Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20240408


Dossier : IMM-3981-23

Référence : 2024 CF 542

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2024

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

Paramjit KAUR

Amandeep KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Paramjit Kaur et sa fille, Mme Amandeep Kaur, citoyennes de l’Inde, demandent le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] ayant conclu qu’elles n’avaient pas satisfait leur fardeau et qu’elles n’avaient ni la qualité de réfugiées au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi sur l’immigration].

[2] Dans leur demande d’asile, les demanderesses, de confession sikhe, allèguent craindre la police locale et être ciblées par celle-ci en raison de l’affiliation politique de M. Bhupinder Singh, mari de la demanderesse principale et père de la codemanderesse.

[3] La SPR estime que la crédibilité des demanderesses est minée par un témoignage vague, des incohérences et omissions importantes et l’usage de preuve frauduleuse. La SPR conclut que (1) selon la prépondérance des probabilités, il n’y a pas de témoignage crédible ou d’autre preuve que le père et mari des demanderesses, M. Singh, était membre du parti Akali Dal Amritsar ou qu’il était impliqué politiquement; (2) selon la prépondérance des probabilités, les demanderesses n’ont pas eu les interactions alléguées avec la police; les demanderesses n’ont fourni que des détails vagues et limités à propos de leurs interactions avec la police locale qu’elles affirment pourtant craindre; (3) les demanderesses ont fourni un témoignage contradictoire quant au moment où elles allèguent avoir commencé à craindre la police et quant à la prise de décision de quitter leur domicile; et (4) les demanderesses n’ont pas quitté leur domicile jusqu’à leur départ définitif de l’Inde le 4 novembre 2021, bien qu’elles avaient une crainte et qu’elles détenaient chacune un visa de visiteur canadien depuis le 3 octobre 2019; et (5) la preuve déposée (deux affidavits de témoin et deux lettres médicales) était frauduleuse et non probante.

[4] Dans sa décision, la SPR estime de plus qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable et fait état de l’absence de minimum de fondement aux termes du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration.

[5] Devant la Cour, les demanderesses soutiennent que la décision de la SPR doit être cassée à cause d’une inférence négative de crédibilité basée sur une accumulation de contradictions et d’incohérences périphériques, citant Venegas Beltran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1475 aux para 3‑4.

[6] Les demanderesses ne contestent que deux des conclusions de la SPR soit (1) celle liée à l’affiliation politique de M. Singh, les demanderesses soutenant que le fait pour la demanderesse principale d’avoir une connaissance limitée de l’implication politique de son mari est une incohérence mineure; et (2) celle en lien avec leurs interactions initiales avec la police estimant qu’il n’est pas apparent comment la demanderesse principale aurait pu donner un témoignage plus détaillé à propos des arrestations de son conjoint. Les demanderesses soumettent donc que la conclusion tirée par la SPR au sujet de la crédibilité, à partir d’une divergence telle que celle-ci, sans importance, rend la décision déraisonnable.

[7] Je ne souscris pas à la position des demanderesses quant aux deux conclusions identifiées. Je suis au contraire convaincue qu’il est raisonnable pour la SPR de considérer les lacunes dans le témoignage des demanderesses en lien avec l’affiliation politique du père et mari aux fins de l’évaluation de leur crédibilité. Cet aspect de leur demande d’asile n’est pas mineur ou périphérique, tel que les demanderesses le soutiennent, mais est plutôt central à leur demande d’asile puisqu’il s’agit précisément du motif principal de persécution qu’elles ont allégué. Ensuite, je conclus aussi qu’il est raisonnable pour la SPR de douter que les interactions initiales des demanderesses avec la police se situent en septembre 2021, tel que les demanderesses l’ont indiqué lors de l’audience et non pas bien avant, lors des arrestations de M. Singh. En effet, elles ont plutôt indiqué dans leur narratif écrit avoir interagi avec la police lors de chacune des arrestations de M. Singh en juin et en août 2021 (Dossier Certifié du Tribunal à la p 87). La distinction que les demanderesses tentent de faire entre une interaction directe et un autre type d’interaction n’est pas justifiée.

[8] Je note, comme les parties, que la norme de la décision raisonnable s’applique (Rejuvan c Canada, 2023 CF 642 au para 19; Regala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 192 au para 5; Janvier c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 142 au para 17). Le rôle de la cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85 [Vavilov]; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 8). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99).

[9] Ainsi, la Cour doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). De plus, il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

[10] Ensuite, la présomption de véracité a ici été renversée sur la base d’importantes lacunes tant au niveau de la preuve documentaire soumise que du témoignage des demanderesses. Ces dernières n’ont simplement pas été en mesure d’établir les éléments centraux de leur demande d’asile, ce qui a négativement affecté leur crédibilité.

[11] Les incohérences notées par la SPR sont avérées et elles touchent sans équivoque à des éléments qui sont au cœur de la demande d’asile des demanderesses. Les conclusions de la SPR sont raisonnables à la lumière du dossier et des dispositions de la Loi sur l’immigration et de la jurisprudence.

[12] Au surplus, je note aussi que les conclusions d’absence de crédibilité relèvent de l’expertise de la SPR et attirent une déférence considérable (Mbuyamba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 918 au para 28, citant Kahumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 551 aux para 31-32; Lunda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 704 au para 36).

[13] Enfin, le paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration prévoit que lorsqu’un demandeur ne présente aucun élément de preuve crédible ou digne de foi qui aurait pu fonder une décision favorable, la SPR doit conclure à l’absence de minimum de fondement de la demande (Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89 au para 51; Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314 au para 19).

[14] C’est bien le cas en l’espèce et la conclusion de la SPR est raisonnable à cet égard. Les demanderesses n’ont en outre pas contesté la conclusion de la SPR quant au caractère frauduleux des documents présentés en preuve et de leur absence de valeur probante.

[15] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je suis convaincue que la décision de la SPR possède les attributs d’intelligibilité, de transparence et de justification requis en vertu de la norme de la décision raisonnable, et qu’aucun motif ne justifie l’intervention de la Cour.

[16] L’intitulé de cause sera est modifié pour reconnaitre le défendeur comme le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (article 4 de la Loi sur l’immigration).


JUGEMENT dans le dossier IMM-3981-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demanderesses est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. Aucun dépens n’est accordé.

  4. L’intitulé de cause est modifié pour nommer le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme le défendeur approprié.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3981-23

INTITULÉ :

PARAMJIT KAUR ET AL v LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (qUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 MARS 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 8 AVRIL 2024

COMPARUTIONS :

Me Aboubakar Ouedraogo

Pour leS demandeurS

Me Annie Flamand

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Aboubakar Ouedraogo

Gatineau (Québec)

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.