Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20240325

T-252-19

T-254-19

T-258-19

T-259-19

T-261-19

T-262-19

Référence : 2024 CF 463

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2024

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

Dossier : T-252-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

NADER GHERMEZIAN

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-254-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

MARC VATURI

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-258-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

GHERFAM EQUITIES INC.

défenderesse

ET ENTRE :

Dossier : T-259-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

PAUL GHERMEZIAN

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-261-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

RAPHAEL GHERMEZIAN

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-262-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

JOSHUA GHERMEZIAN

défendeur

MOTIFS DES NOUVELLES ORDONNANCES DE PRODUCTION

I. Aperçu et contexte

[1] La présente instance se rapporte à six demandes présentées par le ministre du Revenu national [le ministre], par lesquelles il implore la Cour de rendre des ordonnances fondées sur l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5suppl) [la Loi]. Les défendeurs sont cinq personnes, tous membres de la famille Ghermezian élargie, et une société apparentée, Gherfam Equities Inc. Chacune des demandes du ministre vise à obliger le défendeur concerné à fournir les documents et/ou les renseignements précédemment demandés par le ministre en vertu de l’article 231.1 et/ou de l’article 231.2 de la Loi.

[2] Le 23 février 2022, la Cour a prononcé son jugement et ses motifs [le jugement initial] dans le cadre de ces demandes (voir Canada (Revenu national) c Ghermezian, 2022 CF 236). Le jugement initial faisait droit aux demandes du ministre, sous réserve de certaines étapes restantes qui y étaient décrites, en vue d’appliquer les conclusions de la Cour, du fait que certains moyens de défense soulevés par les défendeurs avaient été retenus, à l’élaboration de l’ordonnance dans chaque demande. Ces conclusions comprenaient la décision selon laquelle le paragraphe 231.1(1) de la Loi n’autorisait pas le ministre à obliger un contribuable à répondre à des demandes de renseignements qui n’étaient pas consignés dans des documents (jugement initial, aux para 83, 111).

[3] À la suite des étapes procédurales décrites dans le jugement initial, la Cour a rendu les ordonnances de production le 8 juillet 2022 [les ordonnances]. Ces ordonnances étaient accompagnées de motifs supplémentaires portant la même date (voir Canada (Revenu national) c Ghermezian, 2022 CF 1010). Les motifs expliquaient les conclusions de la Cour sur les principaux litiges en suspens entre les parties concernant le type d’ordonnance dans les six demandes, comme il est énoncé dans les observations écrites fournies par les parties après le prononcé du jugement initial [les motifs supplémentaires].

[4] Les défendeurs ont interjeté appel du jugement initial, et le ministre a formé un appel incident. Les défendeurs ont également interjeté appel des ordonnances après que celles-ci eurent été rendues. Le 20 juillet 2022, avec le consentement des parties, la Cour d’appel fédérale [la CAF] a ordonné la jonction des appels et la suspension des ordonnances en attendant l’audience et la décision sur les appels [l’ordonnance de suspension].

[5] Le 1er septembre 2023, la CAF a rendu son jugement dans l’affaire Ghermezian c Canada (Revenu national), 2023 CAF 183 [Ghermezian CAF], par lequel il rejetait les appels des défendeurs et accueillait les appels incidents du ministre. En accueillant les appels incidents, dans l’arrêt Ghermezian CAF, il a été conclu que, conformément aux demandes présentées au titre du paragraphe 231.1(1) de la Loi, le ministre est autorisé non seulement à exiger la fourniture de documents, mais aussi à exiger la communication de renseignements non écrits (au para 42). La CAF a renvoyé ces demandes à la Cour afin que les parties aient l’occasion de lui demander de rendre de nouvelles ordonnances reflétant la question tranchée dans les appels incidents (au para 68).

[6] Le 6 octobre 2023, la Cour a tenu sa première conférence de gestion de l’instance [CGI] à la suite de la publication de l’arrêt Ghermezian CAF, afin d’examiner avec les parties leur position sur le processus que la Cour devrait adopter pour mener à bien l’instance et rendre de nouvelles ordonnances, conformément aux motifs de la CAF. Les défendeurs ont informé la Cour qu’ils avaient l’intention de présenter une demande d’autorisation de pourvoi, à l’encontre de l’arrêt Ghermezian CAF, devant la Cour suprême du Canada [la CSC] et ont soutenu que l’ordonnance de suspension servait à suspendre l’instance en l’espèce, en attendant l’issue de leur demande d’autorisation (et de tout pourvoi subséquent), et/ou que la Cour devrait mettre en œuvre une telle suspension. Le ministre s’est opposé à la position des défendeurs. Les parties ont également fait savoir qu’elles avaient des positions divergentes sur le processus que la Cour devrait adopter pour terminer l’instance concernant les nouvelles ordonnances et l’octroi des dépens.

[7] Par la suite, la Cour a donné des directives obligeant les parties à présenter des observations écrites sur les questions procédurales soulevées à la CGI du 6 octobre 2023, qui allaient être suivies d’une plaidoirie sur ces questions à une autre CGI prévue le 6 novembre 2023. La Cour a entendu les arguments des parties à la CGI et, le 8 novembre 2023, a rendu son ordonnance et ses motifs, rejetant la demande de suspension présentée par les défendeurs et prescrivant les étapes et les délais pour l’achèvement de la présente instance, qui culminent avec l’octroi des dépens [l’ordonnance rendue à la CGI]. Conformément à ces étapes, les parties ont présenté leurs observations écrites respectives (celles du ministre en date du 8 février 2024 et celles des défendeurs en date du 26 février 2024) sur le projet de type d’ordonnance pour chacune des nouvelles ordonnances. Les observations des parties comprennent également leurs projets de type d’ordonnance respectifs.

[8] À la suite du dépôt de ces observations, le ministre a déposé une brève lettre datée du 29 février 2024 visant à répliquer aux observations des défendeurs, et ces derniers ont déposé une brève lettre à la même date, à titre de surréplique. Ces lettres soulèvent la question de savoir si, relativement à la question qui a fait l’objet de l’appel incident interjeté devant la CAF, il existe une différence dans le sens de l’expression « renseignements ne figurant pas déjà dans un document » (utilisée dans le jugement initial, au para 112, et dans l’ordonnance rendue à la CGI, aux para 6, 31), et de l’expression « renseignements non écrits » (utilisée dans l’arrêt Ghermezian CAF, au para 42). Bien que les étapes procédurales énoncées dans l’ordonnance rendue à la CGI n’aient pas envisagé le dépôt de ces observations en réplique et en surréplique, j’en tiendrai compte afin de répondre à la question qui y est soulevée.

[9] La Cour rendra les nouvelles ordonnances de production [les nouvelles ordonnances] à la même date que les présents motifs. Les présents motifs visent à expliquer la décision que j’ai rendue en ce qui a trait aux principaux litiges énoncés dans les observations écrites des parties.

II. Les questions en litige

[10] Selon mon examen des observations écrites des parties, les questions suivantes représentent les principaux points de désaccord sur le projet de type des nouvelles ordonnances :

  1. la question de savoir si les nouvelles ordonnances se limitent aux « renseignements ne figurant pas déjà dans un document »;

  2. le délai que doivent respecter les défendeurs pour se conformer aux nouvelles ordonnances;

  3. la question de savoir si le ministre cherche à rétablir la demande visant certains éléments pour lesquels il a déjà concédé qu’il n’était pas nécessaire de les inclure dans les ordonnances;

  4. La question de savoir si les nouvelles ordonnances doivent inclure un libellé restrictif.

III. Analyse

A. La question de savoir si les nouvelles ordonnances se limitent aux « renseignements ne figurant pas déjà dans un document »

[11] Le principal désaccord de fond entre les parties concernant les nouvelles ordonnances a trait à la question de savoir si ces ordonnances devraient obliger les défendeurs à fournir des renseignements qui figurent déjà dans des documents.

[12] Conformément au libellé contenu dans le jugement initial, au paragraphe 112, et dans l’ordonnance rendue à la CGI, aux paragraphes 6 et 31, les observations écrites du ministre énoncent que les nouvelles ordonnances ne doivent comprendre que le point relativement étroit selon lequel le ministre est autorisé non seulement à exiger la communication de documents, mais aussi à exiger la communication de renseignements ne figurant pas déjà dans des documents. Les défendeurs soutiennent que, conformément à la conclusion de la CAF selon laquelle la Cour avait commis une erreur en concluant que le paragraphe 231.1(1) de la Loi n’autorisait pas le ministre à exiger la communication de renseignements non écrits (arrêt Ghermezian CAF, au para 42), les nouvelles ordonnances ne devraient inclure que des renseignements qui ne figuraient pas déjà dans des documents (p. ex. des renseignements consignés afin de s’en souvenir). En d’autres termes, les défendeurs soutiennent que tout renseignement qui se trouve dans leurs livres et registres n’est pas visé par les paramètres énoncés dans l’arrêt Ghermezian CAF et qu’il dépasse la portée de la présente procédure relative aux nouvelles ordonnances.

[13] Les défendeurs font donc valoir que la grande majorité des ajouts proposés par le ministre aux ordonnances doivent être rejetés, car ils se rapportent à des renseignements qui figurent déjà dans les livres et les registres des défendeurs.

[14] Dans sa lettre de réplique, le ministre souligne que l’expression « renseignements ne figurant pas déjà dans un document » n’est pas utilisée dans l’arrêt Ghermezian CAF et que cette expression ne figure que dans les décisions antérieures rendues par notre Cour. La CAF parle plutôt de « renseignements non écrits ». Dans leur surréplique, les défendeurs soutiennent qu’il n’y a pas de différence marquée entre ces deux expressions.

[15] À cet égard, pour ce qui est de la différence entre ces deux expressions, je suis d’accord avec les défendeurs. Le point juridique pour lequel le jugement initial donnait gain de cause aux défendeurs, et qui a été infirmé dans l’arrêt Ghermezian CAF, était de savoir si le ministre pouvait s’appuyer sur le paragraphe 231.1(1) de la Loi pour obliger les défendeurs à fournir des réponses écrites aux questions visant à obtenir des renseignements plutôt que des documents qui existaient déjà. Les réponses écrites documenteraient bien entendu les renseignements demandés. D’où la référence au fait que ces renseignements « ne figura[ient] pas déjà dans un document ». Toutefois, il n’y a pas de différence marquée entre l’utilisation de ce libellé par la Cour et la référence faite par la CAF à des « renseignements non écrits ».

[16] Malgré cette conclusion, je conclus qu’il n’existe aucun fondement à la position des défendeurs selon laquelle, si les renseignements demandés figurent dans leurs livres et registres, ces renseignements ne devraient pas être inclus dans les nouvelles ordonnances. La position adoptée par les défendeurs devant notre Cour, au moment de l’audience qui a mené au jugement initial, était qu’il n’était pas possible d’interpréter le libellé du paragraphe 231.1(1) comme autorisant l’exigence de communication de renseignements autres que ceux qui étaient contenus dans un document (voir le jugement initial, au para 8). Comme les défendeurs ont eu gain de cause à l’égard de cette position, le jugement initial a eu pour effet d’exclure des ordonnances certaines demandes qui visaient la communication de renseignements plutôt que la production de documents précis.

[17] En effet, l’objectif principal du processus postérieur au jugement qui a donné lieu à la délivrance des motifs supplémentaires et des ordonnances était de déterminer quelles demandes présentées par le ministre devraient être exclues des ordonnances, parce qu’elles visaient à exiger la production de réponses écrites à des questions, plutôt que la production de documents (motifs supplémentaires, aux para 4, 5). Par conséquent, lorsque la CAF a accueilli l’appel incident sur ce point, concluant que la Cour avait commis une erreur en jugeant que le ministre ne pouvait exiger que des renseignements écrits (arrêt Ghermezian CAF, au para 61), il était nécessaire de renvoyer ces demandes à la Cour pour que de nouvelles ordonnances soient rendues, conformément à ses motifs (arrêt Ghermezian CAF, au para 70).

[18] De ce fait, le mandat de la Cour après que l’appel incident a été accueilli consiste à déterminer quelles demandes présentées par le ministre au titre de l’article 231.1 de la Loi ont été exclues des ordonnances initiales, parce qu’elles visaient des renseignements plutôt que des documents, et à inclure ces demandes dans les nouvelles ordonnances. Ces renseignements n’ont pas été exclus des ordonnances au motif qu’ils étaient déjà consignés dans les livres et les registres des défendeurs, mais plutôt parce que la demande présentée par le ministre visait à obtenir des renseignements plutôt que des documents précis. Par conséquent, le fait qu’une grande partie ou l’ensemble des renseignements demandés soient déjà consignés dans les livres et les registres des défendeurs ne constitue pas un motif pour exclure ces renseignements des nouvelles ordonnances.

[19] En effet, dans l’arrêt Ghermezian CAF, il est fait remarquer au paragraphe 22 (avec une mention de la décision Canada (Revenu national) c Miller, 2021 CF 851; confirmée par l’arrêt Miller c Canada (Revenu national), 2022 CAF 183 [Miller]) que le paragraphe 231.1(1) fait référence à des « renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer ». En fait, l’existence des renseignements demandés dans les livres et les registres des défendeurs appuie la position du ministre selon laquelle ces renseignements devraient maintenant être ajoutés aux ordonnances.

[20] Avant de clore ce sujet, je note la prétention des défendeurs selon laquelle leurs observations écrites déposées auprès de la Cour le 5 janvier 2022, avant la tenue de l’audience qui a mené au jugement initial, ont soulevé la question de savoir si les documents ou les renseignements demandés par le ministre figuraient dans leurs livres et registres ou s’ils devraient y figurer. À titre d’exemple, les défendeurs mentionnent les observations écrites déposées par le défendeur, Raphael Ghermezian, faisant valoir que le ministre n’avait pas prouvé que certains renseignements demandés (par exemple, les renseignements bancaires de diverses entités non résidentes) figuraient dans ses propres livres et registres ou qu’ils devraient y figurer.

[21] Toutefois, les défendeurs font valoir cette prétention uniquement dans le but d’affirmer que les observations écrites du ministre contiennent sans doute des assertions inexactes, car le ministre a soutenu que les défendeurs n’avaient pas prétendu que les renseignements qu’il exigeait ne devraient pas figurer dans leurs livres et registres. Les défendeurs ne fournissent pas d’autres explications en ce qui a trait à leur prétention ni ne font référence à des éléments de preuve à l’appui dont était saisie la Cour au moment de rendre le jugement initial et les ordonnances. En examinant les arguments des défendeurs qui tentaient de faire la distinction d’avec l’affaire Miller, la CAF a déduit du jugement initial que la question de savoir si les renseignements demandés auraient dû figurer dans les livres et registres des défendeurs n’était pas essentielle à leurs arguments devant la Cour (Ghermezian CAF, au para 38). Conformément à cette conclusion, les défendeurs n’ont soulevé, au cours de la présente procédure relative aux nouvelles ordonnances, aucun argument de fond ou convaincant selon lequel les renseignements demandés ne figuraient pas dans leurs livres et registres ou qu’ils ne devraient pas y figurer.

[22] En effet, l’observation des défendeurs qui a été examinée ci-dessus, selon laquelle la grande majorité des ajouts proposés par le ministre aux ordonnances doivent être rejetés puisqu’ils concernent des renseignements qui figurent déjà dans les livres et les registres des défendeurs, est incompatible avec un tel argument. En revanche, le ministre présente des observations convaincantes selon lesquelles les ajouts proposés à l’ordonnance représentent des renseignements qui devraient être contenus dans les livres et les registres des défendeurs, voire dans les documents devant déjà être produits, conformément aux ordonnances initiales.

[23] Pour clore cette première question en litige, je juge que l’argument des défendeurs concernant les documents déjà produits qui contiennent les renseignements demandés par le ministre ne constitue pas un motif pour rejeter l’une ou l’autre des modifications proposées par le ministre aux ordonnances.

B. Le délai que doivent respecter les défendeurs pour se conformer aux nouvelles ordonnances

[24] Les défendeurs font remarquer que le 31 octobre 2023, ils ont déposé devant la CSC un avis de demande d’autorisation de pourvoi de la décision rendue dans l’arrêt Ghermezian CAF. Le ministre a déposé une réponse à la demande d’autorisation le 13 décembre 2023, et les défendeurs ont déposé leur réplique le 4 janvier 2024. Le défendeur soutient que la CSC rend généralement sa décision à l’égard d’une demande d’autorisation entre un et trois mois après la mise en état de la demande, de sorte que les défendeurs prévoient recevoir une décision vers le mois d’avril 2024.

[25] Comme la demande d’autorisation des défendeurs vise à faire infirmer le jugement de la CAF, ils soutiennent que, si l’autorisation et, ultimement, le pourvoi sont accueillis, il existe une réelle possibilité que le ministre ne soit pas autorisé à exiger la production, en tout ou en partie, des documents et des renseignements demandés aux défendeurs. Par conséquent, ils soutiennent que, s’ils doivent se conformer aux nouvelles ordonnances avant qu’une décision soit rendue relativement à l’autorisation de pourvoi, ils auront été obligés de fournir au ministre les documents faisant l’objet du pourvoi, ce qui rendrait ce dernier théorique.

[26] Pour ce motif, les défendeurs s’opposent à la demande du ministre selon laquelle ils doivent se conformer aux nouvelles ordonnances dans les 30 jours suivant leur délivrance. Les défendeurs soutiennent que le délai de 30 jours devrait commencer à compter de la date à laquelle la CSC rendra sa décision relativement à la demande d’autorisation. Ils insistent sur le fait qu’ils ne demandent pas la suspension de la présente procédure relative aux nouvelles ordonnances, mais qu’ils cherchent plutôt à donner effet aux principes de l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], c’est-à-dire l’application des Règles afin d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, ainsi que l’application du principe de proportionnalité.

[27] Le ministre soutient que, conformément au délai accordé dans les ordonnances initiales, 30 jours constituent un délai raisonnable et suffisant pour que les défendeurs produisent les documents et les renseignements exigés dans les nouvelles ordonnances.

[28] Le délai accordé aux défendeurs pour se conformer aux ordonnances faisait l’objet d’un litige à la date des motifs supplémentaires, et la Cour a conclu que 30 jours à partir de la délivrance des ordonnances étaient raisonnables pour se conformer (au para 19). La requête présentée par les défendeurs en vue d’obtenir une prorogation de délai ne repose pas sur le délai nécessaire pour se conformer aux ordonnances, mais plutôt sur l’effet que pourrait avoir sa demande d’autorisation et sur un pourvoi possible devant la CSC. Toutefois, les défendeurs ont soulevé cet argument, et la Cour l’a rejeté dans le cadre du processus qui a mené à l’ordonnance rendue à la CGI (aux para 10-25). Conformément au raisonnement suivi dans l’ordonnance rendue à la CGI, je refuse de modifier le délai qui a été adopté lorsque les ordonnances initiales ont été délivrées. Les nouvelles ordonnances accorderont donc aux défendeurs 30 jours après la date à laquelle elles ont été délivrées pour s’y conformer.

C. La question de savoir si le ministre cherche à rétablir la demande visant certains éléments pour lesquels il a déjà concédé qu’il n’était pas nécessaire de les inclure dans les ordonnances

[29] Les défendeurs soutiennent que les projets de nouvelles ordonnances du ministre démontrent que des efforts ont été déployés pour rétablir la demande concernant certains éléments que celui-ci avait retirés des présentes demandes. Les défendeurs n’ont pas expliqué en détail cette position. Ils ont simplement fait valoir que les projets d’ordonnances du ministre devraient être lus avec soin, parce que, dans de nombreux cas, des ajouts ont été faits aux ordonnances initiales, sans que les modifications aient été soulignées pour attirer l’attention sur ces ajouts. Les observations écrites des défendeurs font référence à plusieurs exemples, mais précisent que ces exemples ne constituent pas une liste exhaustive.

[30] Je souscris à la position des défendeurs selon laquelle le ministre semble avoir proposé des modifications aux nouvelles ordonnances qui n’ont pas été expressément mises en évidence, aux fins de leur examen par les défendeurs ou par la Cour. Je conviens également que cette lacune est malheureuse, car elle crée du travail supplémentaire pour les défendeurs et pour la Cour. Toutefois, cette lacune n’est pas importante pour la décision de fond que la Cour doit rendre dans le cadre de la délivrance de nouvelles ordonnances, conformément au mandat énoncé dans l’arrêt Ghermezian CAF. J’ai examiné les exemples présentés par les défendeurs, et je juge qu’il n’existe aucun motif permettant de conclure que les modifications proposées ne sont pas appropriées.

[31] Les défendeurs affirment, dans leurs observations relatives aux nouvelles ordonnances individuelles, que le ministre cherche maintenant à intégrer de nouveau et de façon inappropriée la portée des éléments qui avaient été retirés lorsque les ordonnances initiales avaient été délivrées. Toutefois, les défendeurs n’ont rien fourni de particulier à l’appui de ces observations. Les défendeurs soutiennent également que certains des renseignements que le ministre cherche à intégrer de nouveau dans les nouvelles ordonnances individuelles ne se trouveraient sans doute pas en la possession du défendeur visé, ou que le fait d’obliger les défendeurs à déployer les efforts nécessaires pour fournir des renseignements qui sont déjà consignés dans d’autres documents ne servirait aucun objet. Toutefois, le mandat restreint donné à la Cour par l’arrêt Ghermezian CAF ne lui permet pas de se prononcer sur ces arguments.

D. La question de savoir si les nouvelles ordonnances doivent inclure un libellé restrictif

[32] Parmi les modifications proposées par le ministre aux ordonnances, mentionnons la suppression de l’expression [traduction] « s’ils existent ». Dans les motifs supplémentaires (aux para 10, 23), il est conclu qu’elle constitue une demande appropriée (des défendeurs) visant à l’inclure dans les ordonnances initiales, et qu’elle est conforme à la conclusion du jugement initial, selon lequel le paragraphe 231.1(1) ne permet pas au ministre d’exiger la création d’un document.

[33] Le ministre fait maintenant valoir que ce libellé devrait être supprimé dans les nouvelles ordonnances, parce qu’il n’a été inclus qu’en réponse à la conclusion de la Cour (infirmée par la suite en appel), selon laquelle l’article 231.1 ne permet pas au ministre d’exiger la fourniture de renseignements non écrits. Toutefois, les défendeurs semblent s’opposer à cette modification, en invoquant un argument selon lequel l’arrêt Ghermezian CAF a rejeté une telle modification (aux para 63-66).

[34] À mon avis, les défendeurs interprètent mal l’arrêt Ghermezian CAF. Selon mon interprétation de l’arrêt de la CAF, celle‑ci ne donne pas à entendre que la suppression de l’expression [traduction] « s’ils existent » était inappropriée, mais seulement que la suppression de ce libellé ne serait pas nécessairement, à elle seule, suffisante pour apporter les modifications aux ordonnances qui seraient exigées par le fait d’accueillir l’appel incident. La CAF a souligné en particulier que, dans le processus menant à la délivrance des ordonnances, le ministre a présenté des projets de type d’ordonnance en se fondant sur sa compréhension du jugement initial et qu’il avait donc pu exclure des éléments des projets d’ordonnances, au motif qu’ils constituaient des demandes de renseignements non écrits (Ghermezian CAF, au para 67).

[35] J’estime que le retrait de l’expression [traduction] « s’ils existent » est approprié, mais, conformément au point mentionné ci-dessus et énoncé par la CAF, le ministre a également inclus dans ses projets de nouvelles ordonnances des éléments supplémentaires qui étaient contenus dans les demandes antérieures et qui avaient été supprimés, conformément au jugement initial. Outre les arguments généraux examinés dans les présents motifs et les arguments que j’ai rejetés au paragraphe 31 des présentes, les défendeurs n’ont soulevé aucun argument particulier quant à savoir pourquoi ces éléments ne devraient pas maintenant être inclus. Je conclus que leur inclusion concorde avec l’issue de l’appel incident qui a été accueilli.

IV. Conclusion

[36] Après avoir examiné les observations respectives des parties, je conclus que les nouvelles ordonnances devraient être délivrées sous la forme des projets d’ordonnances proposés par le ministre.

V. Les dépens

[37] Les nouvelles ordonnances n’adjugeront aucuns dépens dans le cadre des demandes ni ne prévoiront de processus pour en adjuger. L’ordonnance rendue à la CGI prévoit plutôt qu’à la suite du prononcé par la Cour de la nouvelle ordonnance pour chacune des présentes demandes, le ministre disposera de 14 jours pour signifier et déposer des observations sur les dépens, d’au plus trois pages, ainsi que tout mémoire de frais ou autre document à l’appui. Le défendeur disposera ensuite de 14 jours, à compter de la signification des observations du ministre sur les dépens, pour signifier et déposer des observations sur les dépens, encore une fois d’au plus trois pages, ainsi que tout mémoire de frais ou autre document à l’appui. Le ministre disposera de cinq jours à compter de la signification des observations du défendeur sur les dépens pour signifier et déposer une réplique, d’au plus deux pages.

[38] La Cour s’attend à ce que les observations des parties traitent du droit à l’adjudication des dépens et de leur montant. Les parties sont invitées à proposer des montants forfaitaires, étayés par des précédents, pour les dépens qui seront ultimement adjugés. Après réception des observations des parties, la Cour statuera sur l’adjudication des dépens.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-252-19, T-254-19, T-258-19, T-259-19, T-261-19, et T-262-19

 

INTITULÉ :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL C NADER GHERMEZIAN; MINISTRE DU REVENU NATIONAL C MARC VATURI; MINISTRE DU REVENU NATIONAL C GHERFAM EQUITIES INC; MINISTRE DU REVENU NATIONAL C PAUL GHERMEZIAN; MINISTRE DU REVENU NATIONAL C RAPHAEL GHERMEZIAN; MINISTRE DU REVENU NATIONAL C JOSHUA GHERMEZIAN

À LA SUITE DES OBSERVATIONS ÉCRITES

 

MOTIFS DES NOUVELLES ORDONNANCES DE PRODUCTION :

 

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 25 mars 2024

COMPARUTIONS :

Rita Araujo

Angelica Buggie

Pour le demandeur

Bobby J. Sood

Stephen S. Ruby

 

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Davies Ward Phillips

& Vineberg S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs

 

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