Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20240327


Dossier : IMM-4397-23

Référence : 2024 CF 470

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2024

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

IBIWUNMI RAHMAN OLADELE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Ibiwunmi Rahman Oladele, est un citoyen du Nigéria. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a jugé que la Section de la protection des réfugiés [la SPR] avait eu raison de conclure que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

[2] M. Oladele a demandé l’asile, alléguant qu’il risquait d’être persécuté (1) par sa famille maternelle, les personnes associées au palais royal, les traditionalistes, la collectivité et la police de sa ville natale Ayedun, au Nigéria, puisqu’il est perçu comme étant homosexuel; (2) par sa famille et la communauté musulmane parce qu’il s’est converti au christianisme; et (3) par le milieu des chefs pour avoir refusé un poste de chef associé à sa lignée paternelle.

[3] La SPR a tenu deux journées d’audience, a conclu que les questions déterminantes étaient celles de la crédibilité et des possibilités de refuge intérieur [PRI] viables, et a rejeté la demande d’asile de M. Oladele. Ce dernier a fait appel de la décision de la SPR devant la SAR et a soutenu que l’enregistrement de l’audience de la SPR qu’il avait reçu était incomplet. Cet enregistrement ne comprend pas l’interrogatoire du demandeur par son avocate ni les observations de cette dernière à la SPR.

[4] Dans les observations qu’il a présentées à la SAR, M. Oladele soutenait, entre autres, que l’enregistrement incomplet de l’audience de la SPR constitue un manquement à l’équité procédurale.

[5] La SAR n’a pas souscrit à l’argument de M. Oladele selon lequel l’enregistrement incomplet de l’audience de la SPR constituait un manquement à l’équité procédurale. La SAR a noté qu’aucun droit à l’enregistrement ou à la transcription des procédures devant la SPR n’est prévu par la loi, et a souligné qu’elle devait essentiellement déterminer si elle était en mesure de statuer convenablement sur l’appel en l’absence du dossier complet (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Liang, 2009 CF 955).

[6] Après avoir examiné le dossier ainsi que les arguments présentés par M. Oladele en appel, la SAR a conclu que l’absence du troisième enregistrement audio pour la séance du 3 mars 2022 ne l’empêchait pas d’évaluer convenablement la preuve ainsi que le bien-fondé de la décision de la SPR.

[7] La SAR, au paragraphe 11 de ses motifs, a pris acte des observations de M. Oladele selon lesquelles son avocate, en raison de l’enregistrement incomplet, n’avait pas été en mesure d’établir adéquatement ce qui était ressorti de l’audience de la SPR et de présenter, pour le demandeur, des observations appropriées et complètes d’une manière éthique. Contrairement à ce qu’allègue le demandeur, j’estime que l’utilisation de l’expression « prendre acte » dans ce contexte ne signifie pas que la SAR a souscrit aux observations du demandeur. En fait, à la lecture du paragraphe dans son intégralité, il est évident que la SAR n’a pas souscrit aux observations du demandeur.

[8] La SAR a donc conclu que l’enregistrement incomplet n’avait pas empêché M. Oladele d’exercer valablement son droit d’appel, et que celui-ci n’avait pas fait valoir ou démontré qu’il existait une possibilité sérieuse d’erreur dans le dossier. Par conséquent, la SAR a conclu que l’enregistrement incomplet de l’audience de la SPR ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale.

[9] La SAR a ensuite évalué l’appel, et a noté que la question déterminante était celle de la crédibilité.

[10] Devant la Cour, M. Oladele adopte l’unique position selon laquelle la SAR a violé son droit à l’équité procédurale parce qu’elle a rejeté son appel en se fondant sur les conclusions défavorables en matière de crédibilité sans avoir eu accès à l’enregistrement complet de l’audience de la SPR.

[11] M. Oladele soutient essentiellement que la SAR n’était pas en mesure d’évaluer convenablement sa crédibilité puisqu’elle n’avait pas accès à l’enregistrement complet de l’audience de la SPR. Il ajoute que la crédibilité est centrale en l’espèce, et qu’il ne fait aucun doute que la SAR ne pouvait effectuer sa propre analyse indépendante du dossier sans l’enregistrement complet de l’audience de la SPR.

[12] Je note que, lorsqu’il est question de l’équité procédurale, il convient de déterminer si le processus qui a conduit à la décision était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-55; Do c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 927 au para 4; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 215 au para 6).

[13] Les principes qui s’appliquent aux arguments de M. Oladele sont établis. Comme madame la juge Elizabeth Walker l’a déclaré au paragraphe 13 de la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1535 [Singh], la SPR n’a pas l’obligation d’enregistrer les audiences relatives aux demandes d’asile même s’il est pratique courante de le faire. La juge Walker a cité les propos du juge John Norris dans la décision Patel c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 804 [Patel] exposant le principe suivant :

[31] [...] Dans les cas où il n’y a pas de droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, « les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d’appel ou de révision. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle » (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c Montréal (Ville), [1997] 1 RCS 793, au paragraphe 81). D’autre part, si la Cour ne peut statuer sur la demande dont elle est saisie en raison de l’absence d’une transcription, il y aura manquement aux règles de justice naturelle.

[14] La Cour a également confirmé qu’il incombe au demandeur de soulever une question « qui a une incidence sur l’issue de l’affaire et qui peut uniquement être tranchée sur la transcription de ce qui a été dit à l’audience pour que l’absence de transcription empêche la Cour d’examiner correctement la question » (Singh, au para 11; Patel, au para 32, citant Nweke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 242 au para 34). L’absence d’un enregistrement complet soulève des doutes lorsque la crédibilité est une question centrale, comme en l’espèce (Patel, au para 33).

[15] Monsieur le juge Sébastien Grammond a indiqué que le demandeur doit identifier les éléments manquants de l’enregistrement et expliquer en quoi ceux-ci sont déterminants pour résoudre une question centrale à sa demande d’asile. Il a ajouté que lorsque le demandeur invoque des coupures dans l’enregistrement de l’audience, il doit démontrer une « possibilité sérieuse » que ces coupures l’aient privé d’un moyen d’appel (Ait Alhocine c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2020 CF 1068 aux para 29-30, renvoyant à Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c Montréal (Ville), [1997] 1 RCS 793 au para 81). La jurisprudence démontre clairement que ces principes s’appliquent tout autant lorsque la crédibilité du demandeur est une question déterminante.

[16] Malheureusement, devant la Cour, M. Oladele n’a pas identifié les éléments manquants de l’enregistrement ni expliqué en quoi ceux-ci sont déterminants, ce qui porte un coup fatal à sa demande.

[17] À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, M. Oladele n’a soumis qu’un seul affidavit, le sien, souscrit le 2 mai 2023, dans lequel il affirme (1) avoir lu le dossier du demandeur; et (2) déclarer que toutes les observations qui y sont présentées sont véridiques et qu’il les a formulées au mieux de ses connaissances. En réponse aux questions de la Cour, l’avocate du demandeur a confirmé qu’aucun autre élément de preuve n’a été sollicité afin d’identifier les éléments manquants de l’enregistrement. Par conséquent, M. Oladele ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait, comme il est énoncé dans les décisions de la Cour, d’identifier les éléments manquants de l’enregistrement et d’expliquer en quoi ceux-ci sont déterminants.

[18] M. Oladele n’a donc pas établi que la SAR avait commis une erreur en concluant que le fait de trancher son appel en l’absence de l’enregistrement complet de l’audience de la SPR n’entraînait pas un manquement à l’équité procédurale. Je rejetterai donc la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4397-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4397-23

INTITULÉ :

IBIWUNMI RAHMAN OLADELE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MARS 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 27 MARS 2024

COMPARUTIONS :

Me Jihane Chikhi

POUR LE DEMANDEUR

Me Jeanne Robert

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Jihane Chikhi

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.