Dossier : T-1506-20
Référence : 2024 CF 604
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 22 avril 2024
En présence de monsieur le juge McHaffie
ENTRE : |
MERIDIAN MANUFACTURING INC. |
demanderesse (défenderesse reconventionnelle) |
et |
CONCEPT INDUSTRIES LTD. |
défenderesse (demanderesse reconventionnelle) |
ORDONNANCE ET MOTIFS :
I. L’aperçu de l’affaire
[1] Meridian Manufacturing Inc. (Meridian) et Concept Industries Ltd. (Concept) ont toutes deux présenté des requêtes en interrogatoire préalable dans le cadre de la présente action en contrefaçon de brevet. Dans sa requête, Meridian soutient que Concept a manqué à ses obligations en matière de communication de documents en ne produisant les documents pertinents qu’à la suite de l’interrogatoire préalable du représentant de Concept, Lonny Thiessen. Elle demande au Tribunal de sanctionner ce manquement en radiant certains paragraphes de la défense et de la demande reconventionnelle de Concept, en empêchant Concept de s’appuyer sur les nouveaux documents lors de l’instruction ou en adjugeant des dépens. Dans sa requête, Meridian cherche également à obtenir des réponses à certains engagements pris lors de l’interrogatoire préalable; la production de copies non caviardées de certains documents produits; une ordonnance substituant un autre représentant de la société à M. Thiessen pour l’interrogatoire préalable; d’autres réparations connexes.
[2] Dans sa requête, Concept cherche à obtenir des réponses à certaines questions posées, et à certains engagements pris, lors de l’interrogatoire préalable du représentant de Meridian, Samuel Plett; une ordonnance demandant à M. Plett de se présenter pour un nouvel interrogatoire préalable; et toute réparation connexe.
[3] Les parties, et c’est tout à leur honneur, ont réglé un certain nombre des questions soulevées dans leurs avis de requête respectifs. Les présents motifs répondent aux questions litigieuses pendantes. À cet égard, je conclus ce qui suit : a) bien que Concept ait manqué à ses obligations en matière de divulgation de documents, il n’y a pas lieu de recourir à la « mesure très radicale »
de la radiation des actes de procédure, ou d’empêcher Concept de s’appuyer sur les nouveaux documents lors de l’instruction; b) il est juste et approprié d’ordonner que Concept paie certains frais découlant de sa production tardive de documents, ainsi que certains frais liés à la poursuite de l’interrogatoire préalable de M. Thiessen, lequel doit avoir lieu de toute façon comme le reconnaît Concept; c) Meridian ne m’a pas convaincu qu’il était approprié d’ordonner la substitution d’un autre représentant de la société à M. Thiessen; d) il convient de répondre à la seule question découlant de l’interrogatoire de M. Thiessen qui demeure pendante (la question no 348); e) des copies non caviardées des documents en cause devraient être fournies, pour l’instant, à l’avocat de Meridian au titre du privilège de l’avocat; f) il n’y a pas lieu de répondre aux deux questions découlant de l’interrogatoire de M. Plett qui demeurent pendantes (les questions no 107 et no 263).
[4] La requête de Meridian est donc accueillie en partie, tandis que les quelques questions soulevées par Concept dans sa requête et demeurées pendantes sont rejetées. Les dépens nets afférents aux requêtes, dont la somme cumulative s’élève à 1500$, sont payables à Concept quelle que soit l’issue de la cause.
II. La requête de Meridian
A. Le contexte
[5] Dans son action, introduite en décembre 2020, Meridian allègue que Concept a contrefait le brevet canadien n° 3,036, 430 [le brevet 430]. Le brevet 430 porte sur un fond conique sur lequel repose une trémie, notamment une cellule à grain. Le brevet 430 et les principales questions en litige sont décrits dans la décision du juge Zinn, qui rejette les requêtes en jugement sommaire des parties : Meridian Manufacturing Inc. c Concept Industries Ltd., 2023 CF 20 [Meridian (jugement sommaire)]. Comme le souligne le juge Zinn, Concept fait notamment valoir en défense que le brevet 430 est invalide pour cause d’antériorité ou d’évidence, car la trémie fabriquée par JTL Industries Ltd., connue sous le nom de trémie Force Air 360 [la trémie de JTL] existait avant ce brevet : Meridian (jugement sommaire), aux para 2, 12, 51.
[6] Concept a communiqué son affidavit de documents conformément à l’article 223 des Règles des Cours fédérales, SOR/98-106 en décembre 2021. L’annexe 1 de Concept contient 22 documents, dont certains sont des captures d’écran, des vidéos, des photographies ou des dessins. Au début de l’année 2022, l’action a été scindée avec l’accord des parties. Peu après, Concept a présenté une requête en jugement sommaire par laquelle elle demandait le rejet de l’action au motif qu’elle n’avait pas contrefait le brevet ou que ce dernier était invalide. Dans sa réponse à la requête de Concept, Meridian a demandé qu’un jugement sommaire soit rendu en sa faveur. La requête a finalement été entendue par le juge Zinn à la fin de l’année 2022.
[7] Dans sa décision du 4 janvier 2023 par laquelle il rejetait la requête, le juge Zinn a conclu que ni la question de la contrefaçon du brevet 430 ni celle de sa validité ne pouvaient être tranchées par un jugement sommaire et que l’affaire devait donc faire l’objet d’un procès : Meridian (jugement sommaire), aux para 45-56. Le juge Zinn a notamment conclu que la preuve présentée par Concept ne suffisait pas à démontrer que la trémie de JTL était accessible au public avant le dépôt du brevet 430 et qu’il ne pouvait conclure à la validité du brevet sur la foi des faits et des éléments de preuve que lui avaient soumis les parties dans le cadre de la requête en jugement sommaire : Meridian (jugement sommaire), aux para 54-55.
[8] Concept a retenu les services d’un nouvel avocat en avril 2023. Un calendrier des étapes de l’instance a ensuite été établi, lequel prévoyait notamment que les interrogatoires préalables seraient achevés d’ici au 15 septembre 2023. Avant la tenue des interrogatoires préalables, l’avocat de Meridian a écrit à deux reprises au nouvel avocat de Concept pour lui demander de confirmer que Concept avait produit tous les documents pertinents en sa possession, sous son autorité ou sous sa gade. M. Thiessen a été soumis à un interrogatoire préalable le 5 septembre 2023.
[9] Concept a communiqué ses réponses aux engagements pris lors de l’interrogatoire préalable du 27 octobre 2023 et a également communiqué une série de 68 nouveaux documents, pour un total de 135 pages et trois vidéos. Cette première tranche de nouveaux documents comprend des photographies et des vidéos de trémies de JTL à Walhalla, dans le Dakota du Nord, et à Grand Prairie, en Alberta; des photographies du prototype d’un fond de trémie à Roland, au Manitoba; ainsi que des factures, des bons de commande, des dessins, des courriels, un dépliant et plusieurs brevets. La tranche comprenait également un document préparé par Michael Rosumowitsch, ingénieur concepteur chez Concept et ancien employé de JTL, intitulé [TRADUCTION] « [r]ésumé des différentes variantes du système d’aération de la trémie JTL fabriquées au cours des années »
, qui est censé identifier et illustrer ces variantes.
[10] Peu de temps après, Concept a de nouveau retenu les services d’un nouvel avocat, et c’est ce dernier qui la représente en l’espèce.
[11] En février 2024, alors que la requête actuelle était toujours en instance, Concept a produit une nouvelle tranche de 60 nouveaux documents. Parmi ces documents, 40 sont constitués d’autres vidéos et photographies de la même trémie de JTL du Dakota du Nord représentée dans la première tranche, tandis que les 20 autres sont décrits par M. Thiessen comme étant [TRADUCTION] « diverses pièces d’art antérieur accessibles au public qui ont été retrouvées soit par moi-même, soit par l’avocat de Concept »
.
[12] Meridian affirme que de nombreux documents produits à la suite de l’interrogatoire préalable de M. Thiessen étaient en possession de Concept, sous son autorité ou sous sa garde bien avant leur production, et que Concept a manqué à ses obligations en matière de divulgation et de signification d’un affidavit supplémentaire conformément aux articles 223 et 226 des Règles des Cours fédérales. Elle fait valoir que le défaut, par Concept, de produire les documents avant l’interrogatoire préalable de M. Thiessen était intentionnel et suffisamment flagrant pour constituer un abus de procédure.
B. La question préliminaire : La communication faite sous toutes réserves
[13] À l’appui de sa prétention selon laquelle Concept avait de nouveaux documents en sa possession avant l’interrogatoire préalable de M. Thiessen, Meridian fait référence à un passage d’un message texte du 1er août 2023 que le président de Concept, Marshal Zacharias, a envoyé au premier vice-président de Meridian, Derek Neil. L’affidavit de M. Neil à l’appui de la présente requête fait référence à l’échange d’un certain nombre de messages textes avec M. Zacharias, [TRADUCTION] « dont le contenu était fait en partie sous toutes réserves et comprenait des commentaires non pertinents pour la requête de Meridian en l’espèce »
. M. Neil joint une copie du message texte du 1er août [traduction] « caviardé pour exclure les commentaires faits sous toutes réserves et non pertinents »
. Le message texte caviardé ne contient qu’une seule phrase, sur laquelle Meridian compte s’appuyer.
[14] Dans un affidavit présenté en réponse, M. Zacharias a produit l’intégralité de l’échange de messages textes. Il en ressort que le SMS du 1er août auquel M. Neil fait référence faisait partie d’un échange concernant la question du règlement. Le message en question était long, il portait la mention « SOUS TOUTES RÉSERVES »
au début, il faisait référence à l’évolution et au fond de l’affaire et il témoignait de la volonté d’entamer des discussions en vue d’un règlement. La réponse de M. Neil, comportant également l’indication « [s]ous toutes réserves »
, portait aussi sur le fond de l’affaire et le règlement et invitait M. Zacharias à communiquer toute offre de règlement par l’entremise des avocats de Meridian.
[15] Comme je l’ai affirmé à l’audience en l’espèce, le message texte est irrecevable dans le cadre de la présente requête. Les communications faites sous toutes réserves entre les parties dans le cadre de leurs démarches pour résoudre leurs différends sont protégées par le privilège relatif au règlement et sont présumées inadmissibles en preuve : Sable Offshore Energy Inc c Ameron International Corp, 2013 CSC 37 aux para 2, 11-13. Il en est ainsi, que les communications soient ou non, comme en l’espèce, expressément désignées comme étant faites « sous toutes réserves »
: Sable Offshore, au para 14.
[16] Meridian fait valoir que le message texte relève d’une exception au privilège relatif au règlement, en ce sens qu’il existe un intérêt public opposé qui l’emporte sur l’intérêt public à favoriser le règlement à l’amiable : Sable Offshore, au para 19. Comme le fait remarquer Meridian, la juge Abella a reconnu que ces intérêts contraires incluaient les « allégations de déclaration inexacte, la fraude ou l’abus d’influence »
: Sable Offshore, au para 19, citant Unilever plc c Procter & Gamble Co., [2001] 1 All ER 783 (CA div civ). Je souligne que l’exception décrite dans la décision Unilever concerne l’admissibilité d’éléments de preuve établissant l’existence de négociations en vue de démontrer qu’un accord de règlement à l’amiable devrait être annulé pour cause de fausse déclaration, de fraude ou d’influence indue : Unilever, à la p 2444. Bien que l’exception puisse s’étendre au-delà de ce contexte précis, elle vise néanmoins un accord conclu pendant, ou après, des négociations faites sous toutes réserves, et reste [traduction] « très limitée »
: Berkeley Square Holdings Ltd & Ors v Lancer Property Asset Management Ltd & Ors, [2021] EWCA Civ 551 aux para 27, 30-53.
[17] Meridian soutient que ses allégations d’abus de procédure et que le pouvoir de la Cour de sanctionner les manquements aux obligations en matière de communication de documents signifient que le message texte relève de cette exception et qu’il devrait être admissible. Comme je l’ai conclu lors de l’audition de la requête, je ne suis pas d’accord. Il ne s’agit pas d’une situation où la validité d’une entente de règlement ou de tout autre accord est en jeu. Meridian cherche essentiellement à s’appuyer sur une affirmation contenue dans le message texte pour démontrer que Concept possédait les documents avant l’interrogatoire préalable de M. Thiessen en septembre, et elle cherche à le contre-interroger sur ses déclarations ultérieures concernant les efforts déployés par Concept pour retrouver les documents. Dans le contexte actuel, je ne vois pas d’intérêt opposé qui l’emporte sur les intérêts qui sous-tendent le privilège relatif au règlement.
[18] Je ne retiens pas non plus l’argument de Meridian selon lequel Concept a renoncé au privilège en incluant l’intégralité de l’échange de messages textes dans le dossier de requête qu’elle a présenté en réponse. Le privilège relatif au règlement peut certainement être levé, bien qu’il s’agisse d’un privilège détenu conjointement par toutes les parties à la communication, de sorte qu’il ne peut être levé qu’avec le consentement de toutes les parties : Flock Estate v Flock, 2019 ABCA 194 au para 34; Berkeley Square, aux para 38, 40, 58. En l’espèce, Concept a déposé le message texte pour démontrer à la Cour qu’il s’agissait de communications faites sous toutes réserves soumises au privilège relatif au règlement, dans un contexte où Meridian n’avait déposé qu’une copie caviardée ne contenant qu’une seule ligne du message. Je ne peux considérer que le dépôt du message texte par Concept, dans le but précis de revendiquer le privilège, constitue une renonciation au privilège. Les messages textes restent soumis au privilège relatif au règlement et sont inadmissibles.
[19] Je conclurai sur ce point en reprenant une réserve que j’ai exprimée à l’audience concernant la manière dont Meridian avait présenté ces éléments de preuve. L’affidavit de M. Neil indique que ses échanges avec M. Zacharias étaient [traduction] « faits en partie sous toutes réserves »
et que la copie du message texte qu’il a jointe a été caviardée pour supprimer [TRADUCTION] « les commentaires qui étaient faits sous toutes réserves et non pertinents »
. Les passages caviardés comprenaient la suppression de la mention « SOUS TOUTES RÉSERVES »
, en haut du message texte, ainsi que le contexte confirmant que la communication portait sur la question du règlement. Ce n’est que dans l’affidavit de M. Zacharias, présenté en réponse et rendu nécessaire par la nature de l’affidavit de M. Neil, que le contexte complet de l’échange, y compris la mention « SOUS TOUTES RÉSERVES »
, a été mis de l’avant. Si la Cour n’avait disposé que de l’affidavit de M. Neil, elle aurait eu une impression inexacte de la nature et du contenu de la communication. Si Meridian souhaitait se fonder sur une exception au privilège relatif au règlement, elle aurait dû être transparente lors du dépôt de sa preuve en indiquant que l’affirmation avait été faite sous toutes réserves et en présentant ses arguments concernant les exceptions au privilège en conséquence.
C. La divulgation tardive
(1) Concept n’a pas respecté ses obligations en matière de communication
[20] Meridian souligne à juste titre l’importance des obligations en matière de communication de documents énoncées aux articles 223 et 226 des Règles des Cours fédérales pour une instance efficace : Apotex Inc. c Sanofi‑Aventis, 2010 CF 481 au para 3 [Apotex], citant Apotex Inc. c Sanofi‑Aventis, 2010 CF 77 au para 16; Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c Naeini (Pacific Tobacco), [1998] ACF no 309 au para 23. Cette importance est mise en évidence par l’article 232 des Règles, selon lequel une partie doit obtenir l’autorisation de la Cour pour s’appuyer, à l’instruction, sur des documents qui n’ont pas été divulgués. Comme l’a souligné la protonotaire Tabib (plus tard juge adjointe), les règles régissant la production de documents visent à interdire les « pièges »
et à éviter que l’une ou l’autre des parties ne soit lésée par la divulgation tardive de documents du fait qu’elle ne dispose pas de suffisamment de temps pour préparer une réponse adaptée : Apotex, au para 6.
[21] Même en laissant de côté les préoccupations relatives aux tentatives de dissimulation de documents défavorables, la divulgation tardive de documents est source d’inefficacité, de retard et d’augmentation des frais dans le cadre d’un litige qui est déjà onéreux. Elle est totalement contraire au principe général exprimé à l’article 3 des Règles, qui vise à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible compte tenu du principe de proportionnalité. En même temps, la Cour reconnaît, à l’instar de l’article 226 des Règles, que des documents peuvent être retrouvés, ou leur pertinence soulignée, tout au long de l’instance, de sorte que la production de documents pertinents supplémentaires au cours d’un litige est loin d’être inhabituelle, notamment lors d’un litige complexe tenant du droit des brevets.
[22] En l’espèce, la question de savoir si la trémie de JTL constitue une antériorité qui invalide le brevet a été une question clé de l’action depuis que Concept a présenté son mémoire en défense et sa demande reconventionnelle en janvier 2021, il y a plus de trois ans. La nécessité de rechercher les documents relatifs à cette question avec diligence et de constituer sa requête en invalidité sur le fondement de la trémie de JTL aurait dû être claire pour Concept dès le début de l’affaire. Cette obligation ne se limitait pas à attendre que des demandes de documents soient présentées lors des interrogatoires préalables ou que l’avocat adverse fasse des rappels.
[23] Je retiens en partie les déclarations de M. Thiessen selon lesquelles il était devenu clairement nécessaire de présenter de nouveaux éléments de preuve à l’appui des arguments soulevés par Concept concernant l’invalidité fondée sur la trémie de JTL, compte tenu de la décision du juge Zinn en janvier 2023. Cependant, l’obligation de Concept de rechercher, d’identifier et de produire toute la documentation pertinente relative à la question – et pas seulement celle qui « suffisait »
à établir sa preuve – existait bien avant la décision du juge Zinn. Je conclus également qu’en dépit de l’affirmation de M. Thiessen selon laquelle Concept a déployé des [traduction] « efforts considérables »
pour retrouver des documents supplémentaires liés à la trémie de JTL après la décision du juge Zinn, son témoignage est loin d’être clair quant à la raison pour laquelle ces efforts n’ont pas abouti à la production de documents avant la fin de 2023, c’est-à-dire après la conduite des interrogatoires.
[24] En particulier, de nombreuses photographies des nouveaux produits semblent provenir des archives photographiques de M. Thiessen ou d’un autre employé de Concept. Bien que M. Thiessen ait souligné que son flux de photos comportait une grande quantité d’images, il a été en mesure de les retrouver et n’a pas expliqué pourquoi elles n’avaient pu être retrouvées et produites plus tôt. De même, les recherches dans les dossiers de Concept ont révélé des documents supplémentaires, mais la preuve au dossier ne permettait guère d’expliquer pourquoi ces recherches n’ont pas été, ou n’auraient pu être, entreprises bien plus tôt dans le litige et, en particulier, bien avant les interrogatoires préalables.
[25] En effet, la preuve au dossier montre clairement que certains des documents avaient été obtenus et identifiés avant cette date. En particulier, M. Thiessen décrit une série de photographies représentant les trémies au Dakota du Nord et au Manitoba et ayant été prises en janvier 2019 par un employé de Concept dans le cadre du processus d’élaboration du produit de Concept. L’affidavit de M. Thiessen désigne ces photographies comme étant des [traduction] « images provenant de WhatsApp »
datées du 26 mai 2023, ce qui donne à penser qu’elles ont été transmises à cette date par l’employé. M. Thiessen a admis en contre-interrogatoire que M. Zacharias ou lui-même avaient reçu les documents en mai. Son témoignage selon lequel ils [traduction] « n’étaient tout simplement pas sûrs de leur pertinence à ce moment-là »
ne permet guère d’expliquer pourquoi ces photographies, qui ont été produites plus tard au motif qu’elles étaient pertinentes, n’avaient été produites à aucun moment entre mai et septembre.
[26] Comme je l’ai indiqué, la Cour convient que des documents supplémentaires peuvent être retrouvés ou désignés comme pertinents à un stade ultérieur de l’instance, y compris à la suite d’interrogatoires préalables, au moment de donner suite aux engagements qui ont été pris. Toutefois, compte tenu des éléments de preuve présentés en l’espèce ainsi que de l’étendue et de la nature des documents produits, la Cour est convaincue que Concept a manqué à ses obligations en matière de communication de documents, telles qu’elles sont énoncées aux articles 223 et 226 des Règles, et que son incapacité à produire les nouveaux documents et à signifier un affidavit supplémentaire de documents avant la fin des interrogatoires préalables a été justifiée de manière insatisfaisante.
[27] Cela dit, le manquement à l’obligation de communiquer des documents ne constitue pas systématiquement un abus de procédure. Malgré les efforts de Meridian pour dépeindre l’échec de Concept comme une tentative flagrante et délibérée de retarder la production de documents, je ne suis pas convaincu, sur le fondement du dossier dont je dispose, que Concept a tenté, de façon délibérée ou flagrante, de dissimuler des documents ou de retarder leur production afin d’obtenir un avantage tactique ou autre. Comme le fait remarquer Concept à juste titre, elle n’avait effectivement que peu d’intérêt à cacher ou à refuser de produire les documents en question, puisque, comme Meridian le reconnaît elle-même, ils sont importants pour sa défense fondée sur l’invalidité. L’argument de Meridian selon lequel Concept a délibérément dissimulé les documents pour inciter Meridian à conclure un accord n’a guère de sens et n’est pas étayé par la preuve au dossier. Bien que Concept puisse, et aurait dû, faire mieux, la preuve au dossier ne permet pas de conclure que le comportement de Concept a constitué un abus de procédure.
(2) Le recours approprié
[28] L’article 227 des Règles permet à la Cour d’imposer une série de sanctions lorsqu’elle estime qu’un affidavit de documents est inexact ou insuffisant. Elle peut ordonner qu’un affidavit exact ou complet soit signifié; que les actes de procédure soient radiés en totalité ou en partie; que la partie fautive paie les dépens. Meridian demande au Tribunal de supprimer les paragraphes de la défense et de la demande reconventionnelle de Concept dans lesquels il est allégué que le brevet 430 est invalide pour cause d’antériorité ou d’évidence sur le fondement de la trémie JTL.
[29] Notre Cour a reconnu que la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure est « une mesure très radicale »
pour un défaut de procédure, et qu’il ne faudrait y recourir que dans les cas où il est bien évident que la partie a abusé des procédures : Canadian Private Copying Collective c Red Coast Imports Inc., 2009 CF 97 au para 33, citant H Smith Packing Corp c Gainvir Transport Ltd., [1991] ACF no 319. C’est loin d’être le cas en l’espèce. La sanction draconienne consistant à radier des paragraphes de la défense et de la demande reconventionnelle de Concept n’est pas justifiée.
[30] Meridian demande également que Concept ne puisse pas s’appuyer sur les nouveaux documents lors de l’instruction. Je souligne qu’il ne s’agit pas d’un recours expressément envisagé par l’article 227 des Règles. L’article 232 des Règles prévoit qu’en l’absence d’une ordonnance contraire de la Cour, ou d’une renonciation, un document ne peut être invoqué en preuve à l’instruction, à moins qu’il n’ait été mentionné dans l’affidavit d’une partie, qu’il ait été produit pour examen, pendant ou après les interrogatoires préalables ou qu’il ait été produit par un témoin qui n’est pas sous le contrôle de la partie. En l’espèce, les documents en question ont été produits à la suite des interrogatoires préalables et ont depuis été divulgués dans le cadre d’un affidavit supplémentaire de documents préparé par Concept. Comme l’a affirmé le juge Pelletier, alors membre de notre Cour, le recours en cas de non-respect des délais de divulgation des documents consiste à demander un ajournement pour permettre à une partie d’exercer les recours prévus par les Règles des Cours fédérales; il ne s’agit pas de permettre d’exclure un élément de preuve qui serait autrement par ailleurs admissible : Halford c Seed Hawk Inc., 2001 CFPI 1195 au para 12.
[31] En tout état de cause, même si la réparation demandée par Meridian pouvait être accordée à titre de sanction préalable à l’instruction pour la communication tardive de documents, je conclus qu’elle ne serait pas appropriée en l’espèce. Dans la présente affaire, l’instruction est prévue pour janvier 2025, soit dans plus de sept mois. Meridian n’a pas allégué qu’elle n’était pas en mesure de répondre aux nouveaux documents ou de les aborder, et n’a pas fait part d’autres préjudices au-delà des frais engagés. Dans ce contexte, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice d’empêcher Concept de présenter un document d’antériorité potentiellement pertinent au motif qu’il a été divulgué tardivement : Halford, aux para 11-13; voir également l’arrêt Janssen Inc. c Abbvie Corporation, 2014 CAF 242 aux para 17-19, où la Cour d’appel fédérale a examiné une demande de modification tardive visant à soumettre un document d’antériorité supplémentaire.
[32] En lieu et place de ces mesures plus radicales, Meridian demande au Tribunal d’infliger à Concept une sanction pécuniaire sévère pour sa production tardive des documents. Elle suggère une réparation de l’ordre de 200 000 $. Meridian a déposé peu d’éléments de preuve à l’appui de sa réclamation concernant les dépens, mais il semble que celle-ci couvre une grande partie des frais qu’elle a engagés à ce jour en l’espèce, y compris ceux liés à la requête en jugement sommaire. Comme le fait remarquer Concept, les dépens afférents à cette requête ont été considérés par le juge Zinn; or, je n’ai pas compétence pour examiner de nouveau leur adjudication, et je ne suis pas disposé à le faire.
[33] À cet égard, Meridian affirme qu’une grande partie, voire la totalité, de la [traduction] « valeur »
de la requête en jugement sommaire rejetée (à savoir le fait, pour les témoins experts, d’avoir pris connaissance de l’affaire et la possibilité de réutiliser à l’instruction les éléments de preuve qui ont été préparés) a été perdue après la production des nouveaux documents, car ces derniers modifient significativement la nature de l’affaire. Même s’il s’agissait d’un fondement approprié pour l’adjudication de dépens, ce dont je doute, cela compenserait effectivement les dépens afférents à la requête en jugement sommaire, ce qui serait contraire à l’ordonnance du juge Zinn. Dans tous les cas, rien au dossier ne permet à la Cour d’examiner, et encore moins de quantifier, l’ampleur d’une telle perte de valeur.
[34] Cela dit, j’estime qu’il convient en l’espèce d’adjuger les dépens en vertu de l’alinéa 227d) des Règles. Je n’ai pas besoin d’ordonner que Meridian puisse poursuivre l’interrogatoire préalable de M. Thiessen, puisque Concept reconnaît que cet interrogatoire doit être poursuivi. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, il convient d’adjuger des dépens qui reflètent raisonnablement les frais supplémentaires engagés, ou qui devront l’être, par Meridian du fait que Concept n’a divulgué les nouveaux documents qu’à la suite du premier interrogatoire préalable de M. Thiessen.
[35] Si Concept avait déployé des efforts suffisants pour retrouver, identifier et produire les documents avant l’interrogatoire de M. Thiessen, Meridian aurait quand même dû se préparer à l’examen de ces documents et mener un interrogatoire à leur égard. Cela aurait sans doute prolongé l’interrogatoire d’une durée approximativement égale à ce que nécessitera la poursuite de l’interrogatoire. Le juge de première instance est le mieux placé pour trancher la question de ces dépens, ainsi que celle des dépens associés aux interrogatoires préalables, à la fin de l’instruction. Toutefois, je conclus qu’il est approprié d’adjuger les dépens pour refléter les inefficacités inhérentes à la nécessité d’examiner les nouveaux documents lors d’une deuxième comparution plutôt que dans le cadre d’une seule séance d’interrogatoire préalable. Ce montant comprend les frais supplémentaires liés au déplacement pour le deuxième jour de comparution, qui n’auraient pas été engagés s’il n’y avait qu’une seule séance d’interrogatoire. Il comprend également les inefficacités liées au fait que les avocats doivent se préparer en vue d’un deuxième interrogatoire et mener cet interrogatoire plutôt que d’examiner toutes les questions simultanément.
[36] Meridian reconnaît que les frais engagés devraient à tout le moins être recouvrables, mais elle n’a pas été en mesure de fournir une estimation du montant en question. Malgré cela, et en l’absence d’éléments de preuve traitant directement des frais engagés en raison de la production tardive, je suis convaincu qu’il est approprié d’adjuger les dépens selon la pratique suivie par la Cour et la meilleure estimation des frais découlant de telles inefficacités et de la nouvelle comparution. À mon avis, la meilleure estimation des frais liés à ces inefficacités, dans le contexte particulier de l’espèce, des interrogatoires préalables effectués jusqu’à présent et des nouveaux documents est de 4000 $. Pour plus de clarté, il ne s’agit pas d’une estimation des frais liés aux interrogatoires préalables ou à la poursuite de ces interrogatoires dans leur ensemble, qui relèvent de la compétence du juge de première instance, mais simplement des frais engagés dans le cadre des interrogatoires préalables en raison de la production tardive des documents.
[37] J’ordonnerai donc, en vertu de l’alinéa 227d) des Règles, que Concept verse sans délai, et quelle que soit l’issue de la cause, la somme de 4000 $ à Meridian pour les frais liés aux interrogatoires préalables découlant de la production tardive de documents afin de sanctionner Concept pour la production d’un affidavit de documents insuffisant. Concept devra également payer tous les frais de déplacement de M. Thiessen et de son propre avocat liés à la poursuite de l’interrogatoire de M. Thiessen à Winnipeg. Si les parties acceptent de poursuivre l’interrogatoire préalable par vidéoconférence, ou dans un autre lieu, elles peuvent convenir d’une autre répartition équivalente pour les frais de déplacement.
D. La substitution du représentant de l’entreprise
[38] Meridian demande à la Cour d’ordonner, en vertu du paragraphe 237(3) des Règles, que M. Rosumowitsch soit soumis à un interrogatoire préalable portant sur les réponses données à la suite des engagements pris précédemment et à l’égard des nouveaux documents. En effet, Meridian demande à la Cour d’ordonner que M. Rosumowitsch soit interrogé à la place du représentant choisi par Concept, M. Thiessen, pour la suite de l’interrogatoire préalable.
[39] La demande de Meridian est fondée sur le fait que M. Rosumowitsch est l’auteur du document « [r]ésumé des différentes variantes du système d’aération de la trémie JTL fabriquées au cours des années »
décrit ci-dessus, et qu’il a également obtenu sept des autres documents produits. Meridian fait valoir que M. Rosumowitsch est le mieux placé pour répondre aux questions sur le document récapitulatif et aux questions pertinentes en matière de conception, car M. Thiessen ne peut pas communiquer ses connaissances ou s’informer dans la même mesure que M. Rosumowitsch.
[40] Le paragraphe 237(1) des Règles prévoit qu’une société partie à l’action a le droit de choisir un représentant qui sera interrogé en son nom. Comme les parties en conviennent, dans le cadre d’une requête en substitution présentée au titre du paragraphe 237(3) des Règles, la Cour prend en considération les facteurs énoncés dans la décision Liebmann c Canada (Ministre de la Défense nationale), [1996] ACF no 536 au para 31 : voir Boehringer Ingelheim Canada Ltd v Teva Canada Limited, 2021 FC 227 aux para 23-24. Comme la Cour l’a exprimé dans la décision Liebmann, il incombe à la partie qui demande la substitution de démontrer objectivement l’inaptitude du représentant choisi par la société, en montrant qu’il est incapable de témoigner de ses connaissances ou de s’informer, ou que le second témoin est « mieux placé »
pour témoigner : Liebmann, au para 31(1)–(3). D’autres facteurs peuvent être pris en compte, tels que la commodité, les frais, la bonne volonté du témoin, les efforts qu’il a déployés pour s’informer et les circonstances de l’espèce dans son ensemble : Liebmann, au para 31(4)–(6).
[41] Meridian ne m’a pas convaincu que M. Thiessen n’était pas un témoin approprié ou que M. Rosumowitsch était bien mieux placé pour témoigner. Bien que M. Rosumowitsch soit évidemment le mieux placé pour parler du document dont il est l’auteur, il ne s’agit que d’un document parmi les nombreux nouveaux documents produits. Meridian n’a pas démontré que M. Thiessen serait incapable de s’informer sur les éléments de preuves, de poser des questions à M. Rosumowitsch sous forme d’engagements ou de répondre aux questions sur les autres aspects des nouveaux documents de manière à justifier sa substitution par M. Rosumowitsch.
[42] La demande d’ordonnance de Meridian fondée sur le paragraphe 237(3) sera donc rejetée, sans porter atteinte à sa capacité de demander une substitution s’il s’avère que M. Thiessen est un témoin inapproprié pour la poursuite de l’interrogatoire préalable, dans la mesure où les critères d’une ordonnance de substitution sont remplis.
E. Les détails relatifs à l’art antérieur (Question no 348)
[43] Meridian demande à Concept de préciser la pertinence des trois brevets, ou demandes de brevet, divulgués dans l’affidavit de documents initial de Concept. Concept fait valoir que les brevets en cause ne sont pas particulièrement longs, qu’ils concernent directement l’objet en question et qu’elle s’appuie effectivement sur chacun d’entre eux, dans leur intégralité, pour l’ensemble de ses arguments concernant l’anticipation, l’évidence et le moyen de défense invoqué dans l’arrêt Gillette, de sorte qu’une explication détaillée n’est pas nécessaire.
[44] Je souscris à l’argument de Meridian selon lequel la jurisprudence établit qu’« [u]ne simple énumération des brevets et des articles ne permet pas à la défenderesse de se décharger de ce fardeau à cet égard »
, que le défendeur doit être précis, et que le simple fait d’énumérer des antériorités n’est pas suffisant : Dek-Block Ontario Ltd. c Béton Bolduc (1982) Inc., [1998] ACF no 680 (QL) aux para 15-17, 26-27; Denharco Inc. c Forespro Inc., [1999] ACF no 849 au para 4. Malgré la brièveté alléguée des documents de brevet en cause, et compte tenu du fait que les rapports d’experts contiendront sans aucun doute plus de détails, Meridian a droit à un certain degré de précision en ce qui concerne les parties de chaque pièce d’art antérieur sur laquelle Concept s’appuie pour chacun de ses moyens de défense fondés sur l’invalidité.
F. Les documents caviardés
[45] En interrogatoire, Meridian a demandé à Concept de produire des exemples de factures de vente de son produit. Concept a donc transmis deux exemples de factures, sur lesquelles elle avait caviardé l’identité du client et les informations sur les prix. Meridian demande des copies non caviardées des documents, affirmant qu’il s’agit de la procédure [traduction] « par défaut »
en ce qui concerne la production de documents et fait remarquer que la preuve ne renfermait aucun élément faisant état de préoccupations importantes en matière de confidentialité ou de vie privée. Concept souligne que la présente action a été scindée, de sorte que les informations sur les prix ne sont pas pertinentes et que les préoccupations en matière de protection de la vie privée et de renseignements personnels concernant les clients et les prix coulent de source.
[46] Si la règle générale veut que l’intégralité d’un document contenant des renseignements pertinents soit produit, la partie qui le reçoit ne peut pas demander automatiquement la production d’un document intégral et non caviardé : Eli Lilly Canada Inc. c Sandoz Canada Incorporated, 2009 CF 345 aux para 14. Le caviardage peut être autorisé lorsque les renseignements ne sont manifestement pas pertinents, qu’ils ne sont manifestement pas utiles à la compréhension des passages pertinente et qu’il existe d’importantes préoccupations en matière de confidentialité. Comme l’a souligné la protonotaire Tabib (plus tard juge adjointe) dans la décision Eli Lilly, lorsqu’un document est caviardé, des mécanismes peuvent être mis en place pour permettre à l’avocat externe de consulter le document non caviardé : Eli Lilly, au para 14. Dans les circonstances, étant donné la nature des documents, les raisons pour lesquelles ils ont été fournis et le fait que la présente affaire a été scindée et qu’elle fait l’objet d’une gestion spéciale, je conclus qu’il est approprié d’exiger que Concept produise une copie non caviardée des factures à l’avocat de Meridian au titre du [traduction] « privilège de l’avocat »
. Si l’avocat de Meridian, après avoir examiné le document complet, estime qu’il est important que son client puisse l’étudier, ou que le document complet soit utilisé en preuve, il peut soumettre l’affaire à nouveau à la Cour de manière informelle afin qu’elle examine la question plus en détail.
[47] Les autres questions soulevées dans la requête de Meridian ont été réglées entre les parties ou retirées.
III. La requête de Concept
[48] Au moment de l’audience, seules deux questions soulevées dans la requête de Concept n’avaient pas été réglées entre les parties ou retirées. Les deux questions (les questions no 107 et no 263) se rapportaient au refus de Meridian de prendre des engagements lors de l’interrogatoire préalable de son représentant, M. Plett. Concept a informé la Cour qu’elle abandonnait sa requête en vue de soumettre à nouveau M. Plett à un interrogatoire préalable.
A. La question no 107
[49] Concept demande que Meridian fournisse les noms et les coordonnées des employés de Meridian impliqués dans la fabrication du [traduction] « produit décrit dans »
le brevet 430, c’est-à-dire, le produit de de Meridian sur lequel repose la trémie. Elle fait valoir que l’alinéa 240b) des Règles des Cours fédérales lui permet de demander le nom ou l’adresse d’une personne dont il est raisonnable de croire qu’elle « a une connaissance d’une question en litige dans l’action »
. Concept soutient que les personnes responsables du produit de Meridian peuvent avoir connaissance de versions antérieures de ce produit fabriquées avant le brevet 430, ce qui serait pertinent à l'égard des questions d’invalidité. Elle fait également remarquer que Meridian a présenté des témoignages de ses employés concernant la contrefaçon et la validité dans le cadre de la requête en jugement sommaire.
[50] Je ne suis pas convaincu que la question vise l’obtention du nom et des coordonnées de personnes dont il est raisonnable de croire qu’elles ont des connaissances sur l’objet en question. La prétention selon laquelle ces personnes pourraient avoir connaissance d’autres documents d’antériorité n’est rien d’autre que des conjectures et s’apparente à une recherche à l’aveuglette. Ceci est d’autant plus vrai que Concept n’a pas plaidé ou allégué que le brevet 430 était invalide au regard de la divulgation antérieure par Meridian. Comme le souligne Meridian, la question de la contrefaçon nécessite une comparaison du produit de Concept avec le brevet 430, et non avec le produit de Meridian. Bien que le produit de Meridian, et la question de savoir s’il s’agit d’une réalisation du brevet 430, puissent potentiellement éclairer la question de l’évidence dans le cas où, par exemple, la réussite commerciale serait soulevée, rien n’indique à ce stade que Meridian s’appuie sur la réussite commerciale de son produit pour contrer l’allégation d’évidence formulée par Concept.
[51] Meridian n’est pas tenue de répondre à la question no 107.
B. La question no 263
[52] Concept a demandé à M. Plett, lors de son interrogatoire préalable, s’il était d’avis que les allégations factuelles contenues dans la déclaration étaient exactes. Meridian s’est opposé à cette question, tout en permettant à M. Plett de répondre à des questions concernant des allégations factuelles bien précises incluses dans la déclaration. Concept fait valoir que M. Plett a admis que certains paragraphes de la déclaration n’étaient pas conformes aux faits, et elle souligne que Meridian a refusé de modifier sa déclaration pour corriger ces inexactitudes jusqu’à ce qu’une décision soit rendue quant à la présente requête. Elle soutient que Meridian devrait être tenue d’identifier toute autre inexactitude factuelle dans la déclaration, à tout le moins.
[53] Je souscris à l’argument de Meridian selon lequel la question de Concept est trop large pour être raisonnable dans le cadre de l’interrogatoire préalable. Les questions factuelles portant sur les allégations contenues dans la déclaration sont appropriées, et elles ont reçu des réponses, mais la question portant de manière générale sur toutes les allégations factuelles contenues dans la requête dans son ensemble est trop large.
[54] Meridian n’est pas tenue de répondre à la question no 263.
IV. Les dépens afférents à la requête.
[55] Aucune des parties n’a déposé de mémoire de frais concernant les requêtes. Chaque partie a présenté des observations sur les dépens en se fondant sur les indications données par la Cour à l’audience sur la manière de trancher les différentes questions soulevées.
[56] Meridian allègue qu’elle a eu largement gain de cause dans le cadre des requêtes, puisqu’elle a obtenu réparation à l’égard du fait que Concept a manqué à ses obligations concernant les interrogatoires préalables. Elle fait valoir qu’elle était fondée à présenter sa requête, tandis que Concept n’a pas eu gain de cause à l’égard des deux questions qu’elle avait soulevées dans sa requête et qui étaient demeurées pendantes. Meridian a donc soutenu qu’elle devrait avoir droit aux dépens afférents aux requêtes, mais elle n’a présenté aucune observation à l’égard du montant qui devrait lui être adjugé.
[57] Concept a également fait valoir qu’elle a largement obtenu gain de cause. Elle a fait remarquer que les deux principaux motifs de réparation demandés par Meridian dans sa requête, à savoir la radiation de l’acte de procédure et l’interdiction de s’appuyer sur les nouveaux documents, étaient graves de conséquences et l’obligeaient à répondre à la requête. Comme Meridian n’a pas obtenu gain de cause à cet égard, Concept fait valoir que les dépens devraient lui être adjugés. Concept n’a pas non plus présenté d’observations sur le montant auquel elle estime avoir droit, mais elle soutient qu’il devrait être équivalent au montant adjugé pour les frais engagés à la suite de la production tardive, de sorte que les deux montants devraient s’équilibrer.
[58] Dans le cadre de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 400 des Règles, et compte tenu du contexte des requêtes décrit précédemment, notamment la complexité des questions; compte tenu des succès respectifs des parties concernant les différents aspects des deux requêtes; des questions soulevées et tranchées par la Cour; de la gravité des demandes présentées en vue d’obtenir la radiation ou d’interdire à Concept de s’appuyer sur les documents; du montant demandé par Meridian concernant les frais qu’elle a engagés par rapport aux dépens qui lui ont été adjugés; et des préoccupations de la Cour concernant la manière dont Meridian a présenté les communications faites sous toutes réserves, je conclus que les dépens nets afférents aux requêtes doivent être adjugés à Concept, pour la somme totale de 1500 $. L’argument de Concept, fondé sur le paragraphe 401(2) des Règles, selon lequel certains aspects de la requête de Meridian n’auraient pas dû être présentés, a une certaine force; toutefois, je conclus que l’on ne peut pas en dire autant de l’ensemble de sa requête. Les dépens afférents à la requête seront donc payables à Concept, quelle que soit l’issue de la cause.
V. Conclusion
[59] Pour les motifs qui précèdent, la requête de Meridian est accueillie en partie, tandis que les quelques questions non résolues soulevées par la requête de Concept sont rejetées. Concept doit payer à Meridian, sans délai et quelle que soit l’issue de la cause, la somme de 4000 dollars pour les frais engagés à la suite du manquement de Concept à ses obligations liées aux interrogatoires préalables. Concept devra également payer, et ne recouvrera pas, quelle que soit l’issue de la cause, les frais de déplacement de M. Thiessen et de son propre avocat liés à la poursuite de l’interrogatoire préalable de M. Thiessen à Winnipeg.
[60] La demande de Meridian présentée en vue d’interroger M. Rosumowitsch au titre du paragraphe 237(3) des Règles est rejetée, tandis que sa demande concernant la question no 348 et les documents non caviardés recevra une réponse conforme aux présents motifs. En ce qui concerne la requête de Concept, Meridian n’est pas tenue de répondre à la question no 107 ou à la question no 263.
[61] Les dépens nets afférents aux requêtes, d’une somme totale de 1500 $, devront être payés à Concept, quelle que soit l’issue de la cause.
[62] Les parties doivent se concerter et présenter, dans un délai de 10 jours à compter de la date de la présente ordonnance, une proposition de calendrier pour la réalisation des prochaines étapes de l’instance, y compris la tenue de nouveaux interrogatoires préalables et les questions énoncées aux paragraphes 4 à 7 de l’ordonnance de la Cour du 18 mai 2023.
ORDONNANCE dans le dossier T-1506-20
LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :
Conformément à l’alinéa 227d) des Règles, Concept Industries Ltd. paiera sans délai à Meridian Manufacturing Inc. la somme de 4000 $, quelle que soit l’issue de la cause, et paiera, sans possibilité de recouvrement, les frais de déplacement de Lonny Thiessen et de son propre avocat liés à la poursuite de l’interrogatoire préalable de M. Thiessen à Winnipeg, au Manitoba.
Concept répondra à la question no 348 lors de l’interrogatoire préalable de M. Thiessen, conformément aux motifs de la présente ordonnance.
Concept communiquera à l’avocat de Meridian une copie non caviardée des documents figurant aux pages 219 et 220 du dossier de requête de Meridian. L’avocat de Meridian traitera les copies non caviardées de manière confidentielle et ne divulguera les documents à aucun tiers, y compris Meridian ou ses représentants, à moins qu’une nouvelle ordonnance de la Cour lui en donne la permission.
Les requêtes des parties sont par ailleurs rejetées.
Les dépens nets afférents aux requêtes, d’une somme globale de 1500 $, devront être payés par Meridian à Concept, quelle que soit l’issue de la cause.
Dans les dix jours suivant la date de la présente ordonnance, les parties doivent se concerter et soumettre une proposition de calendrier à l’égard des prochaines étapes de l’instance, y compris la tenue de nouveaux interrogatoires préalables, et des points énoncés aux paragraphes 4 à 7 de l’ordonnance de la Cour du 18 mai 2023.
« Nicholas McHaffie »
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean-François Vincent
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-1506-20 |
INTITULÉ :
|
MERIDIAN MANUFACTURING INC. c CONCEPT INDUSTRIES LTD.
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE |
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 15 AVRIL 2024
|
ORDONNANCE ET MOTIFS : |
LE JUGE MCHAFFIE
|
DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :
|
LE 22 AVRIL 2024
|
COMPARUTIONS :
Keith Ferbers
Scott Davidson
Andy Chow
|
POUR LA DEMANDERESSE (défenderesse reconventionnelle) |
Michael Adams Michael Schwartz |
POUR LA DÉFENDERESSE (demanderesse reconventionnelle) |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MLT AIKINS LLP
Winnipeg (Manitoba)
|
POUR LA DEMANDERESSE (défenderesse reconventionnelle) |
RICHES, McKENZIE & HERBERT LLP
Toronto (Ontario)
|
POUR LA DÉFENDERESSE demanderesse reconventionnelle |