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Date : 20240411


Dossier : IMM-3107-23

Référence : 2024 CF 575

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2024

En présence de l’honorable juge Pamel

ENTRE :

JASPREET KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Jaspreet Kaur, est citoyenne de l’Inde. Elle affirme craindre pour sa sécurité, car elle a participé à une campagne de sensibilisation antidrogue destinée aux jeunes de sa communauté. Mme Kaur allègue que certains trafiquants de drogue influents ainsi que la police étaient impliqués dans le trafic de drogue au sein de cette communauté. Elle demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 3 février 2023 par la Section de la protection des réfugiés [SPR], qui a rejeté sa demande d’asile en raison de l’absence de minimum de fondement prévu au paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SPR n’est pas déraisonnable, et que la demande de Mme Kaur doit être rejetée.

II. Contexte

[3] En février 2014, Mme Kaur aurait dénoncé au département des narcotiques du Pendjab le harcèlement subi par son cousin. Par la suite, elle aurait commencé à recevoir des menaces et des appels de la police, qui la soupçonnait d’avoir des informations sur son cousin désormais recherché. En septembre 2014, un individu aurait enlevé Mme Kaur, l’aurait agressée sexuellement et aurait exigé son silence. Les trafiquants de drogue lui auraient alors demandé de retrouver son cousin, qui leur était redevable. Les menaces de la police et des trafiquants de drogue auraient augmenté, la laissant craindre pour sa vie en Inde.

[4] Par la suite, Mme Kaur a quitté le pays pour Chypre, où elle a travaillé comme aide familiale de 2014 à 2018. En décembre 2018, Mme Kaur a déposé une demande de permis de travail au Canada. Elle a quitté Chypre pour retourner en Inde afin d’achever cette demande; durant cette période, elle aurait été enlevée et torturée par la police du Pendjab. Elle aurait été libérée le 9 février 2019; elle est ensuite retournée à Chypre. Mme Kaur est arrivée au Canada en mars 2019 et a travaillé comme aide familiale résidente en Ontario d’avril 2019 à juin 2020. Le 18 juin 2020, Mme Kaur a déposé sa demande d’asile.

III. Question en litige et norme de contrôle

[5] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : la décision de la SPR concluant à l’absence de minimum de fondement à la demande d’asile de la demanderesse est-elle raisonnable? La norme de contrôle adéquate pour la révision d’une décision de la SPR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16-17). Le rôle de la Cour est d’examiner le raisonnement suivi par le décideur administratif et le résultat obtenu afin d’établir si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85).

IV. Analyse

[6] À l’issue de l’évaluation du dossier, la SPR n’a relevé aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel fonder une décision d’accepter la demande d’asile. La SPR était d’avis que le récit de Mme Kaur était vague, que son témoignage était changeant et que plusieurs des documents soumis étaient faux. Dans ses observations écrites, Mme Kaur n’aborde pas la question de l’absence de minimum de fondement, mais insiste plutôt sur l’évaluation faite par la SPR de sa crédibilité ainsi que des documents qu’elle a déposés. Devant moi, cependant, son avocat concède que les observations écrites de Mme Kaur ont été préparées comme s’il s’agissait du contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés et non d’une décision de la SPR; Mme Kaur a donc recentré son argumentation pour mieux tenir compte des conclusions de la SPR.

[7] Tout d’abord, Mme Kaur souligne que la SPR a fait fi de la présomption de véracité à l’égard de ses propos (MalDonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, 1979 CanLII 4098, [1980] 2 CF 302 (CAF). Je ne suis pas d’accord. La SPR a clairement reconnu ses obligations; elle a déclaré :

[traduction]

[34] Quand un demandeur jure que certains faits sont vrais, cela crée une présomption qu’ils le sont, à moins qu’il n’existe des raisons valables de douter de leur véracité. Toutefois, cette présomption ne s’applique pas aux inférences ou aux conclusions tirées par un témoin à partir des faits ni aux spéculations pour lesquelles il n’existe aucun élément de preuve.

[8] Mme Kaur plaide que la SPR l’a jugée non crédible sans étayer cette décision par des éléments de preuve. Pourtant, après une analyse approfondie du récit et du témoignage de Mme Kaur, la SPR résume pourquoi elle conclut qu’elle n’est pas un témoin crédible :

[traduction]

[36] En l’espèce, je constate, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse a offert de nombreuses raisons de douter de la véracité de ses allégations, notamment par son récit vague comportant des incohérences, son témoignage changeant et sa dépendance à des documents qui, selon moi, ont plus de chances d’être faux ou fabriqués exprès pour soutenir sa demande.

[9] Et plus loin :

[traduction]

[102] Selon la prépondérance des probabilités, je suis d’avis que la demanderesse a fabriqué les allégations selon lesquelles elle aurait effectué du travail social dans le cadre de la lutte contre la drogue. Étant donné que son engagement dans ce type de travail était la raison pour laquelle elle était ciblée par des policiers corrompus ayant intérêt à ce que l’usage de la drogue augmente, il est logique que Mme Kaur soit portée à fabriquer des allégations de harcèlement ou de menaces de la part de la police pour cette raison. En conséquence, cela mine sa crédibilité en tant que témoin.

[10] Et finalement :

[traduction]

[133] Je suis d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’est pas un témoin crédible en raison de ces incohérences, des contradictions et omissions dans les éléments de preuve, de son témoignage changeant et du fait qu’elle s’est fié à de faux documents fabriqués d’après des caractéristiques qu’elle avait précisées. En conséquence, je suis d’avis qu’il n’est pas possible d’établir que les événements, véridiques selon la demanderesse, se sont réellement produits.

[11] Je n’ai pas été convaincu que ces conclusions étaient déraisonnables.

[12] De plus, Mme Kaur allègue que la SPR n’a pas évalué l’ensemble des éléments de preuve oraux et documentaires et que la SPR a pris en compte uniquement certains des éléments qui appuyaient sa conclusion. Selon Mme Kaur, la SPR aurait rejeté en bloc pratiquement tous ses arguments et aurait omis d’évaluer certains éléments de preuve très pertinents, tels les documents relatifs à la situation de la demanderesse et la preuve relative à des personnes qui se trouvent dans une situation analogue.

[13] Enfin, devant moi, Mme Kaur fait valoir que les conclusions de la SPR selon lesquelles il n’y avait pas de preuves crédibles ou dignes de foi étaient fondées sur des généralités et étayées par peu d’éléments de fond. Je ne suis pas d’accord avec Mme Kaur. Dans une décision de plus de 35 pages, la SPR décortique chaque document déposé par Mme Kaur, ainsi que son témoignage et son comportement au cours des trois audiences; en effet, trois audiences ont été nécessaires en raison des nombreuses demandes de report de Mme Kaur. La SPR conclut toutefois que Mme Kaur n’a déposé aucune preuve documentaire indépendante et crédible susceptible d’étayer une décision favorable.

[14] En fin de compte, il est évident, à la lecture de la décision, que la SPR est d’avis que Mme Kaur n’est pas un témoin crédible. Étant donné que les allégations de menaces et les documents déposé par Mme Kaur ont été rejetés par la SPR, il ne restait plus aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel fonder une décision favorable à sa demande d’asile. La SPR a donc conclu que la demande de Mme Kaur n’avait pas le minimum de fondement prévu au paragraphe 107(2) de la LIPR. Je n’ai pas été convaincu qu’il y ait quoi que ce soit de déraisonnable dans cette conclusion.


JUGEMENT au dossier IMM-3107-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3107-23

 

INTITULÉ :

JASPREET KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 AVRIL 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 avril 2024

 

COMPARUTIONS :

Me Paul Eyouck

Pour lA demanderesse

Me Michèle Plamondon

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Paul Eyouck, avocat

Montréal (Québec)

 

Pour lA demanderesse

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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