Date : 20240130
Dossier : IMM-1993-22
Référence : 2024 CF 153
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2024
En présence de madame la juge Tsimberis
ENTRE : |
KASHIF MUNIR |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Kashif Munir [le demandeur], qui est citoyen du Pakistan, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 8 février 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté son appel et confirmé le rejet de sa demande d’asile [la décision] par la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi de manière crédible qu’il est bisexuel ou qu’il a déjà vécu une relation homosexuelle, qu’il a été menacé au Pakistan en raison de son orientation sexuelle ou qu’il est perçu comme un bisexuel au Pakistan. Par conséquent, elle a jugé que le demandeur n’avait pas établi qu’il est exposé à une possibilité sérieuse de persécution en raison de son orientation sexuelle ou pour tout autre motif prévu dans la Convention, ni établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est exposé à l’un des risques définis à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La question déterminante pour la SPR et pour la SAR était la crédibilité.
[2] Le demandeur soutient que la décision de la SAR est déraisonnable pour les raisons suivantes :
Le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la crédibilité du témoignage du demandeur en écartant de manière sélective les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays qui étaient directement liés aux normes culturelles en matière de sexualité au Pakistan.
Le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la crédibilité du témoignage du demandeur en ne tenant pas compte de la preuve objective sur le pays concernant le risque de persécution auquel il était exposé.
[3] Le défendeur soutient que les questions de la commissaire de la SPR au sujet des relations homosexuelles visaient clairement à la fois les homosexuels et les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes. De plus, il affirme que les arguments du demandeur concernant les différentes catégories ne sont pas pertinents, car le demandeur a mentionné qu’il avait eu des relations avec des hommes sans faire de catégorisation dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA].
[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.
II. Analyse
A. La norme de contrôle
[5] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et que, selon cette norme, la cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision qui est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 85 et 99). Pour déterminer si la décision de la SAR est raisonnable, la Cour doit se demander si elle est suffisamment justifiée, transparente et intelligible.
[6] Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est « une approche visant à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif. Il tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs. »
(Vavilov, au para 13).
B. La crédibilité
[7] En l’espèce, la question déterminante est celle de la crédibilité. En ce qui concerne l’évaluation faite par la SPR et la SAR de la crédibilité du demandeur et de la preuve, la jurisprudence a déjà établi que la norme de la décision raisonnable s’applique (voir Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani] au para 13; voir aussi Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762 au para 24).
[8] Les conclusions quant à la crédibilité font partie du processus de recherche des faits et appellent un haut degré de retenue lors d’un contrôle (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 au para 29; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 35; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). Ces conclusions de la SPR et de la SAR requièrent un degré élevé de retenue judiciaire, et il n’y a lieu de les infirmer que « dans les cas les plus évidents »
(Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 720 au para 12).
[9] Sur de telles questions de crédibilité, la cour de révision ne peut ni substituer son propre point de vue quant à une issue préférable ni procéder à une nouvelle pondération de la preuve, et elle ne doit pas intervenir dans la décision de la SAR tant que le tribunal est parvenu à une conclusion qui est transparente, justifiable, intelligible et qui fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Lawani, au para 16).
[10] La Cour a déjà déclaré qu’il fallait, pour déterminer si une conclusion défavorable quant à la crédibilité est entachée d’une erreur susceptible de contrôle, se demander si la conclusion a été tirée « à partir d’une preuve claire »
(Aliserro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 412 [Aliserro] au para 30).
C. La décision faisant l’objet du contrôle
[11] Les conclusions que la SAR a tirées dans la section intitulée « Incohérences dans le témoignage touchant la relation homosexuelle au Pakistan »
sont fondées sur l’inférence selon laquelle les mots « homosexuel»,
« relations homosexuelles »,
ou « entretenir des relations homosexuelles »
renvoient tous à l’idée d’« hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes »
.
[12] Au paragraphe 28 de sa décision, la SAR a mentionné que « la question spécifique de la SPR [au demandeur] visait à savoir s’il avait connu des hommes, à part NG, qui étaient homosexuels ou qui avaient des relations homosexuelles »
et que cette question ne concernait pas l’identité de genre ou l’orientation sexuelle, mais visait plutôt à savoir si le demandeur connaissait « des hommes qui entretenaient des relations homosexuelles, à part NG »
.
[13] La SAR a également conclu au paragraphe 28 qu’« il était raisonnable de s’attendre à ce que, quand la SPR a demandé [au demandeur] s’il connaissait des hommes qui entretenaient des relations homosexuelles, à part NG, [le demandeur] indique qu’il connaissait BZ et qu’ils avaient vécu une relation. [Le demandeur] ne l’a pas fait et n’a fourni aucune explication raisonnable à cet égard. »
[14] Il s’agissait de conclusions importantes, puisque la SAR a conclu, au paragraphe 29 de sa décision, que les incohérences dans le témoignage du demandeur concernant ses relations homosexuelles constituaient une « divergence importante »
qui n’avait pas été raisonnablement expliquée et qui minait la crédibilité du demandeur sur le fait qu’il avait entretenu des relations sexuelles au Pakistan. Pour les motifs qui suivent, les parties connexes de la décision de la SAR n’étaient pas intrinsèquement rationnelles.
1) La SAR a déclaré de manière générale que les questions de la SPR concernaient les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, sans fournir de justification.
[15] La commissaire de la SPR n’a jamais demandé au demandeur s’il avait connu des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes avant 2014 (du moins, jamais directement). Il n’est indiqué nulle part dans la transcription de l’audience que la commissaire de la SPR a demandé au demandeur s’il connaissait [traduction] « des hommes ayant eu des rapports sexuels avec d’autres hommes ».
La commissaire de la SPR lui a plutôt demandé ce qui suit :
s’il avait déjà rencontré au Pakistan des hommes ou des garçons qui avaient déjà eu des relations homosexuelles;
s’il connaissait quelqu’un qui entretenait des relations homosexuelles au Pakistan;
s’il connaissait quelqu’un au Pakistan qui était homosexuel ou qui vivait des relations homosexuelles;
en réponse au témoignage du demandeur selon lequel il avait rencontré pour la première fois une personne qui était homosexuelle ou qui entretenait des relations homosexuelles en 2014, soit NG, comment il avait appris que cette personne était intéressée par les relations homosexuelles ou avait une attirance pour les personnes de même sexe;
combien de relations homosexuelles le demandeur avait eues;
pourquoi, lorsqu’on lui a demandé à deux reprises à quel moment il avait rencontré pour la première fois une personne avec qui il avait eu une relation homosexuelle au Pakistan, le demandeur a déclaré que c’était en 2014;
- s’il pouvait expliquer pourquoi il avait dit qu’il n’avait entretenu de relations [homosexuelles] avec personne d’autre [avant 2014], alors qu’il avait indiqué le contraire dans son formulaire Fondement de la demande d’asile.
[16] Cependant, la SAR a jugé que la question de la SPR, à savoir si le demandeur « avait connu des hommes, à part NG, qui étaient homosexuels ou qui avaient des relations homosexuelles »
, visait à savoir si le demandeur « connaissait des hommes qui entretenaient des relations homosexuelles, à part NG »
(au para 28). La SAR a ensuite conclu que les questions de la SPR visaient à savoir si le demandeur connaissait des hommes qui avaient des rapports sexuels avec d’autres hommes (au para 28). La généralisation de la SAR n’est pas justifiée expressément ni clairement sous-entendue à la lumière du dossier (Vavilov, au para 97; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 61).
2) La SAR a qualifié l’explication du demandeur de « presque incompréhensible »
sans tenir compte des distinctions importantes faites par le demandeur et expliquées dans le dossier.
[17] La SAR a conclu que la déclaration du demandeur dans son formulaire FDA, selon laquelle BZ était un homme avec qui il entretenait une relation, relève de la catégorie des « relations homosexuelles »
. Ainsi, lorsque la commissaire de la SPR a demandé au demandeur s’il connaissait au Pakistan d’autres hommes qui« entretenaient des relations homosexuelles ou qui étaient homosexuels »,
la SAR a présumé que le demandeur aurait raisonnablement dû parler de BZ (décision, au para 24) :
Cependant, dans la présente affaire, selon les éléments de preuve [du demandeur], BZ est un homme et [le demandeur] a vécu une relation de plusieurs années avec lui. Peu importe la façon dont BZ s’identifie quant à son orientation sexuelle, il était raisonnable de s’attendre à ce que [le demandeur] parle de BZ et de sa relation avec BZ quand la commissaire de la SPR lui a demandé s’il connaissait quelqu’un qui « avait des relations homosexuelles ». De plus, cela n’explique pas pourquoi [le demandeur] a plus tard confirmé dans son témoignage qu’il n’avait entretenu aucune autre relation au Pakistan qu’avec NG.
[18] Comme la Cour l’a toutefois souligné à l’audience, dans son formulaire FDA, le demandeur a utilisé le mot « relations »
pour décrire ses relations passées avec BZ et NG et non les mots « de même sexe »
ou « homosexuelles »
pour qualifier ces relations. Dans ses motifs, la SAR ne traite pas de cette distinction qui est au cœur de l’explication du demandeur quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas nommé BZ lorsque la SPR a posé la question suivante :
[traduction]
COMMISSAIRE : D’accord, excusez-moi. Donc, plus tôt aujourd’hui, je vous ai demandé quand vous aviez rencontré pour la première fois une personne ayant des relations homosexuelles au Pakistan, et vous avez répondu vers 2014, alors que vous aviez environ 35 ans. J’ai ensuite confirmé que j’avais bien compris le témoignage que vous aviez donné au sujet de votre première rencontre avec une personne ayant eu des relations homosexuelles au Pakistan en 2014, désolée, monsieur l’interprète, et vous avez déclaré qu’avant 2014, vous ne connaissiez personne, monsieur, vous devez attendre ma question. Dans votre formulaire Fondement de la demande d’asile, je suis au paragraphe 9, vous déclarez que vous avez entamé votre première relation en 2000 avec un homme du nom de [BZ], et que vous êtes devenus amis, puis que vous avez entretenu une relation avec lui pendant plusieurs années avant qu’il ne déménage en Arabie saoudite. Pouvez-vous me dire pourquoi, lorsque je vous ai demandé à deux reprises quand vous aviez rencontré pour la première fois quelqu’un au Pakistan qui entretenait des relations homosexuelles, vous avez répondu en 2014?
[…]
DEMANDEUR : Je n’avais pas compris la question. La question était, quand avez-vous rencontré la personne homosexuelle; j’ai donc eu de la difficulté à comprendre la question, en 2014, c’était la personne homosexuelle ou la relation homosexuelle, celle en 2000, ce n’était pas un homosexuel. C’était un homme, mais j’avais des relations sexuelles avec lui.
[Non souligné dans l’original.]
[19] La SAR a qualifié la réponse du demandeur de « presque incompréhensible »
et a jugé qu’elle n’expliquait pas de façon raisonnable les incohérences dans le témoignage du demandeur concernant ses relations homosexuelles (décision, aux para 23, 28). Cependant, la conclusion de la SAR semble être fondée sur l’hypothèse selon laquelle une « relation homosexuelle »
est une catégorie qui inclut toutes les interactions et toutes les personnes non hétérosexuelles, malgré les différences culturelles ou l’orientation sexuelle. La conclusion de la SAR selon laquelle la réponse du demandeur est « presque incompréhensible »
ne tient pas compte des distinctions importantes faites par le demandeur et expliquées dans le dossier. Dans les observations écrites qu’il a présentées à la SAR, le demandeur a fait valoir que la SPR n’avait pas tenu compte de ses [traduction] « éléments de preuve précis sur les différentes préférences sexuelles au sein de la communauté homosexuelle »
. Lors de son témoignage à l’audience de la SPR, le demandeur a établi une distinction entre BZ (qui était un homme avec qui il avait eu des relations sexuelles) et NG (qui était un homosexuel avec qui il avait eu des relations sexuelles). On ne peut reprocher au demandeur d’avoir répondu à la question qui lui avait réellement été posée (quand avait-il eu des « relations homosexuelles »
) plutôt qu’à celle qui, selon ce que la SAR a indiqué à tort, lui aurait été posée (« s’il connaissait des hommes qui entretenaient des relations homosexuelles, à part NG »
, au para 28 de la décision). La conclusion de la SAR est fondée, du moins en partie, sur une interprétation erronée de la question.
[20] De plus, il est important d’examiner si la décision de la SAR démontre qu’elle n’a pas tenu compte des différents cadres culturels énoncés dans les Directives numéro 9 : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation et les caractères sexuels ainsi que l’identité et l’expression de genre [les Directives numéro 9]. L’article 2.6 des Directives numéro 9 prévoit ce qui suit :
2.6 Il n’existe pas de terminologie normalisée qui puisse rendre compte adéquatement de la diversité que renferment les notions changeantes de sexualité, d’orientation sexuelle, d’identité de genre et d’expression de genre, et qui existe dans diverses cultures et sociétés. Les termes qui sont les plus familiers dans un contexte canadien sont fondés sur un cadre occidental et peuvent ne pas être familiers, ou même facilement compréhensibles, pour les personnes issues d’un cadre culturel différent.
Il ne suffit pas de faire une simple mention de ces Directives, comme l’a fait la SAR lorsqu’elle a déclaré « Je tiens compte des Directives numéro 9 »
, sans en démontrer l’application (Del Carmen Aguirre Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1269 au para 17).
[21] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire qu’il se fondait sur un cadre culturel unique lorsqu’il parlait de ses relations passées et que le cartable national de documentation (le CND) [traduction] « sur le Pakistan qui était à la disposition du tribunal à la date de la décision défavorable indique qu’il existe une différence entre les hommes qui s’identifient comme homosexuels et les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes »
. Le demandeur a invoqué, entre autres, les sections suivantes du CND sur le Pakistan, qui sont reproduites ci‑dessous :
[traduction]
Cartable national de documentation : Pakistan, point 6.8, au para 5.2.3
5.2.3 Le MAECD a signalé en février 2019 que « [b]ien que les relations sexuelles entre hommes soient courantes, l’identité homosexuelle ne l’est pas. On ne parle pas ouvertement de ce concept qui n’est pas reconnu au Pakistan en raison d’une forte intolérance culturelle, religieuse et sociale répandue. »
Cartable national de documentation : Pakistan, point 6.8, au para 5.2.5 et point 6.1, au para 2.1
5.2.5 Le rapport de la CISR de janvier 2019 cite des sources qui font mention d’hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes :
« L’AFP signale que, d’après le président de NAZ, une organisation LGBT au Pakistan, « 90 % des hommes pakistanais sont des MSM [des hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes], simplement parce que les femmes ne sont pas facilement accessibles ». Sans fournir de précisions additionnelles, le chercheur du CGRS [Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides de la Belgique] cité dans le rapport [2017] de l’EASO sur la réunion consacrée au Pakistan, a affirmé que « [d]es sources ont signalé qu’il est courant que des hommes hétérosexuels s’adonnent à des relations sexuelles avec d’autres hommes, acte que la société [pakistanaise] accepte en général ».
2.1 Minorités sexuelles
L’AFP signale que, d’après le président de NAZ, une organisation LGBT au Pakistan, « 90 % des hommes pakistanais sont des MSM […], simplement parce que les femmes ne sont pas facilement accessibles » (AFP, 29 octobre 2018). Sans fournir de précisions additionnelles, le chercheur du CGRS cité dans le rapport de l’EASO sur la réunion consacrée au Pakistan a affirmé que « [d]es sources ont signalé qu’il est courant que des hommes hétérosexuels s’adonnent à des relations sexuelles avec d’autres hommes, acte que la société [pakistanaise] accepte en général » (EU, février 2018, 45). Pour des renseignements additionnels sur les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes au Pakistan, veuillez consulter la Réponse à la demande d’information PAK104712 de janvier 2014.
Toutefois, l’AFP affirme que l’homosexualité est « rigoureusement ignorée » […]
Un acteur pakistanais, connu pour s’être travesti dans un talk-show très populaire, est cité : « Nous vivons dans une culture d’hypocrisie. Au Pakistan, vous pouvez faire tout ce que vous voulez derrière des portes closes […]. Mais si vous souhaitez le faire savoir, il n’y aura aucune tolérance. Vous serez persécuté. » (AFP 29 octobre 2018). De même, dans un rapport sur le Pakistan, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce (Department of Foreign Affairs and Trade - DFAT) de l’Australie déclare que « [l]es personnes attirées par des personnes du même sexe subissent de fortes contraintes en raison de l’intolérance culturelle, religieuse et sociale à l’égard de l’homosexualité » (Australie, 1er septembre 2017, paragr. 3.134).
[Non souligné dans l’original.]
[22] Comme l’a soutenu le demandeur, la SAR n’a pas tenu compte des différences terminologiques culturelles dans sa décision, comme celles dont il est question dans le CND, lorsqu’elle a qualifié la réponse suivante du demandeur de « presque incompréhensible » :
« Je n’avais pas compris la question. La question était, quand avez-vous rencontré la personne homosexuelle; j’ai donc eu de la difficulté à comprendre la question, en 2014, c’était la personne homosexuelle ou la relation homosexuelle, celle en 2000, ce n’était pas un homosexuel. C’était un homme, mais j’avais des relations sexuelles avec lui. »
[Non souligné dans l’original.]
Dans sa décision, la SAR réitère que le demandeur aurait dû désigner BZ comme une personne avec qui il avait eu une « relation homosexuelle »
avant de rencontrer NG, mais elle n’a pas parlé de la distinction que le demandeur faisait entre un « homosexuel »
, une relation homosexuelle et un homme ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes.
[23] Un autre échange pertinent avec la SPR est reproduit ci-après :
[traduction]
COMMISSAIRE : […] plus tôt aujourd’hui, je vous ai également demandé combien de relations homosexuelles vous avez eues dans votre vie et vous avez déclaré avoir entretenu une relation avec [NG] pendant un certain temps, mais qu’à part lui, vous n’avez pas entretenu de telles relations avec quelqu’un d’autre. Cependant, au paragraphe 9 de votre formulaire Fondement de la demande d’asile, vous avez déclaré que vous et un homme du nom de [BZ] êtes devenus amis avant d’avoir des rapports sexuels pendant plusieurs années.
INTERPRÈTE : Avant?
COMMISSAIRE : Avant. Donc, pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez dit que vous n’aviez aucun autre ami avec qui vous avez vécu des relations, alors que vous avez indiqué le contraire dans votre formulaire Fondement de la demande d’asile?
[…]
DEMANDEUR : Donc, [NG] est comme moi, mais [BZ] est quelqu’un… qui aime avoir des relations sexuelles. Il ne le fait pas en tant que… il n’est pas bisexuel. Quand vous m’avez demandé si je connaissais quelqu’un comme moi, c’est pour ça que je vous ai dit [NG]. Il est comme moi.
COMMISSAIRE : Avez-vous autre chose à ajouter?
DEMANDEUR : Donc, ma première relation a été avec [BZ] en 2000 […]
[24] Encore une fois, la question posée portait sur des « relations homosexuelles »
et le demandeur a répondu en faisant une distinction entre un homosexuel (NG et le demandeur) et un homme avec qui il avait eu des relations sexuelles (BZ) et en expliquant la différence. Cependant, la SAR confond les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes et les hommes qui sont homosexuels ou qui entretiennent des « relations homosexuelles »
. Après avoir indiqué qu’elle tenait compte des Directives numéro 9, la SAR a constaté des incohérences dans le témoignage du demandeur et a conclu ce qui suit au paragraphe 24 :
Cependant, dans la présente affaire, selon les éléments de preuve [du demandeur], BZ est un homme et [le demandeur] a vécu une relation de plusieurs années avec lui. Peu importe la façon dont BZ s’identifie quant à son orientation sexuelle, il était raisonnable de s’attendre à ce que [le demandeur] parle de BZ et de sa relation avec BZ quand la commissaire de la SPR lui a demandé s’il connaissait quelqu’un qui « avait des relations homosexuelles ». De plus, cela n’explique pas pourquoi [le demandeur] a plus tard confirmé dans son témoignage qu’il n’avait entretenu aucune autre relation au Pakistan qu’avec NG. Par conséquent, même si [le demandeur] ne considérait pas que BZ était « homosexuel », ses éléments de preuve (figurant dans son formulaire FDA) indiquent qu’ils ont vécu une longue relation, qui a débuté en 2000 et a duré des années; néanmoins, dans son témoignage, [le demandeur] a affirmé qu’il n’avait pas eu de relation homosexuelle avant de rencontrer NG, en 2014.
[25] Encore une fois, la conclusion de la SAR au paragraphe 24 est essentiellement inexacte. Le demandeur a déclaré qu’il n’entretenait pas de relation homosexuelle au Pakistan, sauf avec NG. Dans son formulaire FDA, il a seulement parlé de ses relations avec BZ et NG.
[26] La conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’a pas raisonnablement justifié ses réponses lorsqu’on lui a demandé s’il connaissait une personne homosexuelle ou une personne ayant eu des relations homosexuelles est erronée. D’après la preuve documentaire disponible, au Pakistan, être un homosexuel ou un homme qui entretient des relations homosexuelles n’est pas la même chose qu’être un homme qui a des rapports sexuels avec d’autres hommes. La SAR n’a pas été sensible au fait qu’il est possible que le demandeur, nouvellement arrivé au Canada, ne sache pas que l’homosexualité est perçue différemment ici et qu’au Canada, on peut très bien classer tous les types de personne mentionnés dans la même catégorie. La décision ne reflète pas le fait que la SAR a appliqué les Directives numéro 9 ou qu’elle a pris en compte les renseignements pertinents concernant la situation au Pakistan qui étaient à sa disposition au moment où elle a rendu sa décision. Il est bien établi que si un tribunal tire une conclusion de fait en interprétant mal la preuve pertinente dont il dispose ou en n’en tenant pas compte et se fonde sur cette conclusion pour faire une analyse défavorable relativement à la crédibilité du revendicateur, la décision est déraisonnable et justifie l’intervention de la Cour (Toth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1133 au para 25).
[27] À l’audience, l’avocat du défendeur a fait valoir que la véritable question est de savoir si les différents termes utilisés ont entraîné un malentendu, et il a soutenu que le demandeur n’avait pas démontré que tel était le cas. Après examen du dossier, certains passages montrent que le demandeur n’a pas demandé d’éclaircissements supplémentaires quant à l’expression « relation homosexuelle »
ni exprimé de la confusion quant à la signification de cette expression. Cependant, dans sa décision, la SAR n’utilise pas ces passages pour justifier ses conclusions, et il n’est pas approprié que la Cour le fasse à sa place. Lorsque, même s’ils sont interprétés en tenant compte du contexte institutionnel et à la lumière du dossier, les motifs fournis par l’organisme administratif pour justifier sa décision comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable, il ne convient habituellement pas que la cour de révision élabore ses propres motifs pour appuyer la décision administrative (Vavilov, au para 96).
[28] Les insuffisances relevées dans la décision de la SAR ne sont pas simplement superficielles ou accessoires (Vavilov, au para 100). Elles sont graves, car elles concernent directement la question centrale, à savoir la crédibilité du demandeur.
[29] Pour tous les motifs qui précèdent, la Cour conclut que les motifs de la SAR sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel et que la SAR a recouru à de faux dilemmes et à des généralisations non fondées (Vavilov, au para 104). Par conséquent, la décision est déraisonnable. Il est donc inutile que j’examine les autres questions soulevées par le demandeur.
III. Conclusion
[30] En résumé, je conclus que la décision de la SAR était déraisonnable pour les raisons suivantes : 1) la SAR a déclaré de manière générale que les questions de la SPR concernaient les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, sans fournir de justification; 2) elle a qualifié l’explication du demandeur de « presque incompréhensible »
sans tenir compte des distinctions importantes faites par le demandeur et expliquées dans la preuve documentaire. Bien que je sois consciente de l’importante déférence que l’on doit aux décideurs lorsque l’on examine leurs conclusions en matière de crédibilité, il s’agit d’erreurs susceptibles de contrôle qui entachent une conclusion défavorable en matière de crédibilité n’ayant pas été tirée « à partir d’une preuve claire »
(Aliserro, au para 30).
[31] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à la SAR pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué n’ayant pas pris part à l’affaire. Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale à certifier et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-1993-22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie.
La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué n’ayant pas pris part à l’affaire.
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Ekaterina Tsimberis »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-1993-22 |
INTITULÉ :
|
KASHIF MUNIR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 13 septembre 2023
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE TSIMBERIS
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 30 janvier 2024
|
COMPARUTIONS :
JOHN GUOBA |
POUR LE DEMANDEUR |
STEPHEN JARVIS |
PouR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
GRICE & ASSOCIATES TORONTO (ONTARIO) |
POUR LE DEMANDEUR |
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA TORONTO (ONTARIO) |
POUR LE DÉFENDEUR |