Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060727

Dossier : IMM-7491-05

Référence : 2006 CF 928

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2006

En présence de Monsieur le juge Harrington

ENTRE :

RAUL DANIEL MARTINEZ DORADO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

[1]                L'amour des jeunes et la désapprobation des parents est un thème universel. Le jeune Raul Daniel, âgé de 15 ans, était follement amoureux de sa petite amie, Ana. Un jour, en la raccompagnant chez elle, il a fait la connaissance du père d'Ana. Ce dernier a interdit au Raul Daniel de revoir sa fille, et l'a averti de s'éloigner d'elle, sinon il le regretterait. Pour s'assurer que Raul Daniel avait bien compris le message, il lui tira les cheveux. Le père d'Ana n'était pas sans influence. Il était le directeur des enquêtes de la Police judiciaire dans l'état de Querétaro, Mexique.

[2]                Cette romance interdite s'est poursuivie. Un jour, le jeune Raul Daniel a été tout à coup kidnappé par deux individus inconnus qui l'ont menacé et l'ont averti d'oublier Ana. De plus, ils ont tenté de le persuader de vendre de la marijuana à l'école. Quand Raul Daniel a refusé, ils ont infligé quelques brûlures à ses mains à l'aide d'une cigarette.

[3]                   Raul Daniel a persuadé sa mère de l'envoyer à une autre école, il continua néanmoins de voir Ana. Quelques mois plus tard, en se promenant ensemble dans un parc, Ana et Raul ont vu le père de celle-ci avec d'autres personnes. Un paquet a été échangé de mains et ils ont vu un des hommes l'ouvrir pour goûter le contenu. Raul Daniel a craint pour le pire.

[4]                Quelques jours plus tard, deux individus ont sauté d'une voiture afin d'accoster Raul Daniel. Il a parvenu à s'échapper à la maison d'un ami.

[5]                Heureusement pour Raul Daniel, sa mère planifiait un voyage au Canada. Craignant pour sa vie, il en a profité de l'occasion pour l'accompagner. Ayant décidé de rester avec son oncle à Montréal, à la fin du voyage il n'est pas revenu au Mexique avec sa mère.

[6]                À son arrivée, il n'a pas immédiatement réclamé la protection de réfugié parce qu'il ne savait pas qu'il avait une telle option. Il n'a fait cette réclamation qu'après avoir vu quelque chose à ce sujet dans un journal de langue espagnol à Montréal.

[7]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a décidé qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger. Dans ses motifs, la CISR s'est concentrée sur le fait que Raul Daniel n'avait pas déployé tous les efforts qu'il aurait pu pour demander la protection de l'État, et non pas sur une remise en question de la crédibilité du demandeur. La présente est un contrôle judiciaire de cette décision.

NORME DE CONTRÔLE

[8]                Depuis la décision de Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232 (QL), dans laquelle la juge Tremblay-Lamer a fait une analyse pragmatique et fonctionnelle très compréhensive, la tendance actuelle de la Cour, en ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux questions de protection de l'État, est d'appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter : Codogan v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2006 FC 739 (le juge Teitelbaum), [2006] F.C.J. No. 1032 (QL); Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 833, [2006] A.C.F. no 1046 (QL) (le juge Blais); Malik v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1189, [2005] F.C.J. No. 1453 (QL) (le juge Von Finckenstein); Muszynski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1075, [2005] A.C.F. no 1329 (QL) (la juge Dawson). Cette norme exigeante est plus favorable pour le demandeur.

ANALYSE

[9]                Peu importe la norme de contrôle, qui peut changer selon les circonstances de chaque cas (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056 (QL)), selon moi, la conclusion de la Commission que le demandeur ne s'est pas acquitté de l'obligation de montrer que la protection de l'État n'était pas disponible, est tout à fait raisonnable et ne devrait pas être dérangée.

[10]            Il est très bien établi que lorsque les représentants de l'État sont eux-mêmes à l'origine de la persécution, le demandeur peut réfuter la présomption de protection de l'État sans devoir épuiser tout recours possible au pays : Chaves, ci-dessus, au paragraphe 15; Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 944, [2004] A.C.F. no 1152 (QL), aux paragraphes 6 à 8. Cependant, « il serait exagéré de dire que dès que la personne allègue que l'agent persécuteur est la police, elle n'a plus à demander la protection de son État d'origine » : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 136, [2006] A.C.F. no 153 (QL), aux paragraphes 20 à 23. Ici, il serait question d'un agent de police corrompu, ce qui est loin d'être une situation où l'État lui-même est l'agent persécuteur. Je crois qu'il serait exagéré d'élever le père d'Ana au même titre que l'État.

[11]            Il est bien indiqué dans le dossier que lorsqu'ils ont été mis au courant de la situation, les parents du demandeur se sont rendus à la Commission de l'État pour les droits humains dans l'état de Querétaro. Elle leur a indiqué que le cas était hors de sa juridiction, mais a identifier les démarches à suivre. Cependant, les parents du demandeur ont cessé leur démarche auprès de la Commission des droits de l'homme et ne se sont pas adressés à d'autres autorités supérieures de l'État.

[12]            La CISR a identifié certains documents d'information sur le pays qui expliquaient comment déposer une plainte au criminel. Le demandeur, ou ses parents en son nom, n'avait pas l'air d'avoir peur car ils ont porté plainte à une autre organisation, la Commission de l'État pour les droits humains. Le demandeur a profité de la visite chez son oncle pour rester au Canada, sans être allé même une fois à la police au Mexique ou avoir demandé à quelqu'un d'aller pour lui.

[13]            En l'espèce, dans ce présent cas s'applique le principe général que les personnes persécutées doivent s'adresser à leur État d'origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d'autres États ne soit engagée : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 au paragraphe 18.

[14]            Le demandeur fait valoir que la CISR s'est fondée sur des documents d'information sur le pays qui n'étaient pas à jour en ce qui concerne le Mexique. Lors de l'audience devant la CISR, le demandeur a porté à son attention un document publié par cette dernière : « Mexique : protection offerte par l'État (Décembre 2003 - Mars 2005) » , et plus précisément à la section 4.3.2 « La Corruption » de ce document. Selon moi, et je suppose selon le membre de la CISR qui est présumé avoir soupesé et tenu compte de tous les éléments de preuve dont il dispose (Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (QL) (C.A.F.)), ce document n'ajoute guère aux autres documents cités dans la décision de la CISR. Ce document mentionne que bien que le gouvernement Fox ait pris plusieurs mesures destinées à combattre la corruption, les actes de corruption publique ou privée se produisaient encore de manière régulière et que les responsables de l'application de la loi au Mexique ont reconnu éprouver des difficultés à intenter des poursuites dans les affaires de corruption, et ce en raison des problèmes de détection et d'enquête. Dans le présent cas, les autorités n'ont même pas eu l'occasion d'enquêter les allégations du demandeur contre le père d'Ana parce qu'ils n'ont jamais été informés qu'il y avait un problème.

[15]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Le demandeur aura jusqu'au 1er août 2006 pour proposer une question à certifier, et le défendeur aura jusqu'au 3 août 2006 pour répondre.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7491-05

INTITULÉ :                                        RAUL DANIEL MARTINEZ DORADO c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 13 juillet 2006

MOTIFS DU JUGEMENT:             Le juge Harrington

DATE DES MOTIFS :                       Le 27 juillet 2006         

COMPARUTIONS:

Me Annick Legault

POUR LE DEMANDEUR

Me Lynne Lazaroff

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Michelle Langelier

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.