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Date : 20060713

Dossier : IMM-7169-05

Référence : 2006 CF 870

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2006

En présence de Monsieur le juge Shore

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

JEAN SAID KAAIB

LUCIA ABLAHAD TOURANY

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]                Il est bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l'espèce à celle de la Commission, qui a l'avantage non seulement de voir et d'entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d'expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l'allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d'enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu'elle en est venue à cette conclusion "sans tenir compte des éléments dont [elle disposait]" : voir, par exemple, Rajapakse c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1993] A.C.F. no 649 (C.F. 1re inst.) ; Sivasamboo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1995] 1 C.F. 741 (C.F. 1re inst.).

La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

[...]

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

Comme spécifié par le juge John Evans dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL) » .

Selon la jurisprudence citée, c'est le caractère contradictoire de la preuve qui donne naissance à l'obligation de l'analyser et de la commenter.

En l'espèce, il n'y a aucun doute que la preuve documentaire déposée par la représentante du ministre comportait plusieurs éléments qui pouvaient, si crus, compromettre la crainte bien fondée de l'intimé.

[...]

Ces deux aspects, soit le défaut d'analyser la preuve contradictoire et le défaut de se pencher sur la crainte subjective de l'intimé, attirent l'intervention de la Cour et l'obligent à casser la décision de la SSR.

Comme dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Nseme, 2002 CFPI 261, [2002] A.C.F. no 330 (QL), décidé par le juge François Lemieux.

NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi) à l'encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), datée du 4 novembre 2005, selon laquelle les défendeurs sont des réfugiés au sens de la Convention, conformément à l'article 96 de la Loi.

FAITS

[3]                Les défendeurs, M. Jean Said Kaaib, âgé de 72 ans, et Mme Lucia Ablahad Tourany, âgé de 76 ans, sont nés en Syrie. Ils sont tous deux citoyens du Liban.

[4]                En 1998, Mme Tourany est venue au Canada pour la première fois. Elle a ensuite fait d'autres voyages au Canada avant de venir de façon définitive en juin 2004.

[5]                Pour sa part, M. Kaaib est arrivé au Canada le 17 août 2004.

[6]                Le 3 mars 2005, M. Kaaib et Mme Tourany ont demandé l'asile, alléguant une crainte à l'encontre du Liban exclusivement.

[7]                Le 4 août 2005, le Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration a déposé des éléments de preuve démontrant que M. Kaaib et Mme Tourany ont déclaré être nés en Syrie et que, lors de son premier voyage au Canada, Mme Tourany aurait utilisé un passeport syrien.

[8]                Le 8 septembre 2005, la Commission a tenu une audience relativement à la demande d'asile de M. Kaaib et Mme Tourany.

DÉCISION CONTESTÉE

[9]                La Commission a accordé la demande d'asile de M. Kaaib et Mme Tourany. Elle a conclu qu'ils sont des réfugiés au sens de la Convention au motif qu'ils se sont déchargés de leur fardeau d'établir une crainte bien fondée de persécution à l'égard du Liban.

[10]            La Commission n'a fait aucune analyse quant à la possible citoyenneté syrienne de M. Kaaib et Mme Tourany et du risque auxquels ils feraient face en Syrie.

QUESTION EN LITIGE

[11]            La Commission a-t-elle erré en omettant de déterminer si M. Kaaib et Mme Tourany étaient des citoyens de la Syrie ou pouvaient acquérir la citoyenneté de ce pays par l'accomplissement de simples formalités?

ANALYSE

Cadre législatif

[12]            L'alinéa 95(1)b) de la Loi précise que l'asile est la protection conférée lorsque la section de protection reconnaît à une personne la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger.

95.       (1) L'asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

a) sur constat qu'elle est, à la suite d'une demande de visa, un réfugié ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d'un permis de séjour délivré en vue de sa protection;

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

95.       (1) Refugee protection is conferred on a person when

(a) the person has been determined to be a Convention refugee or a person in similar circumstances under a visa application and becomes a permanent resident under the visa or a temporary resident under a temporary resident permit for protection reasons;

(b) the Board determined the person to be a Convention refugee or a person in need of protection; or

(c) except in the case of a person described in subsection 112(3), the Minister allows an application for protection.

[13]            Selon l'article 96 de la Loi, une personne est un réfugié si elle craint d'être persécutée en raison de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social ou ses opinions politiques :

96.       A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96.       A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[14]            Le paragraphe 97(1) de la Loi se lit comme suit :

97.       (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i)                   elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii)                 elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii)                la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv)               la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97.       (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i)                   the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii)                 the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii)                the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv)               the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

            Norme de contrôle

[15]            Il s'agit en l'espèce d'une question de fait, qui implique que la révision se fait selon la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable (M.R.A. v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2006 FC 207, [2006] F.C.J. No. 252 (QL), aux paragraphes 6-7; Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 126, [2005] A.C.F. no 603 (QL), aux paragraphes 17-18; L.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 467, [2005] A.C.F. no 566 (QL), au paragraphe 7).

La Commission a-t-elle erré en omettant de déterminer si M. Kaaib et Mme Tourany étaient des citoyens de la Syrie ou pouvaient acquérir la citoyenneté de ce pays par l'accomplissement de simples formalités?

[16]            Compte tenu de la preuve qui lui avait été présentée, la Commission a commis une erreur en omettant de déterminer si M. Kaaib et Mme Tourany détenaient la citoyenneté syrienne ou pouvaient l'obtenir par l'accomplissement de simples formalités.

[17]            Conformément aux articles 96 et 97 de la Loi, lorsqu'elle tranche une demande d'asile, la Commission doit déterminer si la personne concernée a démontré une crainte bien fondée de persécution ou l'existence d'un risque de torture, de menace à sa vie ou de traitement ou peine cruels et inusités pour chacun de ses pays de citoyenneté.

[18]            Le même principe était applicable en vertu de l'ancienne loi, la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c. I-2. En effet, bien que sous cette loi, le libellé de la disposition définissant la notion de « réfugié au sens de la Convention » n'était pas aussi clair que celui de la présente Loi, la jurisprudence était à l'effet que les revendications du statut de réfugié devaient démontrer une crainte bien fondée de persécution à l'égard de chacun de leur pays de citoyenneté, considérant le caractère supplétif de la protection internationale. (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Akl, [1990] A.C.F. no 254 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 3; Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] 2 R.C.S. no 74 (QL), au paragraphe 89; Williams, précité, aux paragraphes 19-20.)

[19]            Dans le présent cas, M. Kaaib et Mme Tourany demandaient l'asile à l'égard du Liban exclusivement. La Commission a déterminé qu'ils avaient démontré l'existence d'une crainte bien fondée de persécution à l'égard de ce pays et a conclu en conséquence qu'ils étaient des réfugiés au sens de la Convention.

[20]            Cependant, la preuve déposée par le Ministre démontrait que M. Kaaib et Mme Tourany avaient déclaré être nés en Syrie (Demandes de dispense de visa immigrant, Dossier du tribunal, aux pages 110 et 121) et que, lors de l'un de ses voyages précédents au Canada, Mme Tourany avait utilisé un passeport syrien (Notes FOSS, Dossier du tribunal, aux pages 136-137). Ces éléments de preuve permettaient de croire que M. Kaaib et Mme Tourany pouvaient être citoyens de la Syrie.

[21]            En effet, d'une part, plusieurs États accordent la citoyenneté ou donnent droit à la citoyenneté du fait de la naissance en leur territoire (voir par exemple l'article 3 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, c. C-29; Williams, précité). Donc, le fait que M. Kaaib et Mme Tourany soient nés en Syrie était un indice selon lequel ils pouvaient être citoyens de ce pays.

[22]            D'autre part, le fait que Mme Tourany ait détenu un passeport syrien permettait de présumer qu'elle était citoyenne de ce pays. Le juge James O'Reilly a d'ailleurs rappelé ce principe dans l'affaire Mathews c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1387, [2003] A.C.F. no 1777 (QL), au paragraphe 11 :

Je ne suis pas convaincu que l'interprétation de l'avocat quant au statut de citoyen indien soit juste. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas à me prononcer sur cette question. La Commission a fondé sa conclusion (que l'avocat des demandeurs l'exhortait alors à tirer) sur le fait que les garçons avaient voyagé avec des passeports indiens. Le détenteur d'un passeport d'un pays donné est présumé être citoyen de ce pays : Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, au paragraphe 93. À moins qu'il fasse l'objet d'une contestation, le passeport est une preuve de la nationalité de son détenteur : Adar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 695 (QL) (1re inst.).[...]

[23]            Compte tenu des éléments de preuve déposés par le Ministre, la Commission se devait de déterminer si M. Kaaib et Mme Tourany détenaient la citoyenneté syrienne car, si telle était le cas, elle avait l'obligation d'analyser la question de savoir s'ils éprouvaient une crainte bien fondée de persécution à l'égard de la Syrie ou s'ils pouvaient être l'objet d'un risque identifié à l'article 97 de la Loi s'ils retournaient dans ce pays.

[24]            De plus, dans l'éventualité où M. Kaaib et Mme Tourany ne détenaient pas la citoyenneté syrienne, compte tenu de la preuve qu'elle avait devant elle, la Commission se devait également de déterminer s'ils pouvaient acquérir la citoyenneté syrienne par l'accomplissement de simples formalités.

[25]            En effet, la Cour d'appel fédérale a déclaré dans l'affaire Williams, précité, aux paragraphes 19-23 :

Il est acquis aux débats que la qualité de personne à protéger est refusée s'il est démontré qu'au moment de l'audience le demandeur a le droit, par de simples formalités, d'acquérir la citoyenneté (ou la nationalité, les deux termes étant employés de façon interchangeable dans ce contexte) d'un pays déterminé à l'égard duquel il n'a aucune crainte fondée d'être persécuté.

Ce principe découle d'une longue suite de décisions commençant par les arrêts rendus par notre Cour dans les affaires Canada (Procureur général) c. Ward, [1990] 2 C.F. 667 (C.A.F.), et Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Akl (1990), 140 N.R. 323 (C.A.F.), dans lesquels il a été jugé que, si un demandeur d'asile possède la citoyenneté de plusieurs pays, il doit démontrer qu'il a raison de craindre d'être persécuté dans chacun des pays dont il a la citoyenneté avant de pouvoir demander l'asile dans un pays dont il n'est pas un ressortissant. Notre décision dans l'affaire Ward a été confirmée par la Cour suprême du Canada (précité, au paragraphe 12) et ce principe a finalement été consacré par la Loi, à l'article 96, qui parle de « tout pays dont elle a la nationalité » .

Dans un autre jugement rendu avant que la Cour suprême du Canada ne rende l'arrêt Ward, le juge Rothstein (alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale) a, dans l'affaire Bouianova c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 67 F.T.R. 74, élargi la portée de l'arrêt Akl de notre Cour. Il a déclaré que si, au moment de l'audience, le demandeur a le droit d'acquérir la citoyenneté d'un pays déterminé en raison de son lieu de naissance et que cette acquisition peut se matérialiser par l'accomplissement de simples formalités, ne permettant pas ainsi à l'État en question de refuser de lui accorder la qualité revendiquée, le demandeur est censé se réclamer de la protection de cet État et se verra refuser la qualité de réfugié au Canada sauf s'il démontre qu'il craint avec raison d'être persécuté également dans cet autre pays dont il a la nationalité.

Je souscris entièrement aux motifs du juge Rothstein et en particulier au passage suivant, à la page 77 :

Le fait de ne pas avoir de nationalité ne doit pas relever du contrôle d'un [demandeur].

Le véritable critère est, selon moi, le suivant : s'il est en son pouvoir d'obtenir la citoyenneté d'un pays pour lequel il n'a aucune crainte fondée d'être persécuté, la qualité de réfugié sera refusée au demandeur. Bien que des expressions comme « acquisition de la citoyenneté de plein droit » ou « par l'accomplissement de simples formalités » aient été employés, il est préférable de formuler le critère en parlant de « pouvoir, faculté ou contrôle du demandeur » , car cette expression englobe divers types de situations. De plus, ce critère dissuade les demandeurs d'asile de rechercher le pays le plus accommodant, une démarche qui est incompatible avec l'aspect « subsidiaire » de la protection internationale des réfugiés reconnue dans l'arrêt Ward et, contrairement à ce que l'avocat de l'intimé a laissé entendre, ce critère ne se limite pas à de simples formalités comme le serait le dépôt de documents appropriés. Le critère du « contrôle » exprime aussi une idée qui ressort de la définition du réfugié, en l'occurrence le fait que l'absence de « volonté » du demandeur à accomplir les démarches nécessaires pour obtenir la protection de l'État entraîne le rejet de sa demande d'asile à moins que cette absence s'explique par la crainte même de persécution. Le paragraphe 106 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié précise bien que « [c]haque fois qu'elle peut être réclamée, la protection nationale l'emporte sur la protection internationale » . Dans l'arrêt Ward, à la page 752, la Cour suprême du Canada fait observer, à la page 752, que « [l]orsqu'il est possible de l'obtenir, la protection de l'État d'origine est la seule solution qui s'offre à un demandeur » .

Le principe énoncé par le juge Rothstein dans la décision Bouianova est suivi et appliqué depuis au Canada. Il importe peu que la citoyenneté d'un autre pays ait été obtenue de naissance, par naturalisation ou par succession d'États, pourvu que le demandeur ait la faculté de l'obtenir. (Les dernières décisions à cet égard sont celle du juge Kelen dans l'affaire Barros c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CF 283, et celle de la juge Snider dans l'affaire Choi c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 291.)

[26]            Dans l'affaire Bouianova c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no576 (QL), aux paragraphes 10-12, le juge Marshall Rothstein a affirmé ce qui suit par rapport à la décision dans Akl, précité :

Dans l'arrêt M.E.I. c. Adnan Omar Akl, No du greffe A-527-89, du 6 mars 1990, la Cour d'appel fédérale a dit :

          Dans l'affaire Ward, sur cette question, la Cour a conclu à l'unanimité que le « demandeur du statut de réfugié doit établir qu'il ne peut ou ne veut se réclamer d'aucun des pays dont il a la nationalité » pour que sa demande soit accueillie..

La requérante soutient que l'arrêt Akl, précité, ne s'applique pas en l'espèce parce que dans cet arrêt le requérant était un citoyen de deux pays et ne voulait simplement pas retourner dans l'un de ceux-ci bien qu'il ne craignait pas d'y être persécuté, alors qu'en l'espèce, la requérante ne détient pas la citoyenneté russe. Toutefois, je crois que l'avocat de la requérante interprète l'arrêt Akl de manière trop restreinte. À mon avis, l'arrêt Akl est suffisamment général pour viser la situation d'une requérante qui, en raison de son lieu de naissance, a le droit d'être citoyenne d'un pays en particulier, si elle satisfait à des exigences qui sont de simples formalités.

Selon moi, le statut d'apatride n'est pas laissé au choix d'un requérant. Le fait de ne pas avoir de nationalité ne doit pas relever du contrôle d'un requérant. Autrement, une personne pourrait revendiquer le statut d'apatride simplement en renonçant à son ancienne citoyenneté. Une telle situation rendrait alors inutiles les dispositions de la définition de réfugié au sens de la convention qui exigent la démonstration par une personne qu'elle ne peut ou ne veut retourner dans le pays dont elle est une ancienne citoyenne en raison d'une crainte raisonnable d'être persécutée. La définition ne devrait pas être interprétée de manière à rendre certains de ses termes inutiles ou redondants. En l'espèce, la requérante a présenté une interprétation excessivement technique de la définition de réfugié au sens de la Convention. À mon avis, la définition ne devrait pas être appliquée sur le fondement d'une telle position technique.

[27]            Après tout, tel qu'énoncé par le juge Michael Kelen, dans l'affaire De Barros v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 283, [2005] F.C.J. No. 361 (QL), au paragraphe 9, la protection internationale est accordée à des individus qui ne peuvent obtenir la protection de leur pays de citoyenneté ou de résidence; elle n'est pas accordée à des individus qui peuvent obtenir la citoyenneté d'un autre pays par de simples formalités :

The basic principle of refugee law is to grant status to those requiring surrogate protection and not to those who have a ready and automatic right to another country's nationality and protection. Grygorian v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 52 (F.C.T.D.). Accordingly, a person who is able to obtain citizenship in another country by complying with mere formalities is not entitled to avail themselves of protection in Canada. Bouianova v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] F.C.J. No. 576.

CONCLUSION

[28]            En conclusion, compte tenu de tout ce qui précède, la Commission a commis une erreur en omettant d'analyser la question de savoir si M. Kaaib et Mme Tourany sont des citoyens de Syrie ou pouvaient obtenir cette citoyenneté par l'accomplissement de simples formalités. Cette demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et la décision est renvoyée à la Commission pour réexamen et redétermination par un panel différemment constitué.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et l'affaire soit retournée pour redétermination par un panel autrement constitué.

Obiter

Suite à un début de preuve qui a eu lieu en première instance, c'est au décideur de cette première instance de se pencher sur la question en doute concernant la citoyenneté. C'est même possible que le résultat ou la conclusion du tribunal de première instance demeurera pareil à cause de l'histoire de la région concernant la souveraineté (ou le manque de la souveraineté) des pays et l'octroie de la citoyenneté à l'époque envisagée (les années 30 du siècle précédent); mais, cette matière ne peut pas rester sans réponse à cause des conséquences légales qui découleront de la citoyenneté, en elle-même, une fois résolue.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7169-05

INTITULÉ :                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION c.

                                                            JEAN SAID KAAIB et

                                                            LUCIA ABLAHAD TOURANY

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 5 juillet 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                       le 13 juillet 2006

COMPARUTIONS:

Me Marie-Claude Paquette

POUR LE DEMANDEUR

Me Anthony Karkar

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

ANTHONY KARKAR

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

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