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Date : 20060719

Dossier : IMM-3580-06

Reference : 2006 CF 900

Montréal (Québec), le 19 juillet 2006

En présence de Monsieur le juge Lemieux

ENTRE :

BOGUI SERGE DAGRI

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET PROTECTION CIVILE CANADA

défendeurs

            Requête de la partie demanderesse visant à obtenir un sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi émise contre la partie demanderesse.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Bogui Serge Dagri (le demandeur), un citoyen de la Côte d'Ivoire dont la demande d'évaluation des risques avant renvoi (ERAR) a été refusée le 26 mai 2006, recherche un sursis de l'exécution de sa mesure de renvoi jusqu'à ce qu'il soit décidé de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de l'ERAR;

[2]                Sa demande d'asile fut refusée le 14 juillet 2004 et sa demande d'autorisation refusée par cette Cour;

[3]                Les risques identifiés par M. Dagri sont les suivants :

(a)           la situation politique en Côte d'Ivoire est volatile et caractérisée par la violence;

(b)           en raison de son nom de famille et de sa parenté avec Mme Henriette Dagri Diabaté, il serait ciblé. (Mme Henriette Dagri Diabaté est la secrétaire générale du parti politique Rassemblement des Républicains (RDR), parti de l'opposition. Elle est Ministre de la Justice dans le gouvernement de réconciliation nationale comportant des représentants de l'ancien parti au pouvoir et du RDR);

(c)           il serait aussi ciblé en raison de son ethnicité Alladjan.

[4]                La plaidoirie de la procureure de M. Dagri est axée sur le fait qu'un agent ERAR avait décidé, le 16 novembre 2004, que son frère Angelo Dagri méritait la protection du Canada aux motifs qu'il était à risque d'être ciblé par la violence dû au fait qu'il porte le nom de famille Dagri, qu'il est de parenté avec Henriette Dagri Diabaté et que la situation en Côte d'Ivoire était particulièrement dangereuse et instable;

[5]                L'agent de l'ERAR (l'agent), fonde sa décision négative sur les éléments suivants :

[6]                Premièrement, il estime que l'état actuel de la situation en Côte d'Ivoire a beaucoup évolué depuis la publication du plus récent document soumis par M. Dagri, c'est-à-dire le document No 11 en date du 15 janvier 2006. C'est pour cela que l'agent n'accorde qu'un poids limité à l'ERAR de son frère « lequel traitait des circonstances particulières d'un demandeur dans les contexte de la crise ivoirienne telle qu'elle se présentait en novembre 2004, et non telle qu'elle se présente à l'heure actuelle » ;

[7]                Deuxièmement, il mentionne, d'après une preuve documentaire fiable, que depuis avril 2006 « des progrès substantiels ont été réalisés vers l'atteinte des objectifs des Accords Marcoussis, qui prévoit désormais la tenue d'élection en octobre 2006 » . Il note les démarches entamées afin de doter les Ivoiriens de cartes de nationalité, en vue des élections, et remarque le fait que les milices du gouvernement et des rebelles ont entamé la première phase de démobilisation;

[8]                Troisièmement, il précise que les leaders des deux parties veulent atteindre une solution négociée et que des chefs rebelles reviennent en Côte d'Ivoire après une période d'exil. D'après cette preuve documentaire, le président Ivoirien reconnaît que son principal adversaire a le droit de se porter candidat aux élections alors que son exclusion fut un des facteurs clés qui déclencha la crise à l'origine;

[9]                Il exprime sa conclusion sur ce point :

Bien que le climat politique demeure tendu et que la situation sécuritaire continue d'être volatile, cette situation constitue un risque généralisé auquel tous les Ivoiriens sont exposés, plutôt qu'un risque personnalisé à l'égard du demandeur. À la lumière de la preuve soumise par le demandeur et de l'ensemble de son dossier, ainsi que la preuve documentaire objective sur la situation actuelle en Côte d'Ivoire, le demandeur ne s'est pas déchargé du fardeau qui lui incombe, de démontrer qu'il est personnellement exposé aux risques qu'il invoque. J'en conclu qu'il n'y a pas plus qu'une simple possibilité qu'il soit exposé à ces risques ou à un autre risque tel que défini aux articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Conséquemment, la présente demande de protection ne rencontre pas les exigences des considérations communes à tous les motifs de protection. La demande est rejetée.

[10]            Sur sa crainte d'être ciblé en raison de son nom de famille, l'agent écrit :

Je note à cet égard que le demandeur ne rapporte pas avoir été ciblé en tant que membre de la famille de Mme Diabaté pendant qu'il était en Côte d'Ivoire et que la crise battait son plein, et il ne mentionne pas que d'autres membre de la famille ont vécu de tels problèmes, soit avant qu'il parte ou depuis qu'il est au Canada. D'autre part, je note que le lien familial décrit par le demandeur - Mme Diabaté serait la fille d'un cousin de son père- est relativement ténu, et qu'il n'a déposé aucune preuve afin de démontrer ce lien. Auprès de la CISR, le demandeur a indiqué n'avoir rencontré Mme Diabaté qu'une seule fois, en 1997, et ne pas savoir comment la rejoindre. À la lumière de ce qui précède, le demandeur n'a démontré ni que la famille de Mme Diabaté est ciblée, ni qu'il entretien le lien de parenté qu'il allègue avec Mme Diabaté. J'en conclu que le demandeur ne s'est pas déchargé du fardeau de démontrer qu'il est personnellement exposé à un risque découlant d'un lien de parenté avec la Ministre de la justice de la Côte d'Ivoire.

[11]            Enfin l'agent est d'avis que la preuve documentaire soumise par M. Dagri n'appuie pas son risque d'être ciblé en raison de son appartenance à l'ethnie Alladjan;

[12]            Cette demande de sursis doit être rejetée au motif que le demandeur ne m'a pas convaincu de l'existence d'une question sérieuse, que M. Dagri subirait un préjudice irréparable et que la balance des inconvénients le favorise;

[13]            La procureure de M. Dagri soulève comme questions sérieuses à l'encontre de l'évaluation ERAR :

(1)           manque d'analyse et d'explications;

(2)           insuffisance des motifs surtout concernant le changement dans la situation actuelle en Côte d'Ivoire et comment ce changement réduit les risques allégués ou modifie les conclusions de l'agent ERAR dans le cas de son frère; et

(3)           mauvaise interprétation de la preuve quant à la conclusion que M. Dagri n'est pas personnellement exposé aux risques identifiés.

[14]            Je dois écarter ces prétentions. J'estime que l'agent a bien motivé ses conclusions. Le lecteur de son évaluation comprend très bien pourquoi l'agent est arrivé à sa décision. Il reconnaît que la situation en Côte d'Ivoire est difficile et constitue un risque généralisé pour tous les Ivoiriens. Son analyse démontre que M. Dagri n'a pas apporté suffisamment d'éléments de preuve pour le convaincre qu'il serait exposé aux risques allégués;

[15]            Je note que l'agent ERAR, dans le cas de son frère, est venu à la conclusion que celui-ci n'était pas une personne à protéger sous l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, mais devant une preuve documentaire différente que celle produite par M. Dagri, que son frère était un réfugié au sens de la Convention;

[16]            Le demandeur a déposé une preuve documentaire récente indiquant que madame Diabaté et certains autres hauts responsables du RDR avaient été l'objet d'agression au retour d'un événement politique. Cependant, cette preuve ne peut infirmer la conclusion de l'agent que M. Dagri n'avait pas déposé une preuve suffisante pour établir la probabilité d'être ciblé en raison de son nom de famille;

[17]            Je conclue aussi à l'absence de préjudice irréparable. L'absence de question sérieuse comme le plaide la procureure des Ministres démontre, de toute évidence le fait que le demandeur n'a pas établi la présence d'un préjudice irréparable;

[18]            La décision de la Cour fédérale d'appel dans l'arrêt Selliah c. Canada (M.C.I.) [2004] A.C.F. No 1200 m'incite à conclure que la balance des inconvénients favorise les Ministres;


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que cette demande de sursis soit rejetée.

« François Lemieux »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3580-06

INTITULÉ :                                          BOGUI SERGE DAGRI

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET PROTECTION CIVILE CANADA

défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :                18 juillet 2006

MOTIFS :                                           monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                       19 juillet 2006

COMPARUTIONS:

Me Andrea C. Snizynsky

POUR LE DEMANDEUR

Me Caroline Doyon

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Andrea C. Snizynsky

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

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