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Date : 20240605


Dossier : IMM-2233-23

Référence : 2024 CF 852

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 5 juin 2024

En présence de madame la juge Turley

ENTRE :

AMANDEEP SINGH ARORA

SRISTHI KAUR

AMANPREET KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ0
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Amandeep Singh Arora [le demandeur principal], son épouse [la demanderesse associée] et leur fille [la demanderesse mineure], sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté leur demande d’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Je rejetterai la présente demande parce que la SAR a raisonnablement évalué la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] pour les demandeurs à Mumbai et à New Delhi.

II. Contexte

[3] Les demandeurs, des citoyens de l’Inde, sont entrés au Canada en 2019; ils ont présenté une demande d’asile fondée sur leur crainte de préjudice de la part de la police du Pendjab en raison de leurs liens perçus avec le mouvement Khalistan.

[4] Les demandeurs prétendent qu’ils ont été persécutés en raison du lien du demandeur principal avec son ami, BS, un membre du parti Shiromani Akali Dal Mann. Le demandeur principal avait aidé BS en offrant une garantie à son propriétaire et en payant son loyer. En juin 2019, le demandeur principal a accompagné la police chez BS, où elle a trouvé des affiches et des brochures pro-Khalistan. La police a établi un lien entre le demandeur principal et BS, puis a appréhendé le demandeur principal et l’a détenu. Après que son père a payé un pot-de-vin, le demandeur principal a été mis en liberté à la condition qu’il se présente à la police sur demande et qu’il lui livre BS.

[5] Le demandeur principal a de nouveau été appréhendé par la police en juillet 2019, et questionné au sujet de l’endroit où se trouvait BS. Il est ensuite enfui au Canada en août 2019. Il soutient que la police était à sa recherche et s’est rendue chez lui en août 2019 puis en septembre 2019, et qu’elle a menacé d’arrêter la demanderesse associée parce qu’il ne s’était pas conformé aux conditions que la police lui avait imposées. La demanderesse associée et la demanderesse mineure se sont alors enfuies au Canada.

[6] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leur demande d’asile le 25 août 2022 parce qu’elle a conclu que les demandeurs disposaient d’une PRI à Mumbai et à New Delhi, et que la demanderesse mineure n’avait pas de crainte fondée de persécution. Dans sa décision du 3 février 2023, la SAR a confirmé la décision de la SPR.

III. Analyse

[7] Les demandeurs contestent la décision de la SAR selon laquelle ils disposent de PRI viables. Ils prétendent plus précisément que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle : (i) a conclu que la police du Pendjab n’avait pas la motivation de les retrouver; et (ii) n’a pas apprécié les éléments de preuve contenus dans le cartable national de documentation [le CND] concernant les moyens de la police du Pendjab de les retrouver. Nul ne conteste que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21.

A. Le critère à deux volets relatif à la PRI

[8] Il faut appliquer un critère à deux volets pour déterminer la viabilité d’une PRI. Dans le cadre du premier volet, le décideur se penche sur la question de savoir si le demandeur d’asile serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution au titre de l’article 96 ou au risque de subir un préjudice au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR à l’endroit proposé comme PRI. Dans le cadre de ce volet, le décideur tient compte des « moyens » et de la « motivation » de l’agent de persécution de retrouver le demandeur d’asile à l’endroit proposé comme PRI : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 996 [Singh] au para 8; Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 81 [Adeleye] au para 21.

[9] Dans le cadre du second volet, le décideur doit évaluer s’il serait raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, pour le demandeur d’asile de chercher refuge à l’endroit proposé comme PRI : Singh, au para 10; Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 [Olusola] au para 8.

[10] Une fois qu’une PRI est proposée, il incombe au demandeur d’asile de démontrer qu’elle n’est pas viable : Adeleye, au para 20; Olusola, au para 9.

B. La décision de la SAR est raisonnable

(1) La SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu qu’il y avait manque de motivation

[11] En l’espèce, la question décisive devant la SAR était que les demandeurs n’avaient pas établi que la police du Pendjab avait la motivation de les retrouver à l’un ou l’autre des endroits proposés comme PRI. Les demandeurs font valoir que la SAR a agi de façon déraisonnable lorsqu’elle a fait reposer ce manque de motivation sur la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, l’arrestation du demandeur principal par la police du Pendjab en juin 2019 était « extrajudiciaire », ou sans autorisation légale : motifs et décision de la SAR datés du 3 février 2023 [les motifs de la SAR], au para 21.

[12] J’estime que la décision de la SAR est tout à fait raisonnable et qu’elle appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve versée au dossier : Vavilov, au para 86. Comme je l’explique ci-dessous, la conclusion de la SAR quant à l’absence de motivation s’appuyait sur son appréciation de la preuve. Il n’appartient pas à la Cour, qui est saisie du contrôle, d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par la SAR : Vavilov, au para 125.

[13] Selon le demandeur principal, il a été emmené au poste de police où il a été questionné et soumis à la torture, il a été photographié, ses empreintes digitales ont été prises et il a été contraint de signer des feuilles vierges : motifs de la SAR, au para 22. Cependant, le demandeur principal n’a jamais été officiellement accusé de quoi que ce soit, aucun premier rapport d’information n’a été déposé à son égard, aucun mandat d’arrestation, aucune sommation ni aucune autre ordonnance le visant n’ont été délivrés par les tribunaux, par la police ou par d’autres autorités, et il n’a jamais été emmené devant un magistrat ou un médecin agréé : motifs de la SAR, au para 23. Selon la SAR, il s’agissait d’un point important qui démontrait que l’arrestation et la détention du demandeur principal étaient contraires au droit indien. Selon la preuve objective contenue dans le CND, le droit indien prescrit les protocoles et les procédures qui doivent être suivies : motifs de la SAR, au para 25.

[14] Bien qu’ils admettent que les procédures et protocoles pertinents n’ont pas été observés, les demandeurs soutiennent néanmoins que l’arrestation du demandeur principal peut avoir été consignée au registre du poste de police et dans une base de données nationale. Ils contestent la conclusion de la SAR selon laquelle il était plus probable que le contraire que le nom du demandeur principal n’a pas été consigné dans une base de données à la lumière de l’arrestation extrajudiciaire et l’inobservation des protocoles prévus par la loi. J’estime toutefois que le raisonnement de la SAR à cet égard est à la fois cohérent et rationnel : Vavilov, au para 86.

[15] Qui plus est, bien que les demandeurs se soient attachés au raisonnement de la SAR concernant l’arrestation extrajudiciaire, la conclusion de cette dernière concernant l’absence de motivation reposait sur d’autres constatations importantes qui étaient étayées par le dossier de la preuve, dont les suivantes :

(i) la police du Pendjab ne les avait pas identifiés comme des suspects dans un cas de crimes majeurs ou de crime organisé de grande envergure, ce qui l’aurait incitée à communiquer avec la police des endroits désignés comme PRI : motifs de la SAR, aux para 27-28;

(ii) aucun élément de preuve ne montre que la police locale en Inde, y compris la police du Pendjab, retrouve et poursuit des personnes partout en Inde pour manquement à des conditions imposées sans autorisation légale : motifs de la SAR, au para 30;

(iii) bien que des éléments de preuve montrent que les sikhs qui militent ouvertement pour le Khalistan peuvent être exposés à un risque de harcèlement de la part de la police à l’extérieur du Pendjab, le demandeur principal, en revanche, ne milite pas ouvertement pour le Khalistan. Il n’y a donc pas plus qu’une simple possibilité que les opinions politiques présumées du demandeur principal soient connues de la police dans les endroits désignés comme PRI : motifs de la SAR, au para 32;

(iv) aucun élément de preuve ne montre que le demandeur principal a contesté les actes de la police publiquement ou s’est plaint à son sujet, de sorte qu’elle serait motivée à le retrouver dans les endroits désignés comme PRI : motifs de la SAR, au para 37;

(v) aucun élément de preuve ne fait état d’allégations graves portées contre le demandeur principal ou de l’intervention des services de police nationale : motifs de la SAR, au para 38.

[16] Enfin, je rejette l’argument des demandeurs voulant que la SAR ait fait abstraction de leur témoignage selon lequel la police s’était rendue chez eux et s’était renseignée pour savoir où ils se trouvaient après leur départ de l’Inde. La SAR a expressément pris acte de ce témoignage : motifs de la SAR, au para 22. J’estime que cela ne mine pas la conclusion générale de la SAR selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve qui montraient que la police du Pendjab serait motivée à retrouver les demandeurs hors de leur ville d’origine. Il ne s’agit pas d’une affaire où la SAR a déraisonnablement fait abstraction d’éléments de preuve établissant que la police cherchait un demandeur à l’extérieur de son ressort et à l’endroit désigné comme PRI : Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 711 au para 22.

(2) La SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a fait abstraction des moyens de la police du Pendjab

[17] Les demandeurs affirment que la SAR a aussi commis une erreur en n’appréciant pas les documents du CND sur les systèmes de suivi et d’identification disponibles en Inde. Ils prétendent que la police est non seulement motivée à les chercher dans les endroits désignés comme PRI, mais qu’elle dispose aussi des moyens pour ce faire.

[18] Cependant, compte tenu de sa conclusion selon laquelle le manque de motivation de la part de la police du Pendjab était décisif, la SAR n’avait pas à aborder les arguments relatifs aux moyens par lesquels la police pouvait retrouver les demandeurs dans les endroits désignés comme PRI : motifs de la SAR, au para 19. Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans ce raisonnement.

IV. Conclusion

[19] Il ressort de l’examen de la décision de la SAR qu’une analyse approfondie des questions soulevées a été menée. En fin de compte, la SAR a conclu, après avoir apprécié la preuve, que la police du Pendjab n’avait pas la motivation de retrouver les demandeurs dans les endroits proposés comme PRI, soit Mumbai ou New Delhi. Par conséquent, la demande sera rejetée.

[20] Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2233-23

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Anne M. Turley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

IMM-2233-23

INTITULÉ :

AMANDEEP SINGH ARORA, SRISTHI KAUR, AMANPREET KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 juin 2024

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TURLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LE 5 juin 2024

COMPARUTIONS :

Khatidja Moloo‑Alam

Pour les demandeurs

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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