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T-855-22Date : 20230731


Dossier : T-855-22

Référence : 2023 CF 1046

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Montréal (Québec), le 31 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Gascon

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

JOHN PAUL INGARRA,

KYLE PINNELL,

PAUL TANTALO,

et 5046013 ONTARIO INC.

demandeurs

et

DYE & DURHAM LIMITED,

OMERS INFRASTRUCTURE MANAGEMENT INC., et DOPROCESS LP

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les défenderesses, Dye & Durham Limited [Dye & Durham] et DoProcess LP [DoProcess], sollicitent une ordonnance déclarant Cartel & Bui LLP inhabile à occuper à titre de cabinet d’avocats représentant les demandeurs M. John Paul Ingarra, M. Kyle Pinnell, M. Paul Tantalo et 5046013 Ontario Inc. La présente requête est présentée dans le contexte d’un recours collectif envisagé déposé par les demandeurs, dans lequel ils allèguent que Dye & Durham et DoProcess se sont livrées à un complot en vue d’augmenter le prix d’un logiciel de cession de biens immobiliers par l’intermédiaire de l’acquisition de DoProcess par Dye & Durham auprès d’OMERS Infrastructure Management Inc. [OMERS Infrastructure] — qui comparaît également en qualité de défenderesse dans la présente espèce. Selon les demandeurs, cette opération aurait contrevenu à l’article 45 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 [la Loi] sur les accords illicites entre concurrents, ainsi qu’aux articles 21 et 22 du Code criminel LRC 1985, c C-46 [Code criminel]. En application de l’article 36 de la Loi, les demandeurs demandent des dommages-intérêts découlant de la contravention alléguée, lesquels sont estimés à 200 millions de dollars pour les membres du groupe.

[2] Dans leur requête, Dye & Durham et DoProcess font valoir que M. Calvin Goldman, l’ancien avocat des demandeurs, aurait reçu des renseignements confidentiels concernant leurs entreprises dans le cadre de mandats de représentation en justice antérieurs que M. Goldman exécutait pour OneMove Technologies Inc. [OneMove], une société qui a été remplacée par Dye & Durham. Étant donné que M. Goldman a travaillé sur la déclaration dans le recours collectif envisagé en l’espèce [la déclaration] avec les avocats qui représentent actuellement les demandeurs, à savoir MM. Nicholas Cartel et Glenn Brandys, de Cartel & Bui, Cartel & Bui, serait désormais [traduction] « entaché » et devrait par conséquent être déclaré inhabile à occuper afin d’empêcher un mauvais usage éventuel des renseignements confidentiels de Dye & Durham et de DoProcess.

[3] La présente requête soulève deux questions : 1) M. Goldman était-il dans une situation de conflit d’intérêts lorsqu’il a conseillé les demandeurs et qu’il travaillait avec Cartel & Bui sur la déclaration? 2) dans l’affirmative, Cartel & Bui et MM. Cartel et Brandys devraient-ils être déclarés inhabiles à représenter les demandeurs en raison de leur relation avec M. Goldman?

[4] Pour les motifs qui suivent, la requête visant à ce que Cartel & Bui soit déclarée inhabile à occuper sera rejetée. Après avoir examiné les éléments de preuve et la jurisprudence applicable, je ne suis pas convaincu que des renseignements confidentiels pertinents en ce qui concerne la question à l’étude ont été communiqués à M. Goldman dans le contexte de ses mandats antérieurs ou que de tels renseignements ont été transmis à Cartel & Bui. Cartel & Bui peut donc continuer à représenter les demandeurs en l’espèce.

II. Contexte

A. Les parties

[5] Dye & Durham fournit des solutions logicielles et technologiques infonuagiques pour les professionnels du droit et des affaires. Dye & Durham Corporation est la principale filiale active de Dye & Durham.

[6] OneMove offrait des plateformes d’opérations immobilières sur le Web. Notamment, OneMove exploitait une plateforme logicielle de cession de biens immobiliers sous la marque « eConveyanceTM » [eConveyance]. eConveyance est une application logicielle infonuagique qui simplifie le processus d’achat, de vente et de financement des opérations immobilières résidentielles en connectant l’ensemble des participants dans le cadre du processus de transfert de biens. En 2016, OneMove a fusionné avec Dye & Durham Corporation. Par conséquent, Dye & Durham, par l’intermédiaire de Dye & Durham Corporation, exploite maintenant eConveyance. L’ancien chef de la direction de OneMove, M. Matthew Proud, est maintenant le chef de la direction de Dye & Durham.

[7] DoProcess était une société en commandite qui exploitait une gamme de produits liés à la cession de biens immobiliers et de recherche de titres, incluant le logiciel de cessions de biens immobiliers appelé « Conveyancer », qui a plus tard été renommé « Unity ». Lorsqu’elle appartenait à OMERS Infrastructure, DoProcess était une entité affiliée de Teranet Inc. [Teranet], qui gère le régime électronique d’enregistrement des titres pour la province de l’Ontario.

[8] En décembre 2020, Dye & Durham a acquis DoProcess auprès d’OMERS Infrastructure. En juin 2022, DoProcess a été dissoute. Tous ses biens ont été distribués aux entités qui étaient alors fusionnées avec Dye & Durham Corporation.

[9] Cartel & Bui est un cabinet d’avocats établi à Toronto, en Ontario. MM. Cartel et Brandys travaillent comme avocats au sein de ce cabinet. M. Goldman est un avocat qui a mis sur pied son propre cabinet, The Law Office of Calvin Goldman, en 2020. Avant de fonder son propre cabinet, M. Goldman était le président du groupe concurrence, antitrust et investissement étranger chez Goodmans LLP, à Toronto. Il a été associé chez Goodmans de 2014 à septembre 2020. Le cabinet d’avocats de M. Goldman partage ses locaux avec Cartel & Bui, mais les deux cabinets sont indépendants l’un de l’autre.

B. Le contexte factuel

[10] Au moment où le recours collectif envisagé a été entamé à la fin avril 2022, les avocats représentant les demandeurs étaient MM. Cartel et Brandys de Cartel & Bui, et M. Goldman de The Law Office of Calvin Goldman.

[11] En juin 2022, Dye & Durham et DoProcess ont soulevé des préoccupations à propos des conflits d’intérêts allégués visant M. Goldman en raison de sa participation passée — alors qu’il était associé chez Goodmans — dans des affaires relatives au droit de la concurrence concernant la société OneMove, qui a été remplacée par Dye & Durham. À la suite de ces échanges entre les parties, M. Goldman et son cabinet ont cessé de représenter les demandeurs dans le dossier, mais Cartel & Bui ne l’a pas fait. Lorsqu’il a cessé d’agir dans ce dossier, M. Goldman a clairement affirmé qu’il ne reconnaissait pas qu’il était ou avait été en situation de conflit d’intérêts.

[12] Dye & Durham et DoProcess allèguent, comme suit, que, dans deux cas particuliers, M. Goldman a obtenu des renseignements confidentiels de part de la société OneMove, qui a été remplacée par Dye & Durham.

(1) Le mandat de représentation en justice de 2014

[13] En 2014, M. Proud — en sa qualité de chef de la direction de OneMove à l’époque — a communiqué avec M. Goldman et d’autres avocats chez Goodmans pour obtenir des conseils à propos d’une possible plainte d’abus de position dominante fondée sur l’article 79 de la Loi. Un abus de position dominante survient lorsqu’une entreprise dominante ou un groupe d’entreprises dominantes se livre à une pratique d’agissements anti-concurrentiels, ce qui a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché. M. Proud était d’avis que le comportement de DoProcess a empêché l’expansion du logiciel eConveyance en Ontario.

[14] Dans le contexte de ce mandat, M. Proud aurait communiqué à M. Goldman des renseignements confidentiels et sensibles sur le plan commercial à propos de l’entreprise et des produits de OneMove, incluant ce qui suit :

  1. une description du produit eConveyance de OneMove, la fonctionnalité du logiciel de cession de biens immobiliers en général ainsi que la façon dont les produits de OneMove se comparaient à ceux offerts par DoProcess et Teranet;

  2. les opinions de M. Proud et de OneMove sur l’importance d’intégrer le logiciel de cession de biens immobiliers aux offres d’assurance de titres;

  3. une description de la part de marché de OneMove et de son expansion prévue en Ontario;

  4. une description des allégations de OneMove concernant le comportement anti‑concurrentiel de DoProcess et de Teranet.

[15] Selon le témoignage par affidavit de M. Proud et son contre-interrogatoire, tous ces renseignements ont été communiqués de vive voix à M. Goldman au cours d’une seule conversation téléphonique. Aucun document n’a été remis à M. Goldman à l’époque.

[16] Malgré le fait qu’ils avaient initialement accepté d’agir pour le compte de OneMove et qu’ils ont déclaré n’avoir aucun conflit juridique, M. Goldman et Goodmans ont par la suite informé OneMove qu’ils se retiraient de ce mandat en raison de conflits d’ordre commercial.

[17] Dans son affidavit, M. Goldman a témoigné n’avoir [traduction] « aucun souvenir de cette consultation [2014], ou de M. Proud ».

(2) La plainte d’abus de position dominante de 2016

[18] En 2015, M. Goldman et Goodmans ont commencé à agir pour le compte d’une entité appelée Information Services Corporation [ISC] relativement à un investissement subséquent d’ISC dans OneMove. ISC n’est pas liée à Dye & Durham.

[19] En 2016, M Goldman et Goodmans ont conseillé ISC de nouveau et ont travaillé avec OneMove dans le cadre du dépôt d’une plainte pour abus de position dominante — la même plainte dont M. Proud a discuté avec M. Goldman dans le contexte du mandat de 2014 — à l’encontre de DoProcess. À l’époque, ISC et OneMove ont accepté les modalités d’un accord conjoint en matière de défense [ACD]

[20] Dye & Durham et DoProcess font valoir que, dans le contexte de ces mandats pour le compte d’ISC, M. Goldman a reçu des renseignements confidentiels considérables à propos des affaires de OneMove et de ses opinions sur l’industrie des logiciels de cession de biens immobiliers et de ses concurrents. Étant donné que M. Goldman a reçu une copie de la plainte présentée au Bureau de la concurrence [Bureau], Dye & Durham et DoProcess font valoir que M. Goldman a obtenu des renseignements confidentiels à propos des affaires de OneMove et des opinions de celle-ci sur l’industrie, dont ce qui suit :

  1. une description de l’application eConveyance de OneMove et la fonctionnalité du logiciel de cession de biens immobiliers de façon générale;

  2. les opinions de OneMove concernant l’importance concurrentielle d’intégrer les logiciels sans heurt auprès des assureurs de titres et des exploitants de bureaux d’enregistrement, comme Teranet;

  3. les opinions de OneMove sur les principaux fournisseurs de logiciels de cession de biens immobiliers, leurs produits et leurs positions sur le marché, y compris les opinions de OneMove concernant DoProcess et son application de cession de biens immobiliers;

  4. les allégations concernant les pratiques anti-concurrentielles alléguées de DoProcess et de Teranet, qui empêchaient l’expansion de OneMove en Ontario;

  5. une description des modèles d’établissement des prix des logiciels de cession de biens immobiliers offerts par OneMove et DoProcess;

  6. les opinions de OneMove concernant les conditions du marché qui faciliteraient un marché concurrentiel plus significatif.

[21] Je fais une pause pour souligner que, dans le cadre de ce mandat, M. Goldman n’agissait pas pour le compte de OneMove en ce qui a trait à l’investissement d’ISC ou à la plainte d’abus de position dominante envisagée auprès du Bureau. M. Goldman agissait plutôt exclusivement pour le compte d’ISC. M. Goldman fait en fait valoir que ni lui ni aucun de ses collègues chez Goodmans n’ont agi pour le compte de M. Proud ou de OneMove en ce qui concerne la plainte d’abus de position dominante auprès du Bureau. Il signale en outre que l’ACD prévoyait expressément qu’aucun rapport d’avocat à client avec l’avocat de l’autre partie ne serait créé, et que l’accord ne pouvait pas être utilisé pour déclarer l’avocat inhabile à représenter sa cliente en raison des renseignements qui ont été communiqués.

[22] Dans son affidavit, M. Goldman a affirmé qu’aucun renseignement confidentiel ne lui a été transmis en sa qualité d’avocat d’ISC dans le contexte de la plainte d’abus de position dominante de 2016. M. Goldman n’a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit.

[23] Dans leurs affidavits respectifs et en contre-interrogatoire, MM. Cartel et Brandys ont tous deux déclaré qu’ils n’avaient reçu aucun renseignement confidentiel concernant Dye & Durham ou DoProcess de la part de M. Goldman. Ils ont également indiqué que la déclaration a été rédigée et que le recours collectif envisagé a été intenté sur le seul fondement des renseignements qui étaient accessibles au public.

C. Le cadre législatif pertinent

[24] Les dispositions législatives pertinentes figurent dans la Loi et le Code criminel. Elles sont ainsi rédigées.

(1) La Loi

Recouvrement de dommages-intérêts

Recovery of damages

36 (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :

36 (1) Any person who has suffered loss or damage as a result of

a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI;

(a) conduct that is contrary to any provision of Part VI, or

b) soit du défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi,

(b) the failure of any person to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act,

peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

may, in any court of competent jurisdiction, sue for and recover from the person who engaged in the conduct or failed to comply with the order an amount equal to the loss or damage proved to have been suffered by him, together with any additional amount that the court may allow not exceeding the full cost to him of any investigation in connection with the matter and of proceedings under this section.

[…]

Complot, accord ou arrangement entre concurrents

Conspiracies, agreements or arrangements between competitors

45 (1) Commet une infraction quiconque, avec une personne qui est son concurrent à l’égard d’un produit, complote ou conclut un accord ou un arrangement :

45 (1) Every person commits an offence who, with a competitor of that person with respect to a product, conspires, agrees or arranges

a) soit pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture du produit;

(a) to fix, maintain, increase or control the price for the supply of the product;

b) soit pour attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés pour la production ou la fourniture du produit;

(b) to allocate sales, territories, customers or markets for the production or supply of the product; or

c) soit pour fixer, maintenir, contrôler, empêcher, réduire ou éliminer la production ou la fourniture du produit.

(c) to fix, maintain, control, prevent, lessen or eliminate the production or supply of the product.

[…]

Définitions

Definitions

(8) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

(8) The following definitions apply in this section.

concurrent S’entend notamment de toute personne qui, en toute raison, ferait vraisemblablement concurrence à une autre personne à l’égard d’un produit en l’absence d’un complot, d’un accord ou d’un arrangement visant à faire l’une des choses prévues aux alinéas (1)a) à c). (competitor)

competitor includes a person who it is reasonable to believe would be likely to compete with respect to a product in the absence of a conspiracy, agreement or arrangement to do anything referred to in paragraphs (1)(a) to (c). (concurrent)

prix S’entend notamment de tout escompte, rabais, remise, concession de prix ou autre avantage relatif à la fourniture du produit. (price)

price includes any discount, rebate, allowance, price concession or other advantage in relation to the supply of a product. (prix)

[…]

Ordonnance d’interdiction : abus de position dominante

Prohibition if abuse of dominant position

79 (1) Lorsque, à la suite d’une demande du commissaire ou d’une personne à qui a été accordée en vertu de l’article 103.1 la permission de présenter une demande, il conclut à l’existence de la situation suivante :

79 (1) If, on application by the Commissioner or a person granted leave under section 103.1, the Tribunal finds that

a) une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions;

(a) one or more persons substantially or completely control, throughout Canada or any area thereof, a class or species of business,

b) cette personne ou ces personnes se livrent ou se sont livrées à une pratique d’agissements anti-concurrentiels;

(b) that person or those persons have engaged in or are engaging in a practice of anti-competitive acts, and

c) la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché,

(c) the practice has had, is having or is likely to have the effect of preventing or lessening competition substantially in a market,

le Tribunal peut rendre une ordonnance interdisant à ces personnes ou à l’une ou l’autre d’entre elles de se livrer à une telle pratique.

the Tribunal may make an order prohibiting all or any of those persons from engaging in that practice.

(2) Le Code criminel

Participants à une infraction

Parties to offence

21 (1) Participent à une infraction :

21 (1) Every one is a party to an offence who

a) quiconque la commet réellement;

(a) actually commits it;

b) quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre;

(b) does or omits to do anything for the purpose of aiding any person to commit it; or

c) quiconque encourage quelqu’un à la commettre.

(c) abets any person in committing it.

Intention commune

Common intention

(2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s’y entraider et que l’une d’entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d’elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l’intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l’infraction, participe à cette infraction.

(2) Where two or more persons form an intention in common to carry out an unlawful purpose and to assist each other therein and any one of them, in carrying out the common purpose, commits an offence, each of them who knew or ought to have known that the commission of the offence would be a probable consequence of carrying out the common purpose is a party to that offence.

Personne qui conseille à une autre de commettre une infraction

Person counselling offence

22 (1) Lorsqu’une personne conseille à une autre personne de participer à une infraction et que cette dernière y participe subséquemment, la personne qui a conseillé participe à cette infraction, même si l’infraction a été commise d’une manière différente de celle qui avait été conseillée.

22 (1) Where a person counsels another person to be a party to an offence and that other person is afterwards a party to that offence, the person who counselled is a party to that offence, notwithstanding that the offence was committed in a way different from that which was counselled.

Idem

Idem

(2) Quiconque conseille à une autre personne de participer à une infraction participe à chaque infraction que l’autre commet en conséquence du conseil et qui, d’après ce que savait ou aurait dû savoir celui qui a conseillé, était susceptible d’être commise en conséquence du conseil.

(2) Every one who counsels another person to be a party to an offence is a party to every offence that the other commits in consequence of the counselling that the person who counselled knew or ought to have known was likely to be committed in consequence of the counselling.

Définitions de conseiller et de conseil

Definition of counsel

(3) Pour l’application de la présente loi, conseiller s’entend d’amener et d’inciter, et conseil s’entend de l’encouragement visant à amener ou à inciter.

(3) For the purposes of this Act, counsel includes procure, solicit or incite.

(1)  

(2)  

III. Analyse

B. Le conflit d’intérêts allégué de M. Goldman

[25] La première question à trancher consiste à déterminer si M. Goldman, en raison de ses mandats antérieurs concernant OneMove, se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts lorsqu’il était l’avocat des demandeurs et qu’il travaillait avec Cartel & Bui sur la déclaration.

(1) Le critère juridique

[26] Le critère pour évaluer si un conflit d’intérêts découle du fait qu’un avocat est en possession de renseignements confidentiels a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Succession MacDonald c Martin, [1990] 3 RCS 1235 [Martin] à la page 1260, et dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c McKercher LLP, 2013 CSC 39 [McKercher] au paragraphe 24. Dans ces arrêts, la Cour suprême du Canada a énoncé une approche à deux volets pour évaluer les conflits portant sur l’utilisation à mauvais escient éventuelle de renseignements confidentiels.

  • 1)L’avocat a‑t‑il appris des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, qui concernent l’objet du litige?

  • 2)Y a-t-il un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du client?

[27] Dans l’affaire MediaTube Corp c Bell Canada, 2014 CF 237 [MediaTube], aux paragraphes 27 et 28, la Cour a résumé comment le critère énoncé dans l’arrêt Martin s’applique. Dans le premier volet du critère, il incombe à la partie requérante d’établir que des renseignements confidentiels concernant l’objet du litige ont été communiqués à l’avocat dans le cadre de la relation antérieure. Il existe deux manières de le faire : 1) la partie requérante présentera des éléments de preuve pour établir que des renseignements confidentiels ont bien été communiqués grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client; ou 2) la partie requérante démontrera que le nouveau mandat de l’avocat présente une « connexité suffisante » avec les affaires visées dans la relation antérieure. Si ce dernier volet est satisfait, il y aura présomption réfutable selon laquelle le cabinet d’avocats détient des renseignements confidentiels présentant un risque de préjudice (Martin aux pp 1260 à 1262; MediaTube au para 27). Pour déterminer si les renseignements confidentiels sont pertinents en ce qui concerne la question à l’étude, la partie requérante doit démontrer que les renseignements confidentiels reçus dans le cadre du premier mandat, ou une partie de ceux-ci, feraient vraisemblablement partie du contexte factuel orientant directement les conseils prodigués par l’avocat au nouveau client.

[28] Par ailleurs, un défendeur peut réfuter de deux manières l’inférence selon laquelle des renseignements confidentiels ont été communiqués : 1) en démontrant qu’aucun renseignement confidentiel n’a en fait été communiqué; ou 2) en démontrant que les renseignements ne présentent pas de « connexité suffisante » ou ne sont pas pertinents relativement à l’affaire sur laquelle l’avocat cherche à agir (GCT Canada Limited Partnership c Administration portuaire Vancouver‑Fraser, 2019 CF 1147 [GCT] au para 82).

[29] Dans l’arrêt Celanese Canada Inc v Murray Demolition Corp, 2006 CSC 36, la Cour suprême du Canada a formulé des commentaires sur sa décision antérieure dans l’arrêt Martin et a affirmé ce qui suit au paragraphe 42 : « il importe de souligner que le juge Sopinka [qui a rédigé les motifs de l’arrêt Martin] n’a pas imposé à la partie requérante l’obligation de produire d’autres éléments de preuve concernant la nature des renseignements confidentiels en plus de ce qui est nécessaire pour établir que, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, l’avocat en cause a appris des faits confidentiels qui concernaient l’objet du litige. » Par conséquent, la partie requérante n’est tenue que de démontrer que les questions présentent une « connexité suffisante » pour bénéficier de la présomption de réception de renseignements confidentiels pertinents par l’avocat.

[30] Le deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt Martin porte sur le risque que les renseignements confidentiels soient utilisés au détriment de l’ancien client (MediaTube au para 28). Si l’on juge que le nouveau mandat de l’avocat présente une « connexité suffisante » avec les affaires sur lesquelles l’avocat a travaillé pour un ancien client, et que la présomption réfutable est engagée, les tribunaux devraient alors « inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l’avocat convainc le tribunal qu’aucun renseignement pertinent n’a été communiqué » (Martin à la p 1260). Cette présomption ne peut être réfutée que par le défendeur s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’aucun renseignement confidentiel pertinent n’a en fait été divulgué en raison de la relation antérieure. Cependant, il ne s’agit pas d’un fardeau dont il est facile de s’acquitter, comme l’a souligné le juge Sopinka dans l’arrêt Martin : « Non seulement la Cour doit être convaincue, au point qu’un membre du public raisonnablement informé serait persuadé qu’aucun renseignement de cette nature n’a été transmis, mais encore la preuve doit être faite sans que soient révélés les détails de la communication privilégiée. » (Martin à la p 1260).

[31] Cela étant dit, je souligne que l’arrêt Martin reconnaît expressément qu’il peut exister des affaires où une partie peut convaincre « la Cour qu’aucun renseignement pertinent n’a été communiqué » en ce qui concerne le litige sous-jacent (Martin à la p 1260).

[32] Je fais une pause pour signaler que le critère à deux volets énoncé dans l’arrêt Martin est ancré dans un principe politique fondamental qui doit éclairer et orienter les tribunaux au moment de répondre à la question de savoir si un conflit d’intérêts entraînant une inhabilité à occuper découle d’une affaire particulière : le critère « doit tendre à convaincre le public, c’est‑à‑dire une personne raisonnablement informée, qu’il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels » (Martin aux pp 1259 et 1260). Énoncé différemment, le critère consiste à déterminer si un membre du public raisonnablement informé [traduction] « conclurait qu’une déclaration d’inhabilité à occuper visant l’avocat est nécessaire à la bonne administration de la justice » (Kaiser (Re), 2011 ONCA 713 [Kaiser] au para 21).

[33] La décision dans l’arrêt Martin établit également une présomption selon laquelle, lorsque des renseignements confidentiels sont transmis dans le cadre d’un rapport d’avocat à client, les renseignements reçus par l’avocat « en cause » sont communiqués à l’intérieur du cabinet d’avocats qui les a acquis.

[34] Le cadre élaboré dans l’arrêt Martin ne se limite pas aux rapports d’avocat à client. Il s’étend aux renseignements communiqués par d’autres parties qui ont joué un rôle auprès du client du cabinet ou ont été associées avec lui. Par conséquent, si des renseignements confidentiels sont obtenus « grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client », le critère énoncé dans Martin s’applique (GCT aux para 36 à 39, 44).

[35] Le critère énoncé dans l’arrêt Martin a récemment été utilisé par la Cour dans l’affaire McLean v Suhr, 2018 FC 1000 [McLean]. Dans cette affaire, la Cour a repris les paroles de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Martin et a réitéré l’importance, lorsque l’on se penche sur des conflits d’intérêts, d’établir un équilibre approprié entre [traduction] « le souci de préserver les normes exigeantes de la profession d’avocat et l’intégrité de notre système judiciaire, le droit du justiciable de choisir son avocat, et la mobilité raisonnable qu’il est souhaitable de permettre au sein de la profession juridique » (McLean au para 28; voir aussi Martin à la p 1243).

[36] Certes, il est juste d’affirmer que les tribunaux canadiens ont adopté une approche prudente et exercé un niveau élevé de retenue avant de s’ingérer dans le choix que fait une partie en matière d’avocat et d’exercer leur pouvoir discrétionnaire de déclarer l’inhabilité d’un avocat à occuper (Kaiser au para 21; Salager v Dye & Durham Corporation, 2017 BCSC 470 [Salager] au para 56). Autrement dit, les tribunaux ne délivreront pas à la légère des ordonnances déclarant un inhabile avocat à occuper.

[37] En fin de compte, le fait de trancher la question de savoir s’il existe ou non un conflit d’intérêts découle en grande partie d’une enquête factuelle, et les tribunaux doivent examiner chaque affaire en fonction de son bien‑fondé (GCT au para 34). En l’espèce, et pour les motifs qui suivent, je conclus que Dye & Durham et DoProcess ne se sont pas acquittées de leur fardeau à l’égard du premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Martin. À mon avis, elles ne satisfont pas à ce critère selon les deux manières indiquées dans l’affaire MediaTube. En premier lieu, je ne suis pas convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, des renseignements confidentiels ont été communiqués à M. Goldman dans le cadre du mandat de 2014 ou de la plainte d’abus de position dominante de 2016. Deuxièmement, les affaires sur lesquelles M. Goldman a travaillé dans le cadre des mandats antérieurs ne présentent pas une « connexité suffisante » avec la question en litige dans le présent recours collectif envisagé pour justifier une déclaration d’inhabilité à occuper à l’égard de l’avocat des demandeurs (GCT au para 82). À la lumière de ces conclusions, il n’est pas nécessaire de déterminer si, en vertu du second volet du critère énoncé dans l’arrêt Martin, il existe un risque que des renseignements confidentiels pertinents obtenus dans le cadre du mandat de 2014 et de la plainte d’abus de position dominante de 2016 soient utilisés au détriment de Dye & Durham et de DoProcess.

(2) Il n’y a aucune preuve claire et convaincante que des renseignements confidentiels ont en fait été communiqués à M. Goldman.

[38] Dye & Durham et DoProcess font valoir que M. Goldman a eu accès à des renseignements confidentiels pertinents concernant le recours collectif envisagé en raison des rapports d’avocat à client qu’il a déjà eus avec la société OneMove, qui a été remplacée par Dye & Durham, et d’autres mandats d’ISC auxquels il a participé. Dye & Durham et DoProcess affirment que, puisque OneMove a présenté à M. Goldman ses opinions à propos de son entreprise et de ses produits ainsi qu’à propos du comportement anti-concurrentiel de DoProcess relativement au marché élargi des logiciels de cession de biens immobiliers et à sa concurrence, il s’agit de renseignements confidentiels pouvant être utilisés d’une façon concrète maintenant que Dye & Durham (en tant que société qui a remplacé OneMove) fait l’objet de poursuites à propos de la théorie voulant que son acquisition de DoProcess constitue un complot illicite et anti-concurrentiel.

[39] Cartel & Bui répond que les renseignements dont M. Proud fait mention dans son témoignage ne sont pas confidentiels et sont accessibles au grand public. En outre, il fait valoir que Dye & Durham et DoProcess ont omis de fournir une indication autre qu’une référence générale à des renseignements confidentiels allégués que M. Goldman aurait reçus.

[40] Je conviens avec Cartel & Bui que les parties requérantes ne sont pas parvenues à démontrer que des renseignements confidentiels ont été communiqués à M. Goldman dans le cadre du mandat de 2014 ou de la plainte d’abus de position dominante de 2016.

[41] Dye & Durham et DoProcess reconnaissent que la confidentialité des renseignements qui auraient été utilisés à mauvais escient est un élément pertinent (GCT, au para 46; Chapters Inc v Davies, Ward & Beck LLP, [2001] OJ no 206 (CA) [Chapters] aux para 31–32, 34–35), et qu’il leur incombe de l’établir, selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités. Sans révéler les renseignements eux-mêmes, Dye & Durham et DoProcess doivent présenter un aperçu de la nature des renseignements de façon à ce que la Cour soit en mesure d’évaluer s’ils sont confidentiels et s’ils sont pertinents en ce qui concerne le nouveau dossier (Chapters aux para 29–30).

[42] Je ne suis pas convaincu que, en m’appuyant sur la preuve dont je suis saisi, des renseignements confidentiels ont été communiqués à M. Goldman dans le cadre du mandat de 2014 ou de la plainte d’abus de position dominante de 2016, ou que de tels renseignements confidentiels ont en fait été transmis à Cartel & Bui. Autrement dit, je ne relève aucune possibilité réaliste que des renseignements confidentiels pertinents à propos de Dye & Durham ou de DoProcess pouvant être utilisés au détriment de Dye & Durham et de DoProcess dans le cadre du recours collectif envisagé ont été acquis par M. Goldman. Il y a trois raisons à cela.

a) Il n’y a aucune preuve de renseignements « confidentiels »

[43] En premier lieu, je ne suis pas en mesure de conclure qu’il est plus probable qu’improbable que les renseignements indiqués par M. Proud dans son affidavit soient des renseignements confidentiels. En ce qui concerne le mandat de 2014, Dye & Durham et DoProcess prétendent que M. Goldman a obtenu les renseignements confidentiels qui ont été soulevés dans la déclaration se rapportant aux positions sur le marché dans l’industrie des logiciels de cession de biens immobiliers, à l’intégration préférentielle du logiciel de Teranet avec le logiciel de Dye & Durham, à la difficulté des entreprises qui changent de logiciel de cession de biens immobiliers et aux conditions du marché. Plus précisément, M. Proud a relevé les renseignements suivants, lesquels auraient été communiqués à M. Goldman au cours d’une seule conversation téléphonique : une description du produit eConveyance de OneMove, la fonctionnalité du logiciel de cession de biens immobiliers en général ainsi que la façon dont les produits de OneMove se comparaient à ceux offerts par DoProcess et Teranet; les opinions de OneMove sur l’importance d’intégrer les logiciels de cession de biens immobiliers avec les offres d’assurance de titres; une description de la part de marché de OneMove et de son expansion prévue en Ontario; une description des allégations de OneMove concernant le comportement anti-concurrentiel de DoProcess et de Teranet. Cela comprenait également des renseignements sur les points de distinction éventuels entre les produits de OneMove et de DoProcess, et les leurs positions relatives sur le marché.

[44] En ce qui concerne la plainte d’abus de position dominante de 2016, M. Proud a indiqué les renseignements suivants, lesquels seraient tirés de la plainte d’abus de position dominante présentée au Bureau : une description de l’application eConveyance de OneMove et la fonctionnalité du logiciel de cession de biens immobiliers en général; les opinions de OneMove concernant l’importance concurrentielle d’intégrer les logiciels sans heurt auprès des assureurs de titres et des exploitants de bureaux d’enregistrement, comme Teranet; les opinions de OneMove sur les principaux fournisseurs de logiciels de cession de biens immobiliers, leurs produits et leurs positions sur le marché, y compris les opinions de OneMove concernant DoProcess et son application de cession de biens immobiliers; les allégations concernant les pratiques anti-concurrentielles alléguées de DoProcess et de Teranet, qui empêchaient l’expansion de OneMove en Ontario; une description des modèles d’établissement des prix des logiciels de cession de biens immobiliers offerts par OneMove et DoProcess; les opinions de OneMove concernant les conditions du marché qui faciliteraient un marché concurrentiel plus significatif.

[45] Dye & Durham et DoProcess soutiennent que la déclaration utilise des renseignements provenant de toutes les catégories que M. Proud affirme avoir communiquées à M. Goldman dans le cadre des mandats antérieurs.

[46] À mon avis, les listes de renseignements présentées par M. Proud ne suffisent pas à établir la confidentialité des renseignements prétendument communiqués à M. Goldman. Les descriptions des renseignements demeurent très génériques, sans identifier un document ou une catégorie de documents en particulier. En fait, M. Proud a reconnu qu’aucun document n’a été transmis à M. Goldman dans le cadre du mandat de 2014. Qui plus est, la preuve présentée par MM. Cartel et Brandys dans leurs affidavits respectifs et en contre‑interrogatoire indiquait que les renseignements confidentiels allégués décrits par M. Proud sont accessibles au public à partir de plusieurs sources publiques et qu’ils correspondent à des connaissances communes des praticiens dans le domaine. En outre, de par leur nature même, les renseignements sur des sujets comme les produits, les conditions du marché, les activités et le comportement des concurrents, l’intégration des entreprises ou les positions du marché des acteurs dans une industrie ne sont habituellement pas confidentiels lorsqu’il n’est pas clair qu’ils comprennent des renseignements stratégiques ou financiers.

[47] La situation actuelle se distingue considérablement de celle dans l’affaire GCT, où des renseignements précis jugés confidentiels, dont des rapports, des documents de travail, des présentations pour le conseil d’administration et des procès-verbaux du conseil d’administration bien identifiés ont été mentionnés par les demandeurs (GCT au para 46). Dans cette affaire, la Cour a conclu que ces descriptions suffisaient à illustrer la nature confidentielle des renseignements en question. En l’espèce, toutefois, les descriptions génériques formulées par M. Proud ne me permettent pas de conclure que des renseignements confidentiels étaient nécessairement en cause et ont été transmis à M. Goldman dans le cadre du mandat de 2014 ou de la plainte d’abus de position dominante de 2016.

[48] En outre, la preuve établissant que Cartel & Bui n’ont utilisé que des renseignements accessibles au public pour préparer la déclaration n’a pas été contredite. MM. Cartel et Brandys ont affirmé dans leurs affidavits qu’ils ont obtenu des renseignements auprès de sources publiques pour préparer la déclaration, et ils ont fourni des renvois détaillés aux éléments de preuve particuliers émanant notamment des pièces 2 et 3 jointes à l’affidavit de M. Proud et dans lesquels figuraient le prospectus du 13 juillet 2020 de Dye & Durham [prospectus] et la notice annuelle du 30 juillet 2021 [NA]. Le prospectus fournissait des renseignements sur les services de logiciel de cession de biens immobiliers offerts dans l’industrie, les perspectives de croissance du logiciel eConveyance dans le secteur des logiciels de cession de biens immobiliers ainsi que sur les forces concurrentielles de Dye & Durham, alors que la NA fournissait des renseignements sur le contexte de l’industrie et les risques pour l’entreprise de Dye & Durham et l’industrie en général. Ces documents contiennent de nombreuses références concernant la nature publique des renseignements sur la fonctionnalité des logiciels de cession de biens immobiliers, les activités de commercialisation, les plateformes logicielles de cession de biens immobiliers et l’intégration des clients. Lorsque l’on estime que des renseignements qui auraient été utilisés à mauvais escient sont publics, cela fait pencher la balance en faveur de la partie défenderesse qui fait valoir que les renseignements ne sont pas confidentiels (Chingee v Canada (Attorney General), 2019 FC 532 [Chingee] au para 49).

b) Il n’y a aucun détail sur les renseignements « confidentiels » allégués

[49] En deuxième lieu, la preuve citée par Dye & Durham et DoProcess ne contient aucun détail sur les renseignements confidentiels allégués. Il est vrai que les parties requérantes avaient le droit de ne pas expliquer les détails de leur relation avec M. Goldman et les renseignements confidentiels allégués. Cependant, elles devaient tout de même démontrer que des renseignements confidentiels pertinents ont bel et bien été communiqués à M. Goldman. Les descriptions des renseignements confidentiels allégués doivent être suffisantes pour permettre à la Cour de déterminer la nature des renseignements confidentiels en cause dans la requête (GCT au para 47). Contrairement à la situation dans l’affaire GCT, je ne suis pas d’avis que la description des renseignements confidentiels allégués formulée par Dye & Durham et DoProcess soit suffisante pour satisfaire au critère énoncé dans la jurisprudence (GCT au para 48).

[50] Dans les affaires GCT et Chapters, sur lesquelles Dye & Durham et DoProcess se sont appuyées dans leurs observations, les parties requérantes souhaitant obtenir une déclaration d’inhabilité à occuper ont fourni une description des documents contenant des renseignements confidentiels, comme les documents présentés au conseil d’administration de la société, les procès-verbaux du conseil d’administration, les rapports d’expert, les états financiers et les renseignements sur les stratégies futures concernant des affaires particulières. La nature des renseignements était facile à identifier sans qu’il soit nécessaire de révéler les renseignements confidentiels eux-mêmes, car la nature des documents constituait un indicateur suffisant du niveau de confidentialité de l’information qu’ils contenaient (GCT aux para 46 et 47; Chapters au para 6). Dans la décision GCT, par exemple, la Cour a conclu que la description des renseignements fournis par la partie requérante contenait « suffisamment de détails pour appuyer la conclusion selon laquelle ils [étaient] confidentiels et pertinents » (GCT au para 48).

[51] Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Dye & Durham et DoProcess ne peuvent pas prétendre que la présente espèce est similaire aux affaires GCT et Chapters, car, dans ces deux précédents, la Cour savait quels documents avaient été transmis et pouvait donc tirer une inférence quant à la nature confidentielle des renseignements contenus dans ces documents. En l’espèce, la Cour ne dispose que de catégories de renseignements générales qui, par définition, pourraient comprendre à la fois des renseignements confidentiels et des renseignements non confidentiels. Il n’y a ni éléments de preuve ni détails qui me permettent de conclure que, selon la prépondérance des probabilités, les renseignements qui auraient été communiqués à M. Goldman dans ces catégories étaient confidentiels. Il n’y a pas [traduction] « suffisamment de renseignements précis devant la Cour pour conclure que l’information qui a pu être transmise à ces occasions est confidentielle ou est suffisamment liée à la présente action » (Chingee au para 50).

[52] Dye & Durham et DoProcess s’appuient sur le paragraphe 32 de la décision Chapters pour faire valoir que les catégories de renseignements qu’elles ont fournies sont suffisantes. Toutefois, ce paragraphe représente en fait un résumé que la Cour a été en mesure de présenter en s’appuyant sur des renseignements plus précis fournis par la partie requérante. En l’espèce, cependant, Dye & Durham et DoProcess n’ont présenté que le degré d’information que la cour a résumé dans la décision Chapters, sans d’abord fournir de renseignements précis à la Cour, comme il est requis. Par conséquent, elles sont bien loin d’identifier la nature des renseignements, comme l’ont fait les parties requérantes dans l’affaire Chapters — ainsi que dans l’affaire GCT. La possibilité que M. Goldman ait obtenu des renseignements confidentiels n’est que théorique, et n’est pas réaliste, en raison de l’absence d’une preuve claire et convaincante en ce sens (Chapters au para 30).

[53] Autrement dit, Dye & Durham et DoProcess n’ont pas présenté de motifs clairs démontrant que la possibilité que M. Goldman ait obtenu des renseignements confidentiels pertinents est plus que théorique.

[54] Qui plus est, M. Proud n’est pas parvenu à établir un lien entre les renseignements confidentiels allégués et la déclaration à laquelle M. Goldman a contribué. Dans son témoignage, M. Proud n’a pas indiqué les allégations de la déclaration qui correspondaient aux renseignements confidentiels qui auraient été communiqués à M. Goldman. Il n’a pas décrit, avec une granularité quelconque, les renseignements confidentiels et les documents qu’il prétend avoir fournis à M. Goldman. La Cour ne peut donc que spéculer quant à la façon dont les renseignements confidentiels allégués auraient pu se retrouver dans la déclaration.

c) Il n’y a aucune preuve que des renseignements « confidentiels » ont été communiqués à Cartel & Bui

[55] Troisièmement, il n’y a aucune preuve claire et convaincante établissant que des renseignements confidentiels ont été communiqués à Cartel & Bui ou que des renseignements confidentiels ont été échangés entre M. Goldman et Cartel & Bui. Certes, M. Proud a reconnu qu’il ne sait pas si M. Goldman a échangé ou non des renseignements confidentiels avec Cartel & Bui. Par ailleurs, les affidavits de MM. Cartel et Brandys indiquent qu’aucun renseignement confidentiel n’a été communiqué et que M. Goldman n’a joué aucun rôle dans la recherche, l’enquête et la rédaction de la déclaration. De plus, la présomption établie dans l’arrêt Martin concernant l’« avocat en cause » dont il a précédemment été fait mention, ne peut pas s’appliquer, car je n’estime pas que des renseignements confidentiels pertinents ont été transmis dans le cadre de la relation d’avocat à client.

d) Conclusion

[56] À la lumière de tous ces éléments de preuve, je conclus que Dye & Durham et DoProcess n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que des renseignements confidentiels ont été communiqués à M. Goldman à la suite du mandat de 2014 ou de la plainte d’abus de position dominante de 2016. Par conséquent, elles ne satisfont pas à la première manière relevée par la Cour dans la décision MediaTube pour satisfaire au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Martin.

(3) Les mandats antérieurs de M. Goldman ne présentent pas une « connexité suffisante » avec le recours collectif envisagé

[57] Dye & Durham et DoProcess font également valoir que, de toute façon, les affaires visées dans le cadre du mandat de 2014 et de la plainte d’abus de position dominante de 2016 présentent une « connexité suffisante » avec le recours collectif envisagé, car elles concernent le marché des logiciels de cession de biens immobiliers. Il s’agit de la deuxième manière relevée par la Cour dans la décision MediaTube pour satisfaire au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Martin.

[58] Cartel & Bui répond que les renseignements confidentiels allégués qui sont issus de ces deux affaires antérieures n’ont aucun rapport avec le recours collectif envisagé. Il fait valoir que la question des mandats antérieurs, à savoir, un abus de position dominante allégué en vertu de l’article 79 de la Loi, renvoie aux principes du droit de la concurrence et à des questions factuelles qui se distinguent entièrement de l’allégation d’infraction fondée sur l’article 45 de la Loi à la source du recours collectif envisagé en l’espèce, et qui n’ont aucun rapport avec celui-ci.

[59] Une fois de plus, je partage l’avis de Cartel & Bui.

[60] À la suite de mon examen de la preuve au dossier, je conclus que Dye & Durham et DoProcess n’ont pas réussi à démontrer comment la nature des renseignements qui ont prétendument été communiqués à M. Goldman dans le cadre des mandats antérieurs présente une « connexité suffisante » avec les questions en litige dans le présent recours collectif envisagé. Autrement dit, je ne relève aucun élément de preuve clair, solide et convaincant selon lequel les deux questions sont liées au point de justifier une déclaration d’inhabilité à occuper visant Cartel & Bui.

a) L’exigence de la « connexité suffisante »

[61] Le concept des questions qui présentent une « connexité suffisante » n’était pas une question en litige dans l’arrêt Martin, car les deux mandats en cause concernaient manifestement le même litige. Cependant, le juge Sopinka a néanmoins interprété le critère américain analogue du « lien important » comme étant un point de référence utile (Martin à la p 1260). Comme il est énoncé au paragraphe 28 de l’arrêt Chapters, la décision de savoir s’il existe un lien important entre deux questions repose sur la possibilité, ou l’apparence de celle-ci, que des renseignements confidentiels puissent avoir été communiqués à un avocat relativement à l’affaire subséquente dans laquelle l’inhabilité à occuper est demandée. La règle comporte une évaluation réaliste de la possibilité que des renseignements confidentiels aient été communiqués dans une affaire, lesquels renseignements seront préjudiciables pour le client, ou nuisibles à celui-ci, dans l’autre affaire.

[62] Compte tenu des répercussions considérables qu’entraîne une déclaration de conflit d’intérêts, il doit y avoir une preuve solide et convaincante d’une connexité suffisante entre les deux questions en litige. Pour qu’il y ait une connexité suffisante pour satisfaire au critère, il faut que les renseignements communiqués précédemment à l’avocat « puissent être utilisés contre » le client d’une « façon concrète » (McKercher au para 54; GCT au para 51; Chapters au para 30; voir aussi Salager v Dye & Durham Corporation, 2017 BCSC 470 [Salager] au para 30).

[63] Dye & Durham et DoProcess font valoir que ce seuil relatif à la pertinence est [traduction] « peu élevé ». En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Ce n’est pas ce que la jurisprudence a établi. Il doit plutôt y avoir une preuve claire et convaincante qui, dans les circonstances particulières de chaque cas, démontre qu’il est raisonnablement possible que l’avocat ait acquis dans le cadre d’une affaire des renseignements confidentiels qui seraient utiles pour ce qui est de trancher une autre affaire. Il doit y avoir une preuve claire, solide et convaincante que les mandats et la nouvelle affaire présentent une connexité suffisante (MediaTube aux para 106, 109, 121–122, 127; Hogarth v Hogarth, 2016 ONSC 3875 [Hogarth] aux para 31, 33; Remus v Remus, 2002 CanLII 2763 (ONSC) [Remus] aux para 13–14). Étant donné que l’objet du seuil consiste à créer une présomption réfutable de transfert de renseignements confidentiels, la Cour a qualifié cette présomption de « difficilement établie » (MediaTube au para 109).

[64] L’ancien client doit démontrer que la possibilité que des renseignements confidentiels pertinents aient été acquis soit réaliste et non seulement théorique (Chapters au para 30; Hogarth au para 31 : [traduction] « Pour que la cour conclue que les mandats présentent une connexité suffisante, elle doit conclure que, compte tenu des circonstances, il existe une possibilité raisonnable que l’avocat ait acquis dans le cadre du premier mandat des renseignements confidentiels qui pourraient être pertinents en ce qui concerne la question en litige en l’espèce. » (Chapters au para 30; voir aussi Chingee au para 29; Salager au para 55, citant Brookville Carriers Flatbed GP Inc v Blackjack Transport Ltd, 2008 NSCA 22 aux para 50–52).

[65] Dans la décision Hogarth, la Cour a statué que le critère de la [traduction] « relation suffisante » consiste à déterminer si, compte tenu de la nature et du détail des renseignements confidentiels reçus au cours du premier mandat, il est [traduction] « vraisemblable qu’au moins une partie de ces renseignements soit pertinente en ce qui concerne la question en litige en l’espèce » et soit [traduction] « susceptible de faire partie du contexte factuel qui oriente directement » les conseils prodigués par l’avocat au nouveau client (Hogarth au para 32, citant Chapters au para 36). Les renseignements [traduction] « seront pertinents s’ils aident les avocats à faire avancer la cause du nouveau client contre l’ancien client » (Chapters au para 36). Il incombe à une partie qui cherche à obtenir une déclaration d’inhabilité à occuper à l’égard d’un avocat de préciser pour quelles raisons les documents et renseignements fournis antérieurement à l’avocat présentent une connexité ou ont un lien avec la nouvelle affaire plutôt que de laisser à la Cour le soin de faire une approximation du degré de connexité (Hogarth au para 33).

[66] Les parties requérantes devaient donc préciser les raisons pour lesquelles les renseignements communiqués antérieurement à M. Goldman dans le cadre des mandats de 2014 et de 2016 présentent une connexité suffisante ou un lien suffisant avec le recours collectif envisagé, et en quoi ils peuvent porter atteinte à Dye & Durham et à DoProcess en l’espèce. De simples affirmations de similitude ou des généralités, ou un lien ténu, ne permettent pas de déclarer un avocat inhabile à occuper (Remus aux para 13–14). Il faut se pencher sur le caractère suffisant de la relation à la lumière de l’objet sous-jacent de l’enquête. Lorsque l’accent porte sur la protection des renseignements confidentiels du client, il doit y avoir des éléments de preuve démontrant qu’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements confidentiels obtenus dans le cadre du mandat antérieur puissent être utilisés contre le client d’une façon concrète dans le cadre du nouveau mandat. Dans les arrêts Martin et McKercher, la Cour suprême a indiqué que les renseignements confidentiels doivent pouvoir être utilisés au détriment du client dans la nouvelle affaire (McKercher au para 24; Martin à la p 1260; voir aussi Chapters au para 30).

b) Aucune utilisation probable de renseignements confidentiels de manière concrète

[67] En l’espèce, je ne suis pas convaincu que des renseignements pouvant être utilisés d’une façon concrète au détriment de Dye & Durham et de DoProcess dans l’actuel recours collectif envisagé — une affaire de conspiration criminelle — ont été communiqués à M. Goldman dans le cadre des mandats antérieurs — deux affaires civiles d’abus de position dominante — et qu’il serait justifié de déclarer M. Goldman inhabile à occuper. En l’espèce, Dye & Durham et DoProcess n’ont présenté rien de plus qu’une simple affirmation voulant que les relations antérieures de M. Goldman avec OneMove lui ont donné accès aux processus décisionnels stratégiques et tactiques de Dye & Durham qui ont orienté directement les demandeurs dans le recours collectif envisagé. Comme la Cour suprême l’a statué dans l’arrêt McKercher au paragraphe 54, il ne suffit pas d’établir que l’entreprise a acquis des renseignements confidentiels pouvant être utilisés de façon concrète contre le client.

[68] Les renseignements énumérés dans l’affidavit de M. Proud, qu’il prétend se souvenir avoir communiqués à M. Goldman, porte sur des principes différents et non liés du droit de la concurrence qui n’ont rien à voir avec le recours collectif envisagé en l’espèce.

[69] Pour évaluer la pertinence des renseignements relativement aux questions en cause, il est essentiel de comprendre le contenu et l’objet des dispositions juridiques en jeu. Cela nous ramène à la structure fondamentale de la Loi. La Loi adopte une approche double à l’égard du comportement anticoncurrentiel. D’une part, certains types de comportements sont considérés comme suffisamment graves pour la concurrence pour qu’il soit justifié d’imposer des sanctions pénales. Actuellement, on dénombre quelque 25 infractions criminelles dans la Loi, la plus importante étant celle qui est énoncée l’article 45 et selon laquelle il est interdit de fixer des prix et de conclure entre concurrents des accords s’apparentant à de la cartellisation. Par ailleurs, d’autres types de comportements sont uniquement considérés comme étant potentiellement anti‑concurrentiels, ne sont pas traités comme des crimes, et sont plutôt assujettis à un examen civil ainsi qu’à des sanctions éventuelles, mais uniquement s’ils ont des effets anticoncurrentiels. L’abus de position dominante est l’une de ces dispositions civiles.

[70] Le recours collectif envisagé en l’espèce porte sur la commission alléguée d’une infraction visée à l’article 45 de la Loi et sur une demande de dommages-intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi. Commet une infraction visée à l’article 45 la personne qui : (i) complote, conclut un accord ou un arrangement; (ii) avec un de ses concurrents relativement à un produit ou à un service; (iii) pour faire l’une des trois choses mentionnées au paragraphe 45(1), à savoir fixer les prix; attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés, ou contrôler la production. Puisque l’infraction décrite à l’article 45 est criminelle, il faut également démontrer l’intention criminelle ou mens rea (Jensen c Samsung Electronics Co Ltd, 2021 CF 1185 [Jensen] au para 97).

[71] Depuis l’entrée en vigueur des modifications apportées à la Loi en 2009, l’accent de l’évaluation au titre de l’article 45, et l’élément clé de la disposition, consiste à déterminer s’il y a un accord entre les concurrents (au sens du paragraphe 45(8)) en vue de se livrer à l’un des trois comportements illicites. Selon cette disposition de droit pénal, les demandeurs ne sont plus tenus d’établir que l’accord contesté a ou aura l’effet d’empêcher ou de diminuer la concurrence de manière importante. L’existence d’effets anti-concurrentiels réels ou vraisemblables n’est plus pertinente, puisque l’élément précédent qui exigeait la démonstration d’effets anticoncurrentiels précis, comme une diminution ou un empêchement « indus » de la concurrence, a été éliminé de la disposition. Il n’est plus nécessaire de prouver les effets anti-concurrentiels et le préjudice concurrentiel est désormais présumé et implicite en ce qui concerne le comportement visé à l’article 45. En d’autres termes, l’article 45 décrit trois catégories d’accords qui ont une telle probabilité de nuire à la concurrence sans apporter d’avantages proconcurrentiels qu’ils méritent d’être sanctionnés sans besoin d’enquête détaillée sur leurs effets réels à l’égard de la concurrence (Jensen au para 96; voir également Mohr c Ligue nationale de hockey, 2021 CF 488 au para 57).

[72] Ce que les demandeurs devront donc démontrer dans le recours collectif envisagé est l’existence d’un accord entre Dye & Durham et DoProcess en vue de se livrer au comportement de fixation des prix décrit dans la déclaration. Ils devront également démontrer l’intention des parties de conclure l’accord allégué — au moment où Dye & Durham a acquis DoProcess —, et l’intention coupable, ou mens rea, de convenir du comportement illicite. Aucune question liée à l’évaluation du marché, au comportement anti-concurrentiel, aux conditions du marché, ou à la diminution importante de la concurrence n’est soulevée au titre de l’article 45 de la Loi.

[73] À titre comparatif, la plainte fondée sur l’article 79, qui animait les deux mandats antérieurs concernant M. Goldman, se distingue entièrement du recours collectif envisagé. Une plainte concernant un abus de position dominante allégué fondée sur l’article 79 de la Loi ne peut être faite que si une pratique d’agissements anti-concurrentiels est établie et que si on peut prouver que les agissements ont eu ou auront vraisemblablement « pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence ». Dans le contexte d’une plainte d’abus de position dominante, il est manifeste que les questions telles que la définition du marché, les effets anti‑concurrentiels et le comportement des concurrents sont centrales et déterminantes quant à l’issue de la plainte.

[74] Contrairement aux allégations de Dye & Durham et de DoProcess, il est donc très pertinent qu’une plainte d’abus de position différente concerne un cadre juridique considérablement différent de celui d’une allégation fondée sur l’article 45. La question de savoir si les deux questions présentent une « connexité suffisante » doit être évaluée par rapport aux questions réelles à trancher dans les deux affaires et être orientée par les questions en litige.

[75] À la lumière de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que les renseignements reçus par M. Goldman dans le cadre du mandat de 2014 et de la plainte d’abus de position dominante de 2016 — dans le contexte de mandats portant sur une allégation d’abus de position dominante — présentent une « connexité suffisante » avec les questions soulevées dans le recours collectif envisagé et qu’ils peuvent être utilisés contre Dye & Durham et de DoProcess d’une « façon concrète » dans la nouvelle action. Malgré les observations judicieuses formulées par l’avocat de Dye & Durham sur ce point, je ne saurais conclure que les renseignements généraux sur le marché des logiciels de cession de biens immobiliers, sur l’entreprise et les produits de OneMove, ou sur les opinions de OneMove à l’égard de ses concurrents ou sur les conditions du marché présentent une « connexité suffisante » avec les questions en litige dans le recours collectif envisagé. Ils ne font pas partie du contexte factuel orientant directement Cartel & Bui dans son recours collectif envisagé contre Dye & Durham et DoProcess. Plus particulièrement, aucun des renseignements ne se rapporte à un accord allégué concernant Dye & Durham ou DoProcess, ou à leur intention à cet égard.

[76] On pourrait dire qu’il est possible que les renseignements issus des mandats antérieurs puissent avoir une pertinence périphérique, mais l’argument sonne théorique et spéculatif. À mon avis, une possibilité éloignée qu’une partie des renseignements « puisse » avoir une certaine pertinence contextuelle ne suffit pas pour satisfaire à l’exigence du premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Martin, notamment en l’absence d’un élément de preuve quelconque quant à l’effet préjudiciable ou nuisible éventuel d’un tel renseignement sur le client.

[77] J’ajouterais qu’il ne s’agit pas non plus d’une situation où M. Goldman tente de miner les conseils juridiques qu’il a prodigués à la société OneMove, qui a été remplacée par Dye & Durham. La question en litige — et la principale question déterminante — dans le recours collectif envisagé sera l’existence d’un accord visant à fixer les prix conclu entre Dye & Durham et DoProcess, ainsi que leur intention de conclure un tel accord. Cela s’éloigne du comportement anti-concurrentiel allégué de DoProcess, lequel était à l’origine de la plainte d’abus de position dominante dans le cadre des mandats antérieurs.

[78] Aucun élément de preuve n’appuie la thèse voulant que M. Goldman ou Cartel & Bui puissent utiliser des renseignements confidentiels obtenus dans le cadre du mandat de 2014 ou de la plainte d’abus de position dominante de 2016 au détriment de Dye & Durham ou de DoProcess dans le recours collectif envisagé en l’espèce (McKercher au para 24).

[79] Je dois trancher cette question relative aux affaires qui présentent une « connexité suffisante » en m’appuyant sur les éléments de preuve dont je suis saisi et selon la prépondérance des probabilités, et aucun élément de preuve clair et convaincant n’a été présenté pour déclarer l’inhabilité à occuper de M. Goldman ou de Cartel & Bui.

[80] La présente espèce se distingue facilement des affaires Chapters et GCT sur lesquelles s’appuient Dye & Durham et DoProcess. Dans l’affaire Chapters, il était manifeste que les questions que le Bureau devait trancher dans la nouvelle affaire seraient les mêmes que dans l’instance antérieure et que le [traduction] « même type de renseignements » devait donc être traité (Chapters au para 35). Dans a nouvelle affaire, le cabinet d’avocat Davies agissait pour le compte d’une entité appelée Trilogy dans le contexte d’une offre non sollicitée relativement aux actions de Chapters. Dans le mandat antérieur, Davies avait agi pour le compte de Coles lorsque Smith en a fait l’acquisition et les deux sociétés ont fusionné pour former Chapters. Les deux affaires portaient sur des opérations qui étaient assujetties aux mêmes dispositions de la Loi, où les effets anti-concurrentiels des opérations constituaient la question centrale, et où le Bureau devait déterminer si une diminution importante de la concurrence était vraisemblable. La preuve a démontré qu’il existait une possibilité raisonnable que Davies ait reçu dans le cadre du mandat de Chapters des renseignements confidentiels qui pouvaient être directement pertinents en ce qui concerne l’affaire Trilogy (Chapters au para 37).

[81] Dans GCT, il y avait également une preuve claire et convaincante que l’avocat avait obtenu des renseignements confidentiels liés aux questions en litige entre les parties.

[82] Ce n’est pas le cas en l’espèce. Je ne relève aucun élément de preuve clair et convaincant voulant que la possibilité que des renseignements confidentiels pertinents aient été acquis soit réaliste et non pas seulement théorique (Chapters au para 48 à 50). Aucun des renseignements qui auraient fait l’objet de discussions dans le cadre des mandats de 2014 et de 2016 et décrits par M. Proud ne se rapporte à un accord existant ou potentiel entre Dye & Durham et DoProcess dans le contexte de l’acquisition de 2022, ou à l’état d’esprit des deux parties concernant un tel accord potentiel. En fait, Dye & Durham et DoProcess n’ont présenté aucun élément de preuve démontrant pour quelle raison et à quel égard les renseignements confidentiels qui auraient été obtenus au cours des deux premiers mandats présentaient une connexité ou étaient liés au recours collectif envisagé en l’espèce (Hogarth au para 33; Remus au para 14).

[83] Dye & Durham et DoProcess font valoir que l’opinion de M. Proud concernant le marché concurrentiel, laquelle a été communiquée à M. Goldman, a un rôle à jouer dans l’établissement de la prévisibilité de l’issue de l’accord au titre de l’article 45 de la Loi — c’est-à-dire, l’élément mens rea de l’infraction. Elles font valoir que M. Goldman a admis cette pertinence au paragraphe 30 de son affidavit, dans lequel il a affirmé que [traduction] « [t]outes les allégations contenues dans la déclaration concernant le marché pour la prestation de plateformes logicielles de cession de biens immobiliers au Canada ne sont pertinentes qu’en ce qui concerne la prévisibilité de l’issue de l’accord contesté, c’est-à-dire, la mens rea d’une infraction prévue à l’article 45 de la Loi sur la concurrence ». En outre, elles laissent entendre que les renseignements sur le marché peuvent être pertinents en ce qui concerne l’évaluation des préjudices au titre de l’article 36 de la Loi.

[84] En toute déférence, je n’estime pas que cela constitue une preuve « claire et convaincante » d’une connexité suffisante avec le recours collectif envisagé, ou qu’une telle connexité suffit à justifier une déclaration d’inhabilité à occuper à l’encontre de Cartel & Bui. Pour que les renseignements « puissent être utilisés contre le client de façon concrète » (McKercher au para 54), il faut qu’il y ait une possibilité réaliste que les renseignements puissent être utilisés contre le client dans la nouvelle affaire pour que l’exigence relative au caractère concret soit satisfaite. En l’espèce, l’avocat de Dye & Durham et de DoProcess a admis qu’il n’y a aucun moyen de savoir, à ce stade-ci de l’instance, si les renseignements issus des mandats antérieurs peuvent être utilisés ou non en raison de l’absence de jurisprudence sur le sujet. Cela sert uniquement à démontrer l’aspect théorique de la pertinence alléguée par les défenderesses. Qui plus est, la mens rea relative à un accord illicite au sens de l’article 45 découle de l’accord, et est satisfaite lorsqu’il est démontré que les concurrents ont intentionnellement conclu l’accord dont l’existence est avérée.

[85] D’après le dossier dont je suis saisi, je ne relève aucun élément de preuve clair et convaincant pouvant démontrer qu’il existe une possibilité réelle que tout renseignement possiblement communiqué à M. Goldman puisse être utilisé contre Dye & Durham et DoProcess dans le recours collectif envisagé.

[86] La détermination de l’existence de conflits d’intérêts est ancrée dans les faits (GCT au para 34). Sans rien de plus que des affirmations générales sur la nature des renseignements communiqués, comme les opinions de OneMove quant aux conditions du marché qui faciliteraient un marché plus significativement concurrentiel, il serait inapproprié de s’ingérer dans le droit des demandeurs de choisir leur avocat.

[87] Les circonstances des événements décrits par M. Proud auraient dû lui permettre, sans révéler les détails, de présenter plus que des allégations générales sur la nature des renseignements communiqués et sur façon dont ils se rapportent au présent recours collectif envisagé (Chingee aux para 49–50). En l’espèce, Dye & Durham et DoProcess n’offrent [traduction] « rien de plus qu’une simple affirmation selon laquelle la relation passée » a permis l’accès à un certain nombre de renseignements (Salager au para 58). Elles n’ont pas établi que les mandats antérieurs et le recours collectif envisagé sont suffisamment liés pour donner lieu à une présomption selon laquelle OneMove a communiqué à M. Goldman des renseignements confidentiels utiles en ce qui concerne le recours collectif envisagé en l’espèce. Les renseignements à propos de l’entreprise et des produits de OneMove ainsi que le comportement anti-concurrentiel de DoProcess ne satisfont pas à l’exigence relative à la preuve « claire et convaincante » exigée pour déclarer l’avocat choisi par les demandeurs inhabile à occuper. Un membre du public impartial et raisonnablement informé ne conclurait pas que la bonne administration de la justice exige qu’une déclaration d’inhabilité à occuper soit prononcée à l’égard de Cartel & Bui. Les renseignements sur le marché, le comportement anti‑concurrentiel allégué ainsi que le positionnement commercial de OneMove et de DoProcess sur lesquels s’appuient les parties requérantes dans leurs documents sont tous sans pertinence en ce qui concerne la détermination objective qui devra être faite dans le recours collectif envisagé concernant un accord illicite visant à se livrer à l’un des comportements illicites visés à l’article 45 de la Loi.

[88] Je ne remets pas en question le fait que l’intérêt associé à la protection et à la promotion de l’intégrité du système judiciaire l’emporte sur toutes les difficultés occasionnées aux clients lorsqu’ils sont tenus de retenir les services de différents avocats (GCT au para 116). Cependant, la partie requérante est néanmoins tenue de présenter une preuve claire et convaincante que des renseignements confidentiels obtenus sont pertinents et présentent une connexité suffisante avec l’affaire en cause. Dans la décision MediaTube, au paragraphe 115, la Cour s’est fondée sur les paragraphes 13 et 14 de la décision Remus, dans laquelle la Cour supérieure de l’Ontario a mentionné qu’il incombait à une partie qui cherche à faire déclarer un avocat inhabile à occuper de [traduction] « préciser pour quelles raisons les documents et renseignements fournis antérieurement à l’avocat présentent une connexité ou ont un lien avec la nouvelle affaire plutôt que de laisser à la Cour le soin de faire une approximation du degré de connexité » (Remus au para 14).

[89] En l’espèce, j’estime que Dye & Durham et DoProcess n’ont présenté aucune « preuve claire et convaincante » concernant la pertinence suffisante des renseignements qui auraient été communiqués à M. Goldman dans des événements antérieurs. En fait, on compte plutôt sur la Cour « pour faire une approximation du degré de connexité ». Cela ne suffit pas pour établir la présomption qui est énoncée dans l’arrêt Martin.

[90] En résumé, Dye & Durham et DoProcess ne sont pas parvenues à établir que les mandats antérieurs auxquels M. Goldman a participé présentent une connexité suffisante avec le recours collectif envisagé en l’espèce. Elles n’ont pas réussi non plus à prouver que des renseignements confidentiels ont bel et bien été communiqués à M. Goldman. Dans les circonstances de la présente espèce, je ne suis pas convaincu qu’un membre du public raisonnablement informé — c.-à-d. une personne qui connaît la distinction entre un accord illicite allégué visé par l’article 45 de la Loi et un abus de position dominante visé par l’article 79 de la Loi — croirait que des renseignements confidentiels présentant une connexité suffisante avec le collectif envisagé ont été communiqués à M. Goldman dans le contexte du mandat de 2014 ou de la plainte d’abus de position dominante de 2016 (Martin à la p 1260).

(4) Risque d’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels

[91] Le risque d’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels correspond au deuxième volet de l’analyse effectuée dans l’arrêt Martin, mais il n’est pas nécessaire que la Cour se penche sur celui-ci dans les circonstances. Étant donné qu’il n’y a aucun élément de preuve selon lequel des renseignements confidentiels pertinents ont été communiqués à M. Goldman, il n’existe aucun risque d’utilisation à mauvais escient de tels renseignements.

C. Déclaration d’inhabilité à occuper visant Cartel & Bui

[92] À la lumière de mes conclusions précédentes, il n’y a aucun conflit d’intérêts rendant Cartel & Bui inhabile à occuper et il n’y a aucun motif de formuler une déclaration d’inhabilité à occuper à son égard.

IV. Conclusion

[93] D’après le dossier dont je suis saisi, je ne suis pas convaincu que des renseignements confidentiels ont été communiqués à M. Goldman dans le cadre du mandat de 2014 ou de la plainte d’abus de position dominante de 2016. En outre, je ne suis pas convaincu que les mandats antérieurs et la participation de M. Goldman auprès de OneMove et aux questions en litige dans le recours collectif envisagé présentent une connexité suffisante. Il en découle que je ne saurais conclure que des renseignements confidentiels ont été communiqués par OneMove à M. Goldman ou par M. Goldman à Cartel & Bui. Par conséquent, ni M. Goldman ni Cartel & Bui ne se trouvent dans une situation de conflit d’intérêts, et Cartel & Bui est apte à continuer de représenter les demandeurs dans le recours collectif envisagé.

[94] La requête visant à faire déclarer Cartel & Bui inhabile à occuper est donc rejetée avec dépens.

[95] À la suite de l’audition de la présente espèce le 6 octobre 2022, les parties se sont consultées sur la question des dépens, conformément à la demande de la Cour. Les parties requérantes (Dye & Durham et DoProcess) et Cartel & Bui ont informé la Cour qu’elles ont convenu que les dépens de la présente requête devraient être fixés à 11 000 $ (incluant les débours et les taxes), payables à la partie ayant gain de cause.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-855-22

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête est rejetée.

  2. Des dépens d’un montant forfaitaire global convenu de 11 000 $ sont adjugés aux demandeurs.

« Denis Gascon »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-855-22

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JOHN PAUL INGARRA, KYLE PINNELL, PAUL TANTALO et 5046013 ONTARIO INC. c DYE & DURHAM LIMITED, OMERS INFRASTRUCTURE MANAGEMENT INC. et DOPROCESS LP

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 OCTOBRE 2022

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Michael L. Shell

POUR LA PARTIE INTIMÉE

CARTEL & BUI LLP

Sean Dewart

POUR LA PARTIE INTIMÉE

THE LAW OFFICE OF CALVIN GOLDMAN, K.C.

Nicholas J. Cartel

Glenn M. Brandys

Pour les DEMANDEuRS

Robert W. Staley

Emrys C. Davis

Douglas A. Fenton

Pour les DÉFENDERESSES

DYE & DURHAM LIMITED ET DOPROCESS LP

Akiva Stern

Pour la défenderesse

OMERS INFRASTRUCTURE MANAGEMENT INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MICHAEL L. SHELL LITIGATION

Toronto (Ontario)

POUR LA PARTIE INTIMÉE

CARTEL & BUI LLP

DEWART GLEASON LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA PARTIE INTIMÉE

THE LAW OFFICE OF CALVIN GOLDMAN, K.C.

CARTEL & BUI LLP

Toronto (Ontario)

Pour les DEMANDEURS

BENNETT JONES LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

DYE & DURHAM LIMITED ET DOPROCESS LP

MCCARTHY TÉTRAULT SRL

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

OMERS INFRASTRUCTURE MANAGEMENT INC.

 

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