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Date : 20060629

Dossier : IMM-6821-05

Référence : 2006 CF 826

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2006

En présence de Monsieur le juge Shore

ENTRE :

LIONEL AUGUSTE NTUNZWENIMANA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]                Nul doute qu'il appartient à la Commission d'évaluer les éléments de preuve ; cependant, elle a négligé en l'espèce, d'établir, comme je l'ai dit ci-dessus, une distinction entre les preuves documentaires dont elle était saisie, pas plus qu'elle n'a fait le lien entre la preuve présentée et la situation particulière du requérant. [...]

Du fait que la Commission a omis d'étudier les éléments de preuve à la lumière de la situation particulière du requérant, je suis fondé à croire qu'elle a commis une erreur de droit. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Jeyachandran c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 487 (QL), comme le juge McKeown, a affirmé au paragraphe 9.

NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), à l'encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 19 octobre 2005, selon laquelle le demandeur n'a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

[3]                M. Lionel Auguste Ntunzwenimana réclame une révision judiciaire de la décision attaquée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Court fédérales, DORS/98-106.

FAITS

[4]                Le demandeur, M. Lionel Auguste Ntunzwenimana, est un citoyen du Burundi. Il allègue avoir une crainte bien-fondé de persécution en raison de ses origines ethniques et du fait que les rebelles voudraient s'en prendre à lui pour ses opinions politiques imputées.

[5]                M. Ntunzwenimana allègue que le 15 octobre 2004, l'armée de son pays a débusqué des rebelles près de l'appartement où il réside. Certains auraient été arrêtés et emprisonnés. Les rebelles des Forces nationales de libération (FNL) Palipehutu, croyant que c'était la population qui les avait dénoncés, auraient décidé de se venger. Dans la nuit du 24 octobre 2005, les rebelles auraient attaqué le quartier où M. Ntunzwenimana habite. Ce dernier se serait sauvé avec sa valise passant par l'arrière de la maison. Les rebelles auraient lancé une grenade dans sa direction en le voyant s'enfuir.

[6]                Le 24 octobre 2004 au matin, M. Ntunzwenimana se serait rendu à l'église et aurait rencontré l'abbé qui lui aurait conseillé de quitter le pays. Il l'aurait aidé à obtenir un visa des États-Unis. Le prêtre lui aurait également donné de l'argent pour lui permettre de quitter le pays. Muni d'un passeport émis en octobre 2004, M. Ntunzwenimana aurait quitté le Burundi le 31 octobre 2004 passant par le Kenya et la Hollande avant d'arriver à New York le 1er novembre 2004. Quelqu'un dont il ne connaît pas le nom serait venu le chercher à l'aéroport et lui aurait donné des directives pour se rendre au Canada. M. Ntunzwenimana serait arrivé au Canada le 3 novembre 2004, indiquant immédiatement son intention de revendiquer la protection du Canada.

[7]                La famille de M. Ntunzwenimana est dispersée à travers le monde. Son père se trouve à Montréal où il revendique lui aussi le statut de réfugié. Sa mère est à Bujumbura avec certains de ses frères et soeurs alors qu'une de ses soeurs a été acceptée comme réfugiée en Norvège.

DÉCISION CONTESTÉE

[8]                La Commission a rejeté la demande d'asile de M. Ntunzwenimana, car celui-ci ne s'est pas déchargé de son fardeau de démontrer qu'il a une crainte bien fondée de persécution ou qu'il serait sujet à un risque à sa vie ou de traitements ou peines cruels et inusités s'il retournait au Burundi.

[9]                La Commission a conclu que M. Ntunzwenimana n'était pas crédible quant à sa crainte subjective car son comportement est incompatible avec celui d'une personne raisonnable alléguant craindre la persécution dans son pays et recherchant la protection internationale. Il n'a pas cherché à obtenir la protection du Burundi avant de réclamer la protection internationale ni n'a cherché un refuge ailleurs au Burundi. Enfin, M. Ntunzwenimana n'a pas revendiqué la protection en Hollande ou aux États-Unis.

QUESTIONS EN LITIGE

[10]            La Commission a-t-elle erré en évaluant la crédibilité de M. Ntunzwenimana?

[11]            La Commission a-t-elle erré en déterminant que M. Ntunzwenimana aurait dû chercher à obtenir la protection dans son propre État avant de revendiquer la protection internationale?

ANALYSE

            Cadre législatif

[12]            Selon l'article 96 de la Loi, une personne est un réfugié si elle craint d'être persécutée en raison de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social ou ses opinions politiques :

96.      A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96.       A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[13]            Le paragraphe 97(1) de la Loi se lit comme suit :

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i)                   elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii)                 elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii)                la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv)               la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i)                   the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii)                 the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii)                the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv)               the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Norme de contrôle

[14]            Les questions purement factuelles, telles la crédibilité et la question de la protection de l'État, décidées par un tribunal administratif sont soumises à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable (Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (QL), au paragraphe 14; Ordre des architectes de l'Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, [2003] 1 C.F. 331 (C.A.F.), 2002 CAF 218, [2002] A.C.F no 813 (QL), au paragraphe 31; Stadnyk c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) (2000), 257 N.R. 385 (C.A.F.), [2000] A.C.F. no 1225 (QL), au paragraphe 22; Jaworski c. Canada (Procureur général) (2000), 255 N.R. 167 (C.A.F.), [2000] A.C.F. no 643 (QL), aux paragraphes 49 et 72).

Crédibilité

[15]            Bien qu'il ait une présomption à l'effet que la Commission a étudié l'ensemble de la preuve, cette présomption n'est pas irréfutable.

[16]            En l'espèce, afin d'évaluer la crédibilité du récit de M. Ntunzwenimana, la Commission a analysé l'ensemble de la preuve soumise. Les documents les plus récents concernant les conditions du pays (Burundi) n'ont pas été examinés et évalués avec le récit de M. Ntunzwenimana.

[17]            Lors de l'audience, M. Ntunzwenimana a fourni des explications qui s'alignent avec les derniers renseignements concernant les conditions du pays à son égard.

Concernant la preuve qui est reliée au bénéfice de la protection, les éléments suivants devraient être conseillés

[18]            Dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992, 150 N.R. 232, [1992] A.C.F. no 1189 (QL), la Cour a statué ainsi :

Toutefois, lorsque l'État se révèle si faible, et sa maîtrise sur une partie ou sur l'ensemble de son territoire est si ténue qu'il n'est qu'un gouvernement nominal, comme cette Cour a trouvé que c'était le cas dans l'arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1991] 3 C.F. 605, un réfugié peut à bon droit affirmer être incapable de se réclamer de sa protection. Le demandeur qui fait valoir cette incapacité doit normalement invoquer la guerre civile, une invasion ou l'effondrement total de l'ordre au pays.

[19]            La décision que la Cour d'appel fédérale a rendue après l'arrêt Villafranca, précité, dans l'affaire Mendivil c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 225, [1994] A.C.F. no 2021 (QL), est également éclairante. Dans cette affaire, la majorité de la Cour s'est exprimée comme suit :

[...] La question que les membres de la Commission auraient dû se poser en appréciant l'ensemble des éléments de preuve est de savoir si, à la lumière des faits rapportés, on peut toujours présumer que l'État péruvien est en mesure de protéger le demandeur ou si la présomption a été réfutée par celui-ci. Des cas isolés d'attentat terroriste ne suffisent pas pour réfuter cette présomption. Cependant, la preuve d'une situation de troubles graves et d'un manque de protection effective pour le demandeur pourrait servir à la réfuter. Dans pareil cas, pour reprendre la conclusion du juge La Forest, "une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée" (Souligné par la Cour)

[20]            Or, malgré la preuve documentaire abondante produite par M. Ntunzwenimana concernant la situation au Burundi et l'incapacité de l'État à protéger ses citoyens, le commissaire conclue que : [...] Par conséquent, le tribunal soutient qu'il y a une certaine forme de protection qui existe dans la capitale de Burundi et que, malheureusement, le demandeur n'a pas cru bon réclamer la protection des autorités de son pays. »

[21]            Compte tenu de l'erreur que la Commission a commise en concluant que le fait que des groupes armés patrouillent dans les quartiers de Bujunbura, il faut donc conclure que la protection de l'État est suffisante et efficace, en ne pas tenant dûment compte de la preuve qui démontre le contraire, et de l'omission apparente de la Commission de tenir compte de l'état d'insécurité profonde qui régnait au Burundi, en ce qui concerne la capacité de l'État de protéger ses ressortissants, la Commission a commis une erreur susceptible de révision.

[22]            On entend normalement par persécution, une action qui est le fait des autorités d'un pays. Cette action peut également être le fait de groupes de la population qui ne se conforment pas aux normes établies par les lois du pays. Lorsque des actes, ayant un caractère discriminatoire grave ou très offensant, sont commis par le peuple, ils peuvent être considérées comme des persécutions s'ils sont sciemment tolérés par les autorités ou si les autorités refusent ou sont incapables d'offrir une protection efficace.

[23]            Le principe régissant la protection de l'État a été énoncé par la Cour Suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74 (QL), dans lequel la Cour a décidé que la capacité d'un État à protéger ses citoyens n'est qu'une présomption qui peut être écartée lorsqu'un demandeur présente une preuve claire et convaincante que l'État est incapable de le protéger. Le genre de preuve qui pourrait nous aider à arriver à cette conclusion a été abordé par M. le juge La Forest lorsqu'il déclare, au paragraphe 50, que :

[...] un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée.

[24]            En l'espèce M. Ntunzwenimana a témoigné sur le fait que l'État n'est pas capable de protéger ses citoyens, car les actions multiples des rebelles sur l'entier territoire du Burundi, et cela depuis 1993, a fait des milliers de victimes, car l'État n'a pas et ne l'est pas capable d'arrêter cette guerre ou de résoudre le problème ethnique, source de ces conflits.

[25]            Malgré l'accord d'Aroucha, où les gens ont espéré à une cessation des confrontations, l'État a prouvé son incapacité car, même si plusieurs accords ont été signés, en culminant avec celui d'Aroucha, l'État fait preuve d'incapacité de résoudre le problème ethnique et d'arrêter les conflits.

[26]            En l'espèce, la Commission fonde sa conclusion au sujet de la disponibilité de la protection de l'État uniquement sur une partie de la preuve documentaire en mentionnant que les autorités en place, pourchassent les gens du FNL Palipehutu, que l'appareil ne s'est pas effondré ou dissout; que l'État s'emploi à réguler les actes dans ce pays; et que les militaires surveillent son quartier et la majorité des quartiers de la capitale et donc qu'il y a une certaine forme de protection qui existe dans la capitale du Burundi.

[27]            Finalement, la Commission conclu que M. Ntunzwenimana ne s'est pas acquitté de son obligation de solliciter la protection de son pays d'origine.

[28]            Il est claire que la Commission s'est livrée à une analyse qui n'était pas complète, compte tenu des documents qui n'ont pas été examinés ni discutés, ce qui fait que sa conclusion au sujet de la protection de l'État est déraisonnable.

[29]            Tant qu'il existe un moratoire contre Burundi, car le Canada considère complètement non sécuritaire, la vie des gens aux Burundi, car les conflits ethniques n'ont pas cessé et la guerre civile continue, comment on peut conclure que l'État de Burundi pourrait assurer une protection efficace à ses citoyens? Plus particulièrement, dans le cas de M. Ntunzwenimana, cela ce démontre comme une situation à l'intérieur de laquelle sa protection serait en toute probabilité, précaire, dans le sens qui va au delà de ceci, qui est considéré comme faisable par l'État.

[30]            La Commission a conclu que « Dans toute la preuve documentaire que le tribunal a pu prendre connaissance » , (sans cité la preuve documentaire à l'appui de sa conclusion) il n'y a pas des éléments pouvant conclure à un effondrement de l'État.

[31]            Premièrement, la Commission n'a pas examiné ou mentionné, dans sa décision, la preuve contradictoire qui indique que malgré les efforts du gouvernement à ce sujet, il y a encore des problèmes majeurs.

[32]            Cette preuve documentaire contradictoire a été mentionnée dans un document : Les civils dans la guerre au Burundi : Victimes au quotidien/Human Rights Watch, décembre 2003 ou il est indiqué :

a)          Les populations et personnes civiles sont généralement considérées comme devant bénéficier d'une protection contre les attaques. Les civils ou les biens de caractère civil ne peuvent être l'objet d'attaques délibérées. Les attaques sans discrimination sont interdites par le droit international humanitaire.

b)          A l'aube du 23 avril, les combattants FNL ont attaqué la brigade de gendarmerie de Kabezi. D'autres combattants FNL ont tendu une embuscade aux soldats gouvernementaux qui venaient renforcer la brigade, provoquant un échange de tirs dans lequel plusieurs civils ont perdu la vie. Les soldats ont par la suite délibérément tué des civils sur le site de l'embuscade et aux alentours. Ces massacres, et le caractère délibéré des tueries menées par les soldats, illustrent parfaitement le mépris, pour la vie des civils, qu'affichent tant l'armée gouvernementale que les combattants rebelles des FNL. (Souligné par la Cour)

c)          Des témoins rapportent qu'à un certain moment, pendant l'échange de tirs entre miliaires et rebelles ou peu de temps après, les militaires ont tiré sur les civils qui continuaient d'affluer dans leur direction, en courant.

d)          [...]Les autorités nationales n'ont fait aucun commentaire sur les évènements de Kabezi. [...]De nombreux témoins oculaires des évènements ont été menacés par les militaires et ont choisi de fuir la région, rendant la vérité encore plus difficile à établir.(Souligné par la Cour)

e)          Le jour suivant, le commandant militaire du camp Socarti et le chef de zone ont tenu une réunion avec la population locale, à la demande de celle-ci. Selon un témoin qui participait à la réunion, le commandant a mis en garde la population en disant que s'il y avait un autre policier ou militaire tué, « Ce sera la population de Kinama qui paiera. J'effacerai Kinama. (Souligné par la Cour)

f)           Les membres des forces armées burundaises sont stationnés à travers tout le pays, souvent sur de petites positions. Vivant à proximité étroite des populations civiles, ils s'approprient souvent leurs biens ou exigent d'elles des services. Certains ont délibérément tué ou blessé des civils au cours de leurs pillages ou simplement parce que ceux-ci refusaient de répondre à des injonctions. Quand ils étaient informés de ces crimes, ni les officiers militaires ni les autorités militaires en général n'ont daigné instruire les plaintes et encore moins poursuivre les coupables en justice. (Souligné par la Cour)

g)          Tueries et enlèvements commis par les FDD et les FNL

En même temps qu'ils combattaient contre les soldats gouvernementaux, les combattants des deux groupes rebelles ont très souvent délibérément ciblé des civils, dans certains cas, parce qu'ils les savaient ou les supposaient entretenir des liens avec les autorités ; dans d'autres cas, pour démontrer que les autorités n'étaient pas capables de protéger les gens dans une région donnée.

h)          Depuis le début du mois de septembre, les combattants FDD et FNL se sont affrontés dans les provinces de Bujumbura rural, Bubanza et Muramvya mais aussi dans les rues de Bujumbura. Au commencement, les forces étaient surtout engagées dans des affrontements réciproques, qui prenaient place dans les régions rurales, mais par la suite, elles ont aussi ciblé des personnes supposées entretenir des liens avec le mouvement rival. Dans de nombreux cas, les combattants ont délibérément tué les membres des familles et tous ceux supposés être en relation avec leur cible présumée. (Souligné par la Cour)

i)           Les témoins peuvent parfois identifier les responsables de ces incidents, mais le plus souvent, ils ne le font pas ou ne le veulent pas, généralement par peur de représailles. (Souligné par la Cour)

j)           Dans certains cas, les témoins rapportent que les militaires répondent aux appels à l'aide de la population et interviennent pour les protéger, mais le plus souvent, les victimes déclarent que les militaires et la police ne font pas grand chose pour arrêter les violences entre les combattants [...] on comptait au mois une partie de Bujumbura où c'étaient les FDD qui semblaient contrôler les mouvements des citoyens, plutôt que les autorités officielles. (Souligné par la Cour)

k)          Dans la preuve documentaire : BURUNDI - Souffrir en silence : les civils dans la guerre à Bujumbura rural - Un document d'information de Human Rights Watch, juin 2004 :

Différentes forces opèrent à Bujumbura rural. Les militaires de l'armée gouvernementale s'organisent en positions fixes, qui généralement sont assignées à un endroit pour un long terme et deviennent même familières aux populations, ainsi qu'en unités mobiles, qui ne restent en place que pour un temps limité. La province est aussi le théâtre d'opérations menées par les combattants FDD de Pierre Nkurunziza et ceux des FNL de Agathon Rwasa. Le nombre élevé d'hommes en armes opérant dans la même région rend plus difficile l'identification des auteurs des violations, les forces se renvoyant souvent la responsabilité, comme dans le cas du viol de Kirombwe sus-mentionné. Les FDD accusent les FNL et réciproquement, et même au sein des supposées alliances entre les FDD et les militaires de l'armée gouvernementale, chaque camp n'hésite pas à rendre l'autre responsable des abus commis.

Le défaut d'identification des auteurs des violations et de l'unité militaire à laquelle ils appartiennent permet de diluer les responsabilités et favorise l'impunité. (Souligné par la Cour)

[33]            La Cour a décidé que l'on doit évaluer toute la preuve documentaire dans son ensemble, et non en examiner chaque partie de façon isolée (Owusu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 33 (C.A.F.) (QL); Lai c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 245 (C.A.F.), [1989] A.C.F. no 826 (QL); Hilo c. Canada ((Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.), [1991] A.C.F. no228 (QL)). En procédant au contraire, l'intervention de la Cour est justifiée.

[34]            Par conséquent, la Cour a décidée que la Commission a commis une erreur en déclarant que M. Ntunzwenimana ne s'était pas déchargé de son obligation de chercher à obtenir la protection de son État d'origine.

Que le demandeur pourrait avoir une possibilité de refuge intérieur

[35]            La Cour a décidé que la Commission, en se basant sur la preuve documentaire antérieure, a erré aussi quand elle a conclu que M. Ntunzwenimana : « Effectivement, le demandeur a déménagé toujours dans la capitale mais la dernière fois que ce dernier a changé de domicile remonte en juillet 2003. Suite aux événements qu'il allègue avoir subi en octobre 2004, le demandeur n'a pas déménagé de domicile voire de ville ou d'état dans son pays. En constatant que le pouvoir tente par différents moyens d'enrayer les rebelles du FNL Palipehutu, nous croyons qu'outre le fait qu'il n'a pas requis la protection de l'État, ce dernier aurait pu à tous le moins changer de ville ou d'État dans son pays afin de s'affranchir des affres du FNL Palipehutu. »

[36]            Pourtant, la preuve documentaire récente allait en sens contraire. Si la Commission aurait eu l'occasion de commenter cette preuve, elle aurait, en toute probabilité, arrivée à la conclusion qu'un refuge intérieur au Burundi n'était pas une solution envisageable pour M. Ntunzwenimana dans sa situation particulière entourée de la preuve comme démontrée dans la documentation objective.

[37]            Il est bien établi par la jurisprudence que, pour conclure à l'existence d'une possibilité de refuge interne (PRI), un critère à deux volets doit être satisfait.

[38]            La Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Ntunzwenimana ne risquait pas sérieusement d'être persécuté au Burundi, et que, compte tenu de toutes les circonstances dont lui étant particulières la situation au Burundi, était telle qu'il serait déraisonnable pour M. Ntunzwenimana d'y chercher refuge.

[39]            Dans l'affaire Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.), [1994] 1 C.F. 589, [1993] A.C.F. no 1172 (QL), M. le juge Linden a fait la remarque suivante au sujet du second volet du critère relatif à la possibilité de PRI :

La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter.

[40]            La Commission n'a pas déterminé la question de tierce pays parce qu'elle n'a pas tenue compte des explications données par M. Ntunzwenimana et des contes du contexte présent dans le pays d'origine de M. Ntunzwenimana.

Que M. Ntunzwenimana n'est pas crédible quant à sa crainte subjective et que ce dernier n'a pas requis la protection des autorités de son pays

[41]            La Commission, pour arriver à cette conclusion, a retenu que M. Ntunzwenimana a réussi à s'échapper de son appartement pendant l'attaque des rebelles de FNL mais « a eu la possibilité de compléter sa valise et de s'enfuir par la porte arrière de la maison. » (Voir l'affaire Yé c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (F.C.A.), [1992] A.C.F. no 584 (QL), décision par M. le juge MacGuigan de la Cour fédérale d'appel.)

[42]            Or, M. Ntunzwenimana n'a jamais déclaré qu'il a complété sa valise. Pour des personnes qui vivent dans un pays ou règne la guerre civile et se trouvent toujours en état de survie, il est tout à fait habituelle d'avoir un minimum d'affaires prêts à apporter.

M. Ntunzwenimana n'a pas requis la protection ... des autres pays en démontrant les raisons pour ceci

[43]            M. Ntunzwenimana a quitté le Burundi le 31 octobre 2004 en transitant quelques heures par Hollande et en voyageant en transit d'une journée aux États-Unis.

[44]            Dans l'arrêt Papsouev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999) 168 F.T.R. 99, [1999] A.C.F. no 769, ou le revendicateur a séjourné 8 jours aux États-Unis (et non pas seulement une journée comme dans le cas de M. Ntunzwenimana), M. le juge Rouleau concluait :

Sans doute que bien des décisions appuient la thèse selon laquelle une commission peut tenir compte du caractère tardif d'une revendication du statut de réfugié pour attaquer la crédibilité d'un intéressé, mais aucune des décisions invoquées à l'appui de ce principe n'est utile étant donné qu'il ne s'agit pas du principal motif invoqué pour rejeter la revendication. Il s'agit habituellement d'un motif accessoire à ce qu'on considère comme un motif plus fondamental de ne pas reconnaître le statut de réfugié à un intéressé.

Par conséquent, même si la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles et a rejeté la relation de ce qui leur est arrivé en Russie parce qu'ils ont tardé à présenter leur revendication, elle devait quand même examiner ou commenter la question fondamentale de savoir si oui ou non les demandeurs avaient une crainte fondée de persécution en Russie du fait de leur religion[...]

[45]            Dans l'arrêt Gavryushenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1209 (QL), ou le demandeur a passé 3 semaines (21 jours) aux États-Unis, la Cour, en se référant à l'arrêt Ilie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 88 F.T.R. 220, [1994] A.C.F. no 1758 (QL), a mentionné les commentaires du professeur Hathaway dans The Law of Refugee Status (Toronto: Butterworths, 1991) :

Le fait qu'une personne ne saisit pas la première occasion pour revendiquer le statut de réfugié dans un pays signataire peut être un facteur pertinent dans l'appréciation de sa crédibilité, sans constituer pour autant une renonciation à son droit de le réclamer dans un autre pays.

[46]            Selon les conclusions retenues dans l'arrêt Dcruze c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999) 171 F.T.R. 76, [1999] A.C.F. no 987 (QL), par M. le juge Rouleau, la Cour a considéré que le retard de deux ans et six mois entre son départ du Bangladesh et sa demande du statut de réfugié au Canada n'était pas aussi important que dans la décision Cruz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1247 (QL), (retard de 7 ans) ou dans l'affaire Safakhoo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 440 (QL), (retard de 5 ans) et n'aurait pas dû être déterminant en l'espèce.

[47]            La Commission se dit comprendre que M. Ntunzwenimana peut venir au Canada pour rejoindre son père qui est au traitement médical au Canada, mais en tant que personne en détresse, devrait réclamer la protection dans le premier tierce pays que se dernier a franchi.

En vertu de la Convention, le réfugié n'est pas tenu de demander la protection du pays le plus proche de son pays d'origine, ou même du premier État dans lequel il s'enfuit.    Il n'est pas nécessaire non plus que le demandeur de statut quitte son pays de premier asile et se rende directement dans le pays où il a l'intention de demander une protection durable.

(Voir Gavryushenko, ci-dessus)

[48]            Dans l'arrêt Soueidan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 956, [2001] A.C.F. no 1397 (QL), M. le juge Blais a mentionné ce qui suit :

Cependant, la jurisprudence indique que le délai à revendiquer n'est habituellement qu'un motif parmi d'autres pour conclure à la non-crédibilité d'un revendicateur et ne constitue généralement pas à lui seul, un motif suffisant de rejet d'une revendication

[49]            Par conséquent, la manière dont la Commission a procédé, est manifestement déraisonnable, compte tenu des éléments qu'ils n'ont pas eu la chance d'être examinés de façon adéquate, peu importe la conclusion qu'auquel la Commission aurait arrivée. Néanmoins, c'était nécessaire de s'assurer d'une logique inhérente même si elle ne serait pas celle de la Cour, qui pourrait démontrer qu'elle a évalué les éléments principaux.

[50]            La Commission a errée à quelques reprises sur le statut du père de M. Ntunzwenimana; premièrement, le père n'est pas un conseiller à l'ambassade de son pays aux États-Unis, mais uniquement un fonctionnaire avec tâches liées au Ministère des relations étrangères et coopération.

[51]            De plus, le père de M. Ntunzwenimana n'est jamais venu au Canada afin de bénéficier d'un traitement médical. Le père de M. Ntunzwenimana est revendicateur du statut de réfugié au Canada et, au moment ou M. Ntunzwenimana est entré au Canada, il se trouvait aux États-Unis.

[52]            Aussi, la mère de M. Ntunzwenimana, suite à l'attaque à la bombe du 24 juin 2004, n'habite plus au domicile familial et ne travaille plus au Ministère des finances, comme la Commission a spécifiée, que M. Ntunzwenimana aurait pu être protégé grâce aux fonctions de ses parents, démontre un manque des informations imprécis.

[53]            Dans l'affaire Muzychka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 279 (QL), Mme le juge Tremblay-Lamer, affirmait :

En effet, il est bien établi en jurisprudence que le fait d'ignorer ou d'exclure un élément de preuve pertinent constitue une erreur de fait révisable.

[54]            Dans l'affaire Jeyachandra, ci-dessus, M. le juge McKeown a affirmé :

Nul doute qu'il appartient à la Commission d'évaluer les éléments de preuve; cependant, elle a négligé en l'espèce, d'établir, comme je l'ai dit ci-dessus, une distinction entre les preuves documentaires dont elle était saisie, pas plus qu'elle n'a fait le lien entre la preuve présentée et la situation particulière du requérant[...]

Du fait que la Commission a omis d'étudier les éléments de preuve à la lumière de la situation particulière du requérant, je suis fondé à croire qu'elle a commis une erreur de droit. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.[...]

[55]            Bien qu'il ait une présomption à l'effet que la Commission a étudié l'ensemble de la preuve, cette présomption n'est pas irréfutable.

CONCLUSION

[56]            Par conséquent, la conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité, manque une logique inhérente, compte tenu de la preuve objective et subjective.

[57]            Compte tenu de ce qui précède, la Cour décide qu'il s'agit des motifs sérieux pour retourner le dossier à la Commission pour redétermination par un panel autrement constitué.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.                   La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est retournée pour redétermination par un panel autrement constitué.

2.                   Aucune question sérieuse de portée générale est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6821-05

INTITULÉ :                                         LIONEL AUGUSTE NTUNZWENIMANA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE :                le 21 juin 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                       le 29 juin 2006

COMPARUTIONS:

Me Lia Cristinariu

POUR LE DEMANDEUR

Me Sylviane Roy

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

LIA CRISTINARIU

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS C.R.                                                                            POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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