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Date : 20060406

Dossier : IMM-5473-05

Référence : 2006 CF 439

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2006

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Shore

ENTRE :

FABIO YOVANNY GONZALEZ MEMBRENO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]                Le demandeur lors d'actes de nature criminelle doit solliciter la protection de la police si les circonstances le permettent.

            La Commission devait se demander si, objectivement, la protection de l'État « ...aurait pu raisonnablement être assurée, » comme l'indiquait le juge Gérard Vincent La Forest dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (QL).

            L'expertise de la Commission relève de ses connaissances spécialisées qui découlent de sa mémoire institutionnelle et ses informations approfondies sur les conditions des pays. Sans ce référer aux documents particuliers ou pertinents et aux extraits appropriés de ces documents, qui seraient reliés au cas particulier, sur quoi est-ce que sa logique inhérente pourrait être formulée et démontrée?

NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi) à l'encontre de la décision rendue le 25 juillet 2005 et signée le 1 août 2005 par la Section de protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission) selon laquelle sa demande d'asile est rejetée en ce qu'il n'a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

FAITS

[3]                Le demandeur, monsieur Fabio Yovanny Gonzalez Membreno, est un citoyen du Honduras. Il est marié et a deux enfants, sa femme et ses enfants sont demeurés au Honduras.

[4]                Monsieur Gonzalez était un joueur de soccer professionnel au Honduras. Durant la campagne électorale présidentielle de 2000, il a été recruté afin de participer aux rencontres publiques du candidat du Parti national. Le thème de la campagne était une politique de « tolérance zéro » par rapport aux gangs de rues. Le Parti national a remporté les élections.

[5]                Il a reçu des menaces durant la campagne et les menaces ont continué une fois la campagne terminée. En 2002, le Congrès a adopté une loi draconienne à l'encontre des gangs de rue qui a mené à l'arrestation et l'incarcération de plusieurs dirigeants et membres de gangs. Les gangs ont alors déclaré la guerre à tous ceux qui étaient contre eux.

[6]                Le 19 juillet 2003, monsieur Gonzalez a été attaqué par des membres d'une gang de rue. Ils l'ont battu avec des bâtons de baseball, brisant sa cheville, et l'ont laissé inconscient dans la rue.

[7]                Il a reçu des traitements médicaux mais n'a pas porté plainte à la police, craignant les représailles des gangs. Il est déménagé pendant sa convalescence jusqu'en novembre 2003 où il est revenu à Tegucigalpa pour recommencer à travailler.

[8]                Les menaces ont continué. En mai 2004, lors d'un voyage aux États-Unis où son équipe participait à un tournoi de soccer, il a décidé de ne pas retourner au Honduras. Il est demeuré aux États-Unis pendant près d'un an puis le 6 avril 2005 il est venu au Canada où il a fait une demande d'asile.

DÉCISION CONTESTÉE

[9]                La Commission n'a pas contesté la crédibilité des allégations de monsieur Gonzalez. Par contre, la Commission a déterminé que monsieur Gonzalez n'a pas démontré de façon claire et convaincante que l'État, le Honduras, était incapable de le protéger puisqu'il n'a pas demandé la protection de l'État.

QUESTION EN LITIGE

[10]            Est-ce que la Commission a manifestement erré en concluant que le demandeur n'avait pas fait la preuve que le Honduras ne pouvait lui assurer la protection d'État?

ANALYSE

Norme de contrôle

[11]            Comme tribunal spécialisé de première instance, la Commission, également comme décideur de faits, est accordée une déférence de haut degré sauf en cas d'une décision manifestement déraisonnable. L'expertise de la Commission relève de ses connaissances spécialisées qui découlent de sa mémoire institutionnelle et ses informations approfondies sur les conditions des pays. Sans se référer aux documents particuliers ou pertinents qui seraient reliés au cas particulier, sur quoi est-ce que sa logique inhérente pourrait être formulée et démontrée? Sans aucune référence aux conditions de pays liées au cas de l'individu en question, comment est-ce que cette Cour pourrait avoir une compréhension de ce qui est manifestement déraisonnable pour trancher?

Est-ce que la Commission a manifestement erré en concluant que le demandeur n'avait pas fait la preuve que le Honduras ne pouvait lui assurer la protection d'État?

[12]            Le défendeur soutient que le demandeur devait démontrer qu'il avait épuisé tous ses recours au Honduras avant de demander le statut de réfugié au Canada.

[13]            Il est de jurisprudence constante au Canada qu'un revendicateur n'est pas tenu de rechercher l'aide d'organisations de défense des droits de l'homme dans un cas d'acte de nature criminelle. (Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 809, [2002] A.C.F. no 1080 (QL), au paragraphe 44; Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 339, 2002 CFPI 1081, [2002] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 27.)

[14]            Le demandeur lors d'actes de nature criminelle doit solliciter la protection de la police si les circonstances le permettent.

[15]            La Commission devait se demander si, objectivement, la protection de l'État « aurait pu raisonnablement être assurée » . Comme l'indiquait le juge La Forest dans l'arrêt Ward ci-dessus, au paragraphe 49 :

En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.

[16]            Dans le contexte spécifique du Honduras, les maras « contrôlent les quartiers populaires des principales villes du Honduras où la police n'entre pas. Ils font même payer les autobus qui circulent dans ces zones » (Dossier du demandeur, à la page 31.). Ceci s'apparente plus à la situation qui existait au Liban, où des bandes armées contrôlaient certaines parties du territoire national, qu'à celle que la Cour a considéré dans Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (QL).

[17]            La citation citée ci-dessus indique que la police a complètement abandonné les quartiers populaires des grandes villes. Si elle n'y entre même pas, elle n'y offre donc pas de protection.

[18]            La Commission avait devant elle des preuves documentaires (Exhibits A-2 et A-1 5.5 du Dossier du demandeur) qui contredisent la prétendue disponibilité et l'efficacité de la protection de l'État pour ses citoyens face au problème des gangs.

[19]            Le demandeur soutient que ce contexte d'effondrement partiel de l'appareil étatique est suffisant pour justifier la peur de représailles du demandeur et sa réticence à demander l'aide de la police.

CONCLUSION

[20]            La requête est acceptée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.          La requête soit accueillie;

2.          L'affaire soit retournée à la Commission pour redétermination par un panel autrement constitué.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5473-05

INTITULÉ :                                        FABIO YOVANNY GONZALEZ MEMBRENO

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 27 mars 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                       le 6 avril 2006

COMPARUTIONS:

Me William Sloan

POUR LE DEMANDEUR

Me Diane Lemery

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

WILLIAM SLOAN

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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