Date : 20240522
Dossier : T-1510-21
Référence : 2024 CF 741
[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]
Ottawa (Ontario), le 22 mai 2024
En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond
ENTRE : |
VERN ACOOSE |
demandeur |
et |
PREMIÈRES NATIONS SAKIMAY, ÉGALEMENT CONNUES SOUS LE NOM DE PREMIÈRE NATION ZAGIME ANISHINABEK, ONEFEATHER MOBILE TECHNOLOGIES LTD., LYNN ACOOSE, PAULA ACOOSE, DANA ACOOSE, RACHEL SANGWAIS, AMBER SANGWAIS, CYNTHIA SANGWAIS, RANDALL SPARVIER ET KITTY WHITEHAT |
défendeurs |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Vern Acoose était candidat à la dernière élection du chef et du conseil de Zagimē Anishinabēk. Il conteste le résultat de l’élection. Il soutient que le résultat de l’élection a été entaché de plusieurs irrégularités. Il affirme de manière plus générale que la façon dont l’élection a été menée a rendu plus difficile le vote des membres hors réserve.
[2] La Cour rejette la demande de Vern Acoose et refuse d’annuler l’élection. La plupart des questions qu’il a soulevées ne constituent pas une violation de la Loi sur les élections au sein des premières nations. Le fait que Zagimē n’ait pas fourni au président d’élection les adresses électroniques des membres vivant hors réserve constitue une infraction, mais rien ne prouve que cela a eu une incidence sur les résultats de l’élection. Cameron Bernard-Peepeetch a été mis en candidature quelques jours avant de devenir membre de Zagimē. Même si cela représente une violation, celle-ci a été rapidement rectifiée et n’est pas assez grave pour justifier l’annulation de l’élection.
[3] Pour régir ses effectifs, Zagimē utilise deux systèmes différents à des fins différentes. Cela explique plusieurs des irrégularités alléguées par Vern Acoose. Le premier de ces systèmes est une liste des membres établie selon le code d’appartenance de Zagimē et le second est une liste d’inscriptions au registre préparée par Services aux Autochtones Canada. Seules les personnes figurant sur la liste des membres ont le droit de vote. Un tel système est inhabituel, mais il n’est pas illégal. La preuve révèle toutefois qu’il crée une certaine confusion. Zagimē pourrait songer à modifier ce système. Si le système est maintenu, Zagimē pourrait prendre des mesures proactives pour s’assurer que les personnes figurant sur la liste d’inscriptions au registre comprennent qu’elles peuvent demander à devenir membres.
II. Contexte
[4] Zagimē Anishinabēk est une Première Nation située dans le sud-est de la Saskatchewan. Elle tient ses élections conformément à la Loi sur les élections au sein des premières nations, LC 2014, c 5 [la Loi]. L’élection de 2021, qui fait l’objet de la présente demande, est la deuxième que Zagimē tient en vertu de la Loi.
A. L’appartenance à Zagimē Anishinabēk
[5] La manière particulière dont Zagimē gère ses effectifs constitue la toile de fond de la plupart des questions soulevées dans la présente demande. Zagimē utilise deux listes, une « liste d’inscriptions au registre »
et une « liste des membres »
. Avant d’aller plus loin, il est essentiel de préciser l’origine de ces deux listes différentes.
[6] En 2012, Zagimē a adopté un code d’appartenance en vertu de l’article 10 de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5. En simplifiant quelque peu, pour avoir le droit d’être membre de Zagimē, une personne doit avoir le statut d’Indien et avoir au moins un parent qui est membre de Zagimē. Un Indien inscrit qui épouse un membre de Zagimē a également le droit d’être membre. Toutefois, une personne qui a droit de devenir membre n’acquiert pas automatiquement ce statut. Elle doit présenter une demande [traduction] « sous la forme prescrite par le conseil »
, au commis de l’appartenance de Zagimē. Après avoir vérifié que la personne est habilitée à devenir membre, le commis inscrit son nom sur la liste des membres. Il s’agit d’une procédure simple qui ne fait entrer en jeu aucun pouvoir discrétionnaire.
[7] Services aux Autochtones Canada [SAC] est chargé de tenir le registre des Indiens conformément à la Loi sur les Indiens. Lorsque le nom d’une personne est ajouté au registre, SAC détermine également la Première Nation à laquelle cette personne est la plus étroitement associée. Lorsque cette Première Nation adopte un code d’appartenance, SAC informe la personne nouvellement inscrite que le statut d’Indien ne lui confère pas automatiquement le statut de membre de la Première Nation et qu’elle doit communiquer avec la Première Nation pour en devenir membre. SAC fournit à Zagimē une liste des Indiens inscrits qu’il considère comme « associés »
à Zagimē. Les parties ont appelé cette liste la « liste d’inscriptions au registre »
.
[8] De nombreuses personnes que SAC considère comme associées à Zagimē et dont le nom figure sur la liste d’inscriptions au registre n’ont jamais demandé à devenir membres. Néanmoins, Zagimē offre la plupart des avantages qu’elle accorde à ses membres aux personnes qui ne figurent que sur la liste d’inscriptions au registre. Il semble que cette politique soit justifiée par le fait que toutes les personnes figurant sur la liste d’inscriptions au registre pourraient automatiquement devenir membres en remplissant simplement un formulaire. Toutefois, seuls les membres sont autorisés à voter lors des élections du chef et du conseil. Les personnes dont le nom ne figure que sur la liste d’inscriptions au registre ne peuvent pas voter. Il y a environ 850 membres de Zagimē en âge de voter. Cependant, il y a environ 450 personnes en âge de voter qui figurent sur la liste d’inscriptions au registre sans pour autant être membres de Zagimē.
B. L’élection de 2021
[9] La dernière élection du chef et du conseil de Zagimē a eu lieu le 4 septembre 2021. Zagimē a engagé One Feather Technologies Ltd [One Feather] pour l’aider à organiser l’élection. Drew Shaw, un employé de One Feather, était le président d’élection.
[10] Au début du mois de juillet 2021, conformément à l’article 4 du Règlement sur les élections au sein des premières nations, DORS/2015-86 [le Règlement], Zagimē a fourni à One Feather une liste de ses électeurs, sur laquelle figurait leur dernière adresse résidentielle connue. Cette liste ne contenait pas d’adresses électroniques. En outre, cette liste ne comprenait que les noms des membres de Zagimē; elle n’incluait pas les personnes dont le nom ne figurait que sur la liste d’inscriptions au registre. En effet, seuls les membres sont des électeurs, conformément à la définition attribuée à ce terme à l’article 2 de la Loi. Par conséquent, les personnes dont le nom figurait sur la liste d’inscriptions au registre, mais qui n’étaient pas membres de Zagimē, n’ont pas reçu la trousse électorale décrite à l’article 5 du Règlement et peuvent ne pas avoir été informées de la tenue de l’élection.
[11] Au cours de l’été 2021, certaines personnes dont le nom ne figurait que sur la liste d’inscriptions au registre se sont rendu compte qu’elles n’étaient pas membres de Zagimē et qu’elles ne pouvaient pas voter à l’élection. Elles ont alors demandé à devenir membres. Les circonstances précises dans lesquelles elles ont fait cette demande varient d’une personne à l’autre et seront examinées plus en détail plus loin dans les présents motifs. Le directeur général de Zagimē et commis de l’appartenance, Ken Acoose, a ajouté les noms d’environ 30 personnes à la liste des membres. Il a informé le président d’élection de ces ajouts, afin que les noms de ces personnes puissent être ajoutés à la liste électorale. Ken Acoose est le frère de la chef sortante, Lynn Acoose.
[12] L’assemblée de mise en candidature s’est tenue le 30 juillet 2021. Cameron Bernard‑Peepeetch faisait partie des 28 personnes proposées pour le poste de conseiller. Son nom figurait sur la liste d’inscriptions au registre, mais il n’était pas membre de Zagimē le jour de l’assemblée de mise en candidature. Il a par la suite pris contact avec le commis de l’appartenance pour devenir membre. Son nom a été ajouté à la liste des membres et à la liste électorale au début du mois d’août 2021. Il semble toutefois qu’il n’ait jamais rempli le formulaire de demande d’adhésion.
[13] Un vote par anticipation a eu lieu le 28 août 2021 à Regina. Le commis de l’appartenance était présent à proximité du bureau de vote. Les personnes souhaitant voter, mais dont le nom ne figurait pas sur la liste électorale, ont été dirigées vers lui. Ce jour-là, huit autres personnes ont présenté une demande d’adhésion et ont été admises.
[14] Le jour de l’élection, le bureau de vote était situé dans la communauté. Il semble qu’aucune personne souhaitant voter n’a eu besoin de faire une demande d’adhésion au préalable. Il semble également que One Feather ait utilisé une liste électorale sur papier qui était en réalité la liste d’inscriptions au registre. Lors du contre-interrogatoire, le président d’élection n’a pas été en mesure de fournir des explications claires sur les différentes listes en sa possession.
[15] Lynn Acoose a remporté l’élection au poste de chef avec 165 voix. Vern Acoose, le demandeur en l’espèce, a perdu avec 140 voix. Cameron Bernard-Peepeetch n’a pas été élu conseiller, mais a obtenu 69 voix. Les candidats élus au poste de conseiller ont obtenu entre 81 et 110 voix.
C. Le présent appel
[16] Vern Acoose a introduit le présent appel à l’encontre des résultats de l’élection. Les motifs mentionnés dans son avis de demande concernent principalement l’établissement de la liste électorale, l’envoi des avis d’élection et la procédure d’obtention des bulletins de vote postaux. De façon plus générale, il a allégué que la façon dont l’élection a été menée a rendu l’ajout de noms à la liste électorale et l’obtention de bulletins de vote postaux intrinsèquement plus difficiles pour les membres hors réserve.
[17] En se fondant sur la preuve obtenue au cours de la présente instance, le demandeur a ajouté de nouveaux motifs pour contester les résultats de l’élection. Entre autres, il soutient que le commis de l’appartenance a ajouté le nom d’au moins 27 personnes à la liste des membres sans avoir obtenu au préalable un formulaire de demande signé par chacune d’entre elles. Il prétend donc que ces personnes ne sont pas devenues membres de Zagimē de manière valide et que leurs votes étaient illégaux. L’une de ces personnes était Cameron Bernard-Peepeetch, qui, selon le demandeur, ne pouvait pas être valablement mis en candidature.
III. Analyse
[18] Je rejette la demande. Il n’y a que deux situations qui constituent une violation de la Loi ou du Règlement. Bien que le fait que Zagimē n’avait pas fourni les adresses électroniques de ses membres au président d’élection ait enfreint l’article 4 du Règlement, l’incidence de cette infraction sur le résultat de l’élection reste hypothétique. La mise en candidature de Cameron Bernard-Peepeetch avant qu’il ne devienne membre de Zagimē a enfreint l’article 9 de la Loi, mais dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je refuse d’annuler l’élection pour ce motif.
[19] Avant de motiver ces conclusions, je dois aborder certaines questions relatives à la procédure et à la preuve. Au cours de l’instance, le demandeur a considérablement élargi les motifs pour lesquels il conteste le résultat de l’élection. Les défendeurs prétendent qu’il ne pouvait le faire sans modifier l’avis de demande. Étant donné la manière dont je tranche l’affaire, il n’est pas nécessaire de décider si une telle modification aurait été nécessaire.
[20] Le demandeur a déposé l’affidavit de Jacqueline Acoose-Agecoutay. Un certain nombre d’affirmations dans son affidavit constituent du ouï-dire. L’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, interdit le ouï-dire dans les affidavits déposés à l’appui d’une demande. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte de ces affirmations. Le demandeur s’oppose également à l’affidavit supplémentaire du président d’élection, parce que celui-ci n’était pas disponible afin d’être contre-interrogé. Je garderai simplement à l’esprit l’absence de contre‑interrogatoire lorsque j’évaluerai le poids que j’accorderai à cet affidavit.
[21] Passons maintenant au bien-fondé de l’affaire. Je vais d’abord expliquer le cadre d’analyse de la contestation d’une élection aux termes de la Loi. J’examinerai ensuite les motifs allégués par le demandeur, dans un ordre quelque peu différent de celui dans lequel le demandeur les a présentés.
A. Cadre analytique
[22] La contestation d’une élection est régie par les articles 31 et 35 de la Loi :
|
|
|
|
[23] Ces dispositions ont été examinées par la Cour d’appel de la Saskatchewan et la Cour d’appel fédérale dans les arrêts McNabb v Cyr, 2017 SKCA 27 [McNabb]; Whitford c Chakita, 2023 CAF 17 [Whitford]; Wuttunee c Whitford, 2023 CAF 18. Un résumé utile des principes régissant l’application de ces dispositions se trouve dans la décision Flett c Première Nation de Pine Creek, 2022 CF 805 au paragraphe 17 [Flett]. La décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, [2012] 3 RCS 76 [Opitz], qui portait sur la Loi électorale du Canada, LC 2000, c 9, est également pertinente. Ces décisions confirment que l’application des articles 31 et 35 de la Loi obéit à un cadre d’analyse comportant trois volets.
[24] Dans un premier temps, le demandeur doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu infraction à la Loi ou au Règlement. C’est ce qu’exige explicitement l’article 31. À cette étape, il y a présomption de régularité : McNabb, aux paragraphes 25 à 27. En d’autres termes, en l’absence d’une preuve contraire, il est présumé qu’une élection s’est déroulée conformément à la Loi et au Règlement.
[25] Dans un deuxième temps, le demandeur doit démontrer que cette contravention a « vraisemblablement influé sur le résultat »
de l’élection. Là encore, cette exigence découle du libellé explicite de l’article 31. Lorsque le nombre de votes entachés par une irrégularité peut être déterminé, le critère du « nombre magique »
est souvent utilisé. Si le nombre de votes entachés est supérieur à la majorité du vainqueur, le résultat de l’élection est potentiellement altéré.
[26] Dans un troisième temps, même si les conditions de l’article 31 sont remplies, la Cour conserve son pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler une élection : Whitford, au paragraphe 57; Flett, au paragraphe 17. Cela découle de l’emploi du mot « peut »
(« may »
) à l’article 35. À ce stade, la Cour doit garder à l’esprit que le droit électoral vise à donner effet au droit de vote, tout en protégeant l’intégrité de l’élection : Opitz, au paragraphe 38. L’annulation d’une élection prive tous les électeurs de leur droit de vote et jette un doute sur l’intégrité du processus : Opitz, au paragraphe 48. Les tribunaux ne devraient pas appliquer le droit électoral d’une manière qui encourage les contestations et l’intervention externe dans les affaires d’une Première Nation : Whitford, aux paragraphes 60 et 62. La Cour peut également tenir compte du degré de gravité de la violation de la Loi : Whitford, aux paragraphes 76 à 81.
[27] On peut supposer que lorsque le législateur a adopté la Loi, il avait à l’esprit l’arrêt Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203, dans lequel la Cour suprême du Canada a invalidé une disposition de la Loi sur les Indiens qui privait de leur droit de vote les membres des Premières Nations qui résident à l’extérieur de la réserve de leur Nation. Ainsi, dans la mesure du possible, la Loi doit être interprétée et appliquée de manière à faciliter la participation des membres hors réserve au processus électoral. Néanmoins, le législateur a également cherché à atteindre d’autres objectifs, notamment en clarifiant certains aspects du processus électoral afin de réduire les risques de fraude ou d’utilisation abusive du système. À cette fin, plusieurs éléments de la Loi s’inspirent de la Loi électorale du Canada. Le vote des membres hors réserve est facilité d’abord et avant tout par la mise en œuvre du régime soigneusement élaboré de la Loi.
B. Exclusion des personnes figurant sur la liste d’inscriptions au registre
[28] La contestation la plus fondamentale du demandeur à l’égard de l’élection concerne l’utilisation simultanée par Zagimē de la liste des membres et de la liste d’inscriptions au registre. L’existence de deux listes peut créer une confusion quant au statut d’une personne. Les personnes qui ont été informées par SAC qu’elles sont associées à Zagimē et qui ont reçu des services de cette dernière penseront naturellement qu’elles en sont membres. Cependant, si elles n’ont pas officiellement demandé de devenir membres, elles ne sont en réalité pas membres de Zagimē. Parce qu’elles ne sont pas membres, elles n’ont pas le droit de voter et ne recevront pas d’avis d’élection. Cette situation est particulièrement susceptible d’avoir des répercussions sur les personnes qui ne résident pas dans la communauté. Si elles ne reçoivent pas d’avis et ne sont pas informées de la tenue de l’élection par d’autres moyens, elles risquent de perdre toute possibilité pratique de demander le statut de membre, d’obtenir le droit de vote et de voter par correspondance.
[29] Le demandeur a produit les affidavits de Cheryl Johnson, Cindy Johnson, Mackenzie Crosby et Taylor Crosby pour illustrer cette confusion. Ces quatre personnes ne figuraient pas sur la liste des membres. En revanche, elles figuraient sur la liste d’inscriptions au registre. Elles pensaient être membres de Zagimē parce qu’elles avaient bénéficié de divers avantages de la part de celle-ci au fil des ans. Elles ont exprimé leur surprise lorsqu’elles ont appris qu’elles ne figuraient pas sur la liste électorale. Plus précisément, lorsque Cheryl Johnson a communiqué avec le commis de l’appartenance et qu’on lui a dit qu’elle devait faire une demande d’adhésion, elle a été insultée et a refusé de remplir le formulaire requis, car elle était convaincue qu’elle était déjà membre.
[30] Le demandeur soutient que cette situation a pour effet de [traduction] « priver de leur droit de vote » les personnes inscrites sur la liste d’inscriptions au registre. Je ne suis pas de cet avis. Lorsqu’une élection est tenue en vertu de la Loi, seules les personnes qui sont effectivement membres d’une Première Nation ont le droit de voter, de se porter candidates et de recevoir un avis d’élection. Le fait qu’une personne ait le droit de devenir membre n’a aucune importance si cette personne n’a pas effectivement obtenu le statut de membre. À l’article 2 de la Loi, un électeur est défini comme « une personne inscrite sur une liste de bande »
, et non comme une personne qui aurait le droit d’être inscrite. Au surplus, les articles 2, 8 et 10 de la Loi sur les Indiens indiquent clairement qu’une personne ne peut être ajoutée à une liste de bande qu’en conformité avec les dispositions du code d’appartenance d’une Première Nation. Dans le cas de Zagimē, le code prévoit qu’une personne doit présenter une demande et que le commis de l’appartenance doit vérifier si la personne remplit les conditions d’admission non discrétionnaire.
[31] Notre Cour a dû traiter d’une situation similaire dans la décision McCallum c Première Nation Crie de Canoe Lake, 2022 CF 969 [McCallum]. Cette Première Nation avait un code d’appartenance qui tenait compte des dispositions de la Loi sur les Indiens en sa version alors en vigueur en 1987. Elle souhaitait modifier son code pour rendre l’adhésion plus inclusive, mais le vote de ratification a échoué. Elle a alors commencé à utiliser une liste d’inscriptions au registre préparée par SAC. Des services courants étaient fournis aux personnes dont les noms figuraient sur cette liste. Cependant, ma collègue la juge Cecily Y. Strickland a conclu que seules les personnes dont les noms figuraient sur la liste tenue conformément au code d’appartenance avaient le droit de voter : McCallum, aux paragraphes 77 et 94.
[32] Le demandeur soutient que la conduite de Zagimē et de One Feather constitue une entrave à la tenue d’une élection, en violation de l’article 27 de la Loi. Je ne suis pas de cet avis. Voici le libellé de l’article 27 :
|
|
[33] Rien ne prouve que l’utilisation simultanée par Zagimē d’une liste des membres et d’une liste d’inscriptions au registre ait eu pour but d’entacher ou d’entraver le déroulement du processus électoral ou de créer la confusion décrite ci-dessus. Le libellé de l’article 27 exige la preuve de l’intention. La juge Strickland a rejeté un argument similaire dans l’affaire McCallum. Au paragraphe 88, elle a noté que la simple omission du nom d’une personne sur la liste électorale n’équivaut pas à une entrave. Les différends concernant le droit de vote ne donnent pas lieu à une violation de l’article 27. Bien que l’article 27 ait été soulevé dans la décision Lorentz c Suhr, 2022 CF 1138, la Cour n’a pas tranché la question. Les prétentions du demandeur concernant l’article 27 sont totalement dénuées de fondement. En fin de compte, si la manière dont Zagimē traite les questions d’appartenance peut sembler curieuse, elle n’est pas illégale.
[34] Bien que le demandeur n’ait pas démontré que les défendeurs avaient enfreint l’article 27, les observations suivantes peuvent fournir des indications utiles aux parties. Il ressort assez clairement du dossier que l’utilisation par Zagimē de deux listes à des fins différentes a semé la confusion. La preuve indique que certaines personnes croyaient sincèrement qu’elles étaient membres de Zagimē et qu’elles avaient donc le droit de voter parce qu’elles avaient reçu des services ou des fonds dans le passé. Lorsqu’elle a fourni des services ou des fonds à ces personnes, Zagimē ne les a pas informées qu’elles n’étaient pas membres et ne les a pas invitées à faire une demande d’adhésion. En outre, le dossier contient plusieurs exemples d’utilisation peu rigoureuse de certaines expressions (par exemple, membres avec ou sans droit de vote, [traduction] « membres figurant sur la liste d’inscriptions au registre »
, « vous êtes un membre de la bande de Zagimē, mais vous ne figurez pas sur la liste des membres de la bande ayant droit de vote »
), ce qui n’aide pas à dissiper cette confusion.
[35] Zagimē pourrait envisager de modifier un système d’appartenance fondé, dans la pratique, sur l’utilisation de deux listes différentes. La raison avancée par Zagimē pour justifier ce système, à savoir s’assurer du consentement à devenir membre, n’est pas vraiment convaincante. Il est difficile de comprendre pourquoi une personne comme Mackenzie Crosby, qui reçoit des services de Zagimē, ne consentirait pas à devenir membre de celle-ci. Pour changer la situation, Zagimē pourrait simplement exiger que les personnes inscrites sur la liste d’inscriptions au registre fassent une demande d’adhésion avant de recevoir des services.
[36] Si Zagimē souhaite conserver le système actuel, elle devrait prendre des mesures proactives pour informer les personnes figurant sur la liste d’inscriptions au registre qu’elles ne sont pas membres et n’ont pas le droit de vote et qu’elles peuvent remédier à cette situation en déposant simplement une demande à cette fin. Une façon d’y parvenir serait d’inclure un avis en ce sens dans la trousse électorale envoyée aux membres. Les membres qui reçoivent la trousse pourraient alors avertir leurs proches à ce sujet. De même, un avis pourrait être affiché en permanence sur le site Web de Zagimē ou sur ses comptes de médias sociaux. Zagimē pourrait également envoyer un avis aux personnes figurant sur la liste d’inscriptions au registre dont elle connaît l’adresse postale ou électronique, ou leur rappeler qu’elles peuvent demander à devenir membres lorsqu’elles reçoivent des services. Lors de l’audience, les défendeurs ont indiqué que la mise en œuvre de telles mesures dans le contexte d’une élection pourrait donner lieu à une apparence de partialité. Je ne vois pas en quoi le fait d’avertir les membres éventuels de la nécessité de faire une demande d’adhésion serait inapproprié.
C. Défaut de fournir des adresses électroniques
[37] Un autre motif de contestation de l’élection est le fait que Zagimē n’a pas fourni au président d’élection les adresses électroniques de ses membres hors réserve. À cet égard, l’article 4 du Règlement prévoit ce qui suit :
|
|
[38] L’objectif de cette disposition est de s’assurer que, dans la mesure du possible, les membres hors réserve ont une chance équitable de participer au processus électoral. À cette fin, l’article 4 du Règlement exige que la Première Nation fournisse les renseignements qui permettront au président d’élection d’envoyer la trousse électorale prévue à l’article 5 au plus grand nombre possible de personnes. En exigeant des adresses postales et électroniques, le législateur veut s’assurer que le plus grand nombre possible de membres sont informés de la tenue de l’élection et ont la possibilité de voter. Il n’est pas contesté qu’à deux exceptions près, Zagimē n’a pas fourni les adresses électroniques de ses membres hors réserve et que les avis d’élection ont été envoyés par courrier ordinaire uniquement.
[39] S’appuyant sur les décisions Johnstone c Première Nation Mistawasis Nêhiyawak, 2022 CF 492 au paragraphe 95 [Johnstone], et Masuskapoe c Nation Crie Ahtahkakoop, 2023 CF 124 aux paragraphes 37 à 42 [Masuskapoe], les défendeurs affirment qu’il n’y a aucune preuve que Zagimē possède les adresses électroniques de ses membres hors réserve et qu’elle n’a donc pas enfreint l’article 4 du Règlement.
[40] En l’espèce, contrairement aux décisions Johnstone et Masuskapoe, la preuve établit que Zagimē possède les adresses électroniques d’au moins un certain nombre de ses membres vivant hors réserve. L’affidavit de Mackenzie Crosby contient sa demande de parrainage d’étudiant de niveau postsecondaire. Ce formulaire indique qu’il est obligatoire de fournir une adresse électronique. Je peux donc déduire que Zagimē possède les adresses électroniques de tous les membres dont elle parraine les études postsecondaires. Conformément à l’article 4 du Règlement, elle devait fournir ces adresses au président d’élection. À mon avis, le manquement à cette obligation n’est pas excusé par le fait que chacun des services de Zagimē maintient une base de données distincte sur ses membres. Lorsque l’article 4 renvoie aux « dernières adresses postale et électronique connues »
, il s’agit d’une adresse connue de Zagimē, et non d’une adresse connue d’un service particulier. L’organisation interne d’une Première Nation ne limite pas la portée de l’obligation prévue à l’article 4.
[41] Ainsi, le fait que Zagimē n’ait pas fourni d’adresses électroniques au président d’élection constitue une violation de l’article 4 du Règlement. Toutefois, la preuve ne me permet pas de conclure que cette violation a eu une incidence sur le résultat de l’élection. J’ignore le nombre d’adresses électroniques que Zagimē a en sa possession. En toute probabilité, lorsqu’un membre a reçu la trousse électorale par courrier ordinaire, le fait de ne pas avoir envoyé le même avis par courrier électronique n’a pas eu d’incidence. Les personnes qui ont produit des affidavits à l’appui de la demande n’ont pas reçu la trousse électorale, mais elles ont été informées de la tenue de l’élection par d’autres moyens. On ne peut rien déduire des différents taux de participation des membres vivant dans la réserve et hors réserve. Il serait purement hypothétique d’attribuer le taux de participation plus faible des membres hors réserve à l’absence d’avis par courrier électronique. Par conséquent, le fait de ne pas avoir fourni des adresses électroniques ne me permet pas d’annuler l’élection.
D. Le vote de personnes qui ne sont pas membres
[42] Au cours de la présente instance, le demandeur a découvert qu’un certain nombre de personnes dont les noms ont été ajoutés à la liste des membres au cours de l’été 2021 n’ont pas signé de formulaire d’adhésion, comme l’exige le code d’appartenance. Dans ses réponses aux engagements pris lors du contre-interrogatoire, le commis de l’appartenance a révélé que huit des personnes qu’il a admises comme membres pendant la période électorale ne lui ont jamais envoyé de formulaire d’adhésion. Selon une comparaison entre différentes listes, le demandeur soutient à présent qu’au moins 27 personnes ont été admises comme membres sans avoir fourni au commis de l’appartenance le formulaire requis et ont voté lors de l’élection. Par conséquent, le statut de membre aurait été accordé de manière invalide à ces 27 personnes, qui n’auraient donc pas eu le droit de voter.
[43] Je rejette cette argument. Comme je l’ai expliqué dans l’affaire Pittman c Bande indienne d’Ashcroft, 2022 CF 1380, au paragraphe 103, sauf dans des circonstances exceptionnelles, la contestation d’une élection n’est pas la tribune appropriée pour remettre en question l’appartenance d’un électeur à une Première Nation. Cela est particulièrement vrai lorsque, comme en l’espèce, la personne dont l’appartenance est contestée n’est pas partie à l’instance.
[44] La structure du Règlement étaye cette conclusion. Le paragraphe 3(3) établit une procédure sommaire pour la révision de la liste électorale, en particulier lorsque le nom d’un électeur a été omis de la liste. Le paragraphe 3(4) prévoit ensuite ce qui suit :
|
|
|
|
[45] Par conséquent, le Règlement prévoit qu’une preuve écrite de la Première Nation constitue une démonstration concluante (selon le texte français, «
il est établi »
) qu’une personne est membre de la Première Nation et, par conséquent, qu’elle a le droit de voter. Le président d’élection n’a pas besoin de s’enquérir davantage du droit d’une personne d’être membre de la Première Nation. En fait, dans la plupart des cas, on ne peut pas s’attendre à ce que le président d’élection connaisse le code d’appartenance de la Première Nation.
[46] En l’espèce, les courriels envoyés par le commis de l’appartenance de Zagimē au président d’élection constituaient une « preuve écrite [. . .] de la première nation que le nom de l’électeur est inscrit sur la liste de bande [...] »
. Par conséquent, le nom des 27 personnes dont l’appartenance est remise en question par le demandeur a été ajouté à la liste électorale conformément à l’article 3 du Règlement. Puisque leur nom figurait sur la liste électorale, le fait de leur permettre de voter n’a pas enfreint la Loi ou le Règlement.
[47] Le demandeur soutient qu’en l’espèce, le président d’élection était tenu de procéder à une enquête plus approfondie parce que le commis de l’appartenance de Zagimē, Ken Acoose, était le frère de la chef et se trouvait donc en situation de conflit d’intérêts. Je ne suis pas de cet avis. Ken Acoose était le commis de l’appartenance, et non le président d’élection. Si sa présence au bureau de vote pour traiter les demandes d’adhésion était quelque peu inhabituelle, rien ne prouve qu’il ait favorisé certains candidats lors de l’élection. Plus précisément, il n’existe aucune preuve qu’il ait refusé l’adhésion à quelqu’un qui y avait droit ou qu’il ait refusé d’inscrire quelqu’un pour la seule raison que cette personne n’avait pas signé un formulaire de demande d’adhésion. L’allégation du demandeur selon laquelle le commis de l’appartenance a fait preuve d’une [traduction] « souplesse sélective »
n’est pas étayée par la preuve. En l’espèce, rien n’empêchait l’utilisation du processus sommaire d’ajout de noms à la liste électorale prévu à l’article 3 du Règlement.
E. La mise en candidature d’un non-membre
[48] Les parties s’accordent pour dire que Cameron Bernard-Peepeetch ne figurait ni sur la liste des membres ni sur la liste des électeurs le 30 juillet 2021, lorsqu’il a été mis en candidature au poste de conseiller. Il n’était donc pas électeur à ce moment-là. Les défendeurs admettent que sa mise en candidature a enfreint l’article 9 de la Loi, qui est rédigé en ces termes :
|
|
[49] Les défendeurs soutiennent toutefois que cette violation a été rectifiée lorsqu’il a été admis en tant que membre le 6 août 2021, avant que qui que ce soit ait voté lors du vote par anticipation. Par conséquent, les défendeurs demandent à la Cour qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler le résultat de l’élection pour ce motif.
[50] Cette violation de la Loi répond vraisemblablement au critère du nombre magique énoncé ci-dessus. Je n’ai pas besoin d’en arriver à une conclusion précise à cet égard, car j’accepte d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler le résultat de l’élection, pour deux motifs.
[51] Tout d’abord, la violation était mineure et a été corrigée avant l’élection. Bien entendu, l’éligibilité est une condition préalable au droit de voter et à la mise en candidature. Permettre à un candidat inéligible de se porter candidat est généralement une affaire grave. En l’espèce, cependant, Zagimē fonctionnait avec deux listes, à savoir la liste d’inscriptions au registre et la liste des membres, et autorisait essentiellement un transfert automatique de la première à la seconde sur demande à cette fin. Il n’est pas contesté que Cameron Bernard-Peepeetch avait automatiquement le droit de devenir membre sur simple demande. Il ne fait aucun doute qu’il aurait été ajouté à la liste des membres avant l’assemblée de mise en candidature s’il en avait fait la demande. Dans ce contexte, le fait qu’il ne soit devenu membre que peu de temps après avoir été mis en candidature est une irrégularité mineure qui ne justifie pas l’annulation de l’ensemble de l’élection.
[52] Au surplus, l’écoulement du temps est un facteur qui milite contre l’annulation de l’élection. En disant cela, je n’attribue pas la responsabilité de ce retard à l’une ou l’autre partie. Néanmoins, l’élection a eu lieu il y a presque trois ans. Si je devais l’annuler, une nouvelle élection aurait lieu à peine un an avant la date des prochaines élections générales. Il faudrait une irrégularité très grave pour annuler les résultats d’une élection dans ces circonstances.
[53] Les défendeurs ont également fait valoir que la présente question n’était pas mentionnée dans l’avis de demande. Étant donné la manière dont je tranche la question, je n’ai pas besoin de décider si le demandeur est forclos de la soulever à ce stade de la procédure. Je dirai simplement que la question a été soulevée à la suite de faits que les défendeurs ont révélés au cours de l’instance et que le fait de l’examiner ne porte pas préjudice aux défendeurs, étant donné que les faits pertinents ne sont pas contestés.
F. Autres questions
[54] Le demandeur allègue un certain nombre d’autres violations de la Loi et du Règlement. Je conclus qu’il n’a pas fait la preuve de ses allégations et que les personnes concernées n’ont pas été privées de leur droit de vote. Dans un certain nombre de cas, les allégations du demandeur sont fondées sur des déductions tirées d’une comparaison de divers éléments d’information dans le dossier, en l’absence d’éléments de preuve directs de la part des personnes concernées. Cela est insuffisant pour renverser la présomption de régularité. Dans d’autres cas, les allégations sont fondées sur une mauvaise compréhension des exigences découlant de la Loi et du Règlement.
(1) Défaut de fournir les adresses au président d’élection
[55] Le demandeur soutient que Zagimē a omis de fournir l’adresse postale de neuf membres au président d’élection, alors qu’elle avait ces adresses en sa possession. Les prétentions du demandeur semblent se fonder sur une comparaison entre une liste des membres datée du 30 juin 2021 et la liste d’adresses qui a été transmise au président d’élection le 5 juillet 2021. Alors que l’adresse postale de ces neuf personnes est indiquée en regard de leur nom sur la première liste, aucune adresse n’est indiquée pour ces mêmes personnes dans la seconde liste.
[56] Le demandeur en déduit que Zagimē possédait l’adresse de ces neuf membres et qu’elle a omis de fournir au président d’élection leurs « dernières adresses postale [...] connues »
, en violation de l’article 4 du Règlement. Par conséquent, ces membres n’ont pas reçu d’avis officiel de la tenue de l’élection par la poste. Cependant, je ne dispose d’aucune preuve concernant la raison pour laquelle ces adresses ont été supprimées. Il se peut que Zagimē ait su que ces adresses n’étaient plus valables. Étant donné que le fardeau de la preuve incombe au demandeur, je ne suis pas convaincu qu’une simple comparaison de listes puisse établir une violation du Règlement. Le président d’élection n’avait pas non plus l’obligation de contester le fait que les l’adresse de ces neuf personnes ne figurait pas sur la liste. En fait, dans son affidavit, le président d’élection déclare qu’il n’y avait pas d’adresse postale pour 36 personnes sur une liste électorale qui contenait environ 850 noms. Je ne vois rien d’inhabituel dans une telle situation, et la Loi et le Règlement n’imposent pas au président d’élection l’obligation de faire des recherches supplémentaires dans de telles circonstances.
[57] Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune preuve que cette situation a eu une incidence sur le résultat de l’élection. Les neuf personnes concernées n’ont pas témoigné. Le demandeur affirme que deux de ces neuf personnes ont voté. Cela montre en tout cas que l’absence d’avis officiel n’a pas empêché les membres de voter. Je ne sais pas si les sept autres personnes ont eu connaissance de la tenue de l’élection par d’autres moyens. Je ne peux que faire des hypothèses sur les raisons pour lesquelles elles n’ont pas voté, et de simples hypothèses ne constituent pas un motif pour annuler une élection. En outre, la présente question ne concerne que neuf personnes dans une communauté où environ 850 personnes avaient le droit de voter.
(2) Omission de faciliter le vote des nouveaux membres
[58] Le demandeur allègue que onze membres ont été [traduction] « privés de leur droit de vote en raison d’une entrave, d’un retard ou de l’absence d’avis »
. Si je comprends bien, ces personnes ne figuraient pas sur la liste des membres, mais ont manifesté leur volonté de voter auprès des responsables de Zagimē pendant la période électorale. Le commis de l’appartenance a ajouté leur nom à la liste des membres. Cependant, ces personnes n’ont pas reçu la trousse électorale, car elles n’étaient pas membres au moment de l’envoi de ces trousses. Par conséquent, elles n’ont pas immédiatement réalisé qu’elles devaient faire une demande de bulletin de vote postal auprès du président d’élection si elles avaient l’intention de voter par correspondance.
[59] Le demandeur expose les cas de Cheryl et Cindy Johnson, qui ont produit des affidavits à l’appui de la demande, pour illustrer cette situation. Toutes deux ont appris qu’une élection devait être tenue et se sont rendu compte qu’elles ne figuraient pas sur la liste électorale. Elles ont communiqué avec Zagimē pour corriger ce qu’elles considéraient comme une omission. Bien qu’elles n’aient pas rempli de formulaire de demande d’adhésion, le commis de l’appartenance les a ajoutées à la liste des membres et en a informé le président d’élection le 6 août 2021. Toutefois, elles n’ont pas été informées qu’elles avaient obtenu le statut de membre et n’ont pas reçu d’instructions sur la façon de faire une demande de bulletin de vote postal. Elles déclarent qu’elles auraient voté si elles avaient reçu un bulletin de vote postal.
[60] Le demandeur soutient que le fait que Zagimē n’ait pas confirmé à ces personnes que leur nom avait été ajouté à la liste des membres et ne leur ait pas fourni de renseignements sur la façon de faire une demande de bulletin de vote postal a entraîné une violation de la Loi et du Règlement. Je conviens qu’il aurait été préférable pour le commis de l’appartenance de confirmer à ces personnes que leur nom avait été ajouté à la liste des membres et de les informer qu’elles devaient communiquer avec le président d’élection si elles avaient l’intention de voter par la poste. Toutefois, la Loi et le Règlement n’exigent pas que le président d’élection envoie une trousse électorale aux personnes dont le nom a été ajouté à la liste électorale pendant la période électorale. Zagimē n’a pas d’obligation distincte à cet égard.
[61] En outre, aux termes de la Loi et du Règlement, les bulletins de vote postaux ne sont pas automatiquement envoyés à tous les électeurs hors réserve. Cette situation a pu créer une certaine confusion, car Zagimē avait apparemment adopté une pratique différente lorsque ses élections étaient régies par la Loi sur les Indiens. Cependant, l’article 15 du Règlement indique très clairement qu’un électeur qui souhaite voter par la poste doit faire une demande écrite pour recevoir un bulletin de vote postal. Dans leurs affidavits, Cheryl et Cindy Johnson n’affirment pas que quelqu’un à Zagimē s’est engagé à leur envoyer un bulletin de vote postal, ni qu’elles ont fait une demande de bulletin de vote postal auprès du président d’élection.
[62] Cheryl Johnson a également fourni des extraits d’une conversation tenue avec la chef Lynn Acoose et d’autres personnes sur les médias sociaux. La chef Acoose a dit à Cheryl Johnson qu’elle était [traduction] « un membre inscrit sur la liste d’inscriptions au registre »
, mais qu’elle devait remplir un formulaire pour être inscrite sur la liste des membres. Cheryl Johnson a alors demandé si la chef Acoose faisait référence au formulaire que le commis de l’appartenance lui avait envoyé. La chef Acoose ignorait manifestement que Cheryl Johnson avait déjà communiqué avec le commis de l’appartenance et que celui-ci l’avait inscrite sur la liste des membres. La chef Acoose a également dit à une autre personne que la date limite pour demander un bulletin de vote postal était la veille, ce qui était exact. Je ne vois rien dans cette conversation sur les médias sociaux qui soit inconvenant ou qui enfreigne la Loi ou le Règlement.
[63] La preuve est mince concernant les autres personnes de ce groupe. La plupart d’entre elles ont obtenu le statut de membre en août 2021 et leur nom a été communiqué au président d’élection et figure sur la liste électronique définitive fournie par le président d’élection. Nous savons, d’après les dossiers de One Feather, que seuls deux d’entre eux, Edward Pelletier et Tara Acoose, ont demandé un bulletin de vote postal; leur situation sera examinée plus loin dans les présents motifs. Sur ces onze personnes, seules Cindy et Cheryl Johnson ont fourni une preuve par affidavit.
[64] En résumé, il n’y a pas de preuve d’une violation de la Loi ou du Règlement en ce qui concerne ce groupe de membres.
(3) Refus d’accorder le droit de vote
[65] Dans son affidavit, Jacqueline Acoose-Agecoutay affirme qu’elle s’est présentée au vote par anticipation à Regina avec des membres de sa famille et que son neveu, Riley Acoose-Sayer, n’a pas été autorisé à voter. Riley Acoose-Sayer n’a pas produit d’affidavit. Il n’y a aucune preuve de la raison pour laquelle il n’a pas été autorisé à voter. Un certain Riley Scott Acoose figure sur la liste des membres, mais la version de cette liste contenant les noms des parents de chaque membre tend à démontrer qu’il ne s’agit pas du neveu de Jacqueline Acoose-Agecoutay. Riley Acoose‑Sayer ne figure sur aucune liste déposée en preuve. À mon avis, la preuve ne démontre pas que Riley Acoose-Sayer s’est vu refuser la possibilité de voter alors qu’il y avait droit.
[66] Le mémoire des faits et du droit du demandeur indique également que le vote de Bailey Brown, la fille de Jacqueline Acoose-Agecoutay, n’a pas été « comptabilisé »
. L’affidavit de Jacqueline Acoose-Agecoutay n’étaye pas cette affirmation et Bailey Brown n’a pas témoigné.
(4) Envoi tardif des bulletins de vote postaux
[67] Le demandeur soutient également que Tara Kim Acoose et Edward Larry Pelletier n’ont pas pu voter parce que le président d’élection ne leur a pas envoyé de bulletins de vote postaux en temps utile. Le nom de Tara Kim Acoose a été ajouté à la liste des membres le 23 août 2021 et un bulletin de vote postal lui a été envoyé le 30 août 2021. Le nom d’Edward Larry Pelletier a été ajouté à la liste des membres le 12 août 2021 et un bulletin de vote postal lui a été envoyé le 25 août 2021. Bien que le dossier contienne les formulaires que ces deux personnes ont remplis pour demander un bulletin de vote postal, il n’y a aucune preuve de la date à laquelle le président d’élection les a reçus. Ces deux personnes n’ont pas témoigné.
[68] Le paragraphe 16(2) du Règlement prévoit ce qui suit :
|
|
[69] La preuve ne démontre pas que le président d’élection a omis d’envoyer les bulletins de vote postaux à Tara Kim Acoose et à Edward Larry Pelletier « dans les plus brefs délais après la réception de la demande ».
[70] Jacqueline Acoose-Agecoutay a également déclaré dans son affidavit que sa fille, Stevie Brown, n’avait pas pu se rendre au bureau de vote par anticipation à Regina et qu’il était trop tard pour qu’elle envoie son bulletin de vote postal. Selon le dossier, des bulletins de vote postaux ont été transmis à Jacqueline Acoose‑Agecoutay et à son autre fille, Bailey Brown, le 16 août 2021. Il n’y a aucune trace d’une demande de bulletin de vote postal de la part de Stevie Brown.
(5) Défaut d’inscrire certaines personnes sur la liste des membres
[71] Bien que les prétentions du demandeur ne soient pas toujours faciles à suivre, je comprends qu’il conteste également le fait que Zagimē n’a pas ajouté certaines personnes à la liste des membres, ce qui a eu pour effet de les priver de leur droit de vote.
[72] Cindy Johnson déclare dans son affidavit que ses quatre enfants adultes n’ont pas reçu de trousses électorales. Cependant, ses quatre enfants ne figurent pas sur la liste des membres. Elle déclare avoir téléphoné au bureau de Zagimē en juillet 2021 pour faire corriger cette omission. Le dossier ne contient aucune preuve qui montre que les noms de ses enfants ont été ajoutés à la liste des membres.
[73] De même, la mère de Mackenzie et Taylor Crosby a écrit à Zagimē pour que les noms de ses filles soient ajoutés à la liste des membres. Là encore, il n’existe aucune preuve qui montre que leurs noms ont été ajoutés à la liste des membres.
[74] Dans les deux cas, la preuve n’explique pas pourquoi ces demandes n’ont pas été traitées. Je note que, dans les deux cas, la demande n’a pas été faite par la personne concernée, mais par un parent, qui n’a pas communiqué directement avec le commis de l’appartenance. Ce dernier n’a pas été contre-interrogé à ce sujet. Puisque la preuve est très mince, il est très difficile de parvenir à une conclusion précise sur ce qui s’est passé.
[75] Quoi qu’il en soit, comme je l’ai mentionné précédemment, contester une élection n’est pas la voie appropriée pour contester des décisions concernant l’appartenance d’une personne à une Première Nation. Ces personnes n’étaient pas membres de Zagimē, n’avaient pas le droit de voter et n’ont pas demandé de bulletin de vote postal. Il n’y a pas eu de violation de la Loi ou du Règlement.
IV. Conclusion
[76] Pour les motifs qui précèdent :
1)j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour ne pas annuler l’élection en dépit du fait que Cameron Bernard-Peepeetch n’est devenu membre de Zagimē qu’après avoir été mis en candidature au poste de conseiller;
2)il n’y a aucune preuve que la violation du Règlement résultant du fait que Zagimē n’a pas fourni les adresses électroniques des membres hors réserve au président d’élection a eu une incidence sur le résultat de l’élection;
3)toutes les autres situations contestées par le demandeur ne constituaient pas une violation de la Loi ou du Règlement.
[77] Par conséquent, la demande sera rejetée.
[78] Les parties auront la possibilité de présenter des observations concernant les dépens de la présente demande. Elles devraient présenter des observations sur la question de savoir à qui incombe le paiement de ces dépens et pour quel montant. Les principes régissant l’adjudication des dépens dans les différends relatifs à la gouvernance des Premières Nations sont résumés dans la décision Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 1119.
JUGEMENT dans le dossier T-1510-21
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
1. La demande est rejetée.
2. La question des dépens est différée.
3. Les parties signifieront et déposeront leurs observations relatives aux dépens, qui ne dépasseront pas dix pages, au plus tard 30 jours après la date du présent jugement.
« Sébastien Grammond »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
|
Dossier : |
T-1510-21 |
|
INTITULÉ :
|
VERN ACOOSE c PREMIÈRES NATIONS SAKIMAY, ÉGALEMENT CONNUES SOUS LE NOM DE PREMIÈRE NATION ZAGIME ANISHINABEK, ONEFEATHER MOBILE TECHNOLOGIES LTD., LYNN ACOOSE, PAULA ACOOSE, DANA ACOOSE, RACHEL SANGWAIS, AMBER SANGWAIS, CYNTHIA SANGWAIS, RANDALL SPARVIER ET KITTY WHITEHAT |
||
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Regina (Saskatchewan)
|
||
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 23 avril 2024
|
||
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE GRAMMOND
|
||
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
|
Le 22 mai 2024
|
||
COMPARUTIONS :
Janet L. Hutchison |
Pour le demandeur |
Jessica Buhler Erica Klassen |
Pour les défendeurs |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hutchison Law
Avocats
Sherwood Park (Alberta)
|
Pour le demandeur |
MLT Aikins
Avocats
Saskatoon (Saskatchewan)
|
Pour les défendeurs |