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Date : 20240319


Dossier : T-732-22

Référence : 2024 CF 440

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2024

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

demanderesse

et

JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY, INC. et BTG INTERNATIONAL LTD.

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente ordonnance et les motifs connexes concernent un appel interjeté par le demandeur au sujet de la décision rendue oralement le 22 janvier 2024 [la décision] par le juge adjoint Horne, soit le juge responsable de la gestion de l’instance concernée, selon laquelle la demanderesse était obligée de produire ses états financiers pour les exercices 2019 jusqu’à maintenant, à la suite d’une question laissée sans réponse lors de l’interrogatoire préalable. La demanderesse porte la décision en appel sur le fondement de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles].

[2] Comme je l’explique en détail dans les motifs qui suivent, la requête et l’appel de la demanderesse seront rejetés, puisque cette dernière n’a pas démontré que le juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en ordonnant la production des états financiers.

II. Contexte

[3] L’action sous-jacente en l’espèce est fondée sur l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 [le Règlement]. Dans la présente action, la demanderesse, Pharmascience Inc. [PMS], sollicite des dommages-intérêts pour perte de profits résultant d’une action en contrefaçon infructueuse intentée par les défenderesses Janssen Inc., Janssen Oncology, Inc. et BTG International Ltd. [collectivement, Janssen] en vertu du Règlement.

[4] Le médicament en cause est l’abiratérone, qui est utilisé pour traiter le cancer de la prostate et qui fait l’objet du brevet canadien no 2 661 422 [le brevet 422]. En 2019, Janssen a intenté des actions fondées sur l’article 6 du Règlement contre plusieurs fabricants de produits pharmaceutiques génériques, y compris PMS, alléguant que leurs comprimés d’abiratérone génériques constituaient une contrefaçon du brevet 422. Ces actions ont été regroupées et finalement rejetées au motif que le brevet 422 était invalide (Janssen Inc c Apotex Inc, 2021 CF 7), et cette décision a été confirmée en appel (Janssen Inc c Apotex Inc, 2022 CAF 184). PMS a par la suite intenté la présente action fondée sur l’article 8 contre Janssen.

[5] Dans la présente action, PMS sollicite des dommages-intérêts pour les pertes subies selon une évaluation d’une « situation hypothétique » où PMS aurait reçu un avis de conformité dès le 30 septembre 2019 et aurait commencé à vendre son produit contenant de l’abiratérone plus tôt si elle n’en avait pas été empêchée par l’action fondée sur l’article 6 intentée par Janssen et par suite de l’application du Règlement. L’action de PMS vise notamment à réclamer des dommages-intérêts pour pertes de bénéfices et pour perte permanente de parts de marché, ainsi que des intérêts avant jugement.

[6] Les parties ont mené une première série d’interrogatoires préalables en septembre 2023. Le 20 décembre 2023, Janssen a déposé une requête visant à contraindre PMS à répondre à des questions soulevées lors de l’interrogatoire préalable qui avaient été laissées sans réponse. Dans son dossier de requête en réponse déposé le 15 janvier 2024, PMS a fourni au juge responsable de la gestion de l’instance les observations combinées des parties [les observations combinées] présentant les questions contestées dans une liste de points numérotés. Dans la requête, Janssen a demandé, entre autres réponses, la production des états financiers annuels de PMS pour l’ensemble de la société, pour les exercices 2019 jusqu’à maintenant. La demande de production des états financiers figure au point 41 des observations combinées et, dans les présents motifs, je désignerai cette demande par le terme « point 41 ».

III. Ordonnance faisant l’objet de l’appel

[7] Le juge responsable de la gestion de l’instance a instruit la requête le 22 janvier 2024. Certains des points contestés ont été tranchés au cours de l’audience, alors que d’autres ont été pris en délibéré. C’est l’un des points tranchés au cours de l’audience, soit la demande de production des états financiers au titre du point 41, qui constitue le fondement du présent appel. Le juge responsable de la gestion de l’instance a rendu sa décision sur les états financiers oralement et a fait droit à la demande de production de Janssen d’obliger PMS à produire les états financiers (tout en limitant la production aux états financiers de Pharmascience Inc., au lieu d’inclure ceux des sociétés liées).

IV. Questions en litige

[8] La présente requête fondée sur l’article 51 pour interjeter appel de la décision du juge responsable de la gestion de l’instance soulève les questions suivantes que la Cour doit trancher :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. Le juge responsable de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur en ordonnant la production des états financiers?

  3. Si la Cour estime que le juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur susceptible de contrôle, comment doit-elle statuer sur la demande de production des états financiers?

V. Analyse

A. Quelle est la norme de contrôle applicable?

[9] La norme de contrôle applicable dans un appel concernant l’ordonnance discrétionnaire d’un juge adjoint est celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit, et la norme de la décision correcte pour les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il y a une question de droit isolable (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 64, 66, citant Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen] aux para 17‑37). La question de droit peut être dissociée de la question mixte de fait et de droit lorsque le décideur énonce le critère juridique applicable, mais ne tient pas compte de tous les éléments de ce critère (Housen, au para 27).

[10] La Cour a en outre reconnu que le juge adjoint responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l’affaire, de sorte que l’intervention du juge des requêtes saisi d’un appel fondé sur l’article 51 ne doit pas être décidée à la légère. Il ne s’ensuit pas cependant qu’il faut laisser passer les erreurs de fait ou de droit (Hutton c Sayat, 2020 CF 1183 au para 28).

[11] Dans la présente requête, PMS soutient que, en ordonnant la production des états financiers, le juge responsable de la gestion de l’instance a commis deux erreurs de droit isolables qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte :

  1. PMS fait valoir que le juge responsable de la gestion de l’instance a conclu que les états financiers étaient pertinents en l’espèce au motif que certains états financiers avaient été jugés pertinents dans une autre décision rendue au titre de l’article 8 (Pharmascience inc c GlaxoSmithKline inc, 2007 CF 1261 [Carvedilol]);

  2. PMS affirme que le juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur de droit en énonçant la mauvaise norme juridique en matière de proportionnalité et en ne tenant pas compte de tous les éléments du principe de proportionnalité lorsqu’il a ordonné à PMS de produire les états financiers.

[12] Janssen prétend que la norme de contrôle applicable est celle de l’erreur manifeste et dominante. Elle invoque l’explication donnée dans l’arrêt Madison Pacific Properties Inc c Canada, 2019 CAF 19, qui indique que la portée de l’interrogatoire préalable autorisé dépend du contexte factuel et procédural de l’affaire, en tenant compte des principes juridiques applicables (au para 22). Par conséquent, la décision du juge adjoint sur la question de savoir s’il faut contraindre une partie à répondre à des questions lors de l’interrogatoire préalable est généralement une question de droit et de fait assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 177 [Hospira] au para 7). Janssen note également que la question de la proportionnalité a été qualifiée de discrétionnaire (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2015 CF 1292 au para 140).

[13] Je souscris aux principes sur lesquels se fonde Janssen et je conviens que les décisions relatives à la production de documents prises par les juges adjoints responsables de la gestion de l’instance sont généralement examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, laquelle commande la déférence. Cependant, PMS a soulevé des arguments particuliers pour que la Cour se prononce sur la question de savoir si le juge responsable de la gestion de l’instance a commis certaines erreurs de droit isolables, et je suis d’accord avec PMS pour dire que la Cour doit appliquer la norme de la décision correcte pour déterminer si la décision contestée contient de telles erreurs.

B. Le juge responsable de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur en ordonnant la production des états financiers?

[14] Comme le fait valoir PMS, pour obtenir une ordonnance contraignant une partie de fournir des renseignements ou de produire des documents lors de l’interrogatoire préalable, la partie requérante doit démontrer à la fois qu’une question ou demande est pertinente et que la production est conforme au principe de proportionnalité (Hospira, au para 8).

(1) Pertinence

[15] Comme je l’ai mentionné, PMS fait d’abord valoir que le juge responsable de la gestion de l’instance a conclu que les états financiers étaient pertinents en l’espèce en se fondant essentiellement sur le fait que certains états financiers avaient été jugés pertinents dans l’affaire Carvedilol. Elle fait valoir que l’analyse en cause représente l’application du mauvais critère ou la prise en compte d’un facteur non pertinent, ce qui équivaut à une erreur de droit (voir Canada (Commissaire de la concurrence) c Tuyauteries Canada Ltée, 2006 CAF 233 au para 80).

[16] PMS soutient en outre que le juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur en ne comprenant pas que la décision Carvedilol ne lie pas la Cour et ne constitue pas un précédent convaincant, et qu’elle se distingue de l’espèce. PMS s’appuie sur l’observation de notre Cour selon laquelle les principes du stare decisis et de courtoisie judiciaire s’appliquent aux conclusions de droit antérieures, et non aux conclusions de fait ou aux conclusions mixtes de droit et de fait (Amgen Inc c Pfizer Canada ULC, 2020 CF 522 au para 167).

[17] L’argument de PMS est fondé sur le paragraphe suivant de la transcription de la décision en cause :

[traduction]
Voici ce que je ferai, en particulier compte tenu de la décision 2007 CF 1261 rendue par le juge Mandamin, qui a mentionné au paragraphe 28 que les états financiers peuvent être des documents pertinents et sujets à production : j’ordonnerai que l’on réponde au point 41. Et si ce n’est pas implicite, je dirai qu’il s’agit des états financiers de Pharmascience Inc., et non de ceux des sociétés liées. Mais la réponse est oui.

[18] Je suis d’accord avec PMS pour dire que ce paragraphe démontre que la décision du juge Mandamin dans l’affaire Carvedilol a occupé une place importante dans la décision du juge responsable de la gestion de l’instance selon laquelle les états financiers étaient pertinents et devraient être produits. Toutefois, comme le souligne Janssen, il faut tenir compte du raisonnement du juge responsable de la gestion de l’instance dans son ensemble (Alberta Permit Pro v Booth, 2009 ABCA 146 au para 45).

[19] La décision visée en l’espèce n’est pas énoncée dans une ordonnance officielle. En fait, le dossier dont dispose la Cour dans le cadre du présent appel comprend une transcription de la partie de la requête soumise au juge responsable de la gestion de l’instance qui concernait le point 41, soit la demande de production d’états financiers, ainsi que quelques autres composantes de l’audience avant et après cette partie. La transcription d’environ 35 pages présente les questions posées par le juge responsable de la gestion de l’instance aux avocats des deux parties ainsi que leurs réponses à ces questions, puis se termine par le paragraphe ci‑dessus que PMS a cité. Je conviens avec Janssen qu’il est nécessaire d’examiner la transcription intégrale pour évaluer si le juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur. En effet, je ne comprends pas que PMS soutienne que seul le dernier paragraphe (qui est reproduit ci‑dessus) permet de comprendre le raisonnement du juge responsable de la gestion de l’instance.

[20] Après avoir examiné la transcription dans son ensemble, je suis d’accord avec Janssen pour dire que la transcription révèle que le juge responsable de la gestion de l’instance a reconnu que les plaidoiries encadrent les conclusions au sujet de la pertinence aux fins de la communication préalable et que ce juge a ensuite examiné la pertinence des états financiers en ce qui a trait aux trois questions en litige soulevées par Janssen concernant i) le calcul des dépenses de PMS en utilisant la méthode du coût complet; ii) l’évaluation des intérêts avant jugement réclamés appropriés; et iii) le taux d’actualisation applicable à la réclamation de PMS pour les pertes futures.

[21] Quant à l’importance de l’affaire Carvedilol dans la décision en cause, selon moi, la transcription n’indique pas que le juge responsable de la gestion de l’instance estimait qu’il était lié par cette décision antérieure, conformément aux principes du stare decisis ou de la courtoisie judiciaire. Le juge responsable de la gestion de l’instance a plutôt estimé que la décision Carvedilol était convaincante après avoir sollicité les observations des avocats sur ce précédent, notamment en demandant aux avocats de PMS s’ils estimaient que cette affaire se distinguait de l’espèce. En réponse à cette question, PMS a fait remarquer que les états financiers produits dans l’affaire Carvedilol étaient pertinents en ce qui concerne l’estimation des coûts variables potentiels à prendre en considération aux fins de la réclamation en dommages‑intérêts fondée sur l’article 8. PMS a ensuite insisté sur le fait que, si la Cour ordonnait la production d’états financiers, cette production devrait être limitée à Pharmascience Inc., sans viser le groupe de sociétés globalement.

[22] Je comprends l’argument mis de l’avant par PMS à l’instruction du présent appel, selon lequel la demande de Janssen relative à la production d’états financiers n’était pas fondée sur la pertinence aux fins du calcul des coûts variables. Selon la transcription, outre la mention que les états financiers dans l’affaire Carvedilol ont été produits comme étant pertinents relativement aux coûts variables, PMS n’a toutefois pas détaillé ce point précis dans un argument selon lequel il convient de distinguer Carvedilol, c.‑à‑d. que les documents qui sont pertinents relativement aux coûts variables ne seraient pas pertinents en ce qui concerne les questions particulières soulevées par Janssen dans sa défense.

[23] À mon avis, dans l’ensemble, la transcription démontre que le juge responsable de la gestion de l’instance a pris en compte la décision Carvedilol à titre de jurisprudence justifiant d’ordonner la production, mais il a également tenu compte de la pertinence des états financiers pour les questions particulières soulevées par Janssen dans sa défense. Je ne vois aucune raison de conclure que la décision en cause est fondée de manière inappropriée sur l’affaire Carvedilol ni qu’elle démontre une erreur de droit isolable du type allégué par PMS.

(2) Proportionnalité

[24] PMS soutient en outre que le juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur de droit en énonçant la mauvaise norme juridique en matière de proportionnalité, puis en ne tenant pas compte de tous les éléments du principe de proportionnalité lorsqu’il a décidé d’ordonner la production des états financiers.

[25] Premièrement, PMS fait valoir que le juge responsable de la gestion de l’instance n’a pas compris la nécessité d’évaluer la proportionnalité avant d’ordonner la production des états financiers. Deuxièmement, elle soutient que le juge responsable de la gestion de l’instance a assimilé le principe de proportionnalité à l’obligation pour PMS de démontrer qu’il y a contrainte excessive si on lui ordonne de produire les états financiers. PMS affirme que le juge responsable de la gestion de l’instance a ainsi commis des erreurs de droit qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[26] Je reconnais que le juge responsable de la gestion de l’instance n’a tiré aucune conclusion précise concernant la proportionnalité. Cependant, je suis d’accord avec l’observation de Janssen selon laquelle la transcription dans son ensemble démontre que le juge responsable de la gestion de l’instance a effectué une analyse de proportionnalité. Janssen porte à l’attention de la Cour les éléments suivants de la décision en cause, dont fait foi la transcription :

  1. Après avoir examiné au cours de l’audience si la production demandée concernait uniquement Pharmascience Inc. ou l’ensemble du groupe, le juge responsable de la gestion de l’instance a confirmé que l’ordonnance de production ne s’appliquait qu’à Pharmascience Inc.;

  2. Avant d’ordonner la production, le juge responsable de la gestion de l’instance a demandé aux avocats de Janssen à quel niveau de communication préalable correspondrait la production des états financiers. Janssen a confirmé qu’elle s’attendait, en se fondant sur les conseils de ses experts, à ce que les états financiers contiennent les renseignements demandés et ne donnent pas lieu à d’autres demandes de communication préalable;

  3. Avant d’ordonner la production, le juge responsable de la gestion de l’instance a demandé aux avocats de Janssen si la production des états financiers éliminerait d’autres demandes de production, et Janssen a confirmé que oui. Ainsi, il ressort de la transcription que, immédiatement après avoir ordonné la production des états financiers, le juge responsable de la gestion de l’instance a conclu qu’il n’était pas nécessaire de produire d’autres éléments de preuve demandés (point 39), puisque les états financiers répondraient aux besoins de Janssen;

  4. Avant d’ordonner la production, le juge responsable de la gestion de l’instance a confirmé que la procédure faisait l’objet d’une ordonnance conservatoire, qui comprenait une disposition sur l’« accès strictement réservé aux avocats » permettant de protéger la confidentialité des états financiers.

[27] Comme le fait valoir Janssen, ces éléments de la transcription démontrent que le juge responsable de la gestion de l’instance était conscient de la nécessité de tenir compte de la proportionnalité et ne s’est pas fondé uniquement sur la pertinence des états financiers lorsqu’il en a ordonné la production.

[28] Pour soutenir que le juge responsable de la gestion de l’instance a assimilé la proportionnalité à un fardeau et lui a imposé à tort l’obligation d’en prouver l’existence, PMS invoque une partie de la transcription concernant un moment antérieur de l’audience liée à la production qui a trait à une autre demande de renseignements sur les remises. Lors de cette partie de l’audience, les avocats de PMS ont souligné l’application du principe de proportionnalité et la nécessité pour Janssen de démontrer la pertinence; en réponse à ces affirmations, le juge responsable de la gestion de l’instance a soulevé le manque de données probantes sur le fardeau que la production de renseignements sur les remises imposerait à PMS.

[29] Encore une fois, je suis d’accord avec la réponse de Janssen selon laquelle cette partie de la transcription illustre l’attention portée à la proportionnalité. Certaines questions posées par le juge responsable de la gestion de l’instance aux avocats de PMS au cours de cette partie de l’audience portaient sur le nombre de médicaments autres pour lesquels des données sur les remises devraient être produites. En outre, comme le fait valoir Janssen, le fait que le juge responsable de la gestion de l’instance ait interrogé les avocats de PMS sur la preuve de l’existence d’un fardeau associé à la production des données relatives aux remises ne permet pas de conclure que le fardeau était le seul facteur pertinent dont ce juge a tenu compte en ce qui concerne la proportionnalité. De plus, je ne considère pas que ces questions posées à la partie dont on sollicite la production des documents en litige aient donné lieu à une erreur quant au fardeau de la preuve.

[30] Compte tenu l’approche à l’égard de la proportionnalité adoptée par le juge responsable de la gestion de l’instance lorsqu’il a examiné la demande de production des états financiers, je ne puis conclure qu’il considérait le fardeau comme étant le seul facteur pertinent en matière de proportionnalité. Je souscris à l’observation de PMS selon laquelle les facteurs relatifs à la proportionnalité comprennent non seulement le fardeau associé à la production de la preuve demandée, mais aussi le degré d’importance ou le lien avec l’affaire, la portée de la requête et la disponibilité des renseignements auprès d’autres sources (Hospira, au para 9). Toutefois, le fait que le juge responsable de la gestion de l’instance ait limité la production de manière à ce qu’elle ne s’étende pas à l’ensemble du groupe de sociétés de la demanderesse démontre clairement qu’il a tenu compte de la portée. Il ressort de l’attention accordée à la question de savoir si les états financiers contiendraient les renseignements recherchés et ne mèneraient pas à une demande de communication préalable supplémentaire qu’on a pris en compte le lien de la preuve avec l’affaire. De même, la décision du juge responsable de la gestion de l’instance de ne pas ordonner la production des documents relatifs au point 39, au motif que la production des états financiers fournirait les renseignements requis, montre que le juge était conscient de la pertinence de la disponibilité des renseignements auprès d’autres sources (bien qu’il ait décidé sur ce fondement de faire droit à la demande relative au point 41 et de rejeter la demande relative au point 39).

[31] Comme je l’ai déjà mentionné, l’analyse de la proportionnalité est de nature discrétionnaire, de sorte qu’il existe de nombreuses façons d’analyser certains ou tous les facteurs pertinents quant à la proportionnalité pour trancher la demande de Janssen concernant la production des états financiers, y compris par rapport aux autres demandes de cette dernière. Toutefois, lors d’une telle analyse, il y a lieu de faire preuve de la déférence que commande la norme de contrôle exigeant une erreur manifeste et dominante — ce qui n’est pas, en tout état de cause, le type d’erreur soulevé par PMS dans la présente requête. PMS soutient en fait que le juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur de droit, car il n’avait pas compris ou n’avait pas appliqué intégralement les principes juridiques régissant une demande de communication de documents. Elle ne m’a pas convaincu que la décision contient une telle erreur.

C. Si la Cour estime que le juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur susceptible de contrôle, comment doit-elle statuer sur la demande de production des états financiers?

[32] Lors de l’instruction du présent appel, les observations de PMS concernaient largement la manière dont la Cour devrait statuer sur la demande de production, notamment en examinant la pertinence des états financiers en ce qui concerne les questions concernant la méthode du coût complet, les intérêts avant jugement et le taux d’actualisation, dans l’éventualité où elle jugerait que la décision contient une erreur susceptible de contrôle. Cependant, malgré l’argumentation habile de PMS, je n’ai pas décelé une telle erreur. Par conséquent, l’appel sera rejeté et il n’y a pas lieu de traiter ces observations.

VI. Dépens

[33] Chacune des parties a réclamé des dépens dans l’éventualité où la présente requête est accueillie. La partie qui a obtenu gain de cause, Janssen, sollicite des dépens d’un montant forfaitaire de 3 000 $, plus la somme de 864,45 $ au titre des débours pour le coût de la transcription de l’audience qui a eu lieu devant le juge responsable de la gestion de l’instance. Pour justifier le montant forfaitaire, Janssen invoque la décision Apotex Inc v Janssen Inc, 2022 FC 1476 [Apo-abiraterone], dans laquelle notre Cour devait trancher un appel fondé sur l’article 51 des Règles visant la décision du juge responsable de la gestion de l’instance de ne pas exiger de réponses à certaines questions posées lors de l’interrogatoire préalable. Cette requête avait pris naissance dans le contexte d’une autre action fondée sur l’article 8 contre Janssen, par suite de son action fondée sur l’article 6 alléguant la contrefaçon du brevet 422 qui avait été rejetée. La Cour avait adjugé des dépens de 3 000 $ à la partie ayant obtenu gain de cause dans la requête (au para 55).

[34] PMS a préparé un mémoire de frais pour la présente requête, selon le milieu de la fourchette qui figure à la colonne III du tableau du Tarif B des Cours fédérales, au titre duquel elle soutient que les dépens afférents à la requête devraient être établis à 1 360,00 $. Elle fait en outre valoir que les coûts liés à la préparation de la transcription payés par Janssen ne devraient pas être inclus dans l’adjudication des dépens, puisqu’il n’était pas nécessaire de payer ces coûts. PMS fait remarquer qu’elle avait proposé que chaque partie prépare une transcription de la partie de l’audience qu’elle souhaitait invoquer, en donnant à l’autre partie la possibilité de la commenter, et elle soutient qu’elle ne devrait assumer aucun coût résultant de la décision unilatérale de Janssen de sous-traiter la préparation de la transcription.

[35] Si je fais abstraction du coût lié à la transcription pour le moment, je suis d’avis que la somme de 3 000 $ proposée par Janssen correspond au montant des dépens approprié. Dans les décisions interlocutoires en matière de propriété intellectuelle, il est courant d’adjuger les dépens sous forme de montant forfaitaire, et j’estime que la nature de la requête dans l’affaire Apo‑abiraterone est suffisamment similaire à celle visée en l’espèce pour appuyer la somme proposée par Janssen.

[36] En ce qui concerne les débours relatifs à la transcription, je signale que, le 3 mars 2024, la Cour a enjoint aux parties de préparer une transcription des parties de l’audience qui étaient pertinentes en ce qui concerne la décision faisant l’objet de l’appel et de déposer cette transcription au plus tard à midi le 6 mars 2024, en prévision de l’audience tenue le lendemain matin. Le 4 mars 2024, les avocats de PMS ont écrit à la Cour pour l’informer que les parties n’étaient pas parvenues à s’entendre sur un processus pour la préparation de la transcription, PMS proposant l’approche décrite ci‑dessus et Janssen étant d’avis que PMS devrait retenir les services d’un sténographe judiciaire pour préparer une transcription à ses frais. PMS a demandé à la Cour de lui donner des directives en vue de résoudre ce différend. Plus tard le 4 mars 2024, Janssen a informé la Cour qu’elle avait engagé un sténographe judiciaire et qu’elle s’attendait à pouvoir fournir une transcription dans les délais impartis. Par conséquent, aucune directive n’avait été donnée.

[37] À mon avis, les parties n’auraient pas dû avoir besoin des directives de la Cour pour comprendre qu’il était nécessaire de fournir une transcription étayant leurs arguments dans le cadre de l’appel fondé sur l’article 51, au lieu de présumer que la Cour s’appuierait sur l’enregistrement du SEA relatif à l’audience devant le juge responsable de la gestion de l’instance. Si les parties avaient entrepris ce travail plus tôt au cours du processus d’appel, il leur aurait été possible de produire la transcription de manière plus informelle, comme l’avait proposé PMS. Cependant, étant donné le moment auquel la Cour a réalisé qu’aucune transcription n’avait été préparée et a émis des directives à cet égard, seulement trois jours avant l’audience, je suis d’avis que l’approche proposée par Janssen et les débours s’y rapportant sont raisonnables. Par conséquent, je suis disposé à accorder le montant de 864,45 $ réclamé au titre des débours.


JUGEMENT dans le dossier T-732-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La requête et l’appel fondé sur l’article 51 des Règles de la demanderesse sont rejetés.

  2. J’adjuge aux défenderesses des dépens d’un montant forfaitaire de 3 000 $ dans le cadre de la présente requête, plus les débours s’élevant à 864,45 $.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

T-732-22

 

INTITULÉ :

PHARMASCIENCE INC. c JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY, INC. et BTG INTERNATIONAL LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 mars 2024

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 19 mars 2024

 

COMPARUTIONS :

Alyssa Gaffen

Marcus Klee

Aleem Abdulla

Émilie‑Anne Fleury

POUR LA DEMANDERESSE

Stephanie Anderson

Kelly Zhang

 

POUR LES DÉFENDERESSES

(JANSSEN INC. et BTG INTERNATIONAL LTD.)

 

David Yi

William Chalmers

POUR LES DÉFENDERESSES

(JANSSEN ONCOLOGY INC.)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aitken Klee LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Belmore Neidrauer LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

(JANSSEN INC. et BTG INTERNATIONAL LTD.)

Norton Rose Fulbright Canada LLP / S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

(JANSSEN ONCOLOGY INC.)

 

 

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