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Date : 20240108


Dossier : IMM-2019-22

Référence : 2024 CF 27

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 8 janvier 2024

En présence de madame la juge Go

Dossier :

ENTRE :

Mosunmola Victoria AWONUGA

Oluwapelumi Samuel AWONUGA

Oluwadarasimi Esther AWONUGA

Oluwafimidararere Deborah AWONUGA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Mme Mosunmola Victoria Awonuga [la demanderesse principale] et ses trois enfants mineurs [les demandeurs mineurs], sont citoyens du Nigéria. Ils ont présenté des demandes d’asile fondées sur deux allégations : premièrement, la demanderesse principale et son ex‑époux participaient activement aux activités du parti d’opposition, le Parti démocratique populaire [le PDP], et ils craignent le parti au pouvoir, le Congrès de tout le peuple; deuxièmement, la famille de l’ex-époux souhaitait infliger la mutilation génitale féminine aux demanderesses mineures.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que les demandeurs avaient présenté des documents frauduleux à l’appui de leurs allégations et qu’ils avaient fait de fausses allégations de nature substantielle et fondamentale dans le but de tromper les autorités qui statuent sur le statut de réfugié. La SPR a également conclu que les demandes d’asile des demandeurs sont « clairement frauduleuses » et qu’elles étaient « manifestement infondées » aux termes de l’article 107.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[3] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la présente demande.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[4] Les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur en concluant que leurs demandes d’asile étaient « manifestement infondées » et ils soutiennent qu’elles ne peuvent être qualifiées de « clairement frauduleuses » aux termes de l’article 107.1 de la LIPR. Les demandeurs font également valoir que la SPR a commis une erreur en étendant sa conclusion défavorable en matière de crédibilité au reste de leur preuve documentaire.

[5] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[6] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle rigoureuse, mais empreinte de déférence : Vavilov, aux para 12-13. La cour de révision doit examiner si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont le décideur était saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences : Vavilov, aux para 88-90, 94 et 133-135.

[7] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, les demandeurs doivent démontrer qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle soulève ne justifient pas toutes une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[8] Étant donné que la SPR a jugé que les demandes d’asile étaient « manifestement infondées » après avoir conclu que les demandeurs avaient présenté des documents frauduleux et après avoir décidé de ne pas accorder de poids aux autres documents, j’examinerai les questions soulevées par les demandeurs dans l’ordre suivant :

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs avaient présenté des documents frauduleux?

  2. La SPR a-t-elle commis une erreur en n’accordant aucun poids aux autres documents?

  3. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandes d’asile des demandeurs étaient « manifestement infondées »?

A. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs avaient présenté des documents frauduleux?

[9] Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR selon laquelle les demandes d’asile étaient manifestement infondées était basée sur trois éléments de preuve qu’ils avaient fournis : la carte de membre du PDP, une lettre du PDP et un rapport de police rempli à Lagos par la demanderesse principale. Les demandeurs contestent la conclusion de la SPR concernant les documents.

[10] La carte de membre du PDP en question aurait été délivrée en 2012 lorsque la demanderesse principale s’est jointe au PDP, par dont elle est devenue plus tard une dirigeante jeunesse. Les demandeurs ont également présenté une lettre d’appui du PDP qui aurait été remise à la demanderesse principale en 2021. Les demandeurs font valoir que la SPR a conclu que le timbre à l’intérieur de la carte de membre n’était pas le même que celui sur la lettre d’appui, sans tenir compte du fait que ces documents n’avaient pas été rédigés ou produits en même temps.

[11] Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour la SPR de leur reprocher les erreurs d’orthographe dans les documents du PDP et de juger ceux-ci frauduleux, renvoyant à la décision Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390 [Oranye]. Ils font en outre valoir que la SPR a ironiquement déclaré qu’elle n’appliquait pas les normes canadiennes aux documents étrangers, alors que c’est exactement ce qu’elle avait fait.

[12] Je juge que les arguments des demandeurs ne sont pas convaincants.

[13] Premièrement, je conclus que la SPR ne s’est pas seulement intéressée aux [traduction] « erreurs d’orthographe », mais aussi à l’absence de ce qu’elle considérait comme des [traduction] « explications adéquates » de la part de la demanderesse principale au sujet de plusieurs divergences dans les documents du PDP, lesquels, comme l’a fait remarquer la SPR, ont été délivrés par un grand parti au Nigéria.

[14] Plus précisément, la SPR avait remarqué les différentes façons dont le nom du PDP était orthographié dans ces documents et s’interrogeait à ce sujet. Selon le recto de la carte de membre, le nom du parti est « Peoples Democratic Party » (Parti démocratique du peuple), ce qui est compatible avec la preuve objective concernant le nom du parti. Cependant, selon le timbre à l’intérieur de la carte, le nom du parti est « People Democratic Party », le mot « People » n’étant pas au pluriel. La SPR a également souligné que, dans l’en-tête et dans le corps de la lettre d’appui, l’orthographe du nom du parti était « Peoples’ Democratic Party » (avec une apostrophe). La SPR a porté ces divergences à l’attention de la demanderesse principale et l’a invité à formuler des commentaires à ce sujet. En ce qui concerne le timbre, la demanderesse principale a déclaré qu’elle n’avait pas remarqué auparavant les différences d’orthographe, [traduction] « mais qu’elle le[s] voyai[ent] maintenant », et a souligné que le nom du PDP était bien écrit au recto de la carte. En ce qui concerne la lettre d’appui, la demanderesse principale a répondu qu’elle n’avait pas remarqué ou vu les différences d’orthographe et a affirmé que la lettre était authentique. La demanderesse principale a ajouté [traduction] « que c’était peut-être à cause de la façon dont le timbre avait été fabriqué, que le parti l’utilisait simplement comme image sans y accorder de sérieux ».

[15] La SPR a jugé qu’aucune des explications de la demanderesse principale ne répondait de manière appropriée aux questions relatives à la carte de membre et à la lettre d’appui. La SPR a reconnu qu’elle ne devrait pas appliquer les normes canadiennes aux documents étrangers, mais a conclu qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’un grand parti politique épelle son nom correctement et de façon uniforme dans ses documents. Compte tenu de ces réserves, la SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que ces documents étaient frauduleux.

[16] Je juge que les motifs de la SPR sont transparents et intelligibles, et que sa conclusion est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles.

[17] Je juge que les faits de l’affaire invoquée par les demandeurs sont différents de ceux de l’espèce. Dans l’affaire Oranye, les documents en question étaient les affidavits personnels des demandeurs, et non des documents officiels. De plus, dans la décision Oranye, le juge Ahmed a conclu que la Section d’appel des réfugiés [la SAR] était parvenue à sa conclusion au sujet des affidavits en s’appuyant uniquement sur des éléments de preuve objectifs indiquant que les documents frauduleux sont répandus au Nigéria, sans réellement tirer de conclusion de fait. C’est pour cette raison que le juge Ahmed a fait une mise en garde contre le fait de « dissimuler des conclusions relatives à l’authenticité en jugeant simplement que les éléments de preuve ont une “faible valeur probante” » : Oranye, aux para 26-28. En l’espèce, la commissaire de la SPR a procédé à son propre examen des documents et a fait part de ses réserves à la demanderesse principale pour qu’elle puisse formuler des commentaires.

[18] Je juge que les faits de la présente affaire ressemblent davantage à ceux de l’affaire invoquée par le défendeur, soit la décision Mohamed c Canada, 2022 CF 55 [Mohamed], dans laquelle le juge Bell a conclu que l’utilisation du nom [traduction] « République démocratique somalienne » dans les documents gouvernementaux que le demandeur avait présentés comme preuve, longtemps après que la Somalie eut changé de nom et adopté la désignation [traduction] « République fédérale somalienne », était impossible à ignorer. Le juge Bell a également effectué une distinction entre les faits dont il était saisi et ceux de l’affaire Oranye, en soulignant la différence entre les erreurs d’orthographe dans des timbres du gouvernement ou des parties préimprimées d’en-têtes et les erreurs d’orthographe dans un affidavit : Mohamed, aux para 24-25. Le juge Bell a renvoyé à la décision Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 [Azenabor], dans laquelle le juge McHaffie a également fait la distinction entre les erreurs d’orthographe dans le corps d’un document et celles dans les parties imprimées d’une carte d’identité officielle ou d’un en-tête. Selon le juge McHaffie, ces dernières erreurs seraient plus susceptibles de soulever des doutes quant à l’authenticité d’un document : Azenabor, au para 31.

[19] À l’audience, l’avocat de la demanderesse principale a présenté de nouveaux arguments et a soutenu qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’un parti politique au Nigéria, un [traduction] « pays du tiers monde », n’ait pas d’erreurs d’impression dans son document, qu’il soit en mesure d’épeler correctement son nom sur ses documents et que ses membres remarquent de telles erreurs. L’avocat a en outre fait valoir qu’il était raisonnable de s’attendre à une variation régionale dans ces documents. Je rejette ces nouveaux arguments, car ils ne reposent sur aucun élément de preuve.

[20] De plus, tout comme les décideurs devraient prendre garde de ne pas appliquer les normes canadiennes lorsqu’ils examinent des documents étrangers, les parties et les décideurs devraient faire preuve de prudence pour éviter de jeter un regard désobligeant sur l’ensemble des pays du Sud en laissant entendre que leurs peuples et leurs institutions n’ont en quelque sorte pas les compétences nécessaires pour produire des documents de manière professionnelle.

[21] Dans le contexte de la présente affaire, compte tenu des erreurs qui ont été relevées dans l’orthographe du nom d’un grand parti politique, je juge que l’analyse de la Cour dans les décisions Mohamed et Azenabor s’applique et je confirme le caractère raisonnable de la décision de la SPR concernant les documents frauduleux.

[22] En ce qui concerne le rapport de police, les demandeurs ont soutenu que la SPR l’avait jugé frauduleux pour deux raisons. Premièrement, le rapport de police a été rempli à Lagos et non à Akura, où les demandeurs résidaient à l’époque, et les demandeurs n’ont pas expliqué cette incohérence, laquelle a une incidence négative sur leur crédibilité générale. Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la SPR a exprimé des réserves quant à la similitude entre le rapport de police et l’exposé circonstancié personnel de la demanderesse principale figurant dans le formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA]. Les demandeurs font valoir que les erreurs dans le rapport de police ne sont pas de nature à rendre le document frauduleux.

[23] Encore une fois, je conclus que les demandeurs interprètent mal les conclusions de la SPR.

[24] La SPR avait des réserves quant au fait que le rapport de police avait été rempli à Lagos parce que la demanderesse principale n’avait pas mentionné dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA qu’elle s’était rendue à Lagos pour établir le rapport et qu’elle n’a pas expliqué cette incohérence. La SPR a souligné que la demanderesse principale a déclaré n’avoir reçu le rapport de police qu’une fois arrivée au Canada, après avoir rédigé ses allégations. La demanderesse principale a également déclaré que personne d’autre que le conseil ne l’avait aidée à rédiger son formulaire FDA et qu’elle n’avait utilisé aucun document dans la rédaction de son exposé circonstancié. C’est dans ce contexte que la SPR a conclu qu’il n’était pas plausible que la précision et les similitudes entre les deux documents « se produisent naturellement ».

[25] Un exemple des similitudes frappantes entre les deux documents est la déclaration identique selon laquelle la demanderesse principale [traduction] « a entendu dire [que les agents de persécution] prévoyaient utiliser des pouvoirs diaboliques (pouvoirs vaudou) pour les hypnotiser et emmener les filles subir l’excision ».

[26] En plus des similitudes frappantes entre plusieurs sections du rapport de police et l’exposé circonstancié des demandeurs dans leur formulaire FDA, la SPR a également fait remarquer que l’âge des enfants dans le rapport de police, qui aurait été rempli en 2017, correspondait à leur âge lorsque l’exposé circonstancié du formulaire FDA a été rédigé en 2020. Bien que la demanderesse principale ait déclaré que les similitudes s’expliquaient par le fait que [traduction] « c’est ce qui s’était passé » et qu’elle avait raconté à la police ce qui lui était arrivé, l’explication, comme l’a souligné la SPR, ne portait pas sur les similitudes entre les âges des demandeurs mineurs entre les deux documents. La demanderesse principale n’a pas non plus raisonnablement expliqué « le nombre écrasant de similitudes frappantes » entre le formulaire FDA et le rapport de police, « et de passages presque identiques » dans ces documents.

[27] Mis à part le fait qu’ils s’opposaient à la décision de la SPR, les demandeurs n’ont relevé aucune erreur dans le raisonnement de la SPR, et je n’ai pu en trouver aucune.

B. La SPR a-t-elle commis une erreur en n’accordant aucun poids aux autres documents?

[28] Les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur en étendant de manière déraisonnable sa conclusion de fraude à leurs autres éléments de preuve, qui ne se sont pas vu accorder le bénéfice du doute. Ces éléments de preuve comprennent des affidavits du frère et de l’ami de la demanderesse principale, qui attestent la participation de cette dernière et de son ex-époux au PDP.

[29] Les demandeurs reconnaissent que, même si les autres documents ne traitent pas de leurs allégations principales, ces documents devraient tout de même être pris en compte pour apprécier leur crédibilité, car ceux-ci montrent qu’ils ont été honnêtes dans leurs allégations relatives aux menaces dont ils avaient fait l’objet au Nigéria et à la demande d’asile qu’ils avaient présentée aux États-Unis avant de se tourner vers le Canada.

[30] Je rejette les observations des demandeurs.

[31] Pour commencer, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la SPR n’avait pas [traduction] « étendu sa conclusion de fraude à l’ensemble des éléments de preuve documentaire », mais avait plutôt décidé de n’accorder aucun poids à ces documents.

[32] Comme le soutient le défendeur, lorsqu’il y a des doutes quant à la crédibilité qui ont une incidence sur la véracité d’une allégation, la SPR peut rejeter les autres documents en raison d’un manque de crédibilité, renvoyant au paragraphe 17 de la décision Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 425 [Sun]. Sun a suivi un grand nombre d’affaires qui reposaient sur un principe semblable : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 972 au para 13; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1250 aux para 14, 15; et Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1343 au para 15. Dans ces affaires, la Cour a rejeté les arguments selon lesquels une conclusion en matière de crédibilité ne pouvait pas s’étendre aux autres éléments de preuve documentaire lorsque des motifs sont fournis et lorsqu’une accumulation d’incohérences et de contradictions dans leur ensemble peut miner la crédibilité générale d’un demandeur d’asile : Huang, au para 16.

[33] En l’espèce, la SPR a fourni de nombreux motifs pour justifier le rejet des autres documents. La SPR a pris acte du fait que les demandeurs avaient présenté, entre autres, les documents d’immigration des États-Unis, un courriel de l’ex-époux de la demanderesse principale et des affidavits détaillés du frère et d’un ami de la demanderesse principale. La SPR a également souligné que les documents d’immigration des États-Unis et d’autres documents relatifs à la santé et aux antécédents professionnels de la demanderesse principale ne mentionnent pas les principales allégations des demandeurs et qu’elle n’accordait aucun poids à ces documents lorsqu’elle s’est prononcée sur les allégations. Le raisonnement de la SPR ne révélait aucune erreur susceptible de contrôle.

[34] Enfin, la SPR a souligné qu’étant donné les « problèmes de crédibilité importants » qu’elle avait relevés, elle ne pouvait pas accorder beaucoup de poids aux autres documents. Le raisonnement de la SPR montrait une analyse logique et cohérente; il était en outre étayé par la preuve et la jurisprudence sur laquelle il s’appuyait : Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 24.

C. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandes d’asile des demandeurs étaient « manifestement infondées »?

[35] Les demandeurs réfutent la conclusion de la SPR selon laquelle leurs demandes d’asile étaient « clairement frauduleuses » et font valoir que cette dernière, en appliquant l’article 107.1 de la LIPR, au lieu d’une conclusion moindre d’absence de crédibilité, a fait en sorte qu’ils n’ont pas été autorisés à interjeter appel devant la SAR. Les demandeurs font valoir que leurs demandes d’asile n’étaient pas frauduleuses, car elles ne satisfaisaient pas à la norme envisagée dans la décision Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596 [Warsame], l’une des décisions de principe sur l’article 107.1.

[36] Les demandeurs invoquent également la décision Balyokwabwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 623 [Balyokwabwe], où la Cour a repris la définition d’une demande d’asile frauduleuse établie dans la décision Warsame. Je m’arrête pour souligner que les demandeurs n’ont pas présenté d’argument particulier fondé sur l’affaire Balyokwabwe. Quoiqu’il en soit, l’affaire Balyokwabwe se distingue quant aux faits, puisque la Cour y a souligné que les motifs de la SPR étaient fondés sur des exagérations et sur une interprétation erronée de la preuve : Balyokwabwe, au para 42. Je ne tire aucune conclusion en ce sens en l’espèce.

[37] L’application de l’article 107.1 est assujettie à une norme élevée et elle doit être fondée sur des éléments de preuve : Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 11 au para 30, citant Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755 au para 45 et Bushati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 803 au para 45.

[38] Selon la décision Warsame, une conclusion selon laquelle une demande d’asile est « clairement frauduleuse » signifie que c’est la demande elle-même qui est jugée frauduleuse, et non le fait que le demandeur aurait utilisé, par exemple, des documents frauduleux pour sortir du pays d’origine ou entrer au Canada : Warsame, au para 27.

[39] Le juge Roy a expliqué qu’une demande d’asile « clairement frauduleuse » est fondée sur des déclarations malhonnêtes, des supercheries et des mensonges qui ont une incidence importante sur la demande d’asile : Warsame, au para 30. Le juge Roy a également formulé la mise en garde selon laquelle une demande d’asile ne peut être considérée comme frauduleuse si la malhonnêteté n’a pas d’effet substantiel sur la décision à laquelle elle donne lieu : Warsame, au para 30. En d’autres termes, pour qu’il y ait clairement fraude, il doit y avoir une « ferme conviction que l’intéressé cherche à obtenir l’asile par des moyens frauduleux, par exemple des mensonges ou une conduite malhonnête, qui influent sur le point de savoir si sa demande d’asile sera ou non accueillie » : Warsame, au para 31.

[40] En appliquant la décision Warsame en l’espèce et en tenant compte du critère élevé prévu à l’article 107.1, je juge que la conclusion de la SPR selon laquelle la demande d’asile de la demanderesse principale est « manifestement infondée » est raisonnable.

[41] La SPR a expliqué pourquoi elle a conclu que les documents du PDP et le rapport de police n’étaient pas authentiques, et a expliqué que la demanderesse principale avait fourni un témoignage incohérent et changeant au sujet du déménagement des demandeurs à Lagos. La SPR a en outre expliqué que ces préoccupations en matière de crédibilité touchaient au cœur de la demande d’asile, qui est fondée sur les activités politiques de la demanderesse principale et les risques de mutilation génitale féminine, ce qui l’a amenée à douter de la véracité de l’ensemble les allégations de la demanderesse principale au sujet de ses activités politiques et de la persécution connexe qui aurait poussé les demandeurs à quitter le Nigéria. La SPR a ensuite conclu que les « principales allégations » des demandeurs étaient fausses.

[42] Les demandeurs ne contestent pas la conclusion de la SPR selon laquelle les problèmes de crédibilité qu’elle a relevés touchaient au cœur de leur demande d’asile. En fait, à l’audience, l’avocat des demandeurs a admis que si la Cour devait accepter la conclusion de la SPR selon laquelle les documents étaient frauduleux, les demandeurs n’auraient aucun fondement pour contester la conclusion de la SPR selon laquelle les demandes d’asile étaient frauduleuses.

[43] Ayant conclu que la SPR était raisonnable lorsqu’elle a conclu que les documents du PDP et le rapport de police étaient frauduleux, je suis également d’accord avec la SPR pour dire que ces préoccupations en matière de crédibilité touchaient au cœur des demandes d’asile des demandeurs. Par conséquent, je conclus qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que les allégations principales des demandeurs sont frauduleuses à la lumière du cumul de ses conclusions quant à la crédibilité.

IV. Conclusion

[44] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[45] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2019-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2019-22

 

INTITULÉ :

MOSUNNOLA VICTORIA AWONUGA, OLUWAPELUMI SAMUEL AWONUGA, OLUWADARASIMI ESTHER AWONUGA, O DEBORAH AWONUGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 8 JANVIER 2024

 

COMPARUTIONS :

Jacqueline Ozor

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ferishtah Abdul‑Saboor

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jacqueline Ozor

Law Ville Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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