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Date : 20240112


Dossier : T-535-23

Référence : 2024 CF 53

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2024

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

FÉDÉRATION DE LA POLICE NATIONALE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Fédération de la Police Nationale [la Fédération] forme un recours judiciaire selon le paragraphe 77(1) de la Partie X de la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, ch 31 (4e suppl.) [la Loi] pour obtenir réparation.

[2] La Fédération avance que des politiques employées par la Gendarmerie royale du Canada [GRC] défavorisent les chances égales d’avancement pour les membres francophones et anglophones de la GRC. Ainsi, la Fédération recherche une ordonnance qui examine le bien-fondé de la plainte qu’elle a déposée auprès du Commissariat aux langues officielles le 12 mars 2021, et complétée le 18 août 2021.

[3] Dans cette plainte, la Fédération soutient que les politiques internes de la GRC, dont le Manuel de gestion des carrières [le Manuel], ne sont pas conformes à la Directive sur les langues officielles pour la gestion des personnes du Conseil du Trésor du Canada [la Directive] et que ces politiques internes ne sont donc pas conformes à la Loi (les dispositions pertinentes du Manuel et de la Directive sont reproduites en annexe). En particulier, la Fédération soutient que la politique de la GRC énoncée dans le Manuel requérant que les candidats dans un processus de dotation satisfassent aux exigences linguistiques dès la clôture de l’affichage est contraire à la Directive puisque cette dernière requiert plutôt que les candidats satisfassent les exigences linguistiques « au moment de leur nomination au poste ». Dans cette plainte, la Fédération allègue aussi que les exigences linguistiques des mesures de dotations n’ont pas été établies objectivement et que, compte tenu des fonctions et des responsabilités associées aux postes, les profils linguistiques pour cette série de postes devraient être abaissés, mettant ainsi en jeu l’article 91 de la Loi.

[4] Le 19 janvier 2023, le Commissaire émet son rapport final. Il conclut que la politique énoncée dans le Manuel n’est pas contraire à la Directive puisque « [c]onformément à la Directive, doter un poste par un candidat qui ne satisfait pas aux exigences linguistiques est seulement acceptable dans de rares circonstances » et « [r]ègle générale, les postes doivent être pourvus par des candidats qui respectent les exigences linguistiques connexes » (Onglet 22 de l’Affidavit de Stéphane Laframboise assermenté le 28 avril 2023, Dossier de la Demanderesse, Volume I à la p 637). Le Commissaire conclut par ailleurs que le volet de la plainte sur un des processus de dotation est fondé, compte tenu des obligations prévues à l’article 91 de la Loi qui nécessite qu’un profil linguistique soit objectivement requis et justifié, et le Commissaire recommande à la GRC de réviser ses exigences linguistiques pour ce poste. Ce volet de la plainte visant le caractère objectif des profils linguistiques associés à certains postes en vertu de l’article 91 de la Loi n’est pas devant la Cour; il ne fait pas l’objet du présent recours.

[5] Les deux parties s’entendent sur le fait que le présent recours judiciaire, formé selon le paragraphe 77(1) de la Loi, est un recours de novo.

[6] Devant la Cour, la Fédération soutient que le présent litige est axé sur la question de savoir s’il incombe à la GRC de mettre en œuvre des politiques internes qui sont compatibles avec les directives émises par le Conseil du Trésor découlant de la Loi et ajoute que cette question doit être répondue à l’affirmative. La Fédération souligne que la Directive applicable en l’espèce requiert seulement que les membres de la GRC rencontrent les exigences linguistiques du poste doté dès la date de leur entrée en fonction, alors que les politiques de la GRC comprises au sein du Manuel prévoient que les membres doivent plutôt répondre aux exigences linguistiques de leur poste dès la date de la clôture de l’affichage. La Fédération soutient donc que le Manuel restreint indûment la portée des droits linguistiques en matière de dotation, au lieu d’y accorder l’interprétation large et libérale que prévoit la Directive.

[7] La Fédération soutient que le Manuel est incompatible avec la Directive et elle confirme que son recours repose sur des allégations de violations de l’alinéa 36(1)(c) de la Loi, contenu à la Partie V, et du paragraphe 39(1) de la Loi, contenu à la Partie VI. La Fédération précise en particulier que la Cour a compétence pour examiner le recours sous le paragraphe 39(1) de la Loi en dépit du libellé du paragraphe 77(1) de la Loi qui n’inclut pas un tel recours puisque (1) le litige vise la langue de travail qui est visée par la Partie V de la Loi; (2) la Directive a force de loi et elle résulte d’une obligation imposée au Conseil du Trésor sous le paragraphe 46(3) de la Loi tel qu’il est actuellement rédigé; (3) l’article 46 de la Loi réfère à différentes parties de la Loi, dont la partie VI; (4) à cause du langage de l’article 46, un recours peut être intenté sous l’article 77 de la Loi; et (5) ne pas permettre le présent recours entrainerait un fractionnement des recours sur la même base factuelle.

[8] La Fédération demande les ordonnances suivantes, selon le paragraphe 77(4) de la Loi : (1) une déclaration que la GRC ne s’est pas conformée à la Loi; (2) une ordonnance que la GRC actualise toutes ses politiques internes, y inclut le Manuel, pour refléter les exigences de la Directive sans délai. C’est-à-dire, que les politiques de la GRC soient mises à jour afin de refléter la Directive, et que les membres de la GRC soient seulement obligés de répondre aux exigences linguistiques du poste doté dès la nomination au poste doté; (3) une ordonnance que la GRC présente une lettre d’excuses aux membres de la Fédération et que cette lettre soit affichée sur le site web de la GRC; (4) que les dépens de cette demande soient accordés au demandeur; et (5) toute autre mesure de redressement que cette honorable Cour estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[9] Le défendeur, le Procureur général du Canada [PGC], répond que (1) l’argument fondé sur l’article 39 de la Partie VI est irrecevable et non fondé; (2) il n’y a aucune contravention à la Partie V de la Loi et plus spécifiquement à l’alinéa 36(1)(c) invoqué par la Fédération; (3) subsidiairement, la Fédération n’a pas démontré une incompatibilité entre le Manuel et la Directive; et (4) la Fédération n’a pas démontré que telle incompatibilité, s’il en est une, constituerait une violation de quelque disposition de la Loi.

[10] Pour les motifs qui suivent, le recours formé par la Fédération sera rejeté. En bref, (1) la Fédération n’a présenté aucune preuve pour soutenir un recours alléguant une violation à l’alinéa 36(1)(c) de la Loi, contenu dans la Partie V; (2) le recours formé sous le paragraphe 39(1) de la Loi, contenu dans la Partie VI, est irrecevable puisque la Partie VI n’est pas nommée au paragraphe 77(1) de la Loi; (3) la Fédération n’a pas démontré que le Manuel et la Directive sont incompatibles; et (4) même si je devais conclure à une incompatibilité entre le Manuel et la Directive, la Fédération n’a pas démontré qu’une telle incompatibilité viole la Loi.

II. Analyse

A. Recours de novo

[11] À travers ce recours, la Fédération avance que c’est le bien-fondé de la plainte déposée auprès du Commissaire qui est en question et non le rapport du Commissaire (DesRochers c Canada (Industrie), 2009 CSC 8aux para 34-36 [DesRochers]; Forum des maires de la Péninsule acadienne c Canada (Agence d'inspection des aliments), 2004 CAF 263 aux para 15-21 [Forum des maires]). Ainsi, et conformément au paragraphe 77(4) de la Loi, si la Cour estime que la plainte est en effet bien fondée, elle peut accorder une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances.

[12] Quant aux principes d’interprétation applicables aux droits linguistiques, je suis d’accord avec les parties que les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation téléologique large et libérale qui est « compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada » (R c Beaulac, [1999] 1 RCS 768 au para 25 [Beaulac]; Mazraani c Industrielle Alliance, Assurances et services financiers inc., 2018 CSC 50 au para 20; Caron c Alberta, 2015 CSC 56 aux para 35-38; DesRochers au para 31; Solski (Tuteur de) c Québec (Procureur général), 2005 CSC 14 au para 20;).

[13] La Fédération ajoute avec justesse que, comme le dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Beaulac, les droits linguistiques sont des droits positifs qui ne « peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis » (Beaulac au para 20). Ainsi, l’État a le devoir de fournir les moyens pour l’accès égal et l’instauration du bilinguisme institutionnel au sein des institutions fédérales (Beaulac au para 20).

[14] Le PGC souligne cependant que ceci ne signifie pas qu’il faille faire abstraction des règles ordinaires d’interprétation et que les dispositions de la Loi doivent être interprétées dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical des mots employés qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi ainsi qu’avec l’intention du législateur (Thibodeau c Air Canada, 2014 CSC 67 au para 112; Charlebois c Saint John (Ville), 2005 CSC 74 au para 23; Lavigne c Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 au para 25).

[15] Tel que le souligne le PGC au paragraphe 26 de son Mémoire des faits et du droit, pour réussir dans son recours, la Fédération doit démontrer que la GRC ne s’est pas conformée à l’un des articles mentionnés au paragraphe 77(1) de la Loi. Le fardeau de démontrer une violation à un droit ou une obligation de la Loi repose donc sur la Fédération.

B. Recours formé sous le paragraphe 39(1) de la Loi

[16] La Fédération a confirmé sans équivoque, lors de l’audience, que son recours repose sur des allégations de violations de l’alinéa 36(1)(a) et du paragraphe 39(1) et de la Loi. L’article 39 est contenu à la Partie VI de la Loi titrée Participation des Canadiens d’expression française et d’expression anglaise. Je cite les articles tels qu’ils se lisaient au moment opportun de la présente affaire, tel que confirmé par les parties. L’article 39 prévoit alors que :

Engagement

39 (1) Le gouvernement fédéral s’engage à veiller à ce que :

a) les Canadiens d’expression française et d’expression anglaise, sans distinction d’origine ethnique ni égard à la première langue apprise, aient des chances égales d’emploi et d’avancement dans les institutions fédérales;

b) les effectifs des institutions fédérales tendent à refléter la présence au Canada des deux collectivités de langue officielle, compte tenu de la nature de chacune d’elles et notamment de leur mandat, de leur public et de l’emplacement de leurs bureaux.

 

Commitment to equal opportunities and equitable participation

39 (1) The Government of Canada is committed to ensuring that

(a) English-speaking Canadians and French-speaking Canadians, without regard to their ethnic origin or first language learned, have equal opportunities to obtain employment and advancement in federal institutions; and

(b) the composition of the work-force of federal institutions tends to reflect the presence of both the official language communities of Canada, taking into account the characteristics of individual institutions, including their mandates, the public they serve and their location.

 

Possibilités d’emploi

 

Employment opportunities

(2) Les institutions fédérales veillent, au titre de cet engagement, à ce que l’emploi soit ouvert à tous les Canadiens, tant d’expression française que d’expression anglaise, compte tenu des objets et des dispositions des parties IV et V relatives à l’emploi.

(2) In carrying out the commitment of the Government of Canada under subsection (1), federal institutions shall ensure that employment opportunities are open to both English-speaking Canadians and French-speaking Canadians, taking due account of the purposes and provisions of Parts IV and V in relation to the appointment and advancement of officers and employees by those institutions and the determination of the terms and conditions of their employment.

 

Principe de mérite

 

Merit principle

(3) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au mode de sélection fondé sur le mérite.

(3) Nothing in this section shall be construed as abrogating or derogating from the principle of selection of personnel according to merit.

[17] La Fédération a bien confirmé que son recours devant la Cour est formé sous l’égide du paragraphe 77(1) de la Loi :

Recours

 

Application for remedy

77 (1) Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.

77 (1) Any person who has made a complaint to the Commissioner in respect of a right or duty under sections 4 to 7, sections 10 to 13 or Part IV, V or VII, or in respect of section 91, may apply to the Court for a remedy under this Part.

[18] Ainsi, selon le texte clair de la Loi, la partie VI, dans laquelle l’article 39 se trouve, ne figure pas parmi les droits ou les obligations énumérés au paragraphe 77(1) et sur lesquels un recours peut être fondé. Aux paragraphes 25 à 28 de sa décision Forum des maires, la Cour d’appel fédérale confirme que tout recours judiciaire fondé sur des dispositions qui ne sont pas énumérées au paragraphe 77(1) de la Loi ne peut faire l’objet d’un recours.

[19] La Cour d’appel fédérale confirme en effet, au paragraphe 25, que :

Le texte du paragraphe 77(1) est clair et explicite. Le législateur a voulu que seules les plaintes visant une obligation ou un droit prévus à certains articles ou dans certaines parties de la Loi puissent faire l'objet du recours prévu dans la partie X. La suggestion de la procureure de la Commissaire à l'effet qu'il suffit qu'une plainte soit déposée en vertu des articles ou des parties de la Loi énumérés au paragraphe 77(1), pour que puisse être enclenché par le plaignant un recours visant quelque article de la Loi que ce soit, ne saurait être retenue. Non seulement le législateur aurait-il parlé pour ne rien dire en prenant le soin d'énumérer certains articles et parties de la Loi au paragraphe 77(1), mais aussi, et peut-être surtout, cette énumération est-elle tout à fait compatible avec l'intention du législateur clairement exprimée ailleurs dans la Loi de ne pas assurer à chaque article ou à chaque partie de la Loi le même statut non plus que la même protection devant les tribunaux.

[20] La Fédération ne m’a pas convaincue qu’il convient de déroger au texte clair de la Loi en s’appuyant sur l’article 46 de la Loi pour lui permettre de fonder un recours sous le paragraphe 77(1). Je note à cet égard notamment que (1) l’article 46 a été modifié en 2023 et la version de l’article 46 de la Loi qui s’appliquait au moment approprié ne contient pas le paragraphe 46(3) cité par la Fédération et n’impose pas d’obligation au Conseil du Trésor. Cette disposition ne peut donc être utilisée pour soutenir l’argument que la Directive a force de loi; et (2) l’article 46 de la Loi est contenu dans la Partie VIII de la Loi, qui n’est pas non plus nommée au paragraphe 77(1) de la Loi.

[21] Au surplus, la jurisprudence confirme que l’article 39 de la Loi n’est pas une source d’obligation pour le gouvernement du Canada (Ayangma c Canada, 2003 CAF 149 au para 31; Frémy c Canada, 2022 CF 750 au para 46 [Frémy] ; Norton c Via Rail Canada, 2009 CF 704 aux paras 96, 117; Lavoie c Canada (Procureur général), 2007 CF 1251 au para 40). Dans Frémy, la juge en chef adjointe Gagné souligne qu’« [i]l est d’ailleurs acquis que les articles 39 et 62 de la LLO doivent être considérés comme des « déclaration[s] d’engagement du gouvernement du Canada » et non comme des sources d’obligation pour le gouvernement » (Frémy au para 46).

[22] Ainsi, je conclus que le recours formé sous le paragraphe 39(1) de la Loi est irrecevable et non fondé.

C. Recours formé sous l’alinéa 36(1)(c) de la partie V de la Loi

[23] L’alinéa 36(1) c) de la Loi prévoit que :

Obligations minimales dans les régions désignées

 

Minimum duties in relation to prescribed regions

 

36 (1) Il incombe aux institutions fédérales, dans la région de la capitale nationale et dans les régions, secteurs ou lieux désignés au titre de l’alinéa 35(1)a) :

...

 

c) de veiller à ce que, là où il est indiqué de le faire pour que le milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles, les supérieurs soient aptes à communiquer avec leurs subordonnés dans celles-ci et à ce que la haute direction soit en mesure de fonctionner dans ces deux langues.

36 (1) Every federal institution has the duty, within the National Capital Region and in any part or region of Canada, or in any place outside Canada, that is prescribed for the purpose of paragraph 35(1)(a), to

...

(c) ensure that,

(i) where it is appropriate or necessary in order to create a work environment that is conducive to the effective use of both official languages, supervisors are able to communicate in both official languages with officers and employees of the institution in carrying out their supervisory responsibility, and

(ii) any management group that is responsible for the general direction of the institution as a whole has the capacity to function in both official languages.

[24] Or, la Fédération n’a soumis aucune preuve alléguant une violation de cette disposition. En effet, aucun des trois affidavits déposés par la Fédération ne contient une allégation selon laquelle l’affiant n’a pas été en mesure de communiquer avec ses gestionnaires ou ses superviseurs tel que l’exige l’alinéa 36(1)(c). Chacun des affiants se limite à affirmer que la Fédération est d’avis que les exigences et les politiques relatives aux exigences linguistiques du processus de dotation de la GRC ne favorisent pas des chances égales d’emploi et d’avancement pour les membres d’expression française et d’expression anglaise (affidavit de M. Stéphane Laframboise assermenté le 28 avril 2023, au paragraphe 4 ; affidavit de M. David Lalonde assermenté le 28 avril 2023, au paragraphe 25 ; et affidavit de M. Clay Wortman assermenté le 28 avril 2023, au paragraphe 15; Dossier de la Demanderesse, Volume I aux pp 9, 647, 1172).

[25] La Fédération s’appuie spécifiquement sur l’alinéa 36(1)(c) de la Loi, pour former son recours, mais elle ne présente aucune preuve démontrant comment la GRC aurait violé une obligation énoncée dans cet alinéa de la Loi. La Fédération n’allègue aucune autre violation particulière de la partie V dans son Mémoire des faits et du droit et elle n’a pas identifié la preuve pertinente, ni soulevé un argument à cet égard, lors de l’audience.

D. Incompatibilité alléguée entre la Directive et le Manuel

[26] Le PGC cite la définition suivante de l’incompatibilité, soit le test de l’arrêt Multiple Access Ltd. c McCutcheon, [1982] 2 RCS 161 à la p 191, 138 DLR (3e) 1 de la Cour suprême du Canada :

En principe, il ne semble y avoir aucune raison valable de parler de prépondérance et d’exclusion sauf lorsqu’il y a un conflit véritable, comme lorsqu’une loi dit « oui » et que l’autre dit « non »; « on demande aux mêmes citoyens d’accomplir des actes incompatibles »; l’observance de l’une entraîne l’inobservance de l’autre.

 

[27] En l’instance, la Fédération n’a pas démontré que les dispositions du Manuel et de la Directive sont directement contradictoires. Il est en effet possible d’adhérer aux deux; un ne fait que précéder l’autre quant au moment auquel il faut avoir adhéré aux exigences linguistiques d’un poste.

[28] Cependant, et à tout évènement, même si les dispositions du Manuel et de la Directive devaient être trouvées incompatibles, la Fédération portait le fardeau de démontrer que l’incompatibilité alléguée constitue une violation aux droits et obligations prévues à la Loi, et spécifiquement dans le présent cas, qu’elle constitue une violation aux droits et obligations nommés au paragraphe 77(1) de la Loi.

[29] La Fédération n’a pas, dans le présent dossier, fait cette démonstration. Le recours sera conséquemment rejeté. Les dépens seront accordés au PGC et, conformément à l’entente entre les parties, ils seront fixés à une somme forfaitaire de 3500.00$.


JUGEMENT dans le dossier T-535-23

LA COUR STATUE que :

  1. Le recours de la Fédération de la Police Nationale est rejeté.

  2. Les dépens de 3 500.00$ sont accordés au Procureur général du Canada.

« Martine St-Louis »

Juge


III. ANNEXE

A. Dispositions pertinentes du Manuel de gestion des carrières

MGC – chapitre 3. Mutations et déploiements

13. 1. 2. 4. « priorité I » Poste désigné bilingue; il nécessite donc l'utilisation immédiate des deux langues officielles et il doit être doté par un membre qui satisfait aux exigences linguistiques;

13. 1. 2. 5. « priorité IS » Poste désigné bilingue dont le profil linguistique nécessite un niveau C dans une ou plusieurs habiletés. Le membre n'a pas besoin de satisfaire au profil linguistique à la date de sa nomination, mais doit avoir des résultats d'ELS [Évaluation de langue seconde] valides au niveau BBB au moment de sa demande. Si le membre sélectionné ne satisfait pas aux exigences linguistiques du poste, il doit s'engager à suivre une formation linguistique de façon à atteindre le niveau de compétence requis dans un délai d'un an à compter de la date de sa mutation ou de sa nomination. Le membre devra signer une Déclaration d'engagement à devenir bilingue (formulaire 2164);

...

13. 1. 4. Le membre n'est retenu pour une mesure de dotation de priorité I ou IS que si ses résultats d'ELS sont valides à la date limite d'inscription au concours ou lorsque le candidat latéral est sélectionné à partir du SIGRH, et demeurent valides jusqu'à ce que la nomination ou l'avis de mutation soit approuvé par le DRH ou son représentant.

MGC – Chapitre 4. Promotion

10.1.10 Les résultats à l’examen de langue seconde du membre doivent être valides à la date de clôture du bulletin de possibilité d’emploi, à moins que le DPRH (ou son représentant) n’accorde une prolongation en raison de circonstances atténuantes. Voir le MGC, chap. 3., Mutations et déploiements, art. 13.

...

10. 8. 12. Les membres qui répondent à une annonce et qui satisfont à toutes les exigences, hormis celles relatives aux compétences requises, passent à l’étape de la validation des compétences.

MGC – Chapitre 5. Descripteurs des fonctions et exigences de poste

6. 1. 8. 2. 1. On retiendra uniquement la candidature des membres dont les derniers résultats à l'Évaluation de langue seconde (ELS) sont à jour et valides à la date de clôture de l’annonce d’emploi et demeurent valides jusqu'à la sélection du membre. Il incombe au candidat de s'assurer que les résultats de son ELS sont à jour.

B. Dispositions pertinentes de la Directive sur les langues officielles pour la gestion des personnes du Conseil du Trésor du Canada

5.2 Résultats attendus

Des mesures adéquates sont mises en place pour s'assurer que :

5.2.1 les droits des employés en matière de langue de travail sont respectés;

5.2.2 l'identification linguistique des postes se fait en tenant compte des tâches à accomplir ou en appliquant les exigences préétablies pour les postes de direction;

5.2.3 les postes bilingues sont dotés par des candidats qui répondent aux exigences linguistiques au moment de leur nomination au poste, à moins de situations exceptionnelles de dotation;

5.2.4 les Canadiens d'expression française et ceux d'expression anglaise ont des chances égales d'emploi et d'avancement dans l'institution, et ce, dans le respect du principe du mérite comme stipulé à l'article 39 (3) de la LLO.

...

6.3 Dotation des postes bilingues

Les gestionnaires ont les responsabilités suivantes :

6.3.1 (Identification) Procéder à l'identification linguistique du poste à doter avant d'entamer le processus de dotation.

6.3.2 (Règle générale) Doter les postes bilingues par des candidats qui satisfont aux exigences linguistiques du poste au moment de leur nomination.

6.3.3 (Exception à la règle générale) Dans des situations exceptionnelles de dotation, appliquer les mesures suivantes lorsqu'un poste bilingue est doté par un candidat qui ne répond pas aux exigences linguistiques.

- 6.3.3.1 (Formation linguistique) S'assurer que la formation linguistique est fournie dans les plus brefs délais au candidat afin de lui permettre d'acquérir les compétences linguistiques requises.

- 6.3.3.2 (Accommodement) S'assurer que des mesures sont prises pour accommoder toute personne ayant un handicap ou un trouble d'apprentissage identifié pouvant nuire à l'apprentissage de l'autre langue officielle.

- 6.3.3.3 (Mesures) Prendre des mesures pour assurer les tâches ou fonctions bilingues liées au poste aussi longtemps que la personne qui occupe ce poste ne répond pas aux exigences linguistiques

6.3.4 (Cas particuliers) Dans les situations suivantes, doter en tout temps les postes bilingues par des candidats qui satisfont aux exigences linguistiques :

- si le poste est doté pour une durée limitée;

- si le poste exige une compétence linguistique technique ou spécialisée;

- s’il s’agit d’un poste bilingue indispensable pour assurer le service au public ou aux employés dans les deux langues officielles.

Les administrateurs généraux ou leurs délégués sont responsables de :

6.3.5 (Exigences particulières) Appliquer les exigences additionnelles énumérées dans l’appendice 2 (Règles de dotation) de la présente directive si l’institution est assujettie à la LEFP.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-535-23

 

INTITULÉ :

FÉDÉRATION DE LA POLICE NATIONALE c. CANADA (PROCUREUR

GÉNÉRAL)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 janvier 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 janvier 2024

 

COMPARUTIONS :

Denise Deschênes

 

Pour le demandeur

 

Martin Leblanc

Nicole Dupuis

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan Law

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Ministère de la justice du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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