Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20240226

Dossier : T-589-22

Référence : 2024 CF 305

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 février 2024

En présence de monsieur le juge en chef Paul Crampton

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

PASS HERALD LTD.

demanderesse

et

GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE CANADA

CORPORATION, META PLATFORMS INC., FACEBOOK IRELAND

LIMITED et FACEBOOK CANADA LTD.

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS MODIFIÉS

I. Introduction

[1] La demanderesse a présenté une requête pour demander l’approbation d’un accord de financement de litige modifié (l’« AFL » ou l’« AFL modifié ») et d’une ordonnance de confidentialité concernant la version confidentielle de cet accord.

[2] La demanderesse, Pass Herald Ltd (« Pass Herald »), représente deux groupes d’éditeurs (collectivement, les « membres du groupe »). Le premier groupe (le « groupe Complot ») est composé d’éditeurs, autres que les défenderesses, qui ont vendu une impression devant être affichée dans un site Web ou une application entre le 27 septembre 2018 et la date à laquelle la présente action peut être certifiée comme un recours collectif (la « date de certification »). Le deuxième groupe (le « groupe Indications trompeuses ») est composé d’éditeurs, autres que les défenderesses, qui ont utilisé un produit ou des services publicitaires numériques (les « outils Google ») fournis par Google LLC, Google Ireland Limited, Google Canada Corporation ou leurs sociétés affiliées (collectivement, « Google ») entre le 9 février 2010 et la date de certification.

[3] En sa qualité de représentante demanderesse, Pass Herald réclame différents types de réparations, y compris des dommages‐intérêts de 4 milliards de dollars contre Google et les autres défenderesses (collectivement, « Facebook »), conjointement et solidairement, pour des manquements visés aux articles 45 à 47 de la Loi sur la concurrence, LRC (1985), c C-34 (la « Loi »). Pass Herald réclame aussi des dommages‐intérêts de 4 milliards de dollars contre Google pour des manquements visés à l’article 52 de la Loi. Ces réclamations sont présentées au titre de l’article 36 de la Loi.

[4] Le manquement visé à l’article 45 qui aurait été commis est un complot, accord ou arrangement pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix des services à payer pour obtenir le droit d’afficher une annonce publicitaire (une « impression »), soit une infraction visée à l’alinéa 45(1)a) de la Loi. Une annonce publicitaire est un type précis de publicité. Entre autres, la demanderesse soutient que, si le manquement allégué visé à l’alinéa 45(1)a) n’avait pas été commis, Facebook aurait acheté ou créé un produit en concurrence directe avec les outils Google, ce qui aurait probablement réduit les frais que Google et Facebook ont facturés aux éditeurs.

[5] La violation alléguée de l’article 46 est l’application, par les défenderesses canadiennes (Google Canada Corporation et Facebook Canada Ltd.), de certains énoncés de politique ou de certaines directives, instructions ou autres communications provenant des quatre autres défenderesses.

[6] La violation alléguée de l’article 47 est un accord ou un arrangement entre Google et Facebook pour participer à un truquage d’offres, soit un terme défini à cet article de la Loi.

[7] La violation alléguée de l’article 52 concerne le fait qu’aux fins de promouvoir l’utilisation des outils Google, Google aurait donné au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important.

[8] Pour financer le recours collectif, la demanderesse a conclu un AFL avec Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd. (« OBC ») et les avocats du groupe, Sotos LLP (les « avocats du groupe »). Entre autres, l’AFL prévoit un financement de plusieurs millions de dollars pour différents types de débours. Ces débours comprennent une analyse économique hautement spécialisée, y compris en ce qui concerne les dizaines de milliards de transactions entre les éditeurs et les annonceurs.

[9] Conformément à l’AFL, OBC aurait droit à un remboursement correspondant à 3 % du produit des réclamations, plus un coefficient des fonds qu’elle aura avancés conformément à l’accord (le « rendement d’OBC »). Ce coefficient, qui est d’au moins deux fois le montant total des fonds avancés (le « montant financé ») si le produit des réclamations est reçu dans l’année suivant la date de l’AFL, peut atteindre au plus six fois ce montant si le produit des réclamations est reçu au sixième anniversaire de cette date ou après. Si le produit des réclamations est reçu entre le premier et le troisième anniversaire de la date de l’AFL, le coefficient est de trois fois le montant financé. Si le produit des réclamations est reçu entre le troisième et le cinquième anniversaire de cette date, le coefficient est de quatre fois le montant financé. Si le produit des réclamations est reçu entre le cinquième et le sixième anniversaire de cette date, le coefficient est de cinq fois le montant financé.

[10] Le rendement d’OBC s’ajoute au remboursement du montant financé, et est plafonné à 100 millions de dollars, ce qui représente 12,5 % du montant total réclamé par la demanderesse en l’espèce.

[11] Compte tenu de ce plafond et des dispositions relatives à l’augmentation du coefficient, OBC recevrait moins de 10 % du produit des réclamations dans presque 98 % des scénarios possibles entre l’échec complet (recouvrement nul) et la victoire totale (recouvrement de 8 milliards de dollars) de la demanderesse. Si la victoire totale était établie à un recouvrement de 4 milliards de dollars, le pourcentage passerait de 98 % à 95 %.

[12] Pour les motifs qui suivent, sous une réserve, je conclus qu’il est dans l’intérêt supérieur de la justice d’approuver l’AFL modifié. Entre autres, l’AFL modifié est nécessaire pour faciliter l’accès à la justice des membres du groupe, il contribuera de façon importante à la dissuasion des actes répréhensibles, il n’est pas une champartie, et il est juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe. Je tire cette dernière conclusion sous réserve qu’elle s’applique uniquement à un rendement d’OBC équivalant tout au plus à 10 % du produit total des réclamations. Je refuse d’approuver préalablement l’AFL modifié relativement aux scénarios très limités, qui seraient très irréalistes ou improbables, selon lesquels le rendement d’OBC serait supérieur à 10 % du produit total des réclamations. Si un tel scénario se produit, la Cour évaluera alors le rendement d’OBC.

II. Les parties

A. Pass Herald

[13] Pass Herald est une société constituée en vertu des lois de l’Alberta. Elle exploite Crowsnest Pass Herald, soit un journal local à Crowsnest Pass, en Alberta.

B. Les défenderesses

[14] Les descriptions suivantes proviennent de la nouvelle déclaration modifiée.

[15] Google LLC est une société constituée en vertu des lois du Delaware. Son siège social se trouve à Mountain View, en Californie.

[16] Google Ireland Limited est une société constituée en vertu des lois de l’Irlande. Son siège social se trouve à Dublin, en Irlande. Elle fait partie du même groupe de sociétés que Google LLC.

[17] Google Canada Corporation est une société constituée en vertu des lois de la Nouvelle‐Écosse. Elle compte plusieurs bureaux en Ontario, dont un au centre-ville de Toronto. Il s’agit d’une filiale de second niveau de Google LLC.

[18] Collectivement, les trois entités décrites immédiatement ci-dessus offriraient directement ou indirectement les services des outils Google au Canada.

[19] Meta Platforms Inc. est une société constituée en vertu des lois du Delaware. Son siège social se trouve à Menlo Park, en Californie. Il s’agit de l’entreprise qui a succédé à Facebook Inc., constituée elle aussi en vertu des lois du Delaware et ayant le même siège social.

[20] Facebook Ireland Limited est une société constituée en vertu des lois de l’Irlande. Son siège social se trouve à Dublin, en Irlande. Elle fait partie du même groupe de sociétés que Meta Platforms Inc.

[21] Facebook Canada Ltd. est une société constituée en vertu des lois du Canada. Elle compte un bureau au centre-ville de Toronto. Elle fait partie du même groupe de sociétés que Facebook Inc. Il s’agit d’une filiale de second niveau de Meta Platforms Inc.

C. OBC

[22] OBC est une filiale d’Omni Bridgeway Limited (« Omni Bridgeway »). Omni Bridgeway est inscrite à la Bourse de l’Australie et se décrit comme un chef de file du marché dans la réalisation d’enquêtes, le financement et la gestion des sommes recouvrées dans le cadre de litiges. Elle compte des bureaux à Toronto et à Montréal, et sa capitalisation boursière s’élève à plus de 600 millions de dollars.

III. L’AFL

[23] OBC, Pass Herald et les avocats du groupe ont signé la version initiale de l’AFL en juin 2023. Avant de conclure cet accord, Pass Herald a sollicité et obtenu des conseils juridiques indépendants de Me Andrew Wilson, c.r., un ancien associé directeur du cabinet JSS Barristers.

[24] En termes généraux, l’AFL prévoit qu’OBC financera :

  1. les débours, jusqu’à concurrence de |millions;

  2. tous les dépens adjugés contre Pass Herald, jusqu’à concurrence de |.

[25] En échange de son engagement de financement et en cas de recouvrement de toute somme découlant des réclamations, OBC recevra, aux termes de l’AFL, le remboursement de tout montant financé et le versement du rendement d’OBC, sous réserve du plafond de 100 millions de dollars décrit ci-dessus.

[26] Conformément à l’article 3 de l’AFL modifié, tout produit des réclamations doit être distribué dans l’ordre de priorité suivant :

  1. le remboursement du montant financé;

  2. le paiement de 12,5 millions de dollars aux membres du groupe ou à Pass Herald, ou aux deux;

  3. le remboursement de tout [traduction] « coût du projet » engagé par OBC (sous réserve d’un plafond de 75 000 $), et le paiement d’honoraires liés aux dépens ordonnés par la Cour;

  4. le paiement de toute dépense liée à la mise en œuvre et à l’administration de tout règlement définitif de l’instance;

  5. le paiement, au prorata et à rang égal, des éléments suivants :

    1. les honoraires des avocats du groupe équivalant à 30 % du produit des réclamations (sous réserve de l’approbation de la Cour),

    2. le rendement d’OBC;

  6. le paiement du reste aux membres du groupe.

[27] D’après ce que je comprends, si la demanderesse n’a pas gain de cause en l’espèce ou ne parvient pas à un règlement en ce qui concerne ses réclamations, OBC ne recevra aucun rendement sur son investissement ni aucun remboursement du montant financé.

[28] Il convient également de souligner qu’OBC est tenue d’obtenir l’approbation de la Cour avant d’exercer ses droits de résiliation aux termes de l’AFL modifié.

IV. Questions en litige

[29] La requête soulève deux principales questions que la Cour doit trancher : (i) si l’AFL modifié doit être approuvé; (ii) s’il faut préserver la confidentialité des quelques modalités qui ont été caviardées dans la version publique de l’AFL modifié.

V. Analyse

A. Le critère d’approbation d’un accord de financement de litige modifié

[30] Le critère général pour approuver un accord de financement de litige devant notre Cour consiste à déterminer s’il est dans l’intérêt de la justice de le faire : Difederico c Amazon.com Inc, 2021 CF 311 au para 35 [Difederico]; Eaton c Teva Canada Limitée, 2021 CF 968 au para 19 [Eaton].

[31] Pour déterminer si ce critère est respecté, il convient de tenir compte des facteurs suivants :

i. Les exigences de base en matière de procédure et de preuve pour l’examen de l’AFL par la Cour ont‐elles été satisfaites?

ii. Le financement par des tiers est‐il nécessaire pour faciliter un accès véritable à la justice?

iii. L’AFL est‐il une champartie?

iv. L’AFL est‐il juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe?

v. L’AFL contribuera‐t‐il de façon significative à la prévention des actes répréhensibles?

vi. L’AFL nuit‐il à la relation avocat‐client, à l’obligation de l’avocat envers les membres du groupe ou à la conduite de l’instance?

vii. L’AFL protège‐t‐il les privilèges juridiques pertinents et la confidentialité des renseignements des parties?

viii. L’AFL protège‐t‐il les intérêts légitimes des défenderesses?

Difederico, au para 36; Eaton, au para 20.

[32] Une réponse négative à l’une ou l’autre des questions susmentionnées peut être fatale pour un AFL.

[33] J’aborde chacune de ces questions ci‐dessous.

B. Les exigences de base en matière de procédure et de preuve pour l’examen de l’AFL par la Cour ont‐elles été satisfaites?

[34] Les exigences de base en matière de procédure et de preuve qui doivent être respectées avant que la Cour n’examine un AFL sont les suivantes :

i. l’obtention par la demanderesse de conseils juridiques indépendants avant de conclure l’AFL;

ii. la communication rapide de l’AFL et de toute entente de mandat juridique pertinente pour la Cour;

iii. une demande rapide d’approbation de l’AFL;

iv. la présentation d’un avis raisonnable aux autres parties visées par la requête demandant l’approbation de l’AFL;

v. la remise d’une copie de l’AFL aux autres parties, sous réserve de caviardages appropriés;

vi. la présentation à la Cour d’éléments de preuve sur les circonstances générales se rapportant à l’AFL.

Difederico, au para 38; Eaton, au para 23, Houle v St. Jude Medical Inc, 2017 ONSC 5129 aux para 68‐70 et 74 [Houle 1].

[35] Je suis convaincu que chacune de ces exigences a été respectée. Ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

C. Le financement par des tiers est‐il nécessaire pour faciliter un accès véritable à la justice?

[36] Lisa Sygutek est l’une des personnes qui ont souscrit un affidavit dans le cadre de la requête. Elle est propriétaire et éditrice de Passe Herald. Dans son affidavit, Mme Sygutek affirme qu’elle s’attend à ce que [traduction] « le coût des experts indépendants et des autres débours s’élève à des millions de dollars ». Elle ajoute que Pass Herald n’a pas les moyens d’intenter d’action sans le financement par des tiers.

[37] Dans ses observations écrites, Pass Herald a souligné la complexité de l’analyse économique qui sera nécessaire pour faire avancer ses réclamations, et a ajouté que le rapport méthodologique déposé pour sa requête en autorisation compte 114 pages. Pass Herald a aussi souligné qu’elle s’attend à ce que les défenderesses contestent vigoureusement ses réclamations, car celles-ci s’attaquent à un aspect important des modèles d’affaires respectifs des défenderesses.

[38] Compte tenu de ce qui précède, Pass Herald a réitéré qu’elle n’a [traduction] « pas les moyens d’assumer le coût des débours » qui seront probablement nécessaires pour faire avancer ses réclamations, et que [traduction] « sans financement, la demanderesse ne sera pas en mesure d’intenter le recours ».

[39] Pass Herald a ajouté qu’il n’est pas possible d’obtenir un financement du Fonds d’aide aux recours collectifs (le « FARC ») de l’Ontario, car la réclamation n’a pas été présentée aux termes des lois de l’Ontario. De même, Pass Herald a affirmé qu’il n’est pas possible d’obtenir un financement du Fonds d’aide aux actions collectives du Québec, car les résidents du Québec ne représentent pas plus de 50 % des membres du groupe.

[40] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le financement par un tiers est effectivement nécessaire pour faciliter l’accès véritable de la demanderesse à la Cour afin qu’elle puisse faire avancer les réclamations présentées dans le cadre de la présente instance. Ma conclusion relative à ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

D. L’AFL est‐il une champartie?

[41] Ce facteur exige une évaluation de deux questions. La première consiste à déterminer s’il y a une preuve d’un motif inapproprié réel, par opposition à un motif qui peut être jugé inapproprié en fonction du montant du rendement envisagé par l’AFL : Difederico, au para 54. Une telle preuve n’a pas été présentée en l’espèce.

[42] La deuxième question à évaluer relativement à ce facteur consiste à savoir si le rendement d’OBC proposé dépasse la limite supérieure de ce qui pourrait être considéré comme raisonnable, juste ou proportionnel : Difederico, au para 55.

[43] Les défenderesses ont fait valoir qu’en l’absence d’un plafond exprimé en pourcentage, l’AFL n’est pas raisonnable ni proportionnel. À l’appui de cet argument, elles ont affirmé que le rendement d’OBC dépassera 10 % du produit des réclamations dans un éventail de scénarios se situant à l’extrémité inférieure du spectre des résultats possibles. Elles ont laissé entendre qu’il s’agit d’un problème particulier, car à leur avis, (i) les probabilités de réussite sont faibles en l’espèce, et (ii) il n’y a aucun motif de s’attendre à l’obtention d’un produit important dans le cadre du présent litige. Selon elles, cela s’explique, en partie, par le fait que des instances semblables ont été rejetées, du moins, en partie, aux États-Unis : p. ex. In re Google Digital Advertising Antitrust Litigation, 627 F Supp 3d 346.

[44] Je reconnais que le rendement d’OBC dépassera 10 % du produit des réclamations dans un éventail limité de scénarios. Cependant, ces scénarios représentent moins de 3 % de l’éventail des résultats possibles. Dans presque tous les autres scénarios, le rendement d’OBC serait inférieur à 10 % de la valeur des réclamations totales en l’espèce.

[45] Autrement dit, dans plus de 97 % des scénarios possibles entre un recouvrement nul et une victoire totale en ce qui concerne les dommages-intérêts de 8 milliards de dollars réclamés dans la présente instance, le rendement d’OBC serait inférieur au prélèvement invariable et non plafonné de 10 % qui s’appliquerait si la présente instance avait été introduite en vertu de la Loi sur les recours collectifs et financée par le FARC de l’Ontario : Loi sur le Barreau, LRO 1990, c L.8, art 59.3; Recours collectifs, Règl de l’Ont 771/92, art 10(3).

[46] En outre, dans presque tous les scénarios dans lesquels OBC obtiendrait un rendement supérieur à 10 % du produit des réclamations, les recouvrements auraient lieu après 36 mois. Cela s’explique par les éléments suivants : (i) les coefficients plus élevés applicables augmentent au-delà de ce moment; (ii) selon Pass Herald, la grande majorité du financement en provenance d’OBC sera avancé après 24 mois et augmenterait avec le temps jusqu’à ce que le procès sur le fond soit terminé. Pass Herald soutient que la nature du litige fait en sorte que ces scénarios (comportant un rendement d’OBC supérieur à 10 % du produit des réclamations) sont peu probables, et que leur probabilité diminue progressivement avec le temps. Cela s’explique en partie par la faible probabilité que Pass Herald dépense [traduction] « des montants de financement [supplémentaires] importants s’il devient apparent que ses réclamations ne sont pas solides ». Il ne s’agit pas d’une position déraisonnable : voir aussi Difederico, aux para 69-70. À cet égard, il convient de souligner que, dans presque tous les scénarios où le rendement d’OBC serait supérieur à 10 % du produit des réclamations, les sommes recouvrées représenteraient moins de 5 % des dommages-intérêts réclamés dans la présente instance.

[47] Au-delà de ce qui précède, je souligne que les sommes recouvrées par OBC seraient invariablement inférieures à 10 % dans les scénarios suivants :

  1. le produit des réclamations, supérieur à 125 millions de dollars, ce qui représente seulement 1,56 % du montant total réclamé, est reçu dans un délai de 36 mois. Autrement dit, dans 99,5 % des scénarios possibles dans lesquels un règlement serait obtenu dans un délai de trois ans, la somme recouvrée par OBC serait invariablement inférieure à 10 %;

  2. le produit des réclamations, supérieur à 300 millions de dollars, ce qui représente seulement 3,75 % du montant total réclamé, est reçu dans un délai de 48 mois. Autrement dit, dans 98,9 % des scénarios possibles dans lesquels un règlement serait obtenu dans un délai de quatre ans, la somme recouvrée par OBC serait invariablement inférieure à 10 %;

  3. le produit des réclamations, supérieur à 400 millions de dollars, ce qui représente seulement 5 % du montant total réclamé, est reçu dans un délai de 60 mois. Autrement dit, dans 98,3 % des scénarios possibles dans lesquels un règlement serait obtenu dans un délai de cinq ans, la somme recouvrée par OBC serait invariablement inférieure à 10 %;

  4. le produit des réclamations, supérieur à 525 millions de dollars, ce qui représente seulement 6,56 % du montant total réclamé, est reçu dans un délai de 72 mois. Autrement dit, dans 97,6 % des scénarios possibles dans lesquels un règlement serait obtenu dans un délai de six ans, la somme recouvrée par OBC serait invariablement inférieure à 10 %.

[48] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que le rendement d’OBC proposé n’est pas une champartie. Ce rendement ne dépasse pas la limite supérieure de ce qui pourrait être considéré comme raisonnable, juste ou proportionnel dans les circonstances.

[49] Je reconnais qu’il y a très peu de scénarios dans lesquels le rendement d’OBC serait supérieur au prélèvement de 10 % de référence appliqué par le FARC de l’Ontario. Toutefois, je reconnais également la valeur temporelle de l’argent, le fait que le risque d’OBC augmente avec le temps, et le fait que le rendement d’OBC, en pourcentage du produit total des réclamations, serait largement inférieur au seuil de 10 % dans la grande majorité des résultats possibles. En outre, le rendement d’OBC sera plafonné à 100 000 000 $, ce qui est environ 35 % de moins[1] que le plafond de 100 000 000 $US prévu dans l’AFL dans Difederico.

[50] Il convient aussi de souligner que dans Jensen c Samsung (7 février 2019), Ottawa T‐809-18 (CF), la Cour a approuvé un AFL qui prévoyait un rendement au bailleur de fonds du litige se situant entre 2,5 % et 15 % du produit de la réclamation. En outre, dans la décision Difederico, la Cour a approuvé un AFL prévoyant un rendement correspondant à cinq fois les fonds avancés par le bailleur de fonds ou à 10 % du produit de la réclamation, selon le montant le plus élevé, sous réserve d’un plafond de 100 000 000 $US. Autrement dit, dans chacun de ces cas, il y avait des scénarios dans lesquels le rendement en pourcentage au bailleur de fonds du litige pouvait être supérieur à 10 %.

[51] Je reconnais également que l’utilisation de coefficients, au lieu d’un pourcentage du produit total de la réclamation, peut soulever des questions à première vue en ce qui concerne le niveau de rémunération du bailleur de fonds d’un litige. À première vue, il se peut fort bien qu’un rendement maintes fois supérieur au montant investi semble déraisonnable pour certains membres du groupe ou du grand public. C’est particulièrement le cas en l’espèce, car le rendement d’OBC comprend un montant supplémentaire correspondant à 3 % du produit total des réclamations. Cependant, compte tenu des faits de la présente affaire, j’estime que la probabilité que ces questions soient soulevées n’est pas en soi suffisante pour justifier la conclusion selon laquelle le rendement d’OBC serait une champartie. Je reviens à ces questions plus loin, lorsque j’évalue si l’AFL modifié est juste et raisonnable pour les membres du groupe.

[52] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que l’AFL modifié n’est pas une champartie. Autrement dit, il ne prévoit pas un rendement d’OBC qui, ex ante, dépasse la limite supérieure de ce qui pourrait être considéré comme raisonnable, juste ou proportionnel. Ma conclusion relative à ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL. Cependant, la question de savoir si l’AFL modifié est juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe est séparée et distincte. Passons à mon évaluation de ce facteur.

E. L’AFL est‐il juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe?

[53] La question de savoir ce qui est juste et raisonnable dépend largement du contexte : Houle 1, au para 81.

[54] Dans son affidavit sous serment, Mme Lisa Sygutek[2] a affirmé qu’elle croit que l’AFL est juste pour Pass Herald et pour le groupe de personnes qu’elle se propose de représenter. Cependant, cela n’est [traduction] « en aucun cas déterminant » dans l’examen de la question de savoir si l’AFL est juste et raisonnable pour les membres éventuels du groupe : Dugal v Manulife Financial Corp, 2011 ONSC 1785 au para 17; Difederico, au para 66.

[55] Les défenderesses sont en désaccord avec l’évaluation de Mme Sygutek. Elles soutiennent que l’AFL n’est pas juste et raisonnable, car il ne plafonne pas le pourcentage du rendement combiné d’OBC et des avocats du groupe. Elles font valoir que cela soulève une probabilité importante que les honoraires combinés payés à OBC et aux avocats du groupe éclipsent tout recouvrement par le groupe proposé. À cet égard, les défenderesses affirment qu’il existe de nombreux scénarios plausibles dans lesquels l’AFL, du moins tel qu’il est initialement structuré, donnerait lieu à un recouvrement négligeable pour le groupe proposé.

[56] Pour étayer leur position, les défenderesses s’appuient sur la décision Schenk v Valeant Pharmaceuticals International Inc, 2015 ONSC 3215 au para 19 [Schenk], dans laquelle un AFL proposé n’a pas été approuvé au motif qu’il constituait de la champartie et du soutien. Cependant, cette affaire se distingue de la présente affaire au motif qu’il était [traduction] « très possible, voire probable, que [le bailleur de fonds] reçoive plus de 50 % de tout recouvrement » : Schenk, au para 14.

[57] Les défenderesses s’appuient également sur la décision Drynan v Bausch Health Companies Inc, 2020 ONSC 4379 [Drynan], dans laquelle la cour a soulevé des questions au sujet de la possibilité que l’AFL permette d’obtenir un recouvrement très limité pour le groupe proposé dans certaines circonstances : Drynan, aux para 4 et 69-75. Finalement, l’accord a été approuvé uniquement après qu’il a fait l’objet de modification visant à limiter le recouvrement total à 33 % du produit de la réclamation, pour le bailleur de fonds et les avocats du groupe combinés : Drynan, aux para 6, 12. Cependant, cette affaire se distingue elle aussi de la présente affaire, car le bailleur de fonds était responsable de payer 80 % des honoraires des avocats, de sorte que les avocats assumaient un risque beaucoup moins important qu’en l’espèce : Drynan, au para 68. En outre, les parties se sont volontairement entendues sur le plafond de leur propre initiative : Drynan, au para 93. Je souligne également que la cour a approuvé l’AFL sous réserve de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire afin d’examiner le recouvrement combiné final destiné au bailleur de fonds et aux avocats du groupe lorsqu’un règlement aura été conclu ou que l’indemnité définitive aura été établie : Drynan, au para 12.

[58] Bien que je considère que les décisions susmentionnées sur lesquelles s’appuient les défenderesses se distinguent de la présente affaire, j’estime que les questions soulevées par les défenderesses au sujet de certains scénarios possibles sont valides.

[59] À cet égard, les défenderesses ont relevé trois scénarios dans lesquels l’AFL pourrait donner lieu à un recouvrement négligeable pour le groupe proposé. Chacun de ces scénarios suppose que le montant financé est de 4 millions de dollars et le produit des réclamations peut être payé en juillet 2026, soit plus de trois ans après la signature de l’AFL, qui a eu lieu en juin 2023.

[60] Premièrement, les défenderesses ont affirmé que les membres du groupe ne recevraient rien si le produit des réclamations était inférieur à 29,85 millions de dollars, tandis que les avocats du groupe recevraient 8,955 millions de dollars, soit 30 % du produit des réclamations conformément à leur entente d’honoraires avec Pass Herald. Pass Herald affirme que ce scénario est irréaliste pour trois raisons : (i) un règlement de 29,85 millions de dollars représenterait seulement 0,37 % du montant réclamé en l’espèce; (ii) tout règlement correspondant à une [traduction] « réduction aussi spectaculaire du montant réclamé » serait probablement conclu tôt dans le processus de litige – avant qu’OBC avance 4 millions de dollars en débours; (iii) il y a lieu de se demander si la Cour approuverait des honoraires de ce montant pour les avocats du groupe.

[61] Deuxièmement, les défenderesses ont fait valoir que les membres du groupe recevraient moins de 50 % du produit si le recouvrement final était inférieur à 120,588 millions de dollars. Là encore, Pass Herald soutient que ce scénario est irréaliste, car le recouvrement représenterait seulement 1,5 % du montant réclamé. Pass Herald semble là encore estimer que les points (ii) et (iii) soulevés ci-dessus s’appliquent également à ce scénario.

[62] Troisièmement, les défenderesses ont souligné que les membres du groupe recevraient moins de 60 % du produit des réclamations si celui-ci était inférieur à 285,7 millions de dollars. Cela s’explique par le fait que les avocats du groupe recevraient 30 % du produit des réclamations et qu’OBC en recevrait plus de 10 %. Pass Herald souligne qu’un règlement de 285,7 millions de dollars représenterait seulement 3,6 % du montant total réclamé en l’espèce. Pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, Pass Herald soutient que ce scénario est irréaliste.

[63] Après que les défenderesses ont présenté leurs observations et que j’ai exprimé une certaine compassion à l’égard de ces observations au cours de l’audition de la présente requête, l’AFL a été modifié afin de prévoir un paiement prioritaire de 12,5 millions de dollars aux membres du groupe. Comme je le souligne au paragraphe 26 ci-dessus, le groupe proposé sera payé en priorité, avant le paiement du recouvrement à OBC et le paiement d’un quelconque recouvrement aux avocats du groupe.

[64] Malgré cette modification et les affirmations de Pass Herald dont il est question aux paragraphes 60 à 62 ci-dessus, je demeure préoccupé par les scénarios dans le cadre desquels les membres du groupe pourraient recevoir un rendement démesurément petit comparativement au rendement combiné d’OBC et des avocats du groupe.

[65] Pour éviter cette possibilité, les défenderesses ont proposé d’assujettir le recouvrement combiné d’OBC et des avocats du groupe à un plafond de 33 % à 35 % du produit total des réclamations. Cette proposition s’appuyait sur la « fourchette de validité présumée » de 30 % à 35 % pour offrir un rendement combiné au bailleur de fonds du litige et aux avocats du groupe, mentionnée dans la décision Difederico et dans la jurisprudence qui y est citée : Difederico, au para 65. En réponse, Pass Herald a relevé plusieurs affaires dans lesquelles la cour en question a approuvé un rendement combiné dépassant 35 % du produit total de la réclamation. Cependant, dans la majorité de ces affaires, la cour a donné son approbation après la conclusion d’un règlement. À une exception près, dans toutes les autres affaires, le rendement maximal pour le bailleur de fonds était de 10 % du produit total de la réclamation. Par conséquent, ces affaires ne sont d’aucune utilité dans la présente analyse, car mes préoccupations touchent les scénarios dans lesquels le rendement d’OBC serait sensiblement supérieur à 10 %, particulièrement en raison du rendement de 30 % envisagé pour les avocats du groupe. La seule exception est la décision Difederico, dont je traite aux paragraphes 68 et 69 ci-dessous.

[66] Le bon moment pour évaluer le rendement des avocats du groupe est soit à l’étape du règlement proposé, soit lorsque la cour rend son jugement, si aucun règlement n’est conclu. Par conséquent, il est inapproprié à cette étape-ci de l’instance d’assujettir le recouvrement combiné d’OBC et des avocats du groupe à un plafond. C’est une chose pour une demanderesse de demander l’approbation d’un AFL envisageant un rendement combiné pour le bailleur de fonds et les avocats du groupe qui entre dans la fourchette de validité présumée. C’en est une autre de demander à la Cour d’assujettir le rendement combiné à un plafond lorsqu’elle évaluera s’il convient d’approuver un AFL proposé.

[67] À mon avis, une meilleure approche, fondée sur la jurisprudence, consiste à approuver préalablement le rendement au bailleur de fonds jusqu’à concurrence de 10 % du produit total de la réclamation, sous réserve du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’approuver un rendement pouvant être supérieur à 10 % plus tard dans l’instance : Houle v St Jude Medical Inc, 2018 ONSC 6352 aux para 36-44 [Houle 2]; voir aussi Drynan, aux para 15-16 et 80, JB & M Walker Ltd v TDL Group Corp, 2019 ONSC 999 au para 5 [TDL], et Flying E Ranche Ltd v Canada (Attorney General), 2020 ONSC 8076 aux para 35-38 [Flying Ranche], en ce qui concerne la préservation du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[68] Au cours de l’audition de la présente requête, les avocats du groupe ont affirmé qu’ils s’étaient appuyés sur la décision Difederico, rendue par la Cour, et tentaient d’éviter [traduction] « d’innover ». Comme je le souligne plus haut au paragraphe 50, dans cette affaire, l’AFL prévoyait un rendement correspondant à cinq fois les fonds avancés par le bailleur de fonds ou à 10 % du produit de la réclamation, selon le montant le plus élevé, sous réserve d’un plafond de 100 000 000 $US. En l’espèce, l’AFL prévoit un coefficient pouvant être de six fois le montant financé si le produit des réclamations est reçu six ans plus tard, plus 3 % du produit des réclamations. Ainsi, la fameuse [traduction] « enveloppe » est [traduction] « amplifiée », du moins par rapport à la décision Difederico, dans le scénario où un coefficient de six s’appliquerait. Elle est amplifiée à un point tel qu’elle dépasse, à mon avis, les limites de ce que les membres du groupe et le public peuvent considérer comme raisonnable.

[69] Voici d’autres différences importantes entre la décision Difederico et la présente affaire :

  1. le « paiement prioritaire » de 12,5 millions de dollars aux membres du groupe (mentionné au paragraphe 63 ci-dessus) est environ un tiers moins élevé que celui dont il était question dans la décision Difederico (environ 19 millions de dollars) : Difederico, aux para 72-73;

  2. le plafond de 10 % auquel étaient assujettis les frais du bailleur de fonds dans Difederico s’appliquait dans une gamme beaucoup plus vaste de règlements monétaires possibles[3], comparativement à certains scénarios dans lesquels le rendement d’OBC serait supérieur à 10 % du produit total des réclamations;

  3. le montant maximal du financement prévu dans l’AFL visé par la décision Difederico était largement supérieur au montant maximal prévu dans le présent AFL, de sorte que le risque auquel le bailleur de fonds était exposé dans cette affaire était largement supérieur à celui auquel OBC est exposé dans les circonstances actuelles;

  4. les honoraires des avocats du groupe dans Difederico étaient assujettis à un plafond de 25 %, comparativement à un plafond de 30 % en l’espèce : Difederico, au para 26;

  5. dans Difederico, la Cour a demandé des observations de la part d’amis de la cour, qui ont fait valoir que l’AFL était juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe, dans les circonstances particulières de l’affaire.

[70] Je reconnais que le coefficient maximal envisagé dans la décision David v Loblaw, 2018 ONSC 6469 au para 12 [Loblaw], était en apparence identique à celui proposé en l’espèce, à savoir six fois le montant financé : Difederico, au para 63. Cependant, dans cette affaire, le rendement du bailleur de fonds était assujetti à un plafond de 10 % : Loblaw, au para 10. Selon l’AFL en l’espèce, le rendement d’OBC pourrait être largement supérieur à 10 % dans certaines circonstances. Malgré les affirmations de Pass Herald selon lesquelles ces circonstances seraient irréalistes ou improbables, je ne suis pas disposé à approuver préalablement ces circonstances éventuelles.

[71] En résumé, à cette étape de l’instance, je suis seulement disposé à conclure que l’AFL modifié est juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe, tant que le rendement d’OBC n’est pas supérieur à 10 % du produit total des réclamations. Cela représente plus de 97 % de tous les scénarios entre l’échec complet (recouvrement nul) et la victoire totale (recouvrement de 8 milliards de dollars) de Pass Herald. En ce qui concerne ces 97 % des scénarios possibles, l’AFL modifié est juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe.

[72] Ma conclusion relative à ce facteur milite en faveur de l’approbation préalable de l’AFL modifié dans ces scénarios.

[73] Je vais conserver la possibilité d’évaluer l’équité et le caractère raisonnable de tout scénario dans lequel le rendement d’OBC est supérieur à 10 % du produit total des réclamations, si ce scénario se produit.

[74] D’ici là, tout membre du groupe mécontent de l’AFL modifié aura le droit de se retirer de l’instance dans le délai et de la manière précisés dans toute ordonnance autorisant le recours collectif : Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106, art 334.21(1).

[75] Si, comme le soutiennent les avocats du groupe, les scénarios impliquant les éventuels rendements d’OBC dont il est question aux paragraphes 60 à 62 ci-dessus sont irréalistes, on n’aurait rien perdu à structurer l’AFL pour éviter ces rendements tout comme les risques consécutifs associés au fait que les rendements sont jugés dépasser les limites de ce qui est équitable et raisonnable.

[76] J’ouvre ici une parenthèse pour souligner en passant qu’un rendement d’OBC de 6 % aurait permis à OBC d’obtenir le même résultat ou un meilleur résultat dans plus de 94 % des scénarios possibles sur le plan du recouvrement.

[77] À mon avis, les rendements des bailleurs de fonds proposés qui s’appuient sur un pourcentage fixe ou variable du produit des réclamations, qui sont en deçà du seuil de prélèvement de 10 % imposé par le FARC de l’Ontario et assujettis à un plafond monétaire raisonnable, sont moins susceptibles de soulever d’éventuelles questions sur l’équité et le caractère raisonnable du rendement : Houle 1, aux para 83 et 87, conf par Houle 2, au para 52; Flying Ranche, au para 34.

[78] Une telle structure permettrait aussi de remédier au décalage des mesures incitatives liées au rendement d’OBC et relevées par les défenderesses. À cet égard, les défenderesses ont souligné que la structure du rendement d’OBC fait en sorte qu’il existe des scénarios dans le cadre desquels les intérêts des avocats du groupe et d’OBC divergeraient, ce qui peut nuire à la conclusion d’un règlement. Je suis du même avis.

[79] Il convient de souligner qu’il est impossible de supposer que d’éventuels coefficients permettant d’obtenir un rendement maintes fois supérieur au montant du financement avancé par le bailleur de fonds seront approuvés à l’avenir. Chaque cas fera l’objet d’une évaluation fondée sur les faits particuliers dont la Cour est saisie.

F. L’AFL contribuera‐t‐il de façon significative à la prévention des actes répréhensibles?

[80] Pass Herald soutient que l’AFL est nécessaire pour faciliter l’accès à la justice et prévenir les actes répréhensibles.

[81] Je conviens que l’AFL modifié aidera grandement la demanderesse à faire avancer le recours contre les défenderesses. Je conviens aussi que, sans le financement d’OBC, la possibilité que les défenderesses changent véritablement leur comportement risque d’être considérablement réduite. Dans la mesure où la demanderesse obtient gain de cause, soit en obtenant un jugement ou une adjudication favorables, soit en parvenant à un règlement qui reflète une réclamation valable, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un tel changement de comportement se produise.

[82] Par conséquent, ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

G. L’AFL nuit‐il à la relation avocat‐client, à l’obligation de l’avocat envers les membres du groupe ou à la conduite de l’instance?

[83] Je suis convaincu que l’AFL modifié n’entraînera aucun de ces effets négatifs.

[84] Ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

H. L’AFL protège‐t‐il les privilèges juridiques pertinents et la confidentialité des renseignements des parties?

[85] Dans une lettre du 12 janvier 2024, les avocats du groupe ont informé la Cour qu’OBC et les défenderesses avaient réglé les questions de confidentialité entre les parties. Cela ressort de modifications importantes apportées à l’AFL, et a été confirmé au cours de l’audition de la présente requête.

[86] Compte tenu de ce qui précède, après avoir examiné l’AFL modifié, je suis convaincu que l’AFL modifié protège adéquatement les privilèges juridiques pertinents et la confidentialité des renseignements des parties.

[87] Ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

I. L’AFL protège‐t‐il les intérêts légitimes des défenderesses?

[88] Outre les questions de confidentialité susmentionnées, les défenderesses ont soulevé des questions au sujet de dispositions de l’AFL concernant la résiliation, la cession de l’AFL, les modifications, la reconnaissance de la compétence et les dépens.

[89] Là encore, les avocats du groupe ont informé la Cour que les questions des défenderesses à ce sujet avaient été résolues. Cela ressort des modifications apportées à l’AFL en ce qui concerne la résiliation et la cession de l’AFL, ainsi que les modifications. Quant à la reconnaissance de la compétence et aux dépens, cela ressort de l’engagement ci-joint en tant qu’annexe A, soit la pièce C de l’AFL modifié.

[90] Le règlement des questions susmentionnées a également été confirmé lors de l’audition de la présente requête, lorsque les parties ont ajouté qu’il n’y avait aucune question en suspens, outre l’équité et le caractère raisonnable de l’AFL pour les membres actuels et éventuels du groupe, dont je traite à la partie VI.E plus haut.

[91] Compte tenu de ce qui précède, ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

J. Conclusion concernant l’approbation de l’AFL

[92] Compte tenu des conclusions que j’ai tirées relativement à chacun des facteurs analysés dans les parties VI.B à VI.I ci-dessus, j’approuverai l’AFL modifié, sauf dans la mesure où il prévoit un rendement supérieur à 10 % du produit total des réclamations dans certains scénarios limités. Je préserverai mon pouvoir discrétionnaire de réexaminer ces scénarios s’ils se produisent.

VI. Question de la confidentialité

[93] Dans son avis de requête et sa demande de réparation, Pass Herald a demandé une ordonnance l’autorisant à déposer une version non caviardée de l’AFL sous scellés, de façon à ce que les parties caviardées ne soient pas communiquées aux défenderesses ni au public, et ne fassent pas partie du dossier officiel.

[94] Les renseignements caviardés sont très limités. Ils concernent : (i) le montant maximal du financement fourni dans le cadre de l’AFL pour les débours et les dépens ordonnés par la Cour; (ii) des frais modestes relativement aux dépens ordonnés par la Cour; (iii) certaines dispositions concernant la résiliation de l’AFL par OBC.

[95] J’estime que les renseignements caviardés devraient demeurer confidentiels, car ils sont délicats sur le plan commercial, et s’ils étaient divulgués, ils pourraient bien avoir une incidence sur la stratégie des défenderesses en matière de litige.

[96] Par conséquent, je rendrai l’ordonnance demandée afin de préserver la confidentialité des versions non caviardées de l’AFL initial et de l’AFL modifié sous scellés.


 

ORDONNANCE dans le dossier T-589-22 (accord de financement de litige)

VU les observations présentées au nom des parties à la présente requête et d’Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd (« OBC »);

ET VU la version modifiée de l’accord de financement de litige (l’« AFL modifié ») déposée auprès de la Cour le 2 février 2024, entre OBC, la représentante demanderesse Pass Herald Ltd. et ses avocats, Sotos LLP;

ET VU la forme modifiée de l’engagement ci-joint en tant qu’annexe « A »;

ET VU que j’ai été avisé par les avocats du groupe qu’OBC et Omni Bridgeway Limited avaient irrévocablement acquiescé à la compétence de la Cour, comme en témoigne l’engagement ci-joint;

ET VU que les défenderesses se réservent le droit de demander des mesures de protection de la confidentialité supplémentaires, y compris une ordonnance de confidentialité et une ordonnance préventive plus tard dans l’instance;

LA COUR ORDONNE :

  1. L’AFL modifié est approuvé tant que le rendement d’OBC, en plus du remboursement du montant financé, n’est pas supérieur à 10 % du produit total des réclamations. La Cour préservera son pouvoir discrétionnaire d’examiner tout scénario dans lequel le rendement d’OBC est supérieur à 10 % si ce scénario se produit. Cette approbation est assujettie au paragraphe 4 ci-dessous.

  2. Les versions non caviardées de l’AFL initial et de l’AFL modifié, respectivement, doivent demeurer confidentielles et sous scellés.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés relativement à la présente requête.

  4. Pour que l’AFL soit approuvé, OBC et Omni Bridgeway Limited doivent remettre aux demanderesses un engagement signé sous la forme de l’engagement joint à la présente ordonnance en tant qu’annexe « A ».

En blanc

« Paul S. Crampton »

En blanc

Juge en chef

 

Traduction certifiée conforme

C. Tardif

ANNEXE A

FORME DE L’ENGAGEMENT

Les termes en majuscule définis dans l’accord de financement de litige et contenus dans le présent document sans y être définis sont entendus au sens qui leur est attribué dans l’accord de financement de litige conclu en mai 2023 entre Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd., Pass Herald Ltd., en tant que représentante demanderesse au nom de certains membres du groupe ou de la demanderesse, ou des deux, et de Sotos LLP.

PARTIES

Omni Bridgeway Limited (Australian Company Number 067 298 088)

Étage 7, 35, rue Clarence, Sydney, Nouvelle-Galles du Sud 2000, Australie

À l’attention de : Avocat général

Courriel : lcrglobal@omnibridgeway.com; notices@omnibridgeway.com

Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd.

127-250 The Esplanade, Toronto (Ontario) M5A 1J2, Canada

À l’attention de : Chef des investissements

Courriel : ca-cio@omnibridgeway.com

DÉFINITIONS

AFL : L’accord de financement de litige modifié conclu en mai 2023 entre Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd., la demanderesse et Sotos LLP, déposé auprès de la Cour le 2 février 2024.

COUR : La Cour fédérale du Canada ou tout autre tribunal au Canada ayant compétence sur le litige.

DÉFENDERESSES : Individuellement ou collectivement, Google LLC, Google Ireland Limited, Google Canada Corporation, Meta Platforms Inc., Facebook Ireland Limited et Facebook Canada Ltd. et toute autre défenderesse dans l’instance.

DEMANDERESSE : Pass Herald Ltd.

DÉPENS ORDONNÉS PAR LA COUR : Frais juridiques et débours (y compris les intérêts afférents) que la Cour ordonne à la demanderesse de payer aux défenderesses, jusqu’à concurrence de [MONTANT CAVIARDÉ] pour toutes les défenderesses, pourvu que les frais juridiques et les débours applicables aient été engagés par une ou plusieurs défenderesses après avoir reçu signification de la déclaration et avant la résiliation du présent accord.

DROIT APPLICABLE : L’accord est conclu dans la province de l’Ontario et sera régi exclusivement par les lois de la province de l’Ontario applicables aux contrats conclus dans la province et qui y seront exécutés en totalité, sans égard aux règles de conflit de lois de la province, et l’accord est interprété conformément à ces lois.

INSTANCE : L’instance judiciaire relative aux réclamations, aux actions et aux procédures dans l’affaire intitulée Pass Herald Ltd c Google LLC et al, déposées contre les défenderesses dans le dossier de la Cour fédérale no T-589-22.

PAR LE PRÉSENT ENGAGEMENT, Omni Bridgeway Limited et Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd., dans l’intérêt de chaque défenderesse :

  • a)acceptent de se conformer à toute adjudication de dépens prononcée par la Cour et d’y donner suite;

  • b)reconnaissent la compétence de la Cour, y compris relativement aux obligations que leur imposent l’AFL et le présent engagement en ce qui concerne le traitement des renseignements des défenderesses, les ordonnances de confidentialité ou les ordonnances préventives rendues par la Cour, et toute ordonnance que la Cour souhaite rendre directement contre Omni Bridgeway Limited ou Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd., dans le cadre de l’instance, selon laquelle Omni Bridgeway Limited ou Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd. doivent payer tous les dépens ordonnés par la Cour;

  • c)conviennent que, dans l’éventualité où la demanderesse ne paie pas les dépens ordonnés par la Cour dans les vingt-huit (28) jours suivant l’échéance, elles ne s’opposeront pas à une quelconque demande de jonction présentée par les défenderesses dans le cadre de l’instance en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à Omni Bridgeway Limited ou à Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd. de payer les dépens ordonnés par la Cour;

  • d)conviennent de verser aux défenderesses le montant définitif et quantifié des dépens ordonnés par la Cour, de sorte que les défenderesses puissent faire exécuter le paiement de cette somme à titre de dette payable par Omni Bridgeway Limited ou Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd. aux défenderesses;

  • e)acceptent de se soumettre à la compétence de la Cour pour permettre aux défenderesses de faire exécuter toute obligation selon laquelle Omni Bridgeway Limited ou Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd. doivent payer le montant définitif et quantifié des dépens ordonnés par la Cour;

  • f)conviennent :

  • (i)d’informer les défenderesses par écrit de toute résiliation de l’AFL dans les trois jours suivant la date à laquelle la Cour a approuvé cette résiliation;

  • (ii)de demeurer responsables, à la résiliation de l’AFL, de tous les dépens ordonnés par la Cour;

(Aux fins des sous‐alinéas f)(i) et f)(ii), Omni Bridgeway Limited ou Omni Bridgeway (Fund 5) Canada Investments Ltd. s’acquitteront de leurs obligations respectives en remettant par courriel l’avis exigé à [ ].)

  • g)acceptent de ne pas révoquer le présent engagement ou de ne pas s’en désister avant de s’acquitter de toute obligation de payer les dépens ordonnés par la Cour en faveur des défenderesses;

  • h)reconnaissent avoir reçu une contrepartie de valeur pour le présent engagement.

[La page de signature suit.]


Fait ce jour de 20 __.

Signé comme engagement

Par OMNI BRIDGEWAY LIMITED

Signé comme accord. )

Signé pour Omni et en son nom )

Bridgeway Limited (ACN 067 298 088) par )

ses avocats dûment désignés par une

procuration datée du 6 février 2023 en présence de :

Signature du témoin Signature de l’avocat

Nom du témoin Nom de l’avocat

Signature du témoin Signature de l’avocat

Nom du témoin Nom de l’avocat

En apposant sa signature, chacun des avocats

confirme n’avoir reçu aucun avis de révocation

ou de suspension de la procuration

susmentionnée.

Par OMNI BRIDGEWAY (FUND 5) CANADA INVESTMENTS LTD.

Naomi Loewith, directrice Paul Rand, directeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-589-22

 

INTITULÉ :

PASS HERALD LTD c GOOGLE LLC ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JANVIER 2024

 

ORDONNANCES ET MOTIFS PUBLICS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 23 FÉVRIER 2024

MODIFIÉS :

LE 26 FÉVRIER 2024

COMPARUTIONS :

David Sterns

Jean-Marc Leclerc

Adil Abdulla

 

POUR LA DEMANDERESSE

James Bunting

Anisah Hassan

 

POUR LA DÉFENDERESSE GOOGLE

David Kent

Samantha Gordon

Guneev Bhinder

 

POUR LA DÉFENDERESSE META/FACEBOOK

Peter Griffin

POUR OMNI BRIDGEWAY (FUND 5) CANADA INVESTMENTS LTD.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sotos LLP

 

POUR LA DEMANDERESSE

Tyr LLP

 

POUR LA DÉFENDERESSE GOOGLE

McMillan LLP

 

POUR LA DÉFENDERESSE META/FACEBOOK

Lenczner Slaght LLP

POUR OMNI BRIDGEWAY (FUND 5) CANADA INVESTMENTS LTD.

 



[1] Selon le taux de change actuel.

[2] Comme je le mentionne plus haut, Mme Sygutek est propriétaire et éditrice de Pass Herald.

[3] Comme je le mentionne plus haut, ce plafond était appliqué lorsque 10 % du produit de la réclamation dépassait le coefficient de cinq fois le montant financé.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.