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Dossier : T-1686-21

Référence : 2024 CF 110

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 janvier 2024

En présence de madame la juge Turley

ENTRE :

CHRISTOPHER JOHNSON

demandeur

et

ASSOCIATION CANADIENNE DE TENNIS, MILOS RAONIC, GENIE BOUCHARD, DENIS SHAPOVALOV et FÉLIX AUGER‐ALIASSIME

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE

I. Aperçu

[1] La Cour a maintes fois prévenu le demandeur, qui n’est pas représenté par un avocat, au sujet des allégations sans fondement d’inconduite, de mauvaise foi et d’irrégularité portées contre la Cour et les avocats des défendeurs. Or, le demandeur continue sans relâche à avancer ces allégations. En fait, la teneur des observations écrites du demandeur dans le présent appel interjeté à l’encontre de la décision de la juge adjointe Coughlan datée du 8 novembre 2023 en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] est particulièrement inacceptable.

[2] L’allégation du demandeur selon laquelle la juge adjointe a fait preuve de partialité en accueillant en partie la requête en radiation du défendeur Denis Shapovalov [le défendeur] à l’égard des plus de 800 questions d’interrogatoire écrites du demandeur est sans fondement. En outre, le demandeur n’a pas réussi à établir que la décision sous-jacente comportait une erreur manifeste et dominante. La juge adjointe était plutôt en droit de conclure que le demandeur n’avait pas [traduction] « présenté de réponses claires et convaincantes contestant la radiation des questions » : ordonnance du 8 novembre 2023, au para 15.

[3] Je rejette la requête du demandeur en appel de l’ordonnance du 8 novembre 2023 et j’adjuge des dépens de 5 000 $ au défendeur, payables sans délai. L’adjudication de ces dépens est particulièrement justifiée compte tenu du fait que le demandeur continue de porter des accusations scandaleuses et vexatoires contre la Cour et les avocats.

II. Contexte

[4] Dans l’action sous-jacente, les parties ont décidé de procéder par écrit à l’interrogatoire préalable conformément à l’article 99 des Règles. La juge adjointe Coughlan est responsable de la gestion de l’instance depuis le 30 mai 2022 et a tranché quatre requêtes découlant des interrogatoires par écrit du demandeur adressés aux différents défendeurs : ordonnance du 8 novembre 2023, aux para 1-3.

[5] Notamment, avant la requête sous-jacente et dans le contexte d’une requête déposée par un autre défendeur visant à obtenir la radiation ou la reformulation des questions de l’interrogatoire préalable écrit posées par le demandeur, la juge adjointe a informé les parties de la pratique générale de la Cour concernant les requêtes relatives aux refus, selon laquelle les parties préparent un tableau des refus. Elle a expliqué que ce tableau devrait comprendre les questions en cause et la position de chaque partie. Comme la juge adjointe l’a indiqué, ce [traduction] « mode de présentation aide la Cour à examiner les questions contestées de façon ordonnée et efficace » : ordonnance du 25 août 2022 (modifiée le 1er septembre 2022), au para 9.

[6] L’interrogatoire par écrit du demandeur adressé au défendeur comptait plus de 800 questions (97 questions comportant diverses sous-questions). Le défendeur a déposé une requête visant à obtenir la radiation de la majorité des questions de l’interrogatoire préalable écrit du demandeur et la révision de 13 questions. À l’appui de sa requête, le défendeur a déposé un tableau des refus énonçant les questions du demandeur, les motifs pour lesquels il s’opposait à chaque question et les questions révisées auxquelles il était prêt à répondre.

[7] Le défendeur était d’avis que l’interrogatoire par écrit du demandeur était [traduction] « un abus dans la procédure de communication préalable » : observations écrites du défendeur du 30 janvier 2023, au para 17 [observations du défendeur de janvier 2023]. Le défendeur s’est opposé aux questions de l’interrogatoire préalable écrit du demandeur pour divers motifs, y compris parce que ces questions étaient très inappropriées, argumentatives et non pertinentes, sollicitaient des positions juridiques et comportaient des renseignements personnels et commerciaux : observations du défendeur de janvier 2023, aux para 15-16.

[8] En réponse, le demandeur a déposé de longues observations écrites, qui, en grande partie, ne portaient pas sur les objections soulevées par le défendeur. Bien que le demandeur ait indiqué avoir rempli un tableau des refus dans ses observations, la juge adjointe a établi qu’il n’avait pas rempli le tableau préparé par le défendeur, mais avait plutôt [traduction] « présenté un document de 337 pages intitulé tableau des refus ». La juge adjointe a rejeté le dépôt de ce tableau et a accordé au demandeur trois jours [traduction] « pour remplir le tableau conformément aux directives déjà données, à défaut de quoi le demandeur serait réputé ne pas avoir présenté de position sur la présentation de la requête » : directive du 13 octobre 2023.

[9] Le demandeur a présenté un tableau des refus le 16 octobre 2023, mais la juge adjointe a conclu que la forme de ses réponses était [traduction] « inappropriée et empêche la Cour d’assurer le bon déroulement de l’audition de la présente affaire ». Plus précisément, la juge adjointe a conclu que le demandeur répétait [traduction] « la même réponse générique à chacune des objections du défendeur » : directives du 17 octobre 2023. La juge adjointe a annulé l’audience prévue le 18 octobre 2023 et a conclu que la requête du défendeur pouvait être traitée à partir des observations écrites déposées par les parties.

[10] Dans une ordonnance datée du 8 novembre 2023, la juge adjointe Coughlan a conclu que le demandeur n’avait pas [traduction] « présenté de réponses claires et convaincantes contestant la radiation des questions » : ordonnance du 8 novembre 2023, au para 15. La juge adjointe a accueilli la requête du défendeur en partie et a radié la majorité des questions du demandeur, mais a ordonné au défendeur de répondre aux 13 questions reformulées dans un délai de 30 jours. En outre, la juge adjointe a déterminé qu’il était justifié d’adjuger des dépens majorés de 4 500 $, payables sans délai, à l’encontre du demandeur compte tenu de sa [traduction] « conduite abusive dans le cadre du litige » : ordonnance du 8 novembre 2023, au para 23.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[11] Le demandeur, qui cherche à faire annuler l’ordonnance du 8 novembre 2023 rendue par la juge adjointe, s’appuie sur deux moyens d’appel. Il allègue que la juge adjointe : (i) a fait preuve de partialité; (ii) a commis des erreurs manifestes et dominantes : avis de requête du 17 novembre 2023, au para 4 [l’avis de requête].

[12] Les décisions rendues sur les requêtes en radiation de questions de l’interrogatoire préalable sont des décisions discrétionnaires en matière interlocutoire : Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, 2010 CAF 142 au para 17; Bard Peripheral Vascular, Inc c WL Gore & Associates, Inc, 2015 CF 1176, au para 13 [Bard].

[13] Il est bien établi que l’ordonnance discrétionnaire rendue par un juge adjoint est assujettie à la norme de contrôle applicable en matière d’appel énoncée par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 27-28, 65-66 et 79 [Hospira], et Canada (Procureur) c Iris Technologies Inc, 2021 CAF 244 au para 33 [Iris]. Par conséquent, les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit font l’objet d’un contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, alors que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux décisions sur des questions de droit : Iris, au para 33.

[14] En l’espèce, le demandeur allègue que la juge adjointe a mal interprété les faits : avis de requête, au para 4. Il incombe au demandeur de démontrer l’existence d’une erreur manifeste et dominante dans l’ordonnance de la juge adjointe : Johnson c Canadian Tennis Association, 2022 CF 776 au para 23 [Johnson 2022]. Comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale, pour ce faire, le demandeur doit satisfaire à un critère élevé – il ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout – il doit faire tomber l’arbre tout entier : Millennium Pharmaceuticals Inc c Teva Canada Limited, 2019 CAF 273 au para 6 [Millennium]; Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 au para 61; Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 au para 46.

[15] Dans ses observations écrites, le demandeur soulève deux questions qu’il n’a pas indiquées dans son avis de requête : (i) la question de savoir si l’ordonnance du 8 novembre 2023 respecte les normes du Conseil canadien de la magistrature (observations écrites du demandeur, aux para 5‐39); (ii) la question de savoir si l’ordonnance le prive de son droit de mener des interrogatoires préalables (observations écrites du demandeur, aux para 58-89). Ces observations reprennent essentiellement les allégations et les arguments formulés relativement aux moyens d’appel invoqués en ce qui a trait à la partialité et aux erreurs manifestes et dominantes, que j’examine plus loin.

IV. Analyse

A. Objections préliminaires

[16] Le défendeur soulève deux objections préliminaires, à savoir (i) l’admissibilité de l’affidavit du demandeur; (ii) la nouvelle réparation sollicitée par le demandeur : observations écrites du défendeur, aux para 10, 13-15. Je tiens à signaler que, bien que le demandeur ne soit pas représenté par un avocat, ces deux mêmes questions de procédure ont été soulevées dans un appel antérieur interjeté en vertu de l’article 51 des Règles : Johnson 2022, aux para 11, 17-18, 30-31, 43-46. Notamment, le juge Diner a conclu que « cette demande n’est certainement pas appropriée et la présente action est de plus en plus congestionnée par les tentatives du demandeur d’obtenir une réparation ou de déposer des documents sans en aviser dûment les parties ou sans respecter les Règles » : Johnson 2022, au para 44. Bien que le juge Diner encourage le demandeur à « faire preuve de diligence » et à « s’assurer que [ses dépôts] sont conformes aux Règles », le demandeur continue à déposer des documents non conformes : Johnson 2022, au para 46.

(1) L’affidavit du demandeur est inadmissible

[17] En règle générale, un appel relatif à une ordonnance rendue par un juge adjoint doit être tranché sur le fondement des éléments qui lui ont été soumis : Johnson 2022, au para 31; Canjura c Canada (Procureur général), 2021 CF 1022 au para 12 [Canjura]; Onischuk c Canada (Agence du revenu), 2021 CF 486 au para 9 [Onischuk]. Exceptionnellement, de nouveaux éléments de preuve peuvent être admis dans les cas suivants : (i) ils n’auraient pas pu être disponibles auparavant; (ii) ils serviront les intérêts de la justice; (iii) ils aideront la Cour; (iv) ils ne porteront pas sérieusement préjudice à la partie adverse : Canjura, au para 12.

[18] Le demandeur n’a pas établi qu’il existe des circonstances exceptionnelles justifiant l’admission de son affidavit en l’espèce. En particulier, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le demandeur formule dans son affidavit de simples allégations non fondées contre la juge adjointe et les avocats du défendeur, qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’admettre ces allégations et qu’elles n’aident pas la Cour.

[19] En outre, dans son affidavit, le demandeur reprend en grande partie les arguments juridiques qu’il invoque dans sa requête. Néanmoins, l’affidavit a pour but de présenter les faits pertinents « sans commentaires ni explications » : Bande indienne Coldwater c Canada (Procureur général), 2019 CAF 292 au para 19; Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47 au para 18. Dans la mesure où l’affidavit du demandeur comporte des faits, ceux-ci sont dénués de pertinence à l’égard des questions en litige dans le présent appel.

[20] Pour ces motifs, je refuse d’admettre l’affidavit du demandeur, signé le 17 novembre 2023, comme élément de preuve dans le cadre du présent appel.

(2) La demande de nouvelle réparation n’a pas été dûment présentée à la Cour

[21] La réparation sollicitée dans une requête (y compris un appel interjeté par voie de requête en vertu de l’article 51 des Règles) doit être indiquée dans l’avis de requête, conformément à l’article 359 des Règles : Energizer Brands, LLC c The Gillette Company, 2020 CAF 49 au para 38; Johnson 2022, aux para 43-44.

[22] Dans ses observations écrites, le demandeur sollicite une réparation supplémentaire qui ne figurait pas dans son avis de requête, à savoir que la Cour [traduction] « réprimande » les avocats du défendeur et [traduction] « rejette les 324 questions des défendeurs et toutes [ses] réponses » : observations écrites du demandeur, aux p 47-48. Par conséquent, la réparation sollicitée n’a pas été dûment présentée à la Cour dans le cadre du présent appel.

[23] En plus de ne pas avoir été dûment présentée à la Cour, cette nouvelle réparation est sans fondement. Il n’y a tout simplement rien qui justifie de [traduction] « réprimander » les avocats du défendeur. Comme je l’indique plus loin, la juge adjointe n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en accueillant en partie la requête en radiation du défendeur. En outre, il n’existe aucun motif de [traduction] « rejeter » l’interrogatoire par écrit du défendeur adressé au demandeur. Le demandeur ne s’est opposé à aucune question posée et a répondu aux questions de son propre gré.

B. Le demandeur n’a pas établi la partialité

[24] Les allégations de partialité contre les membres de la magistrature sont très graves et ne doivent pas être formulées à la légère puisqu’elles touchent le fondement même de notre système judiciaire : Firsov c Canada (Procureur général), 2022 CAF 191 au para 57 [Firsov]; Njoroge c Canada (Gendarmerie royale), 2023 CF 1181 au para 15 [Njoroge]; Tétreault c Boisbriand (Ville), 2023 CF 168 au para 28 [Tétreault]; Ernst c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada 2021 CF 16 au para 50.

[25] Le fardeau d’établir la partialité incombe à la personne qui l’allègue, et le seuil est élevé : ABB Inc c Hyundai Heavy Industries Co, Ltd, 2015 CAF 157 au para 55; Njoroge, au para 12; Tétreault, au para 33. Le demandeur doit démontrer qu’une « personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique [croirait] que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste » : Firsov, au para 56, citant Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25 aux para 20-21, 26.

[26] Le seuil est élevé, car il existe une forte présomption selon laquelle les juges respecteront leur serment et agiront avec impartialité : Cojocaru c British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30 au para 22; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45 au para 59 [Wewaykum]. Cette présomption ne peut être réfutée que par une preuve claire et convaincante : Wewaykum, aux para 59, 76; Patel c Canada (Procureur général), 2023 CF 922 au para 83; Tétreault, au para 32.

[27] L’allégation de partialité du demandeur s’appuie sur le fait que la juge adjointe et l’avocat du défendeur ont tous deux fréquenté la même faculté de droit. Le demandeur affirme qu’il est [traduction] « injuste » que la juge adjointe ait accueilli toutes les demandes formulées par les défendeurs, tandis qu’elle a rejeté le dépôt de ses observations : observations écrites du demandeur, au para 40. Il a affirmé à maintes reprises qu’une [traduction] « Cour impartiale » lui aurait donné raison : observations écrites du demandeur, aux para 47, 63.

[28] Le demandeur a avancé ces mêmes arguments dans l’appel qu’il a interjeté à l’encontre de l’ordonnance de la juge adjointe Coughlan du 26 octobre 2023. J’ai aussi rejeté cet appel : Johnson c Association canadienne de tennis, 2023 CF 1605 [Johnson 2023]. Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, j’en suis arrivée à la conclusion que le simple fait qu’un juge ait obtenu un diplôme de droit de la même faculté de droit qu’un avocat de l’une des parties adverses ne permet pas d’établir l’existence de partialité :

[33] Le fait qu’un juge ait fréquenté la même faculté de droit que l’avocat de l’une des parties ne permet pas de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que [traduction] « le juge était, en fait, impartial ou qu’une personne raisonnable, sensée et bien renseignée conclurait que le juge n’a pas tranché l’affaire de façon impartiale » : Patel, au para 83. En effet, si fréquenter la même faculté de droit était suffisant pour justifier une conclusion de partialité, les juges seraient régulièrement considérés comme inhabiles à siéger.

[29] En outre, le fait qu’un juge rende un jugement qui est défavorable à une partie ne peut en soi donner lieu à une conclusion de partialité : Collins c Canada, 2011 CAF 171 aux para 10-11; Johnson 2023, au para 35; Njoroge, au para 15; Tétreault, au para 34; Onischuk c Canada (Agence du revenu), 2021 CF 486 au para 43.

[30] L’argument de partialité du demandeur s’articule autour d’un désaccord non seulement avec l’ordonnance faisant l’objet de l’appel, à savoir l’ordonnance du 8 novembre 2023 rendue par la juge adjointe, mais essentiellement avec chaque décision de la juge adjointe qui lui est défavorable : observations écrites du demandeur, aux para 40-54. Dans ses observations écrites, le demandeur vise à ressasser l’historique des instances sous-jacentes qui se sont déroulées jusqu’à présent. Il ne s’agit toutefois pas d’un examen intégral de la façon dont la juge adjointe a assuré la gestion de ces instances : Johnson 2023, aux paras 23, 29, 30.

[31] En l’espèce, mon examen vise seulement à déterminer si le demandeur a établi que la juge adjointe avait fait preuve de partialité dans son ordonnance du 8 novembre 2023 et dans sa décision rendue contre lui. Après avoir examiné l’ordonnance de la juge adjointe, j’estime que les allégations du demandeur ne sont pas fondées. Dans ses observations, le demandeur allègue simplement que la juge adjointe l’a traité de manière inéquitable. Il ajoute que la juge adjointe a tenu des [traduction] « propos hautains visant à le réprimander » et a porté des [traduction] « accusations irrespectueuses » : observations écrites du demandeur, aux para 13, 25.

[32] En m’appuyant sur l’ordonnance rendue par la juge adjointe, je ne souscris pas à la description susmentionnée, donnée par le demandeur, des propos de la juge adjointe et de la façon dont elle aurait traité le demandeur. À mon avis, à la lecture des observations du demandeur concernant la requête dont la juge adjointe était saisie, celle-ci était tout à fait en droit de qualifier [traduction] « d’abusive » la conduite du demandeur dans le cadre du litige. Le demandeur continue non seulement de porter des allégations non fondées d’inconduite et d’irrégularité contre la Cour et les avocats du défendeur, mais aussi de faire preuve de mépris à l’égard des ordonnances de la Cour sur l’objectif et la portée de l’interrogatoire préalable.

[33] Le demandeur fait aussi valoir que la juge adjointe a fait preuve de partialité en le privant de son droit de répondre aux observations du défendeur sur les dépens datées du 27 octobre 2023 : observations écrites du demandeur, aux p 41-43. Plus précisément, le demandeur affirme que [traduction] « [c]ela démontre que la juge adjointe était partiale et a récompensé les défendeurs représentés par M. Hafso pour la mise en œuvre de leur stratégie visant à me faire subir un procès dans l’objectif de détourner l’attention de la violation du droit d’auteur qu’ils ont commise » : observations écrites du demandeur, à la p 43. Cet argument est sans fondement.

[34] La juge adjointe a donné aux parties la possibilité de présenter des observations écrites sur les dépens. La date limite de présentation des observations était la même pour les deux parties : directive du 17 octobre 2023; ordonnance du 8 novembre 2023, au para 17. Ni l’une ni l’autre des parties n’a eu l’occasion de répondre aux observations de l’autre partie sur les dépens. Il n’incombait pas à la juge adjointe de demander au demandeur comment il avait répondu aux observations des demandeurs, comme l’affirme le demandeur : observations écrites du demandeur, à la p 42.

[35] Compte tenu de ce qui précède, le demandeur n’a pas démontré que la juge adjointe avait fait preuve d’une quelconque partialité. J’estime plutôt que la juge adjointe a réagi de façon équitable, mesurée et justifiée à la conduite du demandeur dans le cadre de la requête.

C. Le demandeur n’a pas démontré l’existence d’erreurs manifestes et dominantes

[36] Comme je l’indique plus haut, le seuil à atteindre pour démontrer l’existence d’une erreur manifeste et dominante est élevé. Il faut faire preuve d’une grande déférence envers les juges responsables de la gestion de l’instance qui statuent sur une requête interlocutoire compte tenu de leur connaissance de l’historique, des faits et des complexités de l’affaire. Plus précisément, comme le juge Leblanc (alors juge à la Cour fédérale) l’a si bien dit, les juges responsables de la gestion de l’instance « sont les mieux placés pour diriger et contrôler le processus de l’interrogatoire préalable » : Bard, au para 42. Le demandeur n’a pas réussi à établir que l’ordonnance de la juge adjointe comportait une erreur manifeste et dominante.

(1) Le demandeur n’a pas présenté de réponses claires et convaincantes aux objections du défendeur

[37] Dans ses observations écrites, le demandeur effectue l’analyse judiciaire de l’ordonnance du 8 novembre 2023 paragraphe par paragraphe : observations écrites du demandeur, aux p 34-46. Il affirme qu’il a [traduction] « trouvé et corrigé des erreurs manifestes et dominantes dans presque chaque paragraphe » : observations écrites du demandeur, à la p 34.

[38] La Cour d’appel fédérale a formulé une mise en garde contre l’approche consistant à « analys[er] en détail des paragraphes précis des motifs de la Cour fédérale pour y repérer de prétendues erreurs » manifestes et dominantes : Millennium, au para 11. Cependant, c’est exactement ce que le demandeur fait en l’espèce. Par exemple, il fait valoir que la juge adjointe [traduction] « a mal interprété les faits » en concluant que le demandeur [traduction] « répétait simplement la même réponse générique » à chacune des objections du défendeur. Le demandeur soutient qu’il s’agit d’une erreur manifeste et dominante, car il a fourni des réponses outre celle sur laquelle s’est appuyée la juge adjointe : observations écrites du demandeur, aux p 39-40.

[39] Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale, « [l]’examen de l’erreur manifeste et dominante ne tient pas compte des questions de forme et va au cœur de ce que le tribunal de première instance a fait » : Millennium, au para 10. En l’espèce, la juge adjointe Coughlan a accueilli la requête du défendeur visant à obtenir la radiation de la majorité des questions du demandeur, à savoir plus de 800, car le demandeur n’avait pas [traduction] « présenté de réponses claires et convaincantes contestant la radiation des questions » :

[traduction]

[15] Bien qu’il ait eu amplement l’occasion d’interroger adéquatement M. Shapovalov et ait en fait reçu des directives sur la portée et l’objectif de l’interrogatoire préalable, le demandeur a gâché cette occasion et a fait fi des directives de la Cour. Il l’a fait à son désavantage. Il n’appartient pas à la Cour de faire le tri dans 820 questions pour déterminer celles qui sont pertinentes et auxquelles des réponses s’imposent lorsque la partie qui demande des réponses ne se donne pas la peine de présenter des réponses claires et convaincantes contestant la radiation des questions.

[Non souligné dans l’original.]

[40] Après avoir examiné les réponses du demandeur, je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans l’ordonnance de la juge adjointe. Je suis d’accord avec la juge adjointe pour dire que les réponses du demandeur n’étaient ni claires ni convaincantes. Les réponses du demandeur ne traitent pas du fondement des objections du défendeur et n’y répondent pas; le demandeur répète en grande partie la même réponse, ou des variations de celle-ci, plus de 300 fois.

[41] Comme l’illustre l’exemple ci-dessous, le demandeur ne traite pas de l’objection du défendeur et n’explique pas la pertinence de ses questions. En fait, le demandeur affirme simplement qu’il cherche à clarifier des déclarations contradictoires et qu’il a répondu à des questions semblables posées par le défendeur.

Question refusée

Position du défendeur

Position du demandeur

5d. Tennis Canada sélectionne des joueurs canadiens pour représenter le pays à diverses compétitions internationales, y compris la Coupe Davis, la Coupe Billie Jean King (auparavant appelée la Coupe Fed), les Jeux olympiques et paralympiques, et divers tournois juniors et tournois pour vétérans. Est-ce que Tennis Canada vous a déjà sélectionné pour représenter le Canada à ces événements ou à d’autres événements internationaux?

Cette question est inutile, déraisonnable et non pertinente, et ne saurait être considérée comme appuyant la position juridique du demandeur.

Je pose des questions précises pour chercher la vérité au sujet du comportement illicite et pour clarifier des déclarations contradictoires, illogiques ou factices dans le mémoire de défense et les actes de procédure. J’ai répondu à des questions semblables visant à obtenir des renseignements semblables. Il cherche à obtenir un avantage indu en éludant des questions pertinentes, en revendiquant le secret professionnel de l’avocat et en dissimulant la vérité et des éléments de preuve cruciaux à l’avancement de ma cause.

[42] En concluant que le demandeur n’avait pas présenté de [traduction] « réponses claires et convaincantes », la juge adjointe a souligné que le demandeur avait [traduction] « reçu des directives sur la portée et l’objectif de l’interrogatoire préalable » : ordonnance du 8 novembre 2023, au para 15. En fait, dans une décision concernant un autre appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles par le demandeur, le juge Régimbald a indiqué clairement que « le fait que M. Johnson croit que les défendeurs n’ont pas répondu de façon sincère et ont fourni des déclarations incohérentes n’est pas un motif justifiant la tenue d’un interrogatoire préalable oral » : Johnson c Association canadienne de tennis, 2023 CF 483 au para 32.

(2) Les erreurs de fait alléguées sont sans fondement

[43] Je n’examinerai pas chaque erreur factuelle alléguée par le demandeur dans son analyse paragraphe par paragraphe de l’ordonnance sous-jacente, car ces erreurs sont sans fondement. Néanmoins, j’expose deux erreurs factuelles alléguées ci-dessous pour faire ressortir l’absence de toute erreur manifeste et dominante dans l’ordonnance de la juge adjointe.

[44] En réponse au paragraphe 6 de l’ordonnance du 8 novembre 2023, le demandeur soutient que la juge adjointe a commis une erreur en affirmant qu’il avait posé 820 questions, alors qu’il n’en avait posé que 97 : observations écrites du demandeur, à la p 35. Il est vrai qu’il y avait 97 questions, mais chacune de ces questions comportait de nombreuses sous-questions, de sorte que le nombre total de questions était supérieur à 800. En fait, la question 10 comportait à elle seule 21 sous-questions.

[45] En outre, le demandeur allègue que la déclaration de la juge adjointe selon laquelle [traduction] « l’annexe A ne se trouvait pas dans le dossier de requête du demandeur » est fausse et justifie à elle seule l’annulation de l’ordonnance : observations écrites du demandeur, aux p 36, 38. Toutefois, le demandeur interprète mal la conclusion de la juge adjointe.

[46] La juge adjointe n’a pas contesté le fait que le demandeur avait déposé un tableau des refus; elle était en désaccord avec le format du tableau des refus qu’il avait présenté. Elle a souligné que le demandeur n’avait pas rempli [traduction] « le tableau des refus préparé par le défendeur conformément aux directives de la Cour », mais avait plutôt présenté un document de 337 pages intitulé tableau des refus : directive du 13 octobre 2023; ordonnance du 8 novembre 2023, aux para 6-7.

(3) Le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’interrogatoire préalable

[47] Le demandeur fait valoir que l’ordonnance de la juge adjointe le prive de son droit de mener un interrogatoire préalable en bonne et due forme : observations écrites du demandeur, aux para 58-89. Il présente deux arguments principaux : (i) la juge adjointe a permis au défendeur de poser des questions au demandeur; (ii) les questions révisées privent le demandeur de son droit de formuler les questions en ses propres mots. Ces deux arguments sont sans fondement.

[48] Premièrement, le demandeur n’a pas contesté les questions de l’interrogatoire préalable écrit du défendeur et, par conséquent, la juge adjointe ne s’est jamais prononcée sur la légitimité de ces questions. Il est simplement erroné, pour le demandeur, de tenir les propos suivants au sujet de la juge adjointe : [traduction] « [elle] a permis à M. Shapovalov de me poser 324 questions, tandis qu’elle a rejeté toutes mes questions » : observations écrites du demandeur, au para 63.

[49] Deuxièmement, le demandeur fait valoir que l’ordonnance le prive de son droit de formuler les questions de l’interrogatoire préalable [traduction] « en ses propres mots ». Le demandeur est le seul responsable de cette situation. La juge adjointe a souligné à juste titre qu’il avait [traduction] « gâché son occasion » de poser des questions pertinentes : ordonnance du 8 novembre 2023, au para 15. Outre le tableau des refus rempli, les observations écrites du demandeur ne répondaient pas aux objections formulées par le défendeur. La juge adjointe a conclu que les observations écrites du demandeur comprenaient des arguments en grande partie inappropriés ou non pertinents. La juge adjointe a conclu que, même lorsqu’il traitait de la pertinence des questions, le demandeur [traduction] « attaqu[ait] » le défendeur et les avocats du défendeur. Elle a donné plusieurs exemples de ces attaques dans son ordonnance : ordonnance du 8 novembre 2023, au para 11.

[50] Dans les observations écrites qu’il a déposées dans le cadre du présent appel, le demandeur critique abondamment la reformulation des 13 questions : observations écrites du demandeur, aux para 71-84. Le demandeur a eu l’occasion d’émettre des commentaires sur la reformulation des 13 questions proposée par le défendeur lorsqu’il a déposé ses documents relatifs à la requête en première instance. Là encore, au lieu de se concentrer sur l’essentiel des questions reformulées, il a simplement donné une variation de la même réponse à chaque question reformulée :

[traduction]

Il ne peut pas rédiger ses propres questions. J’ai posé des questions précises pour chercher la vérité au sujet du comportement illicite et pour clarifier des déclarations contradictoires, illogiques ou factices dans le mémoire de défense et les actes de procédure. J’ai répondu à des questions semblables visant à obtenir des renseignements semblables. Il cherche à obtenir un avantage indu en éludant des questions pertinentes, en revendiquant le secret professionnel de l’avocat et en dissimulant la vérité et des éléments de preuve cruciaux à l’avancement de ma cause.

[Souligné dans l’original.]

(4) Il n’y a aucune raison de modifier les dépens adjugés par la juge adjointe

[51] Enfin, le demandeur présente de longues observations sur les dépens adjugés par la juge adjointe : observations écrites du demandeur, aux p 41-46. Il est bien établi que l’adjudication des dépens constitue « un exemple typique d’une décision discrétionnaire » : Nolan c Kerry (Canada) Inc, 2009 CSC 39 au para 126. Par conséquent, l’attribution de dépens ne doit être modifiée en appel que si le tribunal inférieur « a commis une erreur de principe ou si cette attribution est nettement erronée » : Sun Indalex Finance, LLC c Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6 au para 247, citant Hamilton c Open Window Bakery Ltd, 2004 CSC 9 au para 27.

[52] Il n’y a aucune raison de modifier les dépens adjugés par la juge adjointe. La juge adjointe a étudié à fond et a respecté les faits et le droit pertinents pour conclure qu’il est justifié d’adjuger des dépens majorés à l’encontre du demandeur compte tenu de sa conduite abusive dans le cadre du litige : ordonnance du 8 novembre 2023, aux para 17-23. Cela cadre parfaitement avec l’un des objectifs principaux de l’adjudication de dépens, à savoir de « dissuader l’inconduite et les abus procéduraux » : Garshowitz c Canada (Procureur général), 2017 CAF 251 au para 29.

D. Il est justifié d’adjuger des dépens majorés en l’espèce

[53] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il est justifié d’adjuger des dépens majorés en l’espèce. Malheureusement, les dépens adjugés contre le demandeur jusqu’à présent n’ont pas permis d’atteindre leur objectif de dissuasion. La Cour a mis en garde le demandeur contre ses multiples allégations sans fondement d’inconduite, de mauvaise foi et d’irrégularité portées contre la Cour et les avocats, mais sans succès. En fait, dans le contexte du présent appel, le demandeur a amplifié ces allégations. La formulation et la teneur de ses observations méritent particulièrement d’être sanctionnées par la Cour.

[54] Je conclus également qu’il est justifié d’adjuger des dépens majorés, car le présent appel était vexatoire et inutile : art 400(3)k) des Règles. La requête a non seulement entraîné des frais pour le défendeur, mais a aussi nécessité l’utilisation du temps et des ressources de la Cour, qui sont limitées. Le fait que le demandeur ne soit pas représenté par un avocat ne constitue pas une excuse en l’espèce. Dans le contexte des nombreuses requêtes et des appels interjetés en vertu de l’article 51 des Règles dans l’action sous-jacente, le demandeur a été informé de la portée et de l’objectif des interrogatoires préalables, ainsi que de l’obligation de respecter les Règles.

[55] Compte tenu de ce qui précède, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour adjuger des dépens de 5 000 $, payables sans délai.




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