Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     T-1652-97

E n t r e :

     ABBOTT LABORATORIES, LIMITED

     et ABBOTT LABORATORIES,

     requérantes,

     et

     APOTEX INC. et

     MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA,

     intimés.

     T-1653-97

E n t r e :

     ABBOTT LABORATORIES, LIMITED

     et ABBOTT LABORATORIES,

     requérantes,

     et

     NU-PHARM INC. et

     MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     [prononcés à l'audience, à Toronto (Ontario),

     le mardi 16 septembre 1997, et révisés]

LE JUGE ROTHSTEIN

     Au début de l'audition sur le fond des présentes demandes d'interdiction fondées sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 qui ont été entendues ensemble, les intimés ont présenté une requête préliminaire en vue de faire rejeter les demandes au motif que la question en litige dans ces demandes est chose jugée, ayant déjà été tranchée par le juge Lutfy dans le dossier T-1721-95. Dans cette affaire, le juge Lutfy a, le 9 juin 1997, prononcé une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer à Nu-Pharm un avis de conformité pour le chlorhydrate dihydraté de térazosine1 (CDT) tant que le brevet 1 081 229 d'Abbott (le brevet no 229) ne serait pas expiré2. Si tout se déroule normalement, après l'expiration du brevet no 229 le 8 juillet 1997, le ministre serait libre de délivrer à Nu-Pharm et à d'autres fabricants un avis de conformité pour le CDT.

     Toutefois, le 3 juin 1997, Abbott a obtenu trois brevets au sujet du chlorhydrate de térazosine. Le 9 juin 1997, Abbott a, en vertu du paragraphe 4(5) du Règlement, soumis au ministre une nouvelle liste modifiant sa liste de brevets existante. Les 4 et 7 juillet 1997 respectivement, Apotex et Nu-Pharm ont chacune envoyé en conformité avec le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement un avis d'allégation portant qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elles du CDT. Le 31 juillet 1997, Abbott a répondu aux avis d'allégation en déposant des avis de requête introductifs d'instance dans les dossiers susmentionnés de la Cour en vue d'obtenir des ordonnances interdisant au ministre de délivrer des avis de conformité à Apotex et à Nu-Pharm sur le fondement des trois nouveaux brevets.

     Dans la présente requête préliminaire, Apotex et Nu-Pharm affirment que, si l'on interprète correctement l'ordonnance prononcée le 9 juin 1997 par le juge Lutfy, il n'est plus interdit au ministre de leur délivrer des avis de conformité relativement au CDT. Elles affirment en outre qu'Abbott ne peut, par une revendication relative à un nouveau brevet, essayer de protéger un ancien produit, en l'occurrence le CDT, qui n'est plus protégé par un brevet.

     Abbott reconnaît que, si le médicament visé par l'ordonnance du juge Lutfy était le CDT, il n'y a pas lieu de rendre une autre ordonnance d'interdiction, étant donné que ses trois nouveaux brevets concernent le CT et non le CDT. Abbott soutient toutefois que le médicament en cause n'est pas le CDT, mais le CT, et que le CDT n'est que du CT dihydraté. Abbott affirme que si, en fabriquant du CDT, Apotex ou Nu-Pharm fabriquent, au cours des étapes menant à la production du CDT, du CT sous forme de cristaux anhydres visés par l'un des trois nouveaux brevets d'Abbott, il y aura contrefaçon de brevet et Apotex et Nu-Pharm ne seront pas en mesure de justifier leur allégations de non-contrefaçon en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement. Je souligne qu'Abbott fait reposer sa thèse sur le fait que le médicament est du CT et non du CDT, étant donné que les nouveaux brevets d'Abbott ne concernent que le CT. Si le juge Lutfy a considéré que le CDT est le médicament en cause en l'espèce, le ministre a le droit de délivrer un avis de conformité à Apotex et à Nu-Pharm après l'expiration du brevet no 229 le 8 juillet 1997.

     Le juge Lutfy a effectivement estimé que le médicament dont il était question devant lui était le CDT. À la page 2 de sa décision, il déclare :

     [TRADUCTION]         
         Le brevet d'Abbott concerne le chlorhydrate dihydraté de térazosine. Le médicament est désigné sous le nom de chlorhydrate de térazosine dans l'avis d'allégation de Nu-Pharm, dans la liste de brevets d'Abbott et dans l'avis de requête introductif d'instance. La liste de brevets mentionne le numéro exact du brevet d'Abbott. Les parties savaient précisément quel médicament était en litige. À mon avis, les deux parties parlaient de chlorhydrate de térazosine alors qu'en fait, elles voulaient parler de chlorhydrate dihydraté de térazosine. Je rejette la prétention de Nu-Pharm suivant laquelle la demande d'Abbott doit échouer pour le seul motif que le nom du médicament figurant sur la liste de brevets est incomplet. La forme ne doit pas l'emporter sur le fond, surtout en l'absence d'incertitude ou d'ambiguïté.         

     En reconnaissant que les parties voulaient parler de CDT malgré le fait qu'elles mentionnaient le CT dans certains documents, il est évident que le juge Lutfy était d'avis que c'était le CDT qui était en litige devant lui. Étant donné qu'il a jugé mal fondé l'argument que la demande d'interdiction d'Abbott devait être rejetée en raison de la mention incomplète de la " drogue " dans cette affaire, il s'ensuit nécessairement qu'il a estimé que le médicament était le CDT. De toute évidence, il examinait le brevet no 229 d'Abbott qui ne pouvait, pour l'application du Règlement, protéger que les revendications pour le médicament en soi ou les revendications pour l'utilisation du médicament (voir Deprenyl Research Ltd. c. Apotex Inc., (1994), 55 C.P.R. (3d) 171, aux pages 175 et 176, conf. à (1995), 60 C.P.R. (3d) 501 (C.A.F.)).

     Le fait qu'il a estimé que le médicament en question était du CDT est confirmé par la décision qu'il a rendue sur le fond à la page 12 :

     [TRADUCTION]         
         Par ces motifs, vu l'ensemble de la preuve présentée dans cette instance sommaire, la demande est accueillie. Abbott a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations qu'a formulées Nu-Pharm pour affirmer qu'elle ne contreferait pas les revendications du brevet d'Abbott ne sont pas justifiées. En conséquence, une ordonnance sera prononcée pour interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm relativement à la drogue en litige tant que le brevet d'Abbott ne sera pas expiré.         
                                 [Mots non soulignés dans l'original.]

Le seul brevet non expiré porté à la connaissance du juge Lutfy était le brevet no 229 et la seule revendication pour " le médicament en soi " contenue dans ce brevet portait sur le CDT (revendication no 6). Toutes les autres revendications contenues dans le

brevet no 229 sont des revendications de procédé qui, selon ce que reconnaît Abbott, ne sont pas pertinentes pour l'application du Règlement. Par ailleurs, le médicament CT ne fait l'objet d'aucune revendication.

     L'avocat d'Abbott soutient énergiquement que le " véritable " médicament est uniquement le CT et il se fonde à cet égard sur les termes employés dans divers documents qui ne mentionnent que le CT. Il affirme que le CDT n'est qu'une forme de CT, mais qu'il ne constitue pas en lui-même un médicament. Les documents que cite l'avocat ne sont cependant pas déterminants. Le document déterminant est le brevet no 229, qui ne parle que du CDT. Dans sa décision, le juge Lutfy ne pouvait traiter que du médicament mentionné à la revendication no 6 du brevet 229, en l'occurrence le CDT.

     Dans le jugement Hoffman-LaRoche Ltd. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1995), 62 C.P.R. (3d) 58, conf. à (1995), 67 C.P.R. (3d) 25 (C.A.F.), le juge Noël a examiné à fond la question de savoir si l'expression " revendication pour le médicament en soi " à l'article 2 du Règlement ne visait que les ingrédients actifs ou si elle pouvait s'appliquer aux compositions comprenant à la fois des ingrédients actifs et des ingrédients inactifs. Voici ce qu'il déclare aux pages 72 et 74 :

         L'interprétation préconisée par Nu-Pharm exige que le mot " médicament " prenne un sens qui l'éloigne à la fois de sa définition et de son sens ordinaire [renvoi omis]. Les compositions pharmaceutiques ayant une valeur thérapeutique sont considérées comme des médicaments dans la langue de tous les jours. En fait, la plupart des ingrédients actifs doivent être combinés à des agents stabilisants ou des véhicules d'absorption sous une forme ou sous une autre pour permettre au patient d'ingérer efficacement un médicament et d'obtenir l'effet thérapeutique recherché. En tant que tel, un médicament, comme une drogue, s'entend généralement d'une préparation ou d'une composition englobant des ingrédients actifs et non actifs. Ce sens ordinaire n'est pas modifié par la définition du mot " médicament " donnée dans le Règlement . Bien que cette définition fasse référence à une " substance ", au singulier, elle peut de toute évidence englober plus d'une substance si l'on tient compte du paragraphe 33(2) de la Loi d'interprétation , L.R.C. (1985), ch. I-21. Une substance ne cesse pas d'être un médicament quand elle est mêlée ou ajoutée à une autre substance, de la même façon qu'un médicament ne cesse pas d'être un médicament parce qu'il peut guérir plus d'une maladie. (Le mot " maladie " utilisé dans la définition du mot médicament est également au singulier.)         

     [...]

         Compte tenu de ce qui précède, il semble manifeste que les mots " drogue " et " médicament ", utilisés au paragraphe 4(1) du Règlement , ne se contredisent pas l'un l'autre et n'ont pas pour objet d'établir une distinction entre un ingrédient actif et une préparation ou une composition comportant un ingrédient actif. Les deux types de substances, lorsqu'elles sont destinées à servir ou qu'elles peuvent servir au traitement ou à la prévention d'une maladie, constituent un " médicament " au sens du Règlement , et une revendication pour le médicament en soi, qu'elle se présente sous la forme d'un seul ingrédient actif ou sous la forme d'une composition, est visée par le Règlement.         

L'analyse du juge Noël s'applique en l'espèce. Le brevet no 229 d'Abbott renferme une revendication pour le chlorhydrate de térazosine sous sa forme dihydratée. Tout comme un " médicament " peut être composé à la fois d'ingrédients actifs et d'ingrédients inactifs, un médicament peut également être constitué d'ingrédients actifs ou de combinaisons d'ingrédients se présentant sous diverses formes. Pour paraphraser le juge Noël, une substance ne cesse pas d'être un " médicament " parce qu'elle se présente sous une forme déterminée. En conséquence, le CDT est un médicament au sens du Règlement. Lorsque le juge Lutfy a interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm dans le dossier T-1721-95, c'était relativement au médicament CDT qu'il le faisait, et lorsque le brevet no 229 a expiré le 8 juillet 1997, il n'était plus interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm, à Apotex ou à d'autres relativement au CDT. Les trois nouveaux brevets d'Abbott, qui ne concernent pas le médicament CDT, ne peuvent être invoqués pour justifier une autre interdiction relativement au CDT.

     La demande préliminaire d'Apotex et de Nu-Pharm est accueillie et les demandes d'interdiction d'Abbott sont rejetées. L'adjudication des dépens aura lieu après que les parties auront présenté leurs observations à ce sujet.

     Marshall Rothstein

                                     J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

LE 19 SEPTEMBRE 1997

Traduction certifiée conforme     

                                 Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1652-97
INITULÉ DE LA CAUSE :      Abbott Laboratories, Limited et Abbott Laboratories
                 c. Apotex Inc. et Ministre de la Santé du Canada
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      16 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Rothstein

                 en date du 19 septembre 1997

ONT COMPARU :

     Me Ronald Dimock              pour la requérante
     Me Michelle Wassenaar
     Me Alfred Schorr              pour l'intimée Apotex Inc.
     Me Joseph Etigson

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Dimock Stratton Clarizio              pour la requérante
     avocats et procureurs
     Toronto (Ontario)
     Hughes Etigson                  pour l'intimée Apotex Inc.
     avocats et procureurs
     Thornhill (Ontario)
     Me George Thomson              pour l'intimé
     Sous-procureur général du Canada      le ministre de la Santé du Canada

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :          T-1653-97
INITULÉ DE LA CAUSE :      Abbott Laboratories, Limited et Abbott Laboratories
                 c. Apotex Inc. et Ministre de la Santé du Canada
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      16 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Rothstein

                 en date du 19 septembre 1997

ONT COMPARU :

     Me Ronald Dimock              pour la requérante
     Me Michelle Wassenaar
     Me Alfred Schorr              pour l'intimée Apotex Inc.
     Me Joseph Etigson

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Dimock Stratton Clarizio              pour la requérante
     avocats et procureurs
     Toronto (Ontario)
     Hughes Etigson                  pour l'intimée Apotex Inc.
     avocats et procureurs
     Thornhill (Ontario)
     Me George Thomson              pour l'intimé
     Sous-procureur général du Canada      le ministre de la Santé du Canada

__________________

1      Abbott vend du chlorhydrate dihydraté de terazosine sous la marque de commerce " Hytrin ". Hytrin est un médicament utilisé pour le traitement de l'hypertension et, à certaines doses, pour l'hypertrophie bénigne de la prostate.

2      Un brevet concernant le chlorhydrate de terazosine avait également été soulevé comme motif d'interdiction, mais il était expiré au moment de l'audience qui s'est déroulée devant le juge Lutfy.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.