règles pour approuver l’entente sur les honoraires des avocats du groupe, qui avait été négociée (et serait financée) indépendamment de l’entente de règlement [voir aussi McLean c Canada, 2019 CF 1077 au para 2 [McLean]].

[80] Je ne suis pas d’accord avec les avocats des groupes pour dire que l’article 334.4 des Règles ne s’applique pas lorsque les parties ont négocié une entente distincte visant les honoraires d’avocat qui ne sont pas déduits de la somme recouvrée par le groupe. Si c’était le cas, les parties pourraient contourner le rôle de supervision de la Cour en omettant d’ajouter dans leur entente des modalités contractuelles exigeant l’approbation par la Cour des honoraires d’avocat.

[81] Cela dit, cette question n’est pas pertinente aux fins de la présente requête, car les avocats des groupes reconnaissent la compétence de la Cour pour évaluer les honoraires d’avocat prévue à l’article 17.01 de l’Entente de règlement définitive.

B. Critère juridique applicable et fardeau de la preuve

[82] Le critère général qui s’applique aux honoraires d’avocat dans le cadre d’un recours collectif est qu’ils doivent être « justes et raisonnables dans les circonstances » [voir Condon c Canada, 2018 CF 522 au para 81 [Condon]; Manuge c Canada, 2013 CF 341 au para 28 [Manuge]; Lin c Airbnb, Inc, 2021 CF 1260 au para 70 [Lin]; McLean, au para 2].

[83] La Cour a établi une liste non exhaustive de dix facteurs qui sont pris en compte lorsqu’il s’agit de décider si les honoraires des avocats du groupe sont justes et raisonnables. Le poids accordé à chaque facteur variera en fonction des circonstances particulières du recours collectif. Ces facteurs sont les suivants : i) le risque assumé par les avocats du groupe; ii) les résultats obtenus; iii) le temps et les efforts consacrés par les avocats du groupe; iv) la complexité et la difficulté de l’affaire; v) le degré de responsabilité assumé par les avocats du groupe; vi) les honoraires accordés dans des affaires semblables; vii) les attentes du groupe; viii) l’expérience et l’expertise des avocats du groupe; ix) la capacité de payer du groupe; et x) l’importance du litige pour les demandeurs [voir Wenham c Canada (Procureur général), 2020 CF 590 au para 33 [Wenham]; McLean, au para 25; McCrea c Canada, 2019 CF 122 au para 98 [McCrea]; Condon, au para 82; Manuge, au para 28; Lin, aux para 71-72].

[84] Cela dit, la Cour a établi, à maintes reprises, que les deux plus importants facteurs sont le risque assumé par les avocats du groupe et les résultats obtenus [voir Condon, au para 83; McLean, au para 25; Tk’emlúps, au para 15; Lin, au para 72].

[85] En ce qui concerne le risque assumé par les avocats du groupe, il se mesure du début à la fin du litige, et non pas avec du recul lorsque le résultat paraît inévitable [voir Condon, aux para 83, 97; Lin, au para 77]. Ce facteur englobe l’ensemble des risques assumés par les avocats du groupe, notamment ceux qui sont liés à la responsabilité, au recouvrement et à la possibilité que le recours collectif ne soit pas autorisé ou ne soit pas accueilli sur le fond [voir Condon, au para 83; Wenham, au para 34; Lin, aux para 72, 77]. Les risques relatifs au litige qu’assument les avocats d’un groupe dépendent de la probabilité de réussite, de la complexité de l’instance ainsi que du temps et des ressources consacrés au litige [voir Lin, au para 77].

[86] Plus le risque d’échec ou de non-paiement est élevé, ou, autrement dit, plus l’incidence sur les avocats du groupe est importante, plus la prime doit être importante. Bien que les avocats du groupe n’aient pas besoin de « jouer le tout pour le tout » pour recevoir une prime, la Cour doit aller au-delà de la formulation convenue des risques relatifs au litige bien connus et évaluer la nature et la portée des véritables répercussions financières d’une affaire donnée sur les avocats du groupe afin de s’assurer que l’analyse du « risque assumé » ait un sens [voir Brown v Canada (Attorney General), 2018 ONSC 3429 [Brown] aux para 41-44; McLean, au para 33].

[87] Bien qu’il soit important d’inciter les avocats à entreprendre des recours collectifs risqués, et à les mener comme il se droit, il importe également que l’approbation par la Cour de leurs honoraires ne donne pas lieu à des gains fortuits. Comme l’a fait remarquer le juge Belobaba, dans [traduction] « bien trop de cas [...] les gains fortuits réalisés par les avocats dépassent largement ce qui est raisonnable ou ce qui est nécessaire pour les inciter à intenter des poursuites socialement utiles » [voir Brown, au para 50, citant Rhode, Access to Justice (2004) à la p 35, cité dans Kalajdzic, Class Actions in Canada (2018) à la p 145]. Notre Cour doit éviter d’approuver des honoraires d’avocat qui donnent lieu à des gains fortuits, car les recours collectifs ne sont pas une loterie et l’objectif du régime des recours collectifs n’est pas d’enrichir les avocats [voir Brown, au para 51].

[88] Lors de l’audience relative à la présente requête, j’ai soulevé la question du fardeau de la preuve. S’appuyant sur les décisions Condon, au paragraphe 85, et Cannon v Funds for Canada Foundation, 2013 ONSC 7686 [Cannon], au paragraphe 8, les avocats des groupes ont soutenu, dans leurs observations écrites, que les honoraires conditionnels déterminés en fonction d’un pourcentage et énoncés dans un mandat de représentation en justice (en l’espèce, la Convention de consortium) sont présumés valides et devraient être refusés seulement dans des cas manifestement étayés par des raisons de principe. Les avocats des groupes ont fait valoir qu’il appartient donc au Canada de réfuter la présomption en démontrant a) qu’un demandeur représentant a mal compris ou n’a pas vraiment accepté la formule, b) que les honoraires conditionnels convenus sont excessifs ou c) que les honoraires conditionnels présumément valides se traduiraient par le versement d’honoraires si élevés qu’ils en seraient inconvenants. Les avocats des groupes ont donc fait valoir qu’il incombait au Canada de démontrer que le montant demandé était excessif ou inconvenant.

[89] Dans leurs observations écrites supplémentaires, les avocats des groupes ont affirmé que, selon les principes fondamentaux, le fardeau de la preuve repose en l’espèce sur la partie requérante (les avocats des groupes). Toutefois, ils ont ajouté ce qui suit :

[traduction]
20. [...] La question est : que doit prouver la partie requérante? En d’autres termes, qu’est-ce que les avocats des groupes doivent prouver dans le cadre d’une requête sur consentement relative aux honoraires conditionnels qui ne proviennent pas de la somme recouvrée par le groupe et qui ont été négociés avec un défendeur avisé sans lien de dépendance qui possède une vaste expérience dans des recours collectifs comparables.

21. Premièrement, une présomption d’équité s’applique à première vue lorsque les honoraires sont négociés entre parties sans lien de dépendance et que celles-ci parviennent à s’entendre à cet égard.

22. Deuxièmement, dans le cadre d’une requête en approbation des honoraires conditionnels telle que celle en l’espèce, le rôle de la Cour (délimiter le fardeau correspondant de la partie requérante) n’est pas celui d’un officier taxateur qui statue sur une plainte concernant la facture d’un avocat. Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, les honoraires ne sont pas payés par le groupe et que le travail effectué n’est pas contesté.

23. La nature de l’enquête sur le travail juridique et les honoraires conditionnels est intrinsèquement différente, d’où l’établissement de facteurs dans la jurisprudence de notre Cour et de l’ensemble du pays, facteurs qui ne s’appliquent pas par ailleurs à la facturation horaire régulière.

24. En l’espèce, le fardeau des avocats des groupes et l’unique objectif de l’enquête et de l’approbation de la Cour consistent à savoir si la convention d’honoraires conclue appartient aux issues justes et raisonnables compte tenu du critère jurisprudentiel bien établi qui régit les honoraires des avocats de groupes.

[90] Lors de l’audience relative à la requête, le Canada a fait valoir que la présomption de validité énoncée dans les décisions Condon et Cannon ne s’appliquait pas dans les circonstances de l’espèce pour les raisons suivantes : a) l’affaire vise un règlement associé à des mégafonds; b) la Convention de consortium n’est pas une convention d’honoraires conclue avec les représentants demandeurs; c) la somme demandée par les avocats des groupes ne constitue pas des honoraires fondés sur un pourcentage, mais plutôt un montant établi en l’absence de méthodologie. Le Canada a donc soutenu qu’il n’y avait pas de renversement du fardeau de la preuve et qu’il incombait toujours aux avocats des groupes de démontrer que les honoraires demandés étaient justes et raisonnables. Dans ses observations supplémentaires, le Canada a confirmé sa position concernant le fardeau de la preuve.

[91] De toute évidence, la position des avocats des groupes sur la question du fardeau de la preuve et de l’applicabilité de la présomption a changé lorsque les parties se sont entendues sur la question des honoraires d’avocat. Si les parties n’avaient pas conclu un règlement, j’aurais jugé que la présomption énoncée dans les décisions Condon et Cannon ne s’appliquait pas aux faits de l’espèce. Premièrement, je suis d’accord avec le juge Belobaba de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (qui a rendu la décision Cannon) que l’approche de la validité présumée à l’égard des mandats de représentation en justice prévoyant des honoraires conditionnels ne doit pas s’appliquer dans le contexte des règlements associés à des mégafonds. Dans la décision Brown, le juge Belobaba a indiqué ce qui suit :

[traduction]
[46] Dans l’affaire Cannon, j’ai adopté l’approche fondée sur le pourcentage des fonds et j’ai admis la présomption de validité à l’égard du pourcentage convenu dans le mandat de représentation en justice prévoyant des honoraires conditionnels (jusqu’à concurrence du tiers des sommes recouvrées), sous réserve de certaines conditions. Je n’étais pas préoccupé outre mesure par le « risque assumé », car le risque couru par les avocats dans le cadre de recours collectifs, à l’instar des avocats spécialisés dans les lésions corporelles, se mesurait mieux en fonction des gains et des revers au fil des ans, et non pas en fonction d’une affaire donnée devant la Cour. J’étais à l’aise de procéder ainsi parce que la quasi-totalité des règlements se chiffraient à moins de 40 millions de dollars (c’est-à-dire qu’il n’étaient pas associés à des mégafonds), et que la preuve au dossier montrait rarement, voire jamais, que la simple application de l’approche basée sur le pourcentage entraînait des honoraires excessifs ou par ailleurs déraisonnables.

[...]

[56] Aujourd’hui, je suis d’avis que l’approche basée sur le pourcentage des fonds adoptée dans l’affaire Cannon demeure valable, mais doit être limitée aux règlements qui visent des montants ordinaires, c’est-à-dire moins de 50 millions de dollars. L’approche adoptée dans l’affaire Cannon ne doit jamais être utilisée dans les cas visant des mégafonds où le montant prévu dans le règlement ou le jugement est supérieur à 100 millions de dollars. De plus, si la Cour dispose d’éléments de preuve démontrant que les honoraires demandés sont excessifs, inconvenants ou par ailleurs déraisonnables (quel que soit le montant prévu dans le jugement ou le règlement), le juge qui instruit le recours collectif doit relever ses manches et procéder à un examen du risque assumé, qui l’aidera à décider si la somme demandée par les avocats du groupe est effectivement juste et raisonnable.

[92] Deuxièmement, je suis d’avis que la Convention de consortium n’était pas une convention d’honoraires conditionnels fondés sur un pourcentage conclue entre les avocats des groupes et les représentants demandeurs. Il s’agissait plutôt d’une entente conclue entre les avocats des groupes eux-mêmes. En ce qui concerne la nature de l’entente, la Convention de consortium prévoyait un montant de recouvrement fixe assorti d’un plafond (80 millions de dollars) et non un pourcentage de recouvrement. En outre, la somme qui est maintenant demandée (50 millions de dollars) ne correspond aucunement au plafond ou à un pourcentage de recouvrement.

[93] Cependant, la position que défendent maintenant les avocats des groupes ne s’appuie pas sur la présomption de validité de la Convention de consortium; elle met plutôt l’accent sur la présomption de validité de l’entente conclue entre les avocats des groupes et le Canada.

[94] Compte tenu de la façon dont la requête est actuellement formulée, je conclus que le fardeau de la preuve incombe aux avocats des groupes. De plus, le fait que les parties aient conclu une entente sur le montant des honoraires d’avocat ne les rend pas présumément valides ni ne change la décision qui doit être prise par la Cour, c’est-à-dire la question de savoir si les honoraires demandés sont justes et raisonnables. L’entente entre les parties ne constitue plutôt qu’un facteur que la Cour doit prendre en considération dans le cadre de son analyse du caractère juste et raisonnable [voir McLean, au para 24].

C. Approche à adopter dans le cas des règlements associés à des mégafonds

[95] Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, l’affaire dont je suis saisie vise un règlement associé à des mégafonds et soulève donc des considérations uniques. Aux fins de l’évaluation du caractère juste et raisonnable des honoraires dans le cas d’un règlement associé à des mégafonds, l’approche que la Cour utilise habituellement pour évaluer les honoraires d’avocat s’avère plutôt insatisfaisante.

[96] Dans de nombreux recours collectifs, les avocats du groupe ont signé avec leurs clients des mandats de représentation en justice prévoyant le versement d’honoraires conditionnels fondés sur un pourcentage, sous réserve de l’approbation de la cour, dans le cadre desquels ils ont souvent touché de 10 % à 30 % des sommes recouvrées à l’issue du recours. Par conséquent, les tribunaux sont souvent appelés à décider si le montant d’honoraires d’avocat demandé est juste et raisonnable par rapport à la somme recouvrée par les membres du groupe. Comme je l’ai mentionné, en l’espèce, les mandats de représentation en justice initiaux des avocats des groupes prévoyaient des honoraires déterminés en fonction d’un pourcentage, selon lesquels les avocats des groupes devaient recevoir 20 % de la première tranche de 200 millions de dollars de la somme recouvrée et 10 % de toute somme recouvrée excédant la première tranche.

[97] Toutefois, dans le cas des règlements associés à des mégafonds, les honoraires déterminés en fonction d’un pourcentage donnent vraisemblablement lieu à des gains fortuits inappropriés pour les avocats. Dans la présente affaire, la Convention de consortium prévoit cette éventualité et impose en conséquence un plafond de 80 millions de dollars avant le début du procès et de 100 millions de dollars après l’ouverture du procès. En l’absence de tels plafonds, les honoraires des avocats des groupes auraient dépassé 2 milliards de dollars, ce que notre Cour aurait certainement considéré comme des gains fortuits.

[98] De plus, même le simple fait d’utiliser un pourcentage de recouvrement à titre de « vérification » dans l’évaluation du caractère juste et raisonnable des honoraires d’avocat proposés n’est d’aucune utilité à la Cour dans le cas des règlements associés à des mégafonds. Les avocats des groupes ont souligné à maintes reprises dans leurs observations écrites à la Cour que des honoraires d’avocat de 80 millions de dollars ne représentaient que 0,35 % de la véritable somme recouvrée dans le but d’en démontrer le caractère raisonnable. Dans leurs observations écrites supplémentaires, les avocats des groupes ont souligné que le montant des honoraires convenu de 50 millions de dollars ne représentait que 0,21 % de la véritable somme recouvrée par les demandeurs, ce qui représente le moins élevé de tous les pourcentages de recouvrement obtenus dans le cadre d’une affaire visant des mégafonds.

[99] Bien qu’il puisse être tentant de qualifier de raisonnables des honoraires représentant moins de 1 % de la véritable somme recouvrée par les demandeurs (surtout étant donné que les avocats de groupes demandent souvent de 10 % à 30 % de la somme recouvrée), il suffit de pousser l’examen un peu plus loin pour constater que ce n’est pas le cas. Même en doublant le montant des honoraires des avocats des groupes pour le porter à 160 millions de dollars, ce que j’aurais certainement considéré comme excessif, celui-ci ne représenterait que 0,6 % de la véritable somme recouvrée. Ce raisonnement démontre pourquoi il est erroné de considérer le pourcentage de recouvrement comme une « vérification » probante aux fins de l’approbation des honoraires dans le cadre des règlements associés à des mégafonds.

[100] La Cour utilise un autre outil de « vérification », soit le coefficient, c’est-à-dire que la Cour détermine le nombre par lequel le montant des honoraires réellement engagés doit être multiplié pour arriver au montant des honoraires demandé par les avocats d’un groupe. Des coefficients allant de 1,5 à 8 ont été approuvés dans des recours collectifs récents.

[101] Cependant, même dans le contexte des règlements qui ne sont pas associés à des mégafonds, l’utilisation du coefficient a été critiquée parce que celui-ci incite à l’inefficience et au dédoublement des efforts, et ne favorise pas un règlement rapide, en plus d’être beaucoup trop subjectif, voire complètement arbitraire [voir Condon, au para 86; Lin, au para 96; McLean, au para 37]. Notre Cour a conclu qu’un coefficient est, tout au plus, un moyen de « vérification » utile [voir McLean, au para 37].

[102] Dans le cas des règlements associés à des mégafonds, j’ai des doutes quant à la fiabilité du coefficient, même si celui-ci est utilisé seulement comme outil de vérification. Lorsque la Cour utilise un coefficient, elle doit effectuer une comparaison avec les coefficients utilisés dans d’autres recours collectifs, puis décider si le coefficient proposé dans l’affaire dont elle est saisie est « conforme » ou appartient aux coefficients appliqués dans le contexte de règlements comparables. Le manque de fiabilité d’un tel exercice dans le cas des règlements associés à des mégafonds a récemment été soulevé par le juge Perrell dans la décision Fresco v Canadian Imperial Bank of Commerce, 2023 ONSC 3335 [Fresco], au paragraphe 102 :

[traduction]
En dehors du régime des recours collectifs entrepreneuriaux, il existe des méthodes pour mesurer la valeur du travail d’un avocat qui est exposé à un risque, comme une évaluation par un officier taxateur. Or, dans le monde des approbations d’honoraires selon la philosophie des Habits neufs de l’empereur, ces méthodes sont généralement écartées et ce sont plutôt diverses autres sources d’information, comme la méthode des honoraires de base, et les comparaisons avec d’autres recours collectifs qui servent de moyen de vérification. Rien de tout cela ne constitue un moyen de vérification fiable. Pour les motifs qui précèdent, il n’existe aucune discipline pour déterminer qui et combien de personnes doivent accomplir le travail juridique et médico-légal ainsi que le type et la quantité de travail à effectuer. La méthodologie juridique du stare decisis, qui consiste à comparer les décisions, est peu utile parce que, bien que les principes de droit soient constants et que les arguments des avocats du groupe soient constants et prévisibles, chaque type de recours collectif est différent, et chaque recours collectif est unique.

[103] Dans la décision Fresco, le juge Perrell a conclu que des honoraires d’avocat de 25 millions de dollars étaient adéquats et a fait remarquer que ce montant correspondait au produit des honoraires réels de 16,5 millions de dollars multipliés par un coefficient de 1,5. Il a ensuite déclaré que [traduction] « [p]our les motifs qui précèdent, ce moyen de vérification n’est pas fiable et les décisions comparables ne sont pas d’une grande utilité, sauf pour indiquer que, plus le multiplicande augmente, plus le coefficient doit diminuer » [voir Fresco, au para 136]. Je souscris aux commentaires du juge Perrell.

[104] Où cela nous mène-t-il? Dans le cas des règlements associés à des mégafonds, je suis d’avis que la Cour doit veiller à ce que l’approbation des honoraires d’avocat soit le plus possible fondée sur des principes et qu’elle ne donne pas lieu à des gains fortuits excessifs et inconvenants. La Cour doit commencer par examiner les honoraires réellement engagés et décider s’ils sont raisonnables. Cela dit, je ne préconise pas une analyse judiciaire des dossiers des avocats des groupes, mais plutôt un examen global du caractère raisonnable des honoraires inscrits sur la base d’une description du travail entrepris et du temps qui y a été consacré. Dans le cadre d’une requête en approbation des honoraires présentée à la Cour, le juge qui rend la décision est également le juge responsable de la gestion de l’instance. Il est donc au fait des étapes suivies dans la procédure et, dans le cas d’un règlement, il a une certaine connaissance des efforts qui ont été déployés lors de la négociation et de la structuration du règlement.

[105] La Cour peut également s’appuyer sur les observations des avocats de la partie adverse quant au caractère raisonnable des honoraires réels ou, lorsqu’il s’agit d’une requête sur consentement, elle peut nommer un amicus curiae pour l’aider à trancher la question. Lorsque la Cour n’est pas convaincue que les honoraires réels déclarés par les avocats du groupe sont raisonnables, ceux-ci doivent être réduits.

[106] Une fois qu’elle a établi le bon montant des honoraires réels, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de rajuster les honoraires en approuvant une prime qui incite les avocats du groupe à entreprendre des recours risqués et à les mener comme il se doit, mais qui est juste et raisonnable et qui préserve l’intégrité de la profession.

[107] Lorsqu’elle évalue le caractère juste et raisonnable des honoraires lorsque ceux-ci ne sont pas déduits de la somme recouvrée par le groupe, la Cour doit examiner la question du point de vue des avocats du groupe, des membres du groupe, du ou des défendeurs et de l’intérêt public [voir McCrea, au para 108].

[108] La détermination de la prime doit reposer sur l’ensemble des circonstances de l’affaire, dont les facteurs prédominants que sont le risque assumé par les avocats du groupe et les résultats obtenus, ainsi que les autres facteurs décrits ci-dessus (le temps et les efforts consacrés par les avocats du groupe, la complexité et la difficulté de l’affaire, le degré de responsabilité assumé par les avocats du groupe, les honoraires accordés dans des affaires semblables, les attentes du groupe, l’expérience et l’expertise des avocats du groupe, la capacité de payer du groupe et l’importance du litige pour les demandeurs). Bien que les honoraires accordés dans des affaires semblables puissent constituer un facteur pertinent, je juge que leur utilité est limitée dans le contexte de règlements associés à des mégafonds (pour les raisons énoncées ci-dessus), mais je ne vois aucune raison de retirer complètement ce facteur de la liste. Je m’attends plutôt à ce que le poids accordé par notre Cour aux comparaisons des honoraires dans le contexte de règlements associés à des mégafonds comme en l’espèce soit minime.

[109] De plus, j’estime qu’un autre facteur devrait être ajouté à la liste, soit la question de savoir si toutes les parties s’entendent sur la somme demandée.

[110] L’importance du poids à accorder à chacun de ces facteurs et, plus particulièrement, aux facteurs prédominants du risque et des résultats, dépend des faits de l’affaire. Cela dit, il arrivera un moment où le poids accordé aux résultats obtenus (et le rajustement qui en découle) doit plafonner, peu importe à combien s’élève le montant du règlement.

[111] Lorsqu’elle détermine la prime, la Cour doit aussi être guidée par le principe de la proportionnalité, qui sous-tend les Règles, afin de veiller à ce que les honoraires ne soient pas excessifs par rapport au risque assumé ou aux résultats obtenus [voir Brown, au para 53].

[112] Par conséquent, dans le cas des règlements associés à des mégafonds, plutôt que de mettre l’accent sur le pourcentage de recouvrement ou le coefficient, la Cour doit se concentrer sur le montant réel en dollars des honoraires d’avocat qui sera approuvé.

D. Application des principes de droit à la présente affaire

[113] Il ne fait aucun doute que les avocats des groupes ont le droit de toucher une prime sur leurs honoraires réels. La question dont la Cour est saisie est de savoir quel est le montant approprié du rajustement.

[114] Je commencerai par déterminer le caractère raisonnable des honoraires réellement engagés. Au moyen des affidavits souscrits par Me Sterns, de Sotos LLP, et Me Corbiere, de Nahwegahbow, Corbiere, les avocats des groupes ont fourni à la Cour des renseignements sur les honoraires inscrits pour le travail lié aux recours collectifs. Les professionnels du droit des cinq cabinets ayant intenté les recours collectifs ont consigné environ 24 000 heures facturables, les taux facturés par les avocats variant de 180 $ à 975 $ l’heure. Aucune inscription n’a été faite au dossier concernant le travail facturé et aucune description générale du travail accompli par chacun des professionnels du droit n’a été fournie. Seul le total annuel des heures travaillées par chaque professionnel du droit a été fourni. Les avocats des groupes ont déclaré que le total des honoraires qu’ils avaient réellement engagés jusqu’au 31 octobre 2023 s’élevait à 17,591 millions de dollars.

[115] Le Canada ne conteste pas le nombre d’heures consigné par les avocats des groupes. Toutefois, dans ses observations écrites, le Canada a remis en cause la légitimité des taux horaires ayant servi à calculer les honoraires réels, faisant valoir que ceux-ci sont largement théoriques étant donné que les avocats des groupes ont pour pratique de travailler sur la base d’honoraires conditionnels. En contre-interrogatoire, Me Sterns a admis que son taux horaire de 975 $ n’est pas celui qu’il facture normalement aux clients. De plus, le Canada a critiqué les taux utilisés par certains des avocats les plus expérimentés, affirmant qu’ils étaient parmi les plus élevés de leurs marchés respectifs.

[116] En outre, à l’audience, lorsque j’ai demandé au Canada s’il avait des réponses aux réserves de la Cour concernant les taux horaires, le Canada n’a rien proposé. Le Canada a plutôt changé sa position et a déclaré qu’il acceptait maintenant le montant total en dollars au titre du travail accompli à ce jour.

[117] Lors de l’audience relative à la requête, les avocats des groupes ont affirmé que la Cour n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de remettre en cause le nombre d’heures qu’ils avaient inscrit. Je rejette cette affirmation. Si la Cour acceptait sans réserve le nombre d’heures consignées et les taux horaires utilisés sans effectuer aucune forme d’examen, elle abdiquerait son pouvoir de supervision.

[118] Les avocats des groupes ont affirmé que, même si le Canada remettait en cause les taux horaires, il n’y avait aucune preuve au dossier indiquant que les taux étaient déraisonnables. Les avocats des groupes font fausse route avec cette affirmation : il incombe aux avocats des groupes de démontrer le caractère raisonnable de leurs honoraires réels (y compris leurs taux horaires) et non au Canada d’établir que ceux-ci sont déraisonnables.

[119] J’ai des réserves quant au nombre d’heures consignées et aux taux horaires ayant servi à calculer les honoraires réels, fondées en grande partie sur a) le fait que les avocats des groupes ont fourni peu de détails sur la répartition de leurs 24 000 heures de travail; b) l’absence de preuve à l’appui des taux horaires utilisés, à l’exception d’une déclaration générale que Me Sterns a faite selon laquelle [traduction] « les taux horaires facturables habituels et ordinaires » avaient été utilisés dans le calcul et que tous les taux horaires des avocats des groupes étaient raisonnables dans leurs marchés respectifs, sans offrir de justification (sauf en ce qui concerne son propre taux horaire de 975 $) et c) le manque de rigueur de la part du Canada à l’égard de ces questions.

[120] Cependant, malgré ces réserves, j’accepterai le montant des honoraires réels de 17,591 millions de dollars et je baserai mon rajustement sur celui-ci. Les avocats sont toutefois avisés que la Cour s’attend à ce que les avocats des groupes fassent preuve d’une plus grande rigueur pour justifier le caractère raisonnable des honoraires réels et, lorsqu’une partie s’oppose au caractère raisonnable des honoraires demandés, à ce que le même niveau de rigueur soit exercé pour justifier l’opposition. Les recours collectifs ne laissent pas le champ libre aux avocats des groupes pour qu’ils inscrivent leur temps sans égard à la productivité, sachant qu’aucun client n’examinera leurs dossiers comme le ferait un client payeur traditionnel. De plus, l’utilisation de taux horaires majorés, qui a pour effet d’augmenter artificiellement le montant des honoraires réels, est une autre pratique répréhensible dont la Cour est avisée et qui ne sera pas tolérée.

[121] J’examinerai maintenant chacun des facteurs applicables.

(1) Risque assumé par les avocats des groupes

[122] Au chapitre des risques, les avocats des groupes soutiennent que, au début du recours collectif Moushoom et tout au long de la procédure, les risques assumés étaient substantiels et imprévisibles. Plus précisément :

  1. Lorsque le recours collectif Moushoom a été intenté, la seule décision disponible était celle sur le bien-fondé. La décision sur l’indemnisation n’avait pas encore été rendue et le Canada s’opposait à la demande d’indemnisation présentée au Tribunal.

  2. La décision sur l’indemnisation n’incluait pas tous les membres du groupe. Par exemple, le Tribunal a octroyé une indemnité aux enfants retirés de leur foyer, de leur famille et de leur communauté entre 2006 et 2022, mais les avocats des groupes ont soutenu dans le cadre des recours collectifs que les enfants retirés avaient droit à l’indemnité même s’ils avaient été déplacés ailleurs dans la réserve. Les avocats des groupes ont aussi ajouté aux réclamations déjà présentées les réclamations d’enfants retirés depuis 1991, ajoutant ainsi 15 années et de nombreux membres. Ils ont aussi fait valoir que l’indemnité légale accordée par le Tribunal était insuffisante pour indemniser les enfants retirés et ont donc demandé une indemnité additionnelle.

  3. Le Canada a contesté le recours collectif Trout, qui mettait de l’avant de nouvelles demandes relatives aux services essentiels avant l’adoption du principe de Jordan. Les avocats des groupes ont réglé le recours collectif Trout pour un montant de 3 milliards de dollars, et il n’y avait aucun recoupement avec la procédure du Tribunal.

  4. La conclusion du Tribunal ne visait qu’une partie du groupe visé par les recours collectifs. Le Tribunal a conclu que la plainte relative aux enfants retirés n’était fondée que pour la période débutant en 2006 et que la plainte liée au principe de Jordan ne l’était qu’à partir du 12 décembre 2007 (lorsque le principe de Jordan a été reconnu par la Chambre des communes).

  5. Le Canada a sollicité le contrôle judiciaire de la décision sur l’indemnisation et, lorsqu’il a été débouté, il a interjeté appel du rejet de la demande de contrôle judiciaire, ce qui a mis en péril le bénéfice de la décision sur l’indemnisation.

  6. En insistant pour négocier la réforme à long terme en même temps que le règlement et pour que la procédure devant le Tribunal ait un caractère définitif, le Canada a ajouté un élément de risque et de complexité extrême aux négociations et aux perspectives de règlement.

  7. Certains intervenants des Premières Nations (et le Tribunal) se sont opposés à tout compromis, qui est le fondement même de tout règlement, ce qui a considérablement accru les risques posés par un règlement négocié des recours collectifs.

  8. L’APN a exigé que les honoraires de ses avocats soient plafonnés pour s’assurer qu’ils ne soient pas inconvenants. Les avocats chargés du recours collectif Moushoom ont également consenti à plafonner leurs honoraires à 80 millions de dollars. Ce plafonnement des honoraires dans le cas d’un règlement avant le procès posait un risque, car les avocats des groupes ne pouvaient plus demander d’autres honoraires même si les négociations antérieures au procès et le litige devaient se poursuivre pendant de nombreuses années.

  9. Les avocats des groupes couraient le risque qu’un nouveau gouvernement change complètement de cap en ce qui concerne les négociations ou le règlement ou qu’il mette fin à l’affaire par voie législative.

  10. La taille du groupe était incertaine, et il existait divers arguments qui auraient pu limiter la taille du groupe et la portée des recours.

  11. Certains éléments des réclamations présentées étaient complexes, comme les réclamations dérivées des membres des familles, et les recours dans leur ensemble visaient des réclamations nouvelles et complexes, portant sur des questions de droit constitutionnel et de droit autochtone.

[123] Pour diverses raisons, je ne partage pas le point de vue des avocats des groupes quant au degré de risque qu’ils ont assumé en l’espèce.

[124] Il ne s’agissait pas en l’espèce de recours collectifs qui sont « partis de zéro ». L’instance devant le Tribunal durait depuis 12 ans lorsque Sotos LLP, Kugler Kandestin S.E.N.C.R.L. et Miller Titerle + Company [les avocats de Moushoom et de Trout] ont décidé d’entamer le recours collectif Moushoom. À l’époque, le Canada avait déjà été jugé responsable de la discrimination relative au programme des SEFPN et à l’offre de services essentiels ainsi que du non-respect du principe de Jordan dans la décision sur le bien-fondé, qui était définitive, et le Tribunal s’affairait à examiner les mesures de réparation qui découleraient de sa conclusion de responsabilité.

[125] Il n’est pas difficile de croire que les avocats de Moushoom et de Trout ont vu l’occasion d’intenter un recours collectif en profitant des efforts déployés par les avocats qui avaient travaillé à convaincre le Tribunal de tirer une conclusion de responsabilité et qui travaillaient à l’obtention d’une réparation. Le gros du travail avait déjà été accompli, avec succès, devant le Tribunal par des avocats autres que ceux de Moushoom et de Trout et ces derniers ont tenté d’en profiter financièrement.

[126] Je tiens à souligner que Nahwegahbow, Corbiere était l’un des cabinets ayant participé à l’instance devant le Tribunal et que le résultat qu’il y a obtenu était admirable. Toutefois, ce travail ne peut être rémunéré dans le contexte de l’espèce, et Nahwegahbow, Corbiere n’a pas cherché à obtenir une rémunération pour les efforts déployés directement devant le Tribunal.

[127] Selon les mandats de représentation en justice des avocats du recours collectif Moushoom, les avocats de Moushoom et de Trout pouvaient recouvrer des honoraires d’environ 1 milliard de dollars uniquement en formulant leur recours collectif de manière à délibérément recouper les conclusions du Tribunal.

[128] Je comprends que la décision sur l’indemnisation faisait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire et qu’elle a ensuite été portée en appel devant la Cour d’appel fédérale, mais le Canada multipliait aussi les déclarations publiques pour annoncer son intention d’indemniser les personnes touchées et de régler les réclamations présentées dans les recours collectifs. La première de ces déclarations a eu lieu en décembre 2019, quelques mois seulement avant le début du recours collectif Moushoom et l’introduction des recours collectifs APN et Trout. Le Canada a continué de faire des déclarations publiques après l’introduction des recours collectifs APN et Trout et les a appuyées en proposant de participer à des séances de négociations et de médiation. Bien que ces déclarations n’aient pas éliminé les risques assumés par les avocats des groupes, j’estime qu’elles les ont certainement atténués.

[129] Comme l’ont reconnu les avocats des groupes dans leurs observations écrites à l’appui de l’approbation de l’Entente de règlement définitive, l’instance devant le Tribunal a fourni une [traduction] « mine de connaissances à propos de l’affaire ». Le Tribunal avait établi certains faits et tranché certaines questions de façon définitive. Les avocats des groupes savaient à quoi s’attendre en l’espèce en ce qui concerne la preuve et les éléments à produire. Comme il a été indiqué dans le plan de déroulement de l’instance du 9 juillet 2019, certains éléments de preuve présentés dans le cadre de l’instance devant le Tribunal et des recours collectifs se recoupaient, de telle sorte que les avocats des groupes prévoyaient un procès simplifié :

[traduction]
Les demandeurs souhaitent la tenue d’un procès selon une procédure accélérée ou une procédure hybride par jugement sommaire/viva voce. L’ensemble de la preuve documentaire produite par la Couronne dans l’instance devant le TCDP devrait être pertinente et pouvoir être produite dans le présent recours collectif. Compte tenu de l’ampleur des documents produits dans l’instance devant le TCDP, les demandeurs s’attendent à ce que les documents produits soient peu contestés en l’espèce, voire pas du tout. De plus, à la lumière du témoignage exhaustif livré dans le cadre de l’instance devant le TCDP, l’interrogatoire préalable devrait commencer rapidement après l’autorisation et se faire dans un court laps de temps.

[130] J’admets que les conclusions du Tribunal n’ont pas eu d’effet bénéfique direct sur le recours collectif Trout et sur certaines autres réclamations présentées dans le cadre du recours réuni. Toutefois, de façon globale, les recours collectifs étaient fondés sur la décision sur le bien-fondé et la décision sur l’indemnisation et soulevaient des allégations contre le Canada qui reposaient sur des faits communs. La nouveauté de ces réclamations additionnelles a certainement créé un risque, mais ce risque a été atténué par le précédent établi par le Tribunal dans les dossiers connexes.

[131] Dans le cadre de la Convention de consortium, les avocats des groupes ont convenu par la suite (après le début du recours collectif Trout) de plafonner leurs honoraires à 80 millions de dollars dans l’éventualité où un règlement serait conclu avant le procès. Même si les avocats des groupes font valoir que cela leur a en quelque sorte fait courir un risque additionnel, en réalité, ils avaient déjà atteint le plafond de 80 millions de dollars – peu importe le degré de succès obtenu dans le cadre du recours collectif Trout – en raison du recoupement délibéré de leurs réclamations avec celles visées par la décision sur l’indemnisation.

[132] Il ne s’agissait pas non plus en l’espèce d’un litige où ils avaient « joué le tout pour le tout ». Les risques courus étaient répartis entre cinq cabinets d’avocats, dont au moins un grand cabinet spécialisé en recours collectifs et un autre grand cabinet spécialisé en droit international. Quatre des cabinets d’avocats ont chacun assumé des honoraires non facturés de 3,3 à 4,7 millions de dollars respectivement sur une période de cinq ans, le cinquième cabinet ayant assumé des honoraires de moins de 1 million de dollars. Les avocats des groupes n’ont fourni à la Cour aucune preuve établissant l’existence de réelles difficultés financières causées par ces honoraires non facturés ou par le temps consacré aux recours collectifs.

[133] Cela dit, l’absence de preuve n’est pas surprenante. Le modèle d’affaires utilisé par les grands cabinets spécialisés en recours collectifs fait en sorte que le risque de perdre une cause est compensé par les avantages financiers considérables associés au succès d’autre affaire, et ces avantages dépassent largement la valeur réelle du temps consacré à la cause. En outre, les grands cabinets spécialisés en droit international sont bien placés pour assumer des honoraires non facturés de moins de 1 million de dollars par année pendant quatre ans.

[134] Les avocats des groupes soutiennent que l’inclusion des réformes à long terme dans les négociations a accru le niveau de risque en l’espèce. Bien que le Canada ait consenti à verser 20 milliards de dollars pour les réformes à long terme, celles-ci ne font pas partie de l’Entente de règlement définitive conclue en l’espèce. Elles font plutôt partie d’une entente de règlement distincte, qui n’a pas été soumise à la Cour en l’espèce. La Cour dispose de peu d’éléments de preuve quant au rôle que les avocats des groupes ont joué dans les discussions sur les réformes à long terme et sur la progression de ces discussions. Les avocats des groupes n’ont pas transmis à la Cour les renseignements nécessaires pour étayer leur argument relatif au prétendu risque accru.

[135] Comme le Canada était le défendeur dans les recours collectifs, je juge qu’il n’y avait aucun risque important de non-paiement et que l’affirmation des avocats des groupes selon laquelle il était très risqué d’intenter une action contre le Canada est incompatible avec la preuve, surtout à la lumière des nombreuses déclarations du Canada relativement à son engagement à verser des indemnités et à négocier un règlement.

[136] Dans les recours collectifs sous-jacents, les avocats des groupes ont commencé par qualifier le risque couru d’« important », et le Canada l’a quant à lui qualifié de « modéré », tout au plus. À l’audience, les avocats des groupes ont indiqué en réponse qu’ils reconnaissaient qu’un risque « modéré » était une désignation appropriée.

[137] Bien que les deux parties conviennent que le niveau de risque était modéré, un écart d’interprétation important subsistait entre les avocats quant à l’incidence d’un risque « modéré » sur le caractère juste et raisonnable des honoraires. Pour les avocats des groupes, un risque « modéré » signifiait initialement que des honoraires d’avocat de 80 millions de dollars (puis, à la suite de l’audience, de 50 millions de dollars) représentaient un niveau de rémunération approprié, mais le Canada considérait qu’un risque « modéré » signifiait que les honoraires d’avocat devaient plutôt se situer entre 40 et 50 millions de dollars. Il en ressort donc clairement que, pour les avocats en l’espèce, un risque « modéré » pourrait justifier des honoraires très différents.

[138] Il m’apparaît utile de placer sur un continuum le niveau de risque assumé par les avocats des groupes pour démontrer, du moins de façon générale, le degré de risque auquel ceux-ci étaient exposés. En examinant le risque de cette façon, et compte tenu des circonstances décrites ci-dessus, je conclus que les risques assumés par les avocats des groupes se situaient à la limite inférieure du spectre.

(2) Résultats obtenus par les avocats des groupes

[139] Dans l’examen des résultats obtenus, il est important d’établir une distinction entre les résultats obtenus grâce à l’Entente de règlement définitive et ceux obtenus à l’issue de l’instance devant le Tribunal. L’Entente de règlement définitive prévoit des indemnités financières qui s’ajoutent à celles obtenues à l’issue de l’instance devant le Tribunal :

  1. Elle prévoit l’indemnisation de dizaines de milliers de membres additionnels, dont les enfants vivant sur une réserve qui ont été retirés de leur famille, mais qui ont fait l’objet d’un placement dans leur communauté, les enfants qui ont été retirés entre 1991 et 2006 (ainsi que leurs familles) et les enfants qui se sont vu refuser des services essentiels entre 1991 et 2007 (ainsi que leurs familles).

  2. Elle accorde aux membres des groupes ayant subi les préjudices les plus graves des paiements et des avantages qui excèdent les plafonds prévus par la loi auxquels le Tribunal est assujetti.

  3. Elle prévoit la création d’un important fonds cy-près administré par les Premières Nations pour les membres n’ayant pas droit à une indemnité directe.

[140] Les avocats des groupes estiment que la différence entre l’indemnisation prévue par l’Entente de règlement définitive et l’indemnisation accordée par le Tribunal s’élève à environ 13,75 milliards de dollars.

[141] De plus, comme je l’ai mentionné, l’Entente de règlement définitive prévoit d’importants avantages non financiers (tels qu’un processus de réclamation tenant compte des traumatismes et des réalités culturelles dirigé par les Premières Nations, des services de soutien complets entièrement financés visant à aider les membres des groupes à s’y retrouver dans le processus de réclamation et à répondre à leurs besoins en santé mentale, liés à la culture ou de nature administrative, juridique et financière, et une demande officielle pour que le cabinet du premier ministre présente des excuses publiques) qui ne pouvaient être obtenus dans le cadre de l’instance devant le Tribunal.

[142] L’envergure du règlement (23,34 milliards de dollars) est historique, et même si je devais retirer de l’examen de ce facteur la valeur de la décision sur l’indemnisation (ce qu’il convient de faire dans les circonstances), la somme recouvrée serait quand même largement supérieure à la somme recouvrée dans tous les autres règlements de recours collectifs ayant été conclus au Canada à ce jour. Dans les circonstances, je n’ai aucune hésitation à conclure que les résultats obtenus sont très importants.

[143] Je souscris également aux commentaires formulés par d’autres cours selon lesquels les honoraires d’avocat devraient être proportionnels aux sommes recouvrées lorsque celles-ci sont importantes, même dans le contexte de règlements associés à des mégafonds [voir MacDonald et al v BMO Trust Company et al, 2021 ONSC 3726 [MacDonald] au para 47]. Cela dit, comme je l’ai mentionné, il arrive un moment où l’octroi d’honoraires d’avocat additionnels devient déraisonnable et disproportionné, quelle que soit la somme recouvrée. Il n’est pas nécessaire que je « plante un drapeau » et que j’établisse le plafond qui devrait s’appliquer au recouvrement, mais c’est certainement une considération pertinente qui influe sur le poids à accorder aux résultats obtenus.

[144] À l’audience, le Canada a fait valoir qu’il faut également tenir compte du fait que le montant du règlement en l’espèce est en partie le « fruit du hasard ». Invoquant le paragraphe 28 et la note en bas de page 22 de la décision MacDonald, il a soutenu que le montant du recouvrement était plus attribuable à la taille du groupe, ce qui relève du hasard, qu’aux risques assumés ou aux efforts déployés par les avocats du groupe.

[145] Les avocats des groupes se sont opposés à l’argument selon lequel la taille des groupes en l’espèce était le fruit du hasard et ont plutôt soutenu qu’elle était le fruit de leur travail en vue de définir soigneusement les groupes. Je rejette cette affirmation. Quel que soit le degré de soin exercé par les avocats des groupes dans la rédaction de la définition des groupes, le fait est qu’il n’y a qu’un nombre limité de personnes qui répondront à la définition d’un groupe donné et que les avocats des groupes n’ont aucun contrôle à cet égard. Des centaines ou des milliers de personnes pourraient répondre à une certaine définition, et je suis d’accord avec le Canada pour dire que ce nombre est simplement le fruit du hasard.

[146] Cela dit, le hasard devrait-il avoir une incidence sur l’examen par la Cour des résultats obtenus? Je suis d’accord pour dire que c’est un élément pertinent à prendre en considération pour déterminer le poids à accorder à ce facteur et, en l’espèce, je juge que le hasard a eu une incidence sur le montant du recouvrement

(3) Autres facteurs

[147] Les parties ont axé leurs observations écrites et orales sur les facteurs du risque assumé et des résultats obtenus et ont formulé peu d’observations sur les autres facteurs, voire aucune. Conformément à la jurisprudence de notre Cour, je juge que ces facteurs devraient se voir accorder moins de poids que les facteurs du risque et des résultats. Sous réserve des commentaires formulés ci-après, je suis d’avis que ces autres facteurs militent tout de même en faveur de l’approbation d’une prime à l’égard des honoraires des avocats des groupes.

[148] En ce qui a trait au temps et aux efforts consacrés par les avocats des groupes, le nombre d’heures inscrites et la participation des avocats des groupes aux longues négociations qui ont suivi l’autorisation (sur consentement) des recours collectifs indiquent clairement que les avocats des groupes ont consacré beaucoup de temps et de ressources aux procédures.

[149] En ce qui concerne la complexité et la difficulté de l’affaire, les avocats des groupes ont fait valoir que le processus menant au règlement avait été extraordinairement complexe en raison de l’étendue et de la portée des groupes et de la nécessité de trouver une solution acceptable pour la Cour, le Tribunal et les parties à l’instance devant le Tribunal. De plus, ils ont fait valoir que l’envergure du dossier avait contribué à la complexité de celui-ci, pour ce qui est de la taille des groupes, de la portée temporelle, ainsi que de la nouveauté et de la complexité des questions juridiques et factuelles.

[150] Je suis convaincue que les réclamations formulées dans le cadre des recours collectifs et la structuration du règlement étaient complexes. Les nombreux experts consultés sur les questions concernant la protection de l’enfance, le principe de Jordan et les services essentiels, comme Me Sterns en fait la description dans son affidavit, démontrent cette complexité. Le nombre d’intervenants ayant participé au processus décisionnel (tant lors de l’instance devant le Tribunal visée par le règlement que durant les négociations relatives aux recours collectifs) a également contribué à la complexité de l’affaire, car certaines questions nécessitaient de vastes consultations.

[151] En ce qui concerne le degré de responsabilité assumé par les avocats des groupes, les cinq cabinets d’avocats pour lesquels travaillent les avocats des groupes ont assumé l’entière responsabilité pour ce qui est de l’introduction, de la conduite et du règlement des recours collectifs, aucune autre procédure n’ayant été intentée devant les tribunaux provinciaux ou territoriaux.

[152] En ce qui a trait aux honoraires accordés dans des affaires semblables, j’ai tenu compte du montant des honoraires approuvés dans les autres instances visant des mégafonds, mais j’estime que cette comparaison n’a aucune utilité pratique, si ce n’est de démontrer qu’une somme de 40 millions de dollars se situe également dans la fourchette des honoraires approuvés dans de tels cas. Chaque affaire doit être examinée en fonction des faits qui lui sont propres, et les décisions sur l’indemnisation rendues par le Tribunal ont pour effet de rendre les faits de l’espèce uniques.

[153] Je juge que les honoraires demandés sont conformes aux attentes des groupes. Les honoraires demandés respectent la condition négociée entre les avocats des groupes et l’APN quant au plafonnement des honoraires d’avocat à 80 millions de dollars dans l’éventualité où l’affaire serait réglée avant le procès, condition qui a été intégrée à la Convention de consortium. Le montant d’honoraires qui est maintenant demandé est non seulement inférieur au plafond de 80 millions de dollars prévu dans la Convention de consortium et le mandat de représentation en justice de l’APN, mais il est également inférieur au montant prévu dans les précédents mandats de représentation en justice prévoyant des honoraires conditionnels que les avocats des recours collectifs de Moushoom et de Trout avaient signés avec les demandeurs dans le cadre de ces recours collectifs.

[154] Les avocats des groupes et le Canada ont également convenu que les honoraires d’avocat ne seraient pas déduits des sommes recouvrées par les groupes, même si les mandats de représentation en justice initiaux des avocats des groupes et la Convention de consortium prévoyaient le contraire.

[155] Dans leurs affidavits, les représentants demandeurs ont tous indiqué à quel point ils étaient satisfaits du rendement des avocats des groupes et ils ont exprimé leur appui à l’égard de la présente requête en approbation des honoraires. De plus, la Cour ne dispose d’aucune preuve indiquant que des membres des groupes seraient opposés aux honoraires demandés par leurs avocats.

[156] En ce qui concerne l’expérience et l’expertise des avocats des groupes, ceux-ci forment une équipe de professionnels chevronnés qui combinent leur expertise en droit autochtone et en recours collectifs. En fait, Nahwegahbow, Corbiere a représenté l’APN dans l’instance devant le Tribunal depuis 2007 et a ainsi mis à profit, dans le cadre des recours collectifs en question, ses connaissances et son expertise précieuses en matière de litiges du point de vue des Premières Nations. Les avocats des groupes se sont manifestement dévoués aux recours collectifs en question et ont donné suite aux réclamations avec diligence. En fin de compte, les avocats des groupes ont réussi à conclure un règlement historique dans les cinq années qui ont suivi le dépôt du premier recours collectif. En outre, ils continueront de fournir des services juridiques dans le cadre du transfert de l’application du règlement au comité de mise en œuvre du règlement dirigé par les Premières Nations.

[157] En ce qui a trait à la capacité de payer des groupes, les membres des groupes n’auraient vraisemblablement pas pu retenir les services des avocats des groupes s’ils avaient dû payer pour les services rendus compte tenu de la complexité du système d’aide à l’enfance et à la famille, de la nouveauté de certaines réclamations et de la vulnérabilité de certains membres des groupes.

[158] Pour ce qui est de l’importance du litige pour les demandeurs, comme l’a constaté le Tribunal, le règlement du litige représente une avancée importante vers la réconciliation [voir Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al c Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2023 TCDP 44 au para 1].

[159] Dans leurs affidavits, les représentants demandeurs ont décrit l’importance de ces recours collectifs pour leur famille, leur communauté et eux-mêmes. Certains des membres des groupes comptent parmi les personnes les plus vulnérables de la société canadienne et ont été séparés de leur famille ou privés des services essentiels pourtant offerts aux Canadiennes et aux Canadiens non membres des Premières Nations. De plus, aux termes de l’Entente de règlement définitive, le Canada doit recommander au premier ministre de présenter des excuses aux membres des groupes pour la discrimination qu’ils ont subie, ce qui démontre une fois de plus l’importance de ce litige pour les demandeurs.

[160] Enfin, comme je l’ai déjà indiqué, toutes les parties consentent maintenant au montant des honoraires demandés par les avocats des groupes.

[161] Après avoir examiné chacun des facteurs décrits ci-dessus et le poids à leur accorder (en tenant compte des points de vue des avocats des groupes, des membres des groupes, du Canada et de l’intérêt public), je suis convaincue qu’une prime à l’égard des honoraires des avocats des groupes qui donnerait des honoraires totaux de 40 millions de dollars (taxes non comprises) pour le travail accompli jusqu’au 31 octobre 2023 est juste et raisonnable et qu’elle préservera l’intégrité de la profession juridique.

[162] Maintenant que j’ai déterminé la prime appropriée, j’aimerais revenir un moment sur le concept du coefficient. Le coefficient convenu par les parties qui sous-tend la demande d’honoraires de 50 millions de dollars est de 2,843. Le coefficient sur lequel j’ai fondé ma décision quant au montant des honoraires est de 2,273. L’écart entre les deux coefficients est de 0,57. Cependant, ce petit écart représente un montant d’honoraires de 10 millions de dollars, ce qui démontre qu’il est inutile de mettre l’accent sur le coefficient approprié plutôt que sur la valeur réelle en dollars des honoraires.

[163] Le Canada ne conteste pas les débours réclamés par les avocats des groupes qui, jusqu’à maintenant, s’élèvent à 642 000 $, plus les taxes applicables, et je suis convaincue que les débours réclamés sont justes et raisonnables.

[164] Je suis convaincue que l’entente conclue par les parties est juste et raisonnable en ce qui concerne les honoraires futurs des avocats des groupes et qu’elle préserve l’intégrité de la profession. Par conséquent, les honoraires d’avocat pour le travail accompli du 1er novembre 2023 jusqu’à l’achèvement du dernier protocole de distribution seront versés en fonction du travail réellement accompli (sans majoration) selon un taux horaire commercial, jusqu’à concurrence de 5 millions de dollars. Toutefois, le montant approuvé au titre de ces honoraires sera établi au moyen d’une ou de plusieurs requêtes qui seront présentées lorsque le travail en question sera terminé, avec éléments de preuve à l’appui.


ORDONNANCE dans les dossiers T-402-19, T-141-20, T-1120-21

LA COUR ORDONNE :

  1. Par la présente, des honoraires de 40 000 000 $ (quarante millions de dollars) et les débours réclamés par les avocats, plus les taxes applicables, sont approuvés pour l’ensemble du travail accompli jusqu’au 31 octobre 2023 [les honoraires approuvés des avocats des groupes].

  2. Le défendeur devra verser les honoraires approuvés des avocats des groupes conformément à l’Entente de règlement définitive.

  3. Les honoraires des avocats des groupes pour le travail accompli du 1er novembre 2023 jusqu’à l’achèvement du dernier protocole de distribution seront versés en fonction du travail réellement accompli (sans majoration) selon un taux horaire commercial, jusqu’à concurrence de 5 millions de dollars. Le montant approuvé au titre de ces honoraires sera établi au moyen d’une requête ou de plusieurs requêtes qui seront présentées lorsque le travail en question sera terminé, avec éléments de preuve à l’appui.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés relativement à la présente requête.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-402-19

 

INTITULÉ :

XAVIER MOUSHOOM, JEREMY MEAWASIGE (représenté par son tuteur à l’instance, Jonavon Joseph Meawasige), JONAVON JOSEPH MEAWASIGE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T-141-20

 

INTITULÉ :

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS, ASHLEY DAWN LOUISE BACH, KAREN OSACHOFF, MELISSA WALTERSON, NOAH BUFFALO‐JACKSON (représenté par sa tutrice à l’instance, Carolyn Buffalo), CAROLYN BUFFALO et DICK EUGENE JACKSON, alias RICHARD JACKSON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET DOSSIER :

T-1120-21

 

INTITULÉ :

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS et ZACHEUS JOSEPH TROUT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 OCTOBRE 2023

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA JUGE AYLEN

 

DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE :

le 21 décembre 2023

COMPARUTIONS :

Mohsen Seddigh

Robert Kugler

Pierre Boivin

Alexandre Paquette-Dénommé

Joelle Walker

POUR LES DEMANDEURS

Xavier Moushoom, Jeremy Meawasige (représenté par son tuteur à l’instance, Jonavon Joseph Meawasige), Jonavon Joseph Meawasige et Zacheus Joseph Trout

Stuart Wuttke

D. Geoffrey Cowper, c.r.

Nathan Surkan

Peter Mantas

POUR LES DEMANDEURS

l’Assemblée des Premières Nations, Ashley Dawn Louise Bach, Karen Osachoff, Melissa Walterson, Noah Buffalo‐Jackson (représenté par sa tutrice à l’instance, Carolyn Buffalo), Carolyn Buffalo et Dick Eugene Jackson, ALIAS Richard Jackson

 

Paul Vickery

Chris Rupar

Jonathan Tarlton

Sarah Dawn Norris

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SOTOS LLP

Toronto (Ontario)

KUGLER KANDESTIN

Montréal (Québec)

MILLER TITERLE + CO.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

Xavier Moushoom, Jeremy Meawasige (représenté par son tuteur à l’instance, Jonavon Joseph Meawasige), Jonavon Joseph Meawasige et Zacheus Joseph Trout

NAHWEGAHBOW, CORBIERE

Rama (Ontario)

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

l’Assemblée des Premières Nations, Ashley Dawn Louise Bach, Karen Osachoff, Melissa Walterson, Noah Buffalo‐Jackson (représenté par sa tutrice à l’instance, Carolyn Buffalo), Carolyn Buffalo et Dick Eugene Jackson, ALIAS Richard Jackson

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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