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Date : 20240508


Dossier : T-1450-23

Référence : 2024 CF 709

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2024

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

DENIS VACHON (SUCCESSION DE), FRANÇOIS GENDRON, KURT LUCAS, MONIQUE LACROIX, JOSEPH VALLÉE, YOLANDE BOULET, COOP DE VIE COMMUNAUTAIRE LA CHAINE,
JOSÉE MORIN, SYLVAIN CÔTÉ,
LES INVESTISSEMENTS RAYPI INC

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente décision traite de deux requêtes dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : une visant la radiation de l’avis de demande et une visant sa modification. La demande sous-jacente cherche à faire invalider une décision de la ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux [la ministre] de faire exproprier par la Couronne des biens-fonds nécessaires pour la construction et l’exploitation d’une voie ferroviaire contournant le centre-ville de Lac-Mégantic. Les terrains visés comprennent des terrains appartenant aux demandeurs.

[2] Le défendeur, le procureur général du Canada, sollicite la radiation entière de l’avis de demande des demandeurs, au motif que la demande n’a aucune chance d’être accueillie. Le procureur général note que la juge en chef adjointe Gagné a déjà conclu que la demande des demandeurs ne soulève pas de question sérieuse à trancher : Vachon (Succession) c Canada (Procureur général), 2023 CF 1582 aux para 43–77. Le procureur général prétend que la demande est également vouée à l’échec, pour essentiellement les mêmes motifs, et qu’elle devrait donc être radiée.

[3] Les demandeurs, pour leur part, sollicitent l’autorisation de la Cour de modifier leur avis de demande afin d’y ajouter (a) des allégations que la ministre a fait preuve de partialité; et (b) des allégations de faits déjà soulevées dans leur requête en injonction. Le procureur général s’oppose à cette requête, sur la base de questions d’ordre procédural et, plus substantivement, en prétendant que les allégations contenues dans les modifications proposées sont elles aussi vouées à l’échec.

[4] Pour les motifs suivants, je conclus que la requête en radiation du procureur général doit être accueillie et que la requête en modification des demandeurs doit être rejetée. Dans les deux cas, la question déterminante est l’absence de toute possibilité de succès de la demande.

[5] La Loi sur l’expropriation, LRC (1985), ch E‑21, accorde à la Couronne le pouvoir d’exproprier tout droit réel immobilier dont elle a besoin, de l’avis de la ministre, pour un ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public. Ce faisant, la Loi sur l’expropriation confère à la ministre un large pouvoir discrétionnaire pour évaluer et décider ce qui est dans « l’intérêt public » et quel droit réel immobilier est requis à cette fin. La jurisprudence en matière d’expropriation ainsi que, plus largement, en droit administratif, établit qu’une telle décision est sujette à un faible degré de contrainte juridique et ne peut être contestée que dans des circonstances limitées. Les motifs avancés par les demandeurs dans leur avis de demande et leur proposition d’avis de demande modifié ne soulèvent pas de telles circonstances, même en tenant pour avérés tous les faits qui y sont allégués. Malgré le seuil très élevé applicable aux requêtes en radiation, je conclus que la demande des demandeurs est vouée à l’échec et qu’elle doit être radiée.

[6] La requête du procureur général en radiation est donc accordée. La requête des demandeurs en modification est rejetée. Compte tenu de toutes les circonstances, aucuns dépens ne sont accordés.

II. Questions en litige

[7] Les requêtes des parties soulèvent les questions en litige suivantes :

  1. Les demandeurs devraient-ils se voir accorder l’autorisation de modifier leur avis de demande?

  2. L’avis de demande devrait-il être radié en totalité ou en partie?

[8] Comme expliqué ci-dessous, ces deux questions sont liées, dans le sens où la modification d’un acte de procédure ne devrait pas être accordée si la modification elle-même est susceptible d’être radiée.

III. Analyse

A. Modification de l’avis de demande

(1) Principes

[9] La règle 75 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, dispose que la Cour peut autoriser une partie à modifier un document aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties. En appliquant cette règle, la Cour d’appel fédérale a dégagé les principes suivants :

  • (a)la question centrale est de savoir si les intérêts de la justice seraient mieux servis si la demande de modification était approuvée ou rejetée : Janssen Inc c Abbvie Corporation, 2014 CAF 242 au para 3, citant Continental Bank Leasing Corpv Canada, 1993 CanLII 17065 (CCI);

  • (b)en règle générale, une modification devrait être autorisée à tout stade d’une instance aux fins de déterminer les véritables questions en litige entre les parties, pourvu que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer et qu’elle serve les intérêts de la justice : Janssen au para 9; McCain Foods Limited c JR Simplot Company, 2021 CAF 4 au para 20;

  • (c)cependant, la modification proposée doit avoir une possibilité raisonnable de succès, et elle sera refusée s’il est « évident et manifeste », dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable : McCain au para 20, citant Teva Canada Limitée c Gilead Sciences Inc, 2016 CAF 176 aux para 29–32 et R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 au para 17;

  • (d)pour décider si une modification présente une possibilité raisonnable de succès, il faut l’examiner dans le contexte du droit et du processus judiciaire en adoptant un point de vue « réaliste »; la Cour peut se demander si la modification, si elle faisait déjà partie de l’acte de procédure, serait susceptible d’être radiée : McCain aux para 21–22; et

  • (e)une modification proposée doit être conforme aux exigences des actes de procédures, y compris la règle 301e), qui exige qu’un avis de demande contienne « un énoncé complet et concis des motifs invoqués » : Canada (Procureur général) c Iris Technologies Inc, 2021 CAF 244 aux para 11–12; voir aussi McCain au para 23 dans le contexte d’une action.

[10] Les parties sont généralement d’accord sur ces principes. En revanche, elles ne s’entendent pas sur leur application aux modifications proposées par les demandeurs. Pour comprendre ces modifications, il faut d’abord considérer le contexte dans lequel elles sont proposées et l’avis de demande actuel des demandeurs.

(2) L’avis de demande actuel

[11] La demande de contrôle judiciaire sous-jacente aux deux requêtes intervient dans le contexte de la tragédie horrifique qui a frappé la communauté de Lac-Mégantic le 6 juillet 2013 quand un train chargé de pétrole brut a déraillé, causant un incendie majeur et de multiples explosions. Quarante-sept personnes ont été tuées, dont des proches de certains demandeurs.

[12] En mai 2018, les gouvernements du Canada et du Québec ont annoncé un projet de construction d’une voie de contournement ferroviaire qui déplacerait la voie ferrée hors du centre-ville de Lac-Mégantic. Le projet de contournement envisage un couloir ferroviaire sur le territoire où se situent la Ville de Lac-Mégantic et des municipalités de Nantes et de Frontenac. Nantes est une communauté au nord-ouest de Lac-Mégantic, tandis que Frontenac se situe à l’est de la ville.

[13] Le 24 janvier 2023, le ministre des Transports a demandé à la ministre d’enclencher un processus d’expropriation afin d’acquérir les terrains nécessaires à la construction de la voie de contournement ferroviaire de Lac-Mégantic qui ne pourraient être acquis par négociation. Le ministre des Transports a souligné l’importance de procéder de façon expéditive, étant donné l’imminence du dixième anniversaire de la tragédie et le désir du gouvernement du Canada de commencer la construction à l’automne 2023. Pour les mêmes motifs, le ministre des Transports a également réitéré l’importance d’obtenir un décret du gouverneur en conseil afin d’abréger la période statutaire de 90 jours avant que la Couronne ne puisse prendre possession des terrains : Loi sur l’expropriation, art 19(2).

[14] La ministre a signé des avis d’intention d’exproprier, qui ont été publiés au Registre foncier de la circonscription foncière de Frontenac. Les avis indiquent que Sa Majesté du chef du Canada a besoin des biens-fonds pour la construction et l’exploitation d’une voie ferroviaire contournant le centre-ville de Lac-Mégantic.

[15] Environ 1 500 oppositions aux expropriations envisagées ont été déposées auprès de la ministre en vertu de l’article 9 de la Loi sur l’expropriation. La ministre a donc ordonné qu’une audience publique soit tenue au sujet des oppositions et a demandé au procureur général du Canada de nommer un enquêteur, selon l’article 10 de la Loi sur l’expropriation. Me Julie Banville a été nommée enquêtrice et a tenu des audiences publiques les 4, 5, 8 et 9 mai 2023.

[16] Le 25 mai 2023, l’enquêtrice a remis son rapport résumant les motifs d’opposition présentés lors des audiences publiques, y compris ceux des demandeurs. La ministre, après avoir pris connaissance dudit rapport, a décidé de confirmer les avis d’intention d’exproprier et de demander au procureur général de publier au Registre foncier des avis de confirmation.

[17] La demande de contrôle judiciaire des demandeurs, déposée le 12 juillet 2023, vise à faire annuler cette décision de la ministre et les avis de confirmation d’intention d’exproprier en ce qui concerne les terrains des demandeurs. Le 4 août 2023, l’avis de demande a été légèrement modifié, avec l’approbation de la Cour, pour refléter des changements dans son intitulé. Afin d’éviter la confusion avec les modifications demandées dans le cadre des présentes requêtes, je fais référence à l’avis de demande amendé déposé le 4 août 2023 comme à « l’avis de demande » ou « l’avis de demande actuel ».

[18] L’avis de demande actuel allègue que les avis de confirmation d’une intention d’exproprier sont illégaux et rendus sans droit. En particulier, les demandeurs allèguent que (i) la ministre aurait dû appliquer l’article 4.1 de la Loi sur l’expropriation et non l’article 4 (paragraphes 14, 46–48); (ii) la voie de contournement est pour le seul bénéfice de la compagnie de chemin de fer impliquée dans le projet, la compagnie Centre du Maine et du Québec Inc [CMQ], dont l’actionnaire majoritaire est le Canadien Pacifique Kansas City [CPKC] (paragraphe 15); (iii) la ministre n’a pas suivi le processus prévu à l’article 4.1 de la Loi sur l’expropriation puisque la CMQ n’a jamais demandé de voie de contournement (paragraphes 15, 37–39); (iv) selon l’article 98 de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, ch 10, la construction de la voie de contournement est subordonnée à l’approbation de l’Office des transports du Canada [OTC], qui n’a pas encore rendu sa décision (paragraphes 16, 19, 22, 45, 48); (v) la CMQ a déposé la demande d’autorisation auprès de l’OTC, alors que cela relèverait plutôt de la responsabilité du ministre des Transports, ce qui place la ministre en situation de conflit d’intérêts (paragraphes 17–18); (vi) la ministre n’a pas compétence pour enclencher le processus d’expropriation et a agi de mauvaise foi, en sachant que la procédure entreprise ne respecte pas la Loi sur l’expropriation (paragraphes 21, 23); (vii) le projet de voie de contournement risque d’entrainer des impacts environnementaux négatifs importants (paragraphes 25, 27–32); (viii) même si la ministre invoque une autre fin d’intérêt public, le projet ou le tracé proposé ne bénéficient d’aucune acceptabilité sociale (paragraphes 26, 41); (ix) les avis d’intention d’expropriation et les avis de confirmation n’indiquent pas en vertu de quel article de la Loi sur l’expropriation ils sont émis, ce qui les rend invalides (paragraphe 40); et (x) le projet n’est pas un projet d’ouvrage public de compétence fédérale tel qu’un port de mer, un aéroport ou un pénitencier (paragraphe 41).

[19] Dans le contexte de la requête des demandeurs en injonction, la juge en chef adjointe Gagné a regroupé les motifs invoqués dans l’avis de demande sous quatre rubriques : (1) le recours à l’article 4 de la Loi sur l’expropriation plutôt qu’à l’article 4.1 et l’absence de demande formulée par une compagnie de chemin de fer; (2) l’absence d’intérêt public du projet, qui ne bénéficierait qu’à des intérêts privés; (3) la prématurité des avis d’expropriation alors que l’OTC n’a toujours pas approuvé la construction de la voie de contournement; et (4) les sérieux enjeux environnementaux et l’absence d’acceptabilité sociale liés au projet : Vachon (Succession) au para 44. Les demandeurs n’ont pas objecté à cette catégorisation dans le cadre des présentes requêtes.

(3) Les modifications proposées

[20] Les demandeurs cherchent à apporter deux modifications à leur avis de demande.

[21] La première, au paragraphe 44, vise à ajouter une allégation soulevant une crainte de partialité de la part de la ministre. Dans sept sous-paragraphes, les modifications proposées spécifient que cette crainte nait de ce que (a) la décision de confirmer l’expropriation a été préméditée dès janvier 2023 pour des intérêts politiques de la ministre en lien avec le dixième anniversaire de la tragédie; (b) un mémorandum adressé à la ministre par son sous-ministre en date du 30 mai 2023 [le mémorandum] montre que la décision était dictée par le ministre des Transports; (c) on voit dans le mémorandum que Transports Canada est le « maître d’œuvre » et dicte les décisions en collaboration avec Services publics et Approvisionnement Canada et le ministère de la Justice; (d) le mémorandum indique que Transports Canada sera en mesure de transférer les terrains à CMQ pour la construction, sans produire aucun document à cet effet, et qu’il n’existe aucune demande de CMQ de construire une voie de contournement; (e) le mémorandum laisse entendre que la décision de la ministre a été rédigée avant qu’elle n’ait reçu une copie traduite en anglais du rapport de l’enquêtrice Banville et que la ministre ne peut pas rendre une décision basée sur des arguments de sécurité ferroviaire; (f) un courriel envoyé à la ministre le 9 juin 2023 a mis en avant l’existence d’un arrêté ministériel du ministère des Ressources naturelles du Québec qui n’autorise pas d’activité minière dans la région puisque cela aurait un impact négatif sur une zone importante nécessaire à l’approvisionnement de la ville en eau potable; et (g) la ministre, dans sa décision, met en doute les résultats du référendum de la Municipalité de Frontenac, alors qu’elle « glorifie » une page Facebook publiée sous la gouverne de la Ville de Lac-Mégantic et favorable au projet de voie de contournement.

[22] La deuxième modification, au paragraphe 48.1, dit que « [l]es demandeurs désirent réitérer les faits mentionnés aux paragraphes 15, 16, 17, 18, 25 et 42 à 54 de leur demande en injonction interlocutoire ».

(4) La question centrale

[23] Les demandeurs prétendent que les modifications ont pour objectif d’ajouter des références à des faits dont ils n’ont pris connaissance qu’après avoir reçu les documents fournis selon les règles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales. Ils prétendent que les modifications aideraient à cerner les véritables questions litigieuses entre les parties et ne causeraient pas d’injustice au procureur général du Canada. Ils notent d’ailleurs qu’il s’agit de la première fois que le gouvernement fédéral invoque la Loi sur l’expropriation pour construire une ligne de chemin de fer.

[24] Le procureur général soulève plusieurs arguments contre les modifications proposées par les demandeurs. Il soutient que les demandeurs ne justifient pas le délai de six mois qu’ils ont laissé s’écouler entre la réception des documents en question et les modifications proposées, retard qui lui causerait un préjudice. Il prétend aussi que la prétendue incorporation par renvoi dans le nouveau paragraphe 48.1 proposé n’est pas conforme à la règle 301 des Règles des Cours fédérales. Plus substantivement, le procureur général prétend que les modifications ne sont pas fondées en droit et que, tout comme les motifs dans l’avis de demande actuel, elles n’ont aucune possibilité raisonnable de succès.

[25] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, la modification d’un acte de procédure ne sera pas permise s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, qu’elle n’a aucune possibilité raisonnable de succès et donc qu’elle serait susceptible d’être radiée : McCain aux para 20–22. Je conclus que c’est la question déterminante dans la présente affaire.

[26] L’absence de possibilité de succès étant pertinente pour trancher à la fois la requête des demandeurs en modification et celle du procureur général en radiation, j’aborderai la question après avoir discuté des principes applicables à la radiation. Puisque je conclus ci-dessous que les modifications proposées n’ont aucune possibilité de succès, il s’ensuit que la Cour ne peut pas approuver les modifications et que la requête des demandeurs en modification doit être rejetée.

B. Radiation de l’avis de demande

(1) Principes

[27] Les Règles des Cours fédérales ne prévoient pas expressément la possibilité de radier un avis de demande, comme elles le font dans le contexte d’une action : Règles des Cours fédérales, règles 169, 221. Néanmoins, la Cour a une compétence absolue pour restreindre le mauvais usage des procédures judiciaires, qui comprend la compétence pour radier un avis de demande : JP Morgan Asset Management (Canada) Inc c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 au para 48, citant David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, 1994 CanLII 3529 (CAF), [1995] 1 CF 588 à la p 600 et Canada (Revenu National) c Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50 [aux para 33–36].

[28] Les principes applicables à l’exercice de cette compétence, établis par la Cour d’appel fédérale, sont les suivants :

  • (a)le moyen approprié pour contester une demande de contrôle judiciaire est de comparaitre et d’argumenter lors de l’audition sur la demande : David Bull aux pp 596–597; 876947 Ontario Limited (RPR Environmental) c Canada (Procureur Général), 2013 CAF 156 [RPR Environmental] au para 9; JP Morgan au para 48;

  • (b)la Cour ne radie donc un avis de demande que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli », c’est-à-dire dans le cas exceptionnel d’un « vice fondamental » qui infirmerait à la base la capacité de la Cour à instruire le recours ou d’une autre circonstance qui l’amènerait à conclure que le recours est « voué à l’échec » : Bernard c Canada (Procureur général), 2019 CAF 144 [Bernard I] au para 33; JP Morgan au para 47;

  • (c)ce seuil très élevé est le même que celui qui s’applique dans le contexte d’une requête en radiation d’une action : Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 aux para 32–33; Règles des Cours fédérales, règle 221a);

  • (d)les allégations de faits dans l’avis de demande sont tenues pour avérées, à moins d’être manifestement ridicules, impossibles à prouver, ou fondées sur des suppositions, des conjectures ou de la spéculation : JP Morgan au para 52; Wenham au para 33; Canada c Scheuer, 2016 CAF 7 au para 19; Operation Dismantle c La Reine, 1985 CanLII 74 (CSC) au para 27;

  • (e)les affidavits ne sont donc généralement pas recevables pour appuyer une requête en radiation, ni pour s’y opposer, mais les documents mentionnés et incorporés par renvoi à l’avis de demande peuvent être joints à un affidavit afin d’aider la Cour et la Cour peut aussi examiner la décision contestée : JP Morgan aux para 51–54, 56–57; Wenham au para 33;

  • (f)l’avis de demande doit présenter « un énoncé complet et concis des motifs invoqués » et le demandeur ne peut le compléter ou renforcer par de nouvelles allégations dans un affidavit (ou dans des prétentions écrites) : JP Morgan aux para 38–45, 52; Règles des Cours fédérales, règle 301e);

  • (g)pour déterminer si une demande de contrôle judiciaire révèle une cause d’action, la Cour lit l’avis de demande de manière libérale afin de tenir compte de toute insuffisance dans les allégations et de manière à trouver sa véritable nature, en s’employant à en faire une lecture réaliste, globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme : JP Morgan aux para 49–50; Wenham au para 34; Mohr c Ligue nationale de hockey, 2022 CAF 145 au para 48;

  • (h)même si la règle 221 parle d’une cause d’action « valable », et la jurisprudence d’une possibilité « raisonnable » de succès, il ne s’agit pas d’évaluer la probabilité que le demandeur finisse par réussir, ni la preuve qui pourrait être présentée, mais simplement de déterminer si la demande est vouée à l’échec de manière évidente et manifeste : Wenham aux para 29–31, 36; et

  • (i)cette détermination est réalisée dans le contexte juridique de la demande en tenant compte, dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire, de questions telles que la norme de contrôle applicable et l’existence d’un motif de contrôle connu en droit administratif : Wenham aux para 30, 36(II); Bernard c Canada (Institut professionnel de la fonction publique), 2020 CAF 211 au para 16; JP Morgan aux para 67–70, 80; McCain au para 21; Mohr aux para 53–54; RPR Environmental au para 5.

[29] À la lumière de ce dernier principe en particulier, il faut exposer le contexte juridique de la décision en question, soit l’expropriation par la Couronne en vertu de la Loi sur l’expropriation, avant de passer à l’analyse de l’avis de demande.

(2) Le contexte juridique

a) Les dispositions de la Loi sur l’expropriation

[30] Le paragraphe 4(1) de la Loi sur l’expropriation accorde à la Couronne un pouvoir d’exproprier tout droit réel immobilier requis, de l’avis du ministre, pour un ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public :

Pouvoir d’exproprier

Authority to expropriate

4 (1) La Couronne peut exproprier, en conformité avec les dispositions de la présente partie, tout droit réel immobilier ou intérêt foncier, y compris l’un des droits ou intérêts mentionnés aux articles 7 et 7.1, dont elle a besoin, de l’avis du ministre, pour un ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public.

4 (1) Any interest in land or immovable real right, including any of the interests or rights mentioned in sections 7 and 7.1, that, in the opinion of the Minister, is required by the Crown for a public work or other public purpose may be expropriated by the Crown in accordance with the provisions of this Part.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[31] La Loi sur l’expropriation comprend aussi une disposition, l’article 4.1, qui prévoit le cas où une demande d’expropriation émane d’une compagnie de chemin de fer. Comme l’a expliqué la juge en chef adjointe Gagné, cette disposition a été ajoutée à la Loi sur l’expropriation dans le contexte de l’abrogation, en 1996, de la Loi sur les chemins de fer, LRC (1985), ch R-3, et la consolidation de cette loi et de la Loi de 1987 sur les transports nationaux dans la nouvelle Loi sur les transports au Canada : Vachon (Succession) au para 21; Loi sur les transports au Canada, titre intégral. Les paragraphes pertinents de l’article 4.1 se lisent comme suit :

Demande d’expropriation

Request by railway company to expropriate

4.1 (1) La compagnie de chemin de fer — au sens de l’article 87 de la Loi sur les transports au Canadaprésente au ministre des Transports une demande pour que le ministre fasse exproprier par la Couronne, conformément à la présente partie, le droit réel immobilier ou intérêt foncier dont elle a besoin pour un chemin de fer et qu’elle n’a pu acheter.

4.1 (1) If a railway company, as defined in section 87 of the Canada Transportation Act, requires an interest in land or immovable real right for the purposes of its railway and has unsuccessfully attempted to purchase the interest or right, the railway company may request the Minister of Transport to have the Minister have the interest or right expropriated by the Crown in accordance with this Part.

Pouvoir du ministre

Power of Minister

(2) Avec l’agrément du gouverneur en conseil donné sur recommandation du ministre des Transports, lorsqu’il estime que la compagnie de chemin de fer a besoin du droit réel immobilier ou intérêt foncier pour un chemin de fer, le ministre fait exproprier par la Couronne ce droit ou intérêt en conformité avec la présente partie.

(2) The Minister shall have the interest in land or immovable real right expropriated by the Crown in accordance with this Part if

(a) the Minister of Transport is of the opinion that the interest or right is required by the railway company for its railway and recommends to the Governor in Council that it be expropriated in accordance with this Part; and

(b) the Governor in Council consents to the expropriation of the interest or right.

Présomption

Deemed opinion

(3) Si le ministre des Transports recommande l’expropriation, le ministre est censé être d’avis que la Couronne a besoin du droit réel immobilier ou intérêt foncier pour un ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public.

(3) If the Minister of Transport is of the opinion that the interest in land or immovable real right is required by the railway company for its railway, the Minister is deemed to be of the opinion that the interest or right is required by the Crown for a public work or other public purpose.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[32] Les articles 4 et 4.1 se trouvent dans la Partie I de la Loi sur l’expropriation. Cette partie de la loi dicte le processus à suivre pour qu’une expropriation selon l’article 4 ou l’article 4.1 soit réalisée « en conformité avec [les dispositions de] la présente partie ». La juge en chef adjointe Gagné a détaillé ce processus dans sa décision sur la requête en injonction, et il ne sert à rien de répéter cette discussion ici : Vachon (Succession) aux para 22–28. Il suffit de noter que le processus prévu par la Partie I comprend un processus d’enregistrement et de publication d’un avis d’intention d’exproprier (arts 5 et 8); un processus d’opposition par toute personne qui s’oppose à l’expropriation envisagée (art 9); la nomination d’un enquêteur, la tenue d’une audience publique et l’obligation de l’enquêteur de soumettre un rapport « sur la nature et les motifs des oppositions présentées » (art 10); le pouvoir de la ministre de confirmer ou renoncer à l’intention d’exproprier « après avoir reçu et examiné le rapport » de l’enquêteur (art 11); et l’obligation de la ministre de fournir une copie du rapport et un énoncé des motifs du rejet des oppositions qui n’ont pas été retenues (art 13).

[33] Si la ministre décide de confirmer l’intention d’exproprier, elle le fait en demandant au procureur général du Canada d’enregistrer un avis de confirmation au bureau du registrateur où l’avis d’intention a été enregistré (art 14). L’enregistrement de l’avis de confirmation entraine la dévolution absolue à la Couronne du droit dont l’expropriation est confirmée (art 15).

[34] Finalement, l’alinéa 23b) de la Loi sur l’expropriation crée une présomption quant à l’avis de la ministre qu’un droit réel immobilier est requis pour un ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public :

Avis péremptoirement opposable sauf à la Couronne

Notice conclusive except against Crown

23 Sauf si la Couronne le conteste :

23 Unless questioned by the Crown,

[…]

[…]

b) il est considéré que, selon le cas :

(b) it shall be deemed that

(i) tous les droits ou intérêts visés par l’avis d’intention sont,

(i) all of the interests or rights to which a notice of intention relates are,

(ii) un droit ou intérêt plus restreint visé seulement par un avis de confirmation est,

(ii) a more limited interest or right only to which a notice of confirmation relates is, or

[…]

[…]

selon le ministre, requis par la Couronne pour un ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public;

in the opinion of the Minister required by the Crown for a public work or other public purpose;

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[35] Je note qu’on pourrait lire l’article 23 comme ne permettant qu’à la Couronne de contester si les droits ou intérêts visés par un avis d’intention ou un avis de confirmation sont, selon la ministre, requis par la Couronne pour un ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public. Ceci dit, le procureur général accepte que cette disposition ne crée qu’une présomption qui peut être réfutée par un demandeur.

b) La norme de contrôle des décisions d’expropriation sur le fond

[36] Le procureur général ne conteste pas que cette Cour est susceptible de contrôler une décision de la ministre de confirmer une intention d’exproprier. En prenant une telle décision, la ministre exerce une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale. Elle agit donc comme un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7, et cette Cour a compétence pour contrôler sa décision conformément aux articles 18 et 18.1 de ladite loi.

[37] Les parties sont également d’accord que la décision de la ministre est contrôlée sur le fond selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16–17, 23–25. Un demandeur qui cherche à faire annuler une décision de la ministre prise en application de la Loi sur l’expropriation doit donc établir que la décision est déraisonnable, dans le sens qu’elle est intrinsèquement incohérente ou qu’elle n’est pas justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur elle : Vavilov aux para 99–101.

[38] Cela dit, la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est une norme qui tient compte du contexte : Vavilov aux para 88–90. Ce qui est « raisonnable » dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen : Vavilov au para 90. Dans le cas où le législateur a donné au décideur un large pouvoir discrétionnaire, comme celui de prendre une décision « dans l’intérêt public », le décideur jouit d’une « souplesse accrue » dans l’interprétation de la loi et dans l’exercice de sa discrétion : Vavilov aux para 108, 110; 11316753 Canada Association c Canada (Transports), 2023 CAF 28 [’753 Canada (CAF)] aux para 24, 29–30, 45–52.

[39] De telles décisions, qui se fondent sur des considérations de politique générale et des critères polycentriques, subjectifs ou indistincts, sont très peu limitées, et sujettes à « un faible degré de contrainte juridique » justifiant un niveau de retenue élevé de la part de la Cour en contrôle judiciaire : Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 (conf par 2022 CSC 30) au para 28, citant Vavilov au para 110; ’753 Canada (CAF) au para 51, confirmant 11316753 Canada Association c Canada (Transports), 2021 CF 819 [’753 Canada (CF)] aux para 42–43. En même temps, il n’y a rien de tel qu’une « discrétion » absolue et sans entrave, et tout exercice d’un pouvoir discrétionnaire doit être conforme aux fins pour lesquelles il a été accordé : Vavilov au para 108, citant Roncarelli v Duplessis, 1959 CanLII 50 (SCC), [1959] SCR 121 à la p 140.

[40] Les décisions prises dans le contexte particulier de l’expropriation sont reconnues depuis longtemps comme des décisions hautement discrétionnaires et de nature intrinsèquement politique. Ceci est confirmé par la Loi sur l’expropriation, qui fait référence à « un ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public » et donne à la ministre la discrétion de déterminer si la Couronne a besoin, à son avis, d’un droit réel immobilier pour une telle fin : Loi sur l’expropriation, arts 4(1), 4.1(3), 5(1), 11(3), 23b).

[41] Dans l’arrêt Walters, la Cour suprême a examiné l’approbation d’une expropriation par un conseil scolaire en vertu de la loi ontarienne sur l’expropriation alors en vigueur, l’Expropriations Act, RSO 1970, c 154 : Walters c Essex County Board of Education, 1973 CanLII 20 (CSC), [1974] RCS 481. Comme la Loi sur l’expropriation fédérale, celle de l’Ontario prévoyait la préparation d’un rapport par un enquêteur après une audience et obligeait l’autorité approbatrice à « examiner » le rapport avant d’approuver ou refuser l’expropriation : Walters aux pp 482–484. La famille Walters a essayé d’annuler l’expropriation de leur ferme aux motifs, entre autres, que le rapport de l’enquêteur avait désapprouvé l’expropriation projetée et que le conseil scolaire n’avait pas « examiné » adéquatement le rapport comme la loi le lui imposait : Walters aux pp 483, 485–486.

[42] En rejetant l’appel des Walters, le juge Laskin (plus tard juge en chef) a noté que le législateur avait « laissé peu de marge à la surveillance judiciaire de la façon dont une autorité approbatrice remplit son obligation d’approuver ou refuser une expropriation » dans l’absence d’une contestation de la bonne foi du décideur, et que « [l]a Cour ne se voit confier aucun rôle de réviser le bien-fondé d’une proposition d’expropriation » : Walters aux pp 487–488. Il a décrit la nature politique de la décision dans les termes suivants, faisant référence aux concepts de droit administratif courants à l’époque :

Pour reprendre une terminologie reconnue par la jurisprudence, le Conseil en tant qu’autorité approbatrice n’est pas un organe judiciaire ni quasi judiciaire, mais est investi du pouvoir discrétionnaire le plus étendu pour décider, sous réserve seulement d’examiner le rapport de l’enquêteur, si l’expropriation doit suivre son cours. La sanction qui s’attache à une décision prise à tort (mais sans mauvaise foi), compte tenu l’obligation de la motiver, est la censure publique et non un blâme judiciaire.

[Je souligne; Walters à la p 489.]

[43] Les propos du juge Laskin font écho à ceux du ministre de la Justice qui avait présenté la Loi sur l’expropriation au Parlement en 1970. En réponse à une question au sujet de l’audience publique prévue par la loi, l’honorable John Turner a noté que « [l]e ministre des Travaux publics sera responsable de l’expropriation devant ses collègues et devant le Parlement de notre pays : c’est une responsabilité qu’il devra accepter. Elle sera d’ordre politique et non pas judiciaire, car la décision d’exproprier est, en premier lieu, une décision administrative dont il assume ici la responsabilité politique » [je souligne] : Débats de la Chambre des communes, 28‑2, n°4 (9 février 1970) aux pp 3373–3374; voir aussi Eric CE Todd, The Law of Expropriation and Compensation in Canada, 2e éd (Scarborough : Carswell, 1992) aux pp 51–53. Évidemment, les propos du ministre de la Justice en 1970 ne contraignent pas la Cour dans sa tâche de contrôler la décision de la ministre, mais ils corroborent la conclusion assez évidente du juge Laskin qu’une expropriation par la Couronne est une décision intrinsèquement discrétionnaire et politique.

[44] Il est aussi à noter que la Loi sur l’expropriation prévoit explicitement que la Cour fédérale joue un certain rôle dans le contexte d’une expropriation, par exemple pour déterminer l’état du titre afférent au bien-fonds et pour déterminer l’indemnité à laquelle le titulaire d’un terrain exproprié a droit : Loi sur l’expropriation, arts 2(1) (« tribunal »), 18, 31–35. Par contre, comme la loi ontarienne considérée par la Cour suprême dans l’arrêt Walters, la Loi sur l’expropriation ne prévoit aucun rôle de la Cour en révision des décisions d’entreprendre, de renoncer à ou de confirmer une expropriation.

[45] Le procureur général cite aussi, comme l’a fait la juge en chef adjointe Gagné, la décision de cette Cour dans l’arrêt Canada c Ladouceur, [1976] ACF no 415 (ce jugement a été porté en appel, mais il semble que l’appel n’ait pas été poursuivi). Cet arrêt porte sur l’expropriation de biens immobiliers aux fins de la construction de l’aéroport Mirabel, réalisée sous l’ancienne Loi sur l’expropriation, LRC (1970), ch E-19. M. Ladouceur, dont les terrains avaient été expropriés, a contesté la suffisance de l’indemnité payée et la validité de l’expropriation. Au début du procès, la Cour a entendu une requête de la Couronne en radiation de deux paragraphes de l’exposé de défense de M. Ladouceur qui alléguaient que sa propriété « n’était pas requise aux fins des utilités publiques conformément à la loi ». Le juge Addy a rendu un jugement oral, qu’il a ensuite incorporé dans son jugement final, accordant la requête en partie : Ladouceur au para 2 et à l’annexe « A ». Le juge Addy a conclu ce qui suit :

Il est toujours de l’intérêt des deux parties cependant, de ne pas prolonger inutilement un procès et, lorsqu’il paraît évident que l’on ne pourrait, sous aucune considération, même en accordant à une plaidoirie l’interprétation la plus généreuse possible d’en arriver à une conclusion juridique favorable à la partie plaidant, la plaidoirie doit être radiée.

Ce principe s’applique certainement au paragraphe 9 a) puisqu’une jurisprudence bien établie et confirmée par la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt [Calgary Power Limited v Copithorne, [1959] SCR 24], veut qu’un exproprié ne peut s’attaquer à l’expropriation pour le motif que la propriété ne serait pas requise pour l’utilité publique pour laquelle le ministre déclare l’avoir expropriée, à moins qu’il s’agisse d’attaquer la bonne foi du ministre.

En d’autres mots, le jugement du ministre est inattaquable.

[Je souligne; Ladouceur à l’annexe « A ».]

[46] Il va sans dire que le droit administratif, et plus particulièrement le droit relatif au contrôle judiciaire, a évolué depuis les décisions de la Cour suprême dans Walters et de cette Cour dans Ladouceur. On ne peut donc pas constater avec confiance que l’approche selon laquelle seule la mauvaise foi permet d’infirmer la décision de la ministre est toujours valide. D’ailleurs, même si le procureur général cite Walters et Ladouceur, ainsi que la présomption de l’article 23, il reconnaît que la norme de la décision raisonnable selon Vavilov s’applique.

[47] Cela dit, tout ce qui précède confirme que le demandeur qui cherche à faire annuler une décision de confirmer une expropriation doit établir que la décision ne respecte pas la norme de la décision raisonnable telle que cette norme est définie pour une décision hautement discrétionnaire et de nature politique. La question dans le contexte de la demande en radiation du procureur général est donc de déterminer s’il est évident et manifeste que les motifs invoqués par les demandeurs ne peuvent en aucun cas répondre à cette exigence et sont donc voués à l’échec.

c) La norme applicable aux allégations de partialité

[48] Les modifications proposées par les demandeurs allèguent que la ministre a fait preuve de partialité. La partialité est une question d’équité procédurale, qui n’est pas révisée au moyen de la norme de la décision raisonnable. Par contre, les modifications proposées et les prétentions des parties soulèvent la question du niveau d’impartialité auquel la ministre est tenue dans le contexte d’une décision de confirmer une expropriation.

[49] Les modifications proposées font référence à une « crainte de partialité ». Ce langage évoque la norme d’une « crainte raisonnable de partialité », qui s’applique aux décisions de nombreux décideurs administratifs ainsi qu’aux juges : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC) aux para 45–47; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45 aux para 57–61.

[50] Par contre, le procureur général prétend que lorsqu’il s’agit d’une décision de nature discrétionnaire et politique fondée sur une évaluation de l’intérêt public, la norme applicable aux questions de partialité n’est pas celle de la « crainte raisonnable de partialité », mais celle de « l’esprit fermé » : Pelletier c Canada (Procureur général), 2008 CAF 1 aux para 49–57, citant Cie pétrolière Impériale ltée c Québec (Ministre de l’Environnement), 2003 CSC 58 au para 31 et Association des résidents du Vieux St‑Boniface Inc c Winnipeg (Ville), 1990 CanLII 31 (CSC), [1990] 3 RCS 1170 aux pp 1197–1198; Elson c Canada (Procureur général), 2017 CF 459 aux para 142–146. Les demandeurs ont accepté cette proposition lors de l’audience et je suis entièrement d’accord.

[51] L’affaire Pelletier portait sur une décision du ministre des Transports de destituer le président du conseil d’administration de VIA Rail, nommé à ce poste à titre amovible. La Cour d’appel a souligné qu’une telle décision est une décision administrative discrétionnaire, à contenu politique, « qui est astreinte, tout au plus, à la norme de l’esprit fermé » : Pelletier au para 55. La Cour d’appel a conclu que cette Cour avait erré en droit en appliquant la norme de la crainte raisonnable plutôt que la norme de l’esprit fermé : Pelletier au para 57.

[52] La décision de la ministre en l’espèce est, elle aussi, une décision administrative discrétionnaire à contenu politique qui tient compte de l’intérêt public et qui n’est pas restreinte par la loi : Elson au para 146. La Loi sur l’expropriation prévoit que la ministre reçoit et examine le rapport de l’enquêtrice, ce qui signale qu’elle ne doit pas avoir l’esprit fermé, mais la ministre n’est tenue qu’à cette norme quant à la question de partialité.

[53] Il incombe donc aux demandeurs, dans le contexte de cette demande, d’établir que la ministre avait l’esprit fermé quand elle a pris sa décision de confirmer l’intention d’exproprier. Dans le cadre des requêtes actuelles, notamment la requête des demandeurs en modification, la question est donc de savoir s’il est évident et manifeste que l’allégation proposée par les demandeurs selon laquelle la ministre était partiale ne peut pas répondre à cette exigence et est donc vouée à l’échec.

d) Le rôle de la décision de la juge en chef adjointe Gagné

[54] Comme mentionné plus haut, la juge en chef adjointe Gagné était saisie de la requête en injonction des demandeurs. En traitant cette requête, elle était tenue d’appliquer les critères établis par la Cour suprême du Canada dans l’affaire RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 à la p 334. Elle devait donc examiner, entre autres, la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire des demandeurs posait une question sérieuse à trancher : Vachon (Succession) au para 38.

[55] Après avoir examiné l’avis de demande et son contexte juridique, la juge en chef adjointe Gagné a conclu qu’aucun des quatre arguments centraux des demandeurs, selon la catégorisation énoncée au paragraphe [19] ci-dessus, ne soulevait de question sérieuse à trancher : Vachon (Succession) aux para 43–77. Elle a aussi conclu que les demandeurs ne démontraient pas de préjudice irréparable et que la balance des inconvénients ne penchait pas en leur faveur : Vachon (Succession) aux para 78–99. Elle a donc rejeté la requête en injonction : Vachon (Succession) au para 102. Cette décision n’a pas été portée en appel.

[56] Le procureur général souligne les conclusions de la juge en chef adjointe, et affirme que le critère peu rigoureux de la « question sérieuse à trancher » employé dans le cadre d’une injonction est un corollaire de celui utilisé lors de l’étude d’une demande en radiation, où la Cour examine si la demande sous-jacente « n’a aucune chance d’être accueillie » ou est « vouée à l’échec ». Le procureur général note qu’une demande qui ne satisfait pas au premier critère de RJR-MacDonald est « frivole », « futile » et/ou « vexatoire » et avance qu’une telle demande est nécessairement vouée à l’échec : RJR-MacDonald aux pp 335, 337–338, 348; Bernard I au para 34; voir aussi R c Haevischer, 2023 CSC 11 aux para 67–68, où la Cour suprême indique que la demande « frivole », selon la norme de « frivolité manifeste » applicable au rejet sommaire d’une demande lors d’une instance criminelle, en est une qui est « vouée à l’échec ».

[57] Je suis d’accord qu’il est difficile de voir une grande différence entre le critère de « l’absence de question sérieuse à trancher » et celui d’une cause qui n’a « aucune chance d’être accueillie » ou qui est « vouée à l’échec ». Les deux évoquent l’idée d’une cause qui ne peut tout simplement pas réussir. Dans les deux cas, il n’est pas réalisé d’examen exhaustif sur le fond : RJR-Macdonald à la p 337; Fondation Sierra Club Canada c Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 CF 663 aux para 3, 25–30. Dans les deux cas, la nouveauté de la cause ou de la question juridique n’est pas déterminante : 2788610 Ontario Inc v Bhagwani et al, 2022 ONSC 905 au para 15; Droits des voyageurs c Canada (Office des transports), 2020 CAF 155 au para 32; Paradis Honey Ltd c Canada (Procureur général), 2015 CAF 89 au para 37. Cette Cour a noté, au moins, la connexion entre les critères : Fondation Sierra Club au para 3; Asghar c Canada, 2017 CF 947 aux para 11–14, 29, 33–34; Paszkowski c Canada, 2001 CanLII 22070 (CF) aux para 2–4, 7; Cabra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 822 aux para 15–16; mais voir aussi Engineered Controls v Gas Equipment Supplies, 2003 BCSC 697 aux para 2–4, 13–14, 22–28.

[58] Cela dit, il existe des différences importantes entre une requête en injonction et une requête en radiation. Notamment, une requête en injonction requiert de la preuve, tandis qu’une requête en radiation n’en admet pas : JP Morgan au para 51; Wenham au para 25. La juge en chef adjointe Gagné avait donc des affidavits devant elle, même si elle a surtout fait référence à cette preuve lors de l’examen du préjudice irréparable, et non de l’existence d’une question sérieuse à trancher. Cette Cour a également suggéré dans quelques décisions que le critère de la « question sérieuse à trancher » qui s’applique aux injonctions est plus exigeant que le critère « évident et manifeste » qui s’applique à la radiation : Pacific Fishermen’s Defence Alliance c Canada, 1987 CanLII 8961 (CF), [1987] 3 CF 272 aux pp 284–285; Sauvé c Canada, 2014 CF 119 au para 41, dans le contexte de la règle 417.

[59] En l’absence de jurisprudence assimilant les deux normes de façon plus directe, le procureur général ne prétend ni que la question devant cette Cour a été déjà tranchée par la juge en chef adjointe, ni que le principe du stare decisis horizontal s’applique pour lier la Cour dans sa décision. Le procureur général se limite plutôt à prétendre que la radiation de l’avis de demande est « cohérente » avec la conclusion de la juge en chef adjointe selon laquelle l’avis de demande ne soulève pas de question sérieuse.

[60] Étant donné les différences entre une requête en radiation et une requête en injonction, je conclus que la Cour n’est pas liée par la décision de la juge en chef adjointe Gagné, ni par le principe du stare decisis horizontal, ni autrement. La Cour doit donc prendre sa propre décision sur la question de savoir s’il est évident et manifeste que l’avis de demande est voué à l’échec. En ce faisant, la Cour applique la norme qui s’applique aux requêtes en radiation et non la norme de la « question sérieuse à trancher ». Cela dit, la décision de la juge en chef adjointe sert de jurisprudence pertinente aux questions devant la Cour, surtout dans ses aspects qui ne sont fondés que sur le contexte juridique et l’avis de demande et qui ne tiennent pas compte de la preuve qui était devant la Cour lors de l’examen de la requête en injonction.

(3) Les motifs dans l’avis de demande actuel

[61] Les demandeurs prétendent que la décision de la ministre est déraisonnable et que la ministre a agi de mauvaise foi, soulevant les motifs résumés au paragraphe [18]. Les motifs des demandeurs sont en substance les suivants : (a) des motifs portant sur l’application des articles 4 et 4.1 de la Loi sur l’expropriation; (b) des motifs portant sur la Loi sur les transports au Canada; (c) des motifs prétendant que la voie de contournement n’est pas un ouvrage public ou dans l’intérêt public; (d) une allégation que le projet risque d’entrainer des impacts environnementaux négatifs importants; et (e) une allégation que la ministre n’a pas compétence pour enclencher le processus d’expropriation et a agi de mauvaise foi. Ce regroupement des motifs est un peu différent de celui de la juge en chef adjointe Gagné, mais il adresse les mêmes motifs que ceux qui se trouvent dans l’avis de demande.

[62] La question pertinente pour les fins de cette requête est de savoir si ces motifs, ou au moins certains d’entre eux, ont une chance d’être accueillis ou, à l’inverse, s’ils sont voués à l’échec. À cet égard, je note que la question importante n’est pas le nombre de motifs soulevés dans l’avis de demande, mais leur viabilité : Mohr au para 53. Un avis de demande qui présente plusieurs motifs est également susceptible d’être radié si tous les nombreux motifs sont sans fondement.

[63] Je note aussi que les demandeurs ont soulevé d’autres arguments dans leurs prétentions écrites, qui ne sont pas liés aux motifs présentés dans l’avis de demande. Cela inclut les arguments relatifs au choix du tracé de la voie; à l’endroit actuel du triage des wagons de trains; au rayon d’évacuation à la suite d’un déversement de produits dangereux; à la sécurité prétendue de la voie proposée; à l’observation de la ministre au sujet du pourcentage de la population de la Ville de Lac-Mégantic qui manifestait des symptômes de stress post-traumatique et à la littérature médicale et scientifique relative au traitement de ces effets; et à la qualité et la pertinence des études réalisées. Toutefois, il n’est pas loisible aux demandeurs de soulever de nouveaux motifs ou de nouveaux faits pour renforcer ou élargir leur avis de demande en réponse à une requête en radiation. La Cour ainsi que le procureur général peuvent à bon droit supposer que l’avis de demande renferme tout ce qui est essentiel pour octroyer la réparation demandée : JP Morgan aux para 39, 52.

[64] L’analyse de la Cour se concentre donc sur les motifs soulevés dans l’avis de demande. Pour les raisons suivantes, je conclus qu’aucun de ces motifs n’a de chance d’être retenu.

[65] Avant de m’intéresser aux motifs dans l’avis de demande, je note que les demandeurs soulèvent que le procureur général s’est opposé à la production de certains documents réclamés dans leur avis de demande en application des règles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales. À mon avis, ce fait ne peut affecter l’analyse de la requête du procureur général en radiation pour deux raisons. Premièrement, la juge responsable de la gestion de l’instance Steele a suspendu la procédure relative aux objections du procureur général suivant la règle 318 jusqu’à l’issue des présentes requêtes et son ordonnance n’a pas été portée en appel. Deuxièmement, c’est l’avis de demande qui définit la pertinence et donc la portée des documents qui peuvent être demandés selon la règle 317 et pas l’inverse : voir Iris Technologies aux para 36–43. Un demandeur doit présenter dans son avis de demande les motifs pour lesquels il prétend que la décision en cours de révision doit être infirmée et il ne peut pas se fonder sur des documents ou des arguments à venir pour justifier sa demande : JP Morgan aux para 38–45, 52.

a) Les motifs portant sur l’application des articles 4 et 4.1 de la Loi sur l’expropriation

[66] Dans leur avis de demande, les demandeurs soulèvent trois motifs liés à l’application des articles 4 et 4.1 de la Loi sur l’expropriation.

[67] Ils prétendent d’abord que les avis d’intention d’expropriation et les avis de confirmation n’indiquent pas en vertu de quel article de la loi ils sont émis, ce qui les invalide. Ce motif n’a aucun mérite. Le paragraphe 5(1) de la Loi sur l’expropriation dicte le contenu d’un avis d’intention d’exproprier tandis que le paragraphe 14(1) dicte le contenu d’un avis de confirmation d’intention. Ni l’un ni l’autre n’indiquent que l’avis doit préciser l’article de la loi sur la base duquel il est émis. Il est à noter que la Loi sur l’expropriation ne contient que deux articles accordant à la Couronne le pouvoir d’exproprier, à savoir les articles 4 et 4.1. Comme discuté ci-dessus, l’article 4.1 ne peut pas s’appliquer. L’argument selon lequel l’intégralité du processus d’expropriation devient invalide parce que la ministre n’a pas précisé que les avis étaient fondés sur le seul article susceptible de s’appliquer en l’espèce n’a aucune chance de succès.

[68] Les demandeurs prétendent ensuite que la ministre aurait dû appliquer l’article 4.1 de la Loi sur l’expropriation et non l’article 4. Ce motif n’a également aucune chance de réussir. Le libellé de l’article 4.1 indique clairement que cette disposition permet à une compagnie de chemin de fer de présenter au ministre des Transports une demande pour que la ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux fasse exproprier par la Couronne le droit réel immobilier dont la compagnie a besoin pour un chemin de fer. L’avis de demande des demandeurs allègue clairement qu’aucune compagnie de chemin de fer n’a fait de telle demande en l’espèce. L’article 4.1 de la Loi sur l’expropriation n’a donc manifestement aucune application.

[69] L’argument des demandeurs est en fait que dès qu’il est question d’une voie ferroviaire, seul l’article 4.1 peut recevoir application et tout recours à l’article 4 est exclu. En substance, ils semblent alléguer que la présence de l’article 4.1 dans la Loi sur l’expropriation limite la portée du pouvoir de la ministre sous l’article 4 de manière à exclure les chemins de fer et/ou les voies ferroviaires des ouvrages publics ou autres fins d’intérêt public. Il n’y a aucune indication, ni dans le texte de l’article 4, ni dans le contexte législatif, ni dans l’objet de la loi, que le « pouvoir discrétionnaire le plus étendu » accordé à la ministre par l’article 4 est limité d’une telle façon : Walters à la p 489; ’753 Canada (CAF) au para 46. L’argument des demandeurs nécessiterait de lire le paragraphe 4(1) comme s’il disait « [l]a Couronne peut exproprier […] tout droit réel immobilier […] dont elle a besoin, de l’avis du ministre, pour un ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public sauf pour les fins d’un chemin de fer ou une voie ferroviaire » ou « sous réserve de l’article 4.1, la Couronne peut exproprier […] tout droit réel immobilier […] ». Le fait que l’article 4.1 accorde aux compagnies de chemin de fer la possibilité de présenter une demande au ministre des Transports ne supporte tout simplement pas une telle lecture de l’article 4. L’argument est voué à l’échec.

[70] Je note qu’il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle le libellé du paragraphe 4(1) est susceptible d’être interprété d’au moins deux manières différentes ou de recevoir « des interprétations concurrentes et crédibles » : Mohr aux para 45–52. Au contraire, l’argument des demandeurs va à l’encontre des termes des articles 4 et 4.1 de la Loi sur l’expropriation et ne peut être justifié ni par l’esprit ou l’objet de la loi, ni par son historique législatif : voir Mohr aux para 13–15, 33–42.

[71] Il faut ajouter que la ministre a évidemment conclu que l’article 4 lui octroyait le droit de faire exproprier par la Couronne des droits réels immobiliers pour la construction d’une voie ferroviaire, et ce, à la demande du ministre des Transports et non à celle d’une compagnie de chemin de fer. Dans le contexte d’un contrôle judiciaire, la question est donc de déterminer si cette conclusion est déraisonnable, ce qui renforce la conclusion que l’argument des demandeurs est voué à l’échec. Je note à cet égard qu’il ne ressort pas de l’avis de demande, ni d’ailleurs de l’ensemble du dossier devant la Cour, que les demandeurs auraient présenté cet argument à la ministre dans le cadre de leurs oppositions aux avis d’intention d’exproprier. Il s’agit d’une raison supplémentaire pour laquelle cet argument ne peut réussir : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22–26.

[72] Le dernier motif sous cette rubrique dans l’avis de demande est que la ministre n’a pas suivi le processus prévu à l’article 4.1 de la Loi sur l’expropriation puisque la CMQ n’a jamais demandé une voie de contournement. Pour les raisons déjà exprimées, le fait que la CMQ n’a pas présenté de demande auprès du ministre des Transports ne saurait affecter le pouvoir de la ministre d’émettre un avis d’intention d’expropriation selon les articles 4(1) et 5. Le processus prévu à l’article 4.1 n’est donc pas pertinent. L’argument voulant que la décision de la ministre est invalide ou déraisonnable parce qu’elle n’a pas suivi ce processus est voué à l’échec.

b) Les motifs portant sur la Loi sur les transports au Canada

[73] Le paragraphe 98(1) de la Loi sur les transports au Canada dispose que la construction d’une ligne de chemin de fer par une compagnie de chemin de fer est subordonnée à l’autorisation de l’OTC. Dans l’avis de demande, les demandeurs indiquent que la CMQ a fait une demande d’autorisation auprès de l’OTC et que ce dernier n’a pas encore rendu sa décision. Je comprends, comme l’a fait la juge en chef adjointe Gagné, que cette indication constitue un argument selon lequel la décision de la ministre est prématurée étant donné que la construction de la voie ferroviaire, motif de l’expropriation, n’a pas encore été approuvée : Vachon (Succession) aux para 44, 57–62.

[74] La ministre s’est prononcée sur cette question dans sa décision confirmant l’intention d’exproprier. Elle y affirme ce qui suit :

En vertu de l’article 98 de la Loi sur les transports au Canada, une compagnie ferroviaire doit obtenir l’approbation de l’Office des transports du Canada (OTC) avant de construire une nouvelle ligne de chemin de fer. L’OTC peut alors autoriser la construction s’il détermine que l’emplacement de la ligne est à la fois convenable et raisonnable. L’approbation de l’OTC est donc requise pour permettre la construction de la voie de contournement ferroviaire de Lac-Mégantic. Toutefois, il est à noter que le projet d’acquisition des terrains requis pour la voie de contournement n’est pas tributaire de la décision de l’OTC, une décision est rendue quant aux autorisations requises pour le volet portant sur le projet de construction. Dans le cadre de la Loi sur l’expropriation, Sa Majesté n’a aucune obligation de rétrocéder les immeubles malgré une décision favorable de la ministre de SPAC de confirmer l’expropriation. Le gouvernement fédéral s’est engagé à mener à terme ce projet toutefois, advenant le cas où l’OTC refuserait d’approuver le projet de construction, le gouvernement fédéral analysera la situation au moment venu selon les lois et directives qui encadrent les transactions immobilières fédérales.

[…]

La construction de la voie de contournement pourra débuter une fois que le processus d’acquisition des terrains sera complété et que toutes les autorisations réglementaires seront obtenues, notamment l’approbation de l’OTC. Il n’est pas non plus atypique pour des projets d’une telle envergure que la demande d’approbation auprès de l’OTC progresse en parallèle avec le processus d’acquisition des terrains.

[Je souligne; Décision de la ministre aux pp 25–26.]

[75] La ministre a donc effectivement conclu qu’elle avait la compétence pour confirmer l’intention d’exproprier sans attendre l’approbation de l’OTC, et elle a exercé son pouvoir discrétionnaire pour ce faire. Pour que l’argument des demandeurs à ce sujet puisse prospérer dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, ils doivent établir que la décision de la ministre à cet égard était déraisonnable. Ils ne peuvent tout simplement pas répondre à cette exigence.

[76] Comme l’a constaté la ministre, l’acquisition des terrains requis n’est pas tributaire de la décision de l’OTC. Il n’y a aucune indication dans la Loi sur l’expropriation qu’une expropriation est subordonnée à, ou doit attendre, toute approbation ou autre condition applicable au projet qui sous-tend l’expropriation. Au contraire, l’expropriation dépend uniquement de l’avis de la ministre que les biens-fonds sont requis pour un ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public. Accepter l’argument des demandeurs entrainerait l’effet absurde d’exiger que l’acquisition de terrains par expropriation, même pour des projets publics à grande échelle, attende toutes les approbations réglementaires pertinentes au lieu de progresser en parallèle. Cela empêcherait tout travail préliminaire sur ces terrains et imposerait des retards potentiellement importants à ces projets. Aucune disposition de la Loi sur l’expropriation ne permet de soutenir une telle conclusion.

[77] Il n’y a donc aucun argument valable pour défendre que la conclusion de la ministre à cet égard n’est pas conforme au texte, contexte et objet de la Loi sur l’expropriation, ou qu’elle n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques qui ont une incidence sur la décision : Vavilov aux para 105, 108–112, 120.

[78] Plutôt, la conclusion de la ministre à cet égard est conforme à la seule décision pertinente mise devant la Cour à ce sujet, sous l’intitulé malheureux Squaw Point Ranching Co v Red Deer (City), 1989 CanLII 3380 (Alta QB) [Red Deer]. Cette décision porte sur une demande de contrôle judiciaire d’une expropriation par la Ville de Red Deer des biens-fonds du demandeur en lien avec la construction d’une voie ferroviaire. La Municipal Government Act, RSA 1980, c M-26, accordait à la ville le pouvoir d’exproprier, selon la loi albertaine sur l’expropriation, des biens-fonds pour [traduction] « toute fin municipale ». Le demandeur dans l’affaire a prétendu, comme le font les demandeurs en l’espèce, que l’expropriation de ses biens-fonds était prématurée parce que le prédécesseur de l’OTC, l’Office national des transports, n’avait pas encore approuvé le projet ferroviaire : Red Deer au para 25. La Cour a rejeté cet argument. Elle a constaté que la seule condition préalable à l’expropriation était qu’elle devait poursuivre une [traduction] « fin municipale » et que l’approbation de l’Office n’était pas une condition préalable à l’expropriation des terrains : Red Deer au para 25.

[79] Bien que l’arrêt Red Deer se fonde sur une autre loi sur l’expropriation, il confirme qu’il n’y a pas de principe général voulant qu’une expropriation doive attendre toute les approbations réglementaires ou législatives nécessaires au projet qui sous-tend cette expropriation. En outre, il est à noter que la Cour albertaine est arrivée à cette conclusion en se fondant sur une loi sur l’expropriation qui permettait expressément aux propriétaires de contester l’expropriation si elle n’était pas [traduction] « juste, bien fondée et raisonnablement nécessaire à la réalisation des objectifs de l’autorité expropriante », ce que ne permet pas la Loi sur l’expropriation fédérale : Red Deer à l’annexe [Expropriation Act, RSA 1980, c E-16, art 6(2)].

[80] Les demandeurs prétendent aussi qu’en application du paragraphe 4.1(1) de la Loi sur l’expropriation, il revient au ministre des Transports, et non à la CMQ, de faire la demande d’autorisation auprès de l’OTC. Ils allèguent qu’« [e]n faisant cette demande en vertu de l’article 98 de la [Loi sur les transports au Canada], les défendeurs se sont placés en conflit d’intérêts puisqu’il était plutôt de la responsabilité du Ministre des Transports au Canada de faire ladite demande et non la C.M.Q. ». Il est difficile de comprendre cet argument, qui n’est pas développé dans l’avis de demande, et n’a pas été éclairci par les prétentions des demandeurs lors de l’audience.

[81] En premier lieu, pour les motifs exposés ci-dessus, le paragraphe 4.1(1) de la Loi sur l’expropriation ne s’applique pas en l’espèce. Quoi qu’il en soit, rien dans ce paragraphe n’impose au ministre des Transports l’obligation de déposer une demande d’autorisation auprès de l’OTC selon l’article 98 de la Loi sur les transports au Canada. En effet, même si l’article 4.1 de la Loi sur l’expropriation fait référence à la définition de « compagnie de chemin de fer » inscrite à l’article 87 de la Loi sur les transports au Canada, il ne mentionne ni l’article 98, ni l’approbation de l’OTC. L’article 98 de la Loi sur les transports au Canada, pour sa part, prévoit que c’est la compagnie de chemin de fer qui fait la demande, indiquant au paragraphe 98(2) que « [s]ur demande de la compagnie, l’Office peut accorder l’autorisation […] » [je souligne].

[82] L’allégation que « les défendeurs » (c’est-à-dire le procureur général et/ou la ministre) se sont placés en situation de conflit d’intérêts semble être fondée seulement sur l’allégation qu’il était de la responsabilité du ministre des Transports de faire la demande auprès de l’OTC, ce qui n’est clairement pas le cas. En tout cas, même s’il appartenait au ministre des Transports, et non à la CMQ, de déposer la demande auprès de l’OTC, l’avis de demande n’explique pas pourquoi ce fait place la ministre en situation de conflit d’intérêts ni comment la demande auprès de l’OTC peut rendre la décision de la ministre déraisonnable. À cet égard, il faut souligner qu’il ne suffit pas, dans un avis de demande, de faire de simples affirmations comme une allégation de conflit d’intérêts sans exposer les faits pertinents qui les supportent : JP Morgan aux para 42–45; AstraZeneca Canada Inc c Novopharm Limited, 2010 CAF 112 aux para 2–5.

[83] Je conclus donc que les allégations des demandeurs portant sur l’article 98 de la Loi sur les transports au Canada sont absolument infondées et sont vouées à l’échec.

c) Les motifs prétendant que la voie de contournement n’est pas un ouvrage public ou une autre fin d’intérêt public

[84] L’avis de demande présente trois arguments sous cette rubrique. En les considérant, il convient de rappeler que la question pertinente selon la Loi sur l’expropriation est de savoir si, de l’avis de la ministre, les biens-fonds expropriés sont requis pour un ouvrage public ou une autre fin d’intérêt public : Loi sur l’expropriation, art 4(1).

[85] En premier lieu, l’avis de demande allègue que la voie ferroviaire est pour le seul bénéfice de la compagnie de chemin de fer CMQ. Le problème avec cet argument, son vice fondamental, est qu’il est contredit par les allégations de faits dans l’avis de demande lui-même, ainsi que par la décision de la ministre. Comme l’a constaté la juge en chef adjointe Gagné, l’avis de demande affirme que la CMQ n’a jamais demandé une telle voie de contournement et qu’elle a déclaré qu’elle « n’avait nul besoin » de la voie et qu’elle ne débourserait rien pour sa construction : Vachon (Succession) aux para 46–47. Tout comme la juge en chef adjointe, je ne vois rien qui permette de réconcilier l’allégation que la CMQ n’a aucun intérêt dans le projet avec l’allégation que le même projet est pour son seul bénéfice.

[86] La décision de la ministre indique que (i) le projet de la voie de contournement ferroviaire de Lac-Mégantic découle de l’événement tragique du 6 juillet 2013; (ii) le projet vise la construction d’une nouvelle voie ferrée permettant de contourner le centre-ville de Lac-Mégantic; (iii) les objectifs du projet sont de faire sortir la voie ferroviaire du centre-ville, de diminuer le nombre de résidences, de bâtiments et de commerces à proximité de la voie, et d’aider la communauté de Lac-Mégantic à aller de l’avant et à atténuer les effets traumatiques associés à l’accident : Décision de la ministre aux pp 2, 4–5. La décision note également que la Ville de Lac-Mégantic est fermement engagée dans la réalisation du projet avec l’objectif de retirer la voie ferrée de son centre-ville en l’éloignant définitivement du centre urbain : Décision de la ministre à la p 6.

[87] Dans ce contexte, l’allégation que la décision de la ministre est déraisonnable parce que le projet est pour le seul bénéfice d’une compagnie de chemin de fer qui elle-même a déclaré qu’elle n’en avait pas besoin est manifestement sans fondement et vouée à l’échec. Dans la mesure où cette allégation est interprétée comme une allégation de fait, je conclus qu’elle ne doit pas être tenue pour avérée car elle entre dans la catégorie des allégations impossibles à prouver et/ou fondée sur des conjectures, étant donné son incohérence avec les autres allégations contenues dans l’avis de demande : Scheuer au para 19.

[88] En deuxième lieu, les demandeurs prétendent que le projet de voie de contournement n’est pas un projet d’ouvrage public de compétence fédérale « tel qu’un port de mer, un aéroport ou un pénitencier ». Bien qu’il soit peu détaillé dans l’avis de demande ou les prétentions des demandeurs, cet argument semble affirmer qu’une voie ferroviaire ne peut pas être un « ouvrage public » au sens du paragraphe 4(1) de la Loi sur l’expropriation.

[89] Il semble que les demandeurs n’ont pas mis en avant ce motif comme question sérieuse à trancher lors de leur requête en injonction, il n’a donc pas été traité par la juge en chef adjointe Gagné dans sa décision. Les parties ne l’ont développé que brièvement dans leurs prétentions écrites, les demandeurs soulevant la question de savoir « si le gouvernement peut construire une voie ferroviaire au Canada » et le procureur général notant que l’article 23 de la Loi sur l’expropriation crée une présomption selon laquelle les droits visés par une expropriation remplissent la condition d’un ouvrage public ou d’une fin d’intérêt public.

[90] Je ne peux voir aucun mérite dans ce motif. Ni l’avis de demande ni les prétentions des demandeurs n’expliquent, même théoriquement, pourquoi une voie ferroviaire ne pourrait pas être un « ouvrage public » au sens du paragraphe 4(1). La référence à la question de savoir « si le gouvernement peut construire une voie ferroviaire » parait peu pertinente, étant donné que la construction ne sera pas entreprise par le gouvernement fédéral dans ce projet, même si les gouvernements fédéral et provincial supportent tous deux le projet financièrement. De toute façon, quand bien même une voie ferroviaire ne constituerait pas un ouvrage public, le pouvoir de la Couronne d’exproprier selon le paragraphe 4(1) n’est pas limité aux ouvrages publics, mais comprend aussi les autres fins d’intérêt public.

[91] Dans la mesure où l’on comprend ce motif comme un argument affirmant que le projet de voie de contournement ferroviaire n’entre pas dans la compétence fédérale selon les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867—ce qui demanderait une lecture plus que généreuse de l’avis de demande—un tel argument est directement contredit par l’autre argument des demandeurs que le projet est subordonné à l’autorisation de l’OTC selon la Loi sur les transports au Canada. Cette loi fédérale ne s’applique qu’aux questions de transport relevant de la compétence législative du Parlement, et s’applique en particulier aux compagnies de chemin de fer et aux chemins de fer relevant de l’autorité législative du Parlement : Loi sur les transports au Canada, arts 3, 88(1). Voir aussi le paragraphe 88(3) de la Loi sur les transports au Canada et l’alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867. Un tel argument, si tel est celui qui est avancé, est manifestement sans fondement et voué à l’échec.

[92] En troisième lieu, l’avis de demande prétend que, dans le cas où la ministre invoquerait une « autre fin d’intérêt public », il n’y a pas d’acceptabilité sociale pour le projet ou le tracé proposé. Il cite en particulier des sondages auprès des populations des municipalités affectées, un référendum dans la municipalité de Frontenac qui a démontré une forte opposition au projet tel que proposé, et le grand nombre de lettres d’opposition soumises à la suite des avis d’intention d’exproprier.

[93] La ministre a abordé la question de l’acceptabilité sociale dans sa décision, répondant aux oppositions soulevées par, entre autres, certains demandeurs. Elle a relevé les résultats du référendum à Frontenac et le retrait par le conseil municipal de Nantes de son appui au projet. Elle a aussi noté qu’il existait des voix en faveur du projet, y compris celle du conseil municipal de la Ville de Lac-Mégantic. Elle a admis qu’il existait « différentes positions à l’égard du projet de la voie de contournement ferroviaire » et mis en avant les efforts continus de Transports Canada pour communiquer avec les personnes affectées dans les trois municipalités. La ministre a alors effectivement conclu que malgré les voix qui s’opposaient au projet, celui-ci demeurait dans l’intérêt public : Décision de la ministre aux pp 4–6.

[94] Dans ce contexte, il est clair que l’argument des demandeurs fondé sur l’absence d’acceptabilité sociale du projet n’est autre qu’une demande que cette Cour entreprenne une réévaluation de la preuve relative aux supports et oppositions au projet pour parvenir à sa propre conclusion quant à l’intérêt public. Ce faisant, les demandeurs demandent à la Cour d’adopter un rôle qui n’est pas le sien dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable : Vavilov aux para 83, 108, 110, 125–126. Il convient de répéter que le paragraphe 4(1) de la Loi sur l’expropriation accorde à la ministre, et non à la Cour, aux demandeurs, ou aux personnes opposées à l’expropriation, la compétence pour déterminer si une expropriation est requise pour une fin d’intérêt public. Le contrôle judiciaire d’une telle décision n’est pas un examen de l’opportunité du projet ni de ses avantages et inconvénients.

[95] Le sous-alinéa 11(1)a)(ii) de la Loi sur l’expropriation exige que la ministre attende d’avoir « reçu et examiné » le rapport de l’enquêtrice avant de confirmer un avis d’intention d’exproprier. Les demandeurs n’allèguent pas que la ministre n’a pas répondu à cette exigence. Bien au contraire, l’avis de demande confirme que « [l]a Ministre après avoir pris connaissance dudit rapport résumant les motifs d’opposition des témoins et plus particulièrement ceux des demandeurs, a quand même décidé […] de confirmer l’avis d’intention d’exproprier […] » [je souligne]. Comme l’a confirmé la Cour suprême, l’exigence « d’examiner » le rapport de l’enquêtrice signifie que la ministre doit avoir le rapport devant elle, mais elle n’implique pas de degré particulier d’examen ni que la ministre accepte les motifs d’opposition : Walters aux pp 486–487.

[96] La Loi sur l’expropriation ne requiert pas que toute expropriation ait un niveau défini d’acceptabilité sociale, de sorte que la prétendue absence d’une telle acceptabilité ne peut pas en soi constituer un motif pour annuler une décision de confirmer une expropriation. L’argument des demandeurs à cet égard, qui ne fait que répéter des informations sur l’opposition sociale au projet déjà prises en compte par la ministre, n’a aucune chance de réussir.

[97] Dans leurs observations écrites, les demandeurs allèguent que la Loi sur l’expropriation ne prévoit aucune présomption d’intérêt public pour une expropriation visant la réalisation d’un projet de chemin de fer. Ils citent, en revanche, l’article 46 de la Loi sur les télécommunications, LC 1993, ch 38, qui porte sur l’expropriation pour la fourniture de services de télécommunication au public, et l’article 49 de la Loi sur la radiodiffusion, LC 1991, ch 11, qui porte sur l’expropriation pour la réalisation de la mission de la Société Radio-Canada. Cet argument ne peut être retenu au vu de l’article 23 de la Loi sur l’expropriation, qui s’applique à toute expropriation faisant l’objet d’un avis d’intention d’exproprier publié selon les articles 4 et 5. Il est également à noter que le paragraphe 4.1(3) de la Loi sur l’expropriation sur les expropriations initiées par la demande d’une compagnie de chemin de fer contient une présomption presque identique à celles du paragraphe 46(3) de la Loi sur les télécommunications et du paragraphe 49(2) de la Loi sur la radiodiffusion.

[98] Je conclus donc qu’il est évident et manifeste que les motifs soulevés dans l’avis de demande prétendant que le projet de voie de contournement ferroviaire de Lac-Mégantic n’est pas un « ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public » sont voués à l’échec.

d) L’allégation concernant les impacts environnementaux négatifs

[99] L’avis de demande soulève aussi les impacts environnementaux du projet, y compris les risques de contamination et de diminution de l’eau potable et la destruction de milieux humides. Les demandeurs prétendent que le projet aurait un « impact environnemental majeur et disproportionné ». La décision de la ministre traite de ces questions environnementales, avec une discussion des motifs d’opposition fondés sur les impacts sur la qualité et la quantité d’eau dans les puits, une autre des motifs d’opposition fondés sur les impacts sur les milieux humides et l’environnement, et une troisième qui traite des études environnementales et consultations publiques : Décision de la ministre aux pp 14–24.

[100] Comme pour la question de l’acceptabilité sociale, l’argument des demandeurs réitère simplement leur opposition au projet et ses fondements. Il s’agit en fait d’une contestation de l’opportunité du projet, et non d’une remise en cause de la décision de la ministre selon laquelle les biens-fonds sont requis pour une fin d’intérêt public. La Cour n’est simplement pas autorisée, lors d’un contrôle judiciaire d’une décision de confirmer une expropriation, à substituer sa propre décision à celle de la ministre, ni à réévaluer la preuve quant aux enjeux environnementaux pour en tirer ses propres conclusions sur l’intérêt public.

[101] Il ne s’agit pas d’une situation comme celle dans la toute récente décision de cette Cour dans l’arrêt Halton (Regional Municipality) v Canada (Environment), 2024 FC 348, citée par les demandeurs. Dans cette décision, qui a été portée en appel, le juge Brown a conclu que la décision du ministre de l’Environnement de renvoyer un projet au Cabinet en application de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, ch 19, art 52, alors en vigueur, ainsi que la décision subséquente du Cabinet, étaient déraisonnables : Halton aux para 1–2, 10–14. Le juge Brown a trouvé que ni le ministre de l’Environnement ni le Cabinet ne s’étaient penchés de façon significative sur une question centrale et importante, à savoir les effets environnementaux négatifs directs du projet sur la santé humaine : Halton aux para 10–12, 50–52, 96–107, 134, 144. À l’inverse, dans cette affaire, la ministre a clairement pris en compte et abordé la question des effets environnementaux dans sa décision, et les demandeurs n’allèguent pas le contraire.

[102] Même si les questions environnementales sont importantes, tant pour les demandeurs que plus généralement, cela ne signifie pas qu’elles constituent en eux-mêmes un motif juridique permettant de contester la décision de la ministre : voir Vachon (Succession) au para 76. Cet argument est donc également sans fondement juridique et voué à l’échec.

e) L’allégation que la ministre n’a pas compétence et a agi de mauvaise foi

[103] Le dernier argument soulevé dans l’avis de demande est que la ministre n’avait pas la compétence requise pour enclencher le processus d’expropriation et a agi de mauvaise foi.

[104] Le seul motif mis en avant pour étayer cet argument est que la ministre savait que la procédure entreprise ne respecte pas la Loi sur l’expropriation. Cette allégation semble être liée aux arguments fondés sur les articles 4 et 4.1 de la Loi sur l’expropriation et sur l’article 98 de la Loi sur les transports au Canada. Pour les motifs exposés ci-dessus, ces arguments n’ont aucun fondement. Les allégations les prenant pour bases, et prétendant que la ministre n’était pas compétente et a agi de mauvaise foi tout en sachant que le processus entrepris ne respectait pas la loi, n’ont aucune chance d’être retenues.

[105] Je note que les nouvelles allégations invoquées dans les modifications proposées à l’avis de demande au sujet de la prétendue partialité de la ministre pourraient également être considérées comme liées à la question de la mauvaise foi. Je traite de ces modifications ci-dessous.

f) Conclusion

[106] Pour l’ensemble de ces raisons, je conclus que l’avis de demande actuel ne soulève aucun motif qui permettrait à cette Cour de conclure que la décision de la ministre est déraisonnable. Le procureur général m’a convaincu que la demande est vouée à l’échec et qu’elle est susceptible d’être radiée. Reste la question de savoir si les modifications proposées pourraient soutenir une demande de contrôle judiciaire valable.

(4) Les motifs proposés

[107] Comme résumé aux paragraphes [21] et [22], les demandeurs cherchent à modifier deux paragraphes de l’avis de demande. Le premier (paragraphe 44) allègue que la ministre a fait preuve de partialité. Le deuxième (paragraphe 48.1) réitère les faits mentionnés à certains paragraphes de leur demande en injonction interlocutoire.

a) Allégation de partialité

[108] Comme expliqué ci-avant, la ministre, lorsqu’elle prend la décision de confirmer un avis d’intention d’exproprier, « est astreinte, tout au plus, à la norme de l’esprit fermé » : Pelletier au para 55. Même si l’avis de demande fait référence à une « crainte de partialité », il allègue aussi que les décisions sont « pipées d’avance ». Je comprends cette dernière allégation comme une affirmation que la ministre avait l’esprit fermé.

[109] Cela dit, un avis de demande ne peut pas simplement alléguer que la ministre avait l’esprit fermé. Il doit également préciser les éléments de faits qui permettraient de tirer une telle conclusion : JP Morgan aux para 42–45. Les modifications proposées comprennent sept sous-paragraphes précisant les faits sur lesquels les demandeurs s’appuient pour étayer leur allégation de partialité, détaillés au paragraphe [21] ci-dessus. La question pertinente est de savoir si ces allégations, prises individuellement ou ensemble, pourraient possiblement mener la Cour à la conclusion que la ministre avait l’esprit fermé. Pour les raisons qui suivent, je conclus que ce n’est pas le cas.

[110] Les demandeurs veulent alléguer que la décision de confirmer l’expropriation a été « préméditée » dès janvier 2023 (date de la lettre du ministre des Transports à la ministre) pour des intérêts politiques afin de rencontrer la date du dixième anniversaire de la tragédie. Je conviens avec le procureur général que cette allégation ne supporte aucunement une conclusion de partialité. L’article 5 de la Loi sur l’expropriation exige que la ministre soit d’avis que la Couronne a besoin des biens-fonds avant d’enregistrer un avis d’intention d’exproprier. Même si la Loi sur l’expropriation impose à la ministre d’être ouverte aux motifs d’opposition exprimés lors du processus, la ministre doit être d’avis que l’expropriation est requise pour enclencher ce processus. Cette conviction ne peut donc être un signe de partialité : Pelletier au para 61. Le fait que la ministre prenne en compte des questions « politiques » est lui aussi inhérent à la nature de la décision et ne signifie pas que la ministre a fait preuve de partialité : 11316753 Canada Association c Canada (Transports), 2021 CF 819 aux para 87–89, conf par ’753 Canada (CAF). Il faut aussi noter que la question de savoir si la ministre avait l’esprit fermé ne devrait être appréciée qu’au stade de l’étude des oppositions et de l’audience et non au début du processus : Pelletier au para 64.

[111] Les quatre sous-paragraphes proposés ensuite font référence au mémorandum adressé à la ministre par son sous-ministre. Les demandeurs veulent alléguer que ce mémorandum démontre que la décision a été « dictée » par le ministre des Transports; que ce dernier est « le maître d’œuvre » et dicte les décisions en collaboration avec Services publics et Approvisionnement Canada et le ministère de la Justice; que Transports Canada prévoit de transférer les droits à la CMQ, qui n’a pourtant pas demandé la voie de contournement; qu’il existe des « ententes secrètes » entre le gouvernement, la CMQ et le CPKC; que la décision a été rédigée avant qu’une traduction anglaise du rapport de l’enquêtrice ne soit disponible; et que le tracé proposé de la voie de contournement n’améliorerait pas la sécurité ferroviaire.

[112] Même si l’on accepte l’allégation que le projet de construction de la voie de contournement est dirigé par le ministre des Transports, ce fait ne donne aucun signe que la ministre avait l’esprit fermé. La ministre est mandatée par le Parlement pour être responsables des expropriations et elle doit être de l’avis que les terrains expropriés sont requis pour un ouvrage public ou un autre fin d’intérêt public. Mais la Loi sur l’expropriation ne limite aucunement qui doit être responsable du projet constituant l’ouvrage ou l’autre fin d’intérêt public en question. Elle n’empêche pas non plus un autre ministre de demander à la ministre d’utiliser ses pouvoirs selon la loi pour faire exproprier des terrains pour la Couronne. Le fonctionnement normal de la loi ne peut être un signe de partialité. Je conviens avec le procureur général que les demandeurs ne soulèvent aucune allégation de fait susceptible de soutenir la suggestion d’une implication inappropriée de la part de l’un ou l’autre des ministres.

[113] Quant à l’allégation d’« ententes secrètes », elle est difficile à comprendre, étant donné que l’avis de demande lui-même fait référence au communiqué de presse de Transports Canada annonçant ces ententes. Même en présumant que l’intention est de faire référence à des ententes confidentielles, l’existence d’ententes confidentielles entre Transports Canada et la CMQ ne peut en aucun cas étayer la conclusion que la décision de la ministre de confirmer l’intention d’exproprier était entachée de partialité. Je ne vois pas non plus comment l’allégation concernant la traduction en anglais du rapport de l’enquêtrice pourrait soutenir une allégation que la ministre avait l’esprit fermé, même en tenant pour avéré le fait qu’une ébauche de sa décision a été rédigée avant l’arrivée de la traduction.

[114] Les autres allégations mises en avant par les demandeurs pour étayer leur affirmation que la ministre avait l’esprit fermé portent sur la sécurité ferroviaire (alléguant que la voie proposée n’est pas plus sécuritaire que la situation actuelle), les impacts environnementaux (soulevant un courriel transmis à la ministre après sa décision, mais avant l’enregistrement des avis de confirmation), et l’acceptabilité sociale (attaquant l’analyse de la preuve par la ministre). Pour les mêmes motifs que ceux détaillés ci-dessus, ces allégations n’expriment que le désaccord des demandeurs avec la décision de la ministre et sa conclusion que le projet demeure dans l’intérêt public malgré les motifs d’opposition présentés. L’avis de demande n’explique aucunement comment ces allégations démontrent ou même suggèrent que la ministre a pris sa décision avec l’esprit fermé.

[115] Même en tenant pour avérées toutes les allégations de faits proposées dans le paragraphe proposé 44, y compris les allégations que la ministre était d’avis que le projet était dans l’intérêt public depuis janvier 2023; qu’elle a tenu compte des intérêts politiques liés au dixième anniversaire de la tragédie; que le projet était dirigé par le ministre des Transports, qui a demandé à la ministre d’enclencher le processus d’expropriation, et ce, de façon expéditive; que la décision de la ministre a été prise en collaboration avec Transports Canada, Services publics et Approvisionnement Canada et le ministère de la Justice; que Transports Canada a conclu des ententes confidentielles avec la CMQ; et que la rédaction de la décision a commencé avant la traduction en anglais du rapport de l’enquêtrice, il est évident et manifeste que ces allégations ne peuvent pas démontrer que la ministre avait l’esprit fermé.

[116] Les modifications proposées dans le paragraphe 44 sont vouées à l’échec. Elles ne devraient pas donc être autorisées en vertu de la règle 75 : McCain aux para 20–22.

b) Les faits mentionnés dans la demande en injonction

[117] Comme indiqué ci-dessus, les demandeurs veulent ajouter dans leur avis de demande un nouveau paragraphe 48.1 contenant la phrase « [l]es demandeurs désirent réitérer les faits mentionnés aux paragraphes 15, 16, 17, 18, 25 et 42 à 54 de leur demande en injonction interlocutoire ».

[118] Je conviens avec le procureur général que l’incorporation par renvoi de plusieurs allégations de faits n’est pas conforme à la règle 301e) des Règles des Cours fédérales. Cette règle exige que l’avis de demande contienne « un énoncé complet et concis des motifs invoqués ». Comme l’a expliqué le juge Stratas, l’énoncé « complet » englobe tous les moyens de droit et les faits essentiels qui appellent l’octroi de la mesure demandée, tandis que l’énoncé « concis » comprend les faits essentiels propres à démontrer à la Cour qu’elle peut et doit accorder cette mesure, sans ajouter les éléments de preuve : JP Morgan aux para 39–40. Comme le prétend le procureur général, la règle 301e) ne permet pas l’incorporation par renvoi extensive d’allégations faites dans un autre acte de procédure, laquelle ne sèmerait que de la confusion et de la complication. On voit, par exemple, que le paragraphe 25 de l’avis de requête en injonction incorpore lui-même par renvoi le paragraphe 24 de l’avis de demande, créant une circularité de renvoi confondante et peu nécessaire.

[119] L’invocation à cet égard de la règle 373(4) par les demandeurs n’est pas justifiée. Cette règle permet à la Cour d’ordonner que la preuve présentée à l’audition d’une requête en injonction soit considérée comme une preuve présentée à l’instruction de l’instance. Elle ne permet pas à un demandeur d’incorporer par renvoi dans l’avis de demande des allégations de faits contenues dans un avis de requête en injonction.

[120] La modification proposée au paragraphe 48.1 ne peut ainsi être accordée telle qu’elle est actuellement rédigée.

[121] Cela dit, cette lacune en est une de forme plutôt que de fond. Afin de voir si la Cour pourrait autoriser la modification du paragraphe 48.1 à la condition, par exemple, que les allégations de faits en cause soient précisées dans l’avis de demande, il faut regarder la nature de ces allégations. Cela conduit à la conclusion que la modification ne devrait pas être autorisée, quelle que soit sa forme.

[122] Les allégations de faits auxquelles font référence les demandeurs au paragraphe proposé 48.1 proviennent de plusieurs paragraphes de leur avis de requête en injonction. Ces derniers contiennent des allégations de faits au sujet de la sécurité ferroviaire (paragraphes 15–16, 42); de l’acceptabilité sociale (paragraphes 17, 25, 49); du traitement d’un traumatisme (paragraphe 18); des impacts environnementaux (paragraphes 43–46, 52–54); du coût du projet et de la portée de l’expropriation (paragraphes 47–48, 50); et de la prématurité du projet en l’absence d’approbation de l’OTC (paragraphe 51). Ces allégations de faits sont largement duplicatives de celles déjà présentes dans l’avis de demande et elles portent sur des motifs déjà considérés ci-dessus. Comme pour les autres allégations, les demandeurs reprennent essentiellement les motifs qui ont déjà été soulevés lors du processus d’oppositions et qui ont été considérés par la ministre dans sa décision, mais n’ont pas été retenus.

[123] Il faut préciser que quelques-uns de ces paragraphes font référence à des opinions d’experts, nommément de la Dr Lucie Viau, psychiatre, au sujet du traitement de traumatisme; de M. Joël Chotte, consultant en ingénierie, au sujet de la sécurité ferroviaire; et du Dr Sébastien Raymond, consultant en ingénierie, au sujet des impacts environnementaux. Comme le note le procureur général, la décision de la ministre nomme chacun de ces experts et répond aux motifs d’opposition soulevés.

[124] Il est clair que les demandeurs sont en désaccord avec la conclusion de la ministre que l’expropriation est requise pour une fin d’intérêt public et avec sa décision subséquente de confirmer l’expropriation. Dans le contexte d’une décision administrative hautement discrétionnaire et à contenu politique, il est évident et manifeste qu’une demande en contrôle judiciaire fondée sur un tel désaccord est vouée à l’échec. La modification proposée au paragraphe 48.1 ne peut donc être permise.

(5) La possibilité de modification

[125] Par analogie à la règle 221(1), qui s’applique aux actions, le pouvoir inhérent de la Cour de radier un avis de demande en contrôle judiciaire comprend le pouvoir de le faire avec ou sans autorisation de modification.

[126] Dans le contexte actuel, je conclus qu’il n’est pas opportun d’accorder aux demandeurs l’autorisation de modifier leur avis de demande. Les demandeurs ont déjà présenté les modifications qu’ils voulaient apporter à l’avis de demande suite à la décision de la juge en chef adjointe Gagné. Comme je l’ai conclu, ces modifications sont également vouées à l’échec et ne devraient pas être autorisées. Les demandeurs n’ont ni demandé la permission de modifier davantage leur avis de demande ni mis de l’avant aucune autre modification qu’ils souhaitent faire et qui est susceptible d’établir un motif valable d’infirmer la décision de la ministre de confirmer l’expropriation.

[127] L’avis de demande est donc radié dans sa totalité sans autorisation de le modifier.

C. Les dépens

[128] Le procureur général demande ses dépens au total de 3 740$ pour les dépens engagés dans le cadre de sa requête en radiation et celle des demandeurs en modification. Les demandeurs ne demandent pas leurs dépens, quel que soit le résultat des requêtes, et demandent que les dépens ne soient pas accordés contre eux.

[129] La règle normale est que la partie gagnante, ici le procureur général, se voit accorder ses dépens. Dans toutes les circonstances de l’affaire, et dans l’exercice de ma discrétion selon les règles 400 et 401, je conclus qu’il est dans l’intérêt de justice de ne pas accorder les dépens de ces requêtes.

IV. Conclusion

[130] Il est clair que les demandeurs sont opposés au projet de voie ferroviaire de contournement de Lac-Mégantic et à l’expropriation de leurs biens-fonds pour réaliser ce projet, et ce, avec conviction. Cela dit, l’opposition à une expropriation, nonobstant sa bonne foi et la force avec laquelle elle est soutenue, n’est pas un motif légal pour annuler une expropriation ou la décision de la ministre de la confirmer. Même en tenant pour avérées les allégations de faits dans l’avis de demande et celles dans l’avis de demande modifié proposé, les motifs avancés par les demandeurs pour attaquer la décision ne peuvent tout simplement pas aboutir à la réussite de leur demande en contrôle judiciaire. La demande est vouée à l’échec et il n’est pas dans l’intérêt de la justice de poursuivre la procédure.

[131] L’avis de demande des demandeurs est donc radié sans autorisation de le modifier, sans dépens. La requête des demandeurs en modification est rejetée, sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1450-23

LA COUR JUGE que

  1. La requête du procureur général en radiation soit accordée. L’avis de demande est radié dans sa totalité sans autorisation de le modifier.

  2. La requête des demandeurs en modification soit rejetée.

  3. Le tout sans dépens.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1450-23

 

INTITULÉ :

DENIS VACHON (SUCCESSION DE) ET AL c MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 MARS 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 mai 2024

 

COMPARUTIONS :

Me Jean-Claude Boutin

Me Daniel E. Larochelle

 

Pour LES DEMANDEURS

 

Me Caroline Laverdière

Me Andréane Joanette-Laflamme

Me Béatrice Stella Gagné

Me Meriem Barhoumi

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean-C. Boutin Avocat

Lac-Mégantic (Québec)

 

Pour lES DEMANDEURS

 

Daniel E. Larochelle LLB Avocat Inc.

Lac-Mégantic (Québec)

 

 

Cliche Laflamme Loubier Inc.

Saint-Joseph-de-Beauce (Québec)

 

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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