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Date : 20240607


Dossier : T-2074-22

Référence : 2024 CF 874

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 7 juin 2024

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

SUKHDEV S. BAINS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Sukhdev S. Bains [le demandeur] a présenté une demande de pension d’invalidité en février 2020 et y a été déclaré admissible rétroactivement depuis mars 2019. Son invalidité ne fait aucun doute. La question est de savoir si la période de rétroactivité devrait s’étendre jusqu’au moment où le demandeur est devenu invalide, c’est-à-dire jusqu’à janvier 2016.

[2] Selon la division générale du Tribunal de la sécurité sociale [le Tribunal], le demandeur n’avait pas été incapable, de façon continue, de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant février 2020. Par conséquent, il n’est pas admissible à la pension d’invalidité de façon rétroactive au-delà de la période de 11 mois déterminée conformément à l’alinéa 42(2)b) et à l’article 69 du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C-8 [le RPC]. La division d’appel du Tribunal a refusé au demandeur la permission d’interjeter appel.

[3] Le demandeur, qui n’est pas représenté par un avocat devant la Cour, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel.

II. Cadre législatif

[4] Conformément au RPC, la période maximale de 11 mois applicable à la rétroactivité de la pension d’invalidité peut être prolongée si la personne qui présente la demande peut démontrer qu’elle avait été incapable, de façon continue, de « former ou d’exprimer l’intention de faire une demande » à partir de la date où l’incapacité a commencé, et ce, jusqu’à la date de la demande.

[5] L’incapacité continue de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande est une question distincte et indépendante de la capacité physique de remplir et de présenter une demande (Canada (Procureur général) c Danielson, 2008 CAF 78 au para 5).

[6] La capacité de former l’intention de faire une demande n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent à la personne qui présente la demande (Sedrak c Canada (Développement social), 2008 CAF 86 au para 3).

III. Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[7] L’appel de la décision de la division générale ne peut être entendu que si la division d’appel accorde la permission d’interjeter appel.

[8] À l’époque où la division d’appel a rejeté la demande de permission d’interjeter appel du demandeur, le 6 avril 2022, les appels étaient régis par l’ancienne version du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [la Loi].

[9] Les moyens d’appel étaient donc les suivants :

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Pour accorder la permission d’interjeter appel, la division d’appel doit être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès (art 58(2) de la Loi).

[11] En l’espèce, la division d’appel a examiné et rejeté plusieurs des arguments du demandeur et a conclu que ce dernier n’avait pas démontré l’existence d’une cause défendable.

[12] Premièrement, le demandeur a fait valoir que la division générale avait fondé sa décision sur une erreur que son médecin a commise dans la déclaration d’incapacité de juillet 2020. La division d’appel a rejeté cet argument et a conclu que la division générale avait fondé sa décision non pas sur cette erreur, mais plutôt sur le fait que l’incapacité du demandeur était attribuable à une détérioration de nature physique.

[13] Deuxièmement, le demandeur a fait valoir que la division générale avait commis une erreur en fondant sa décision sur l’absence de procuration. La division d’appel a rejeté cet argument et a confirmé que ce fait était pertinent puisqu’il avait trait à la capacité du demandeur de comprendre, de remplir et de signer des documents juridiques pendant la période au cours de laquelle il allègue avoir été atteint d’une incapacité de façon continue.

[14] Troisièmement, le demandeur a fait valoir que la division générale avait fait abstraction d’éléments de preuve essentiels. La division d’appel a rejeté cet argument, concluant que la division générale avait analysé de façon significative les renseignements dont elle disposait. La division d’appel souligne que la division générale doit avoir une certaine latitude dans sa façon d’apprécier la preuve.

IV. Question en litige et norme de contrôle applicable

[15] La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la division d’appel a commis une erreur en refusant la permission d’interjeter appel.

[16] La norme de contrôle applicable à la décision de la division d’appel de refuser la permission d’interjeter appel est celle de la décision raisonnable (Roy c Canada (Procureur général), 2022 CF 667 au para 15; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

V. Analyse

[17] Le demandeur soutient qu’il n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension d’invalidité entre 2016 et 2020.

[18] Le demandeur affirme que son incapacité était attribuable à la consommation de stupéfiants et à la prise de médicaments pour stabiliser son état mental ainsi qu’à de multiples chirurgies et à des complications pendant son rétablissement. Le demandeur affirme que la panoplie de médicaments a produit des effets psychotropes, le rendant incapable de présenter une demande de pension d’invalidité.

[19] Le demandeur soutient que la preuve médicale étaye la conclusion d’incapacité. Le Dr Neumann et le Dr Chin dressent une longue liste de problèmes, de chirurgies et de médicaments, et notent l’incapacité du demandeur à vaquer à ses activités quotidiennes. Les médecins, dans leurs notes, détaillent les graves problèmes de santé du demandeur et leurs effets sur sa santé mentale.

[20] Le demandeur reproche au Tribunal d’avoir accordé plus de poids à certains éléments de preuve et à certaines notes des médecins plutôt qu’à d’autres. Il soutient que le Tribunal ne peut pas [traduction] « trier sur le volet » les éléments de preuve de cette façon.

[21] Le demandeur souligne que l’absence de procuration n’est pas pertinente, car lorsqu’il est incapable de prendre une décision, le processus décisionnel est redirigé à ses plus proches parents, à savoir son épouse et ses enfants.

[22] Lors du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par la division d’appel. Elle doit déterminer si, dans son ensemble, la décision de refuser la permission d’interjeter appel est raisonnable, et donc se demander si elle est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, au para 99).

[23] En ce qui concerne les contraintes juridiques ayant une incidence sur la décision, la division d’appel a correctement défini les critères juridiques applicables à la permission d’interjeter appel en vertu de la Loi et à la constatation de l’incapacité au titre des paragraphes 60(8) à 60(10) du RPC (citant Walls c Canada (Procureur général), 2022 CAF 47 [Walls] au para 36).

[24] Pour ce qui est des contraintes factuelles, la division d’appel a tenu compte de tous les arguments du demandeur et a raisonnablement conclu que ce dernier ne s’était pas acquitté de son fardeau.

[25] Premièrement, la division d’appel a examiné l’argument du demandeur selon lequel la division générale avait fondé sa décision à tort sur l’omission du Dr Neumann dans la déclaration d’incapacité de juillet 2020. La division d’appel a souligné à juste titre que la deuxième déclaration d’incapacité, faite en novembre 2021, comprenait la section précédemment omise et que, dans les deux déclarations, l’incapacité mentale ou psychologique du demandeur était attribuée à une détérioration de nature purement physique.

[26] Dans l’arrêt Walls, la Cour d’appel fédérale a confirmé que la constatation de l’incapacité au titre du paragraphe 60(8) du RPC ne s’applique que dans un ensemble très restreint de circonstances (au para 31). La Cour d’appel fédérale a ensuite déclaré ce qui suit :

[36] Ainsi, la jurisprudence nous enseigne que le critère juridique applicable n’est pas de savoir si le demandeur a la capacité de faire, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations d’invalidité. C’est-à-dire qu’elle ne dépend pas de la capacité physique du demandeur à remplir la demande. Il s’agit plutôt de savoir si le demandeur a la capacité mentale, tout simplement, de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande. Il s’agit de la même capacité que celle de former ou d’exprimer une intention de faire d’autres choses.

[27] En l’espèce, la division d’appel a résumé la principale question en ces termes : « Bien que le [demandeur] se soit gravement blessé aux épaules et au dos, cela ne signifie pas qu’il s’est acquitté du fardeau relativement lourd de prouver qu’il n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations. »

[28] Il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que le demandeur n’avait pas démontré l’existence d’une cause défendable quant à l’erreur que la division générale aurait commise dans son appréciation de la preuve ou dans son évaluation de la capacité du demandeur.

[29] À l’instar de la division générale, la division d’appel a jugé qu’il ressortait de la preuve que le demandeur n’avait pas présenté sa demande de pension d’invalidité plus tôt parce qu’il ignorait l’existence du programme. Cette conclusion est raisonnable au vu de la preuve et du fait que le demandeur a confirmé devant la Cour qu’il ne savait pas qu’il pouvait présenter une demande avant de le faire en février 2020.

[30] Même si cette situation est fort malheureuse, elle ne rend pas la décision de la division d’appel déraisonnable.

[31] La division d’appel a cerné les bons critères juridiques et les a raisonnablement appliqués aux faits de l’espèce. La décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci.

VI. Conclusion

[32] Je suis sensible à sa situation, mais le demandeur ne m’a pas convaincue que la division d’appel a commis une erreur. Sa demande sera donc rejetée. Le défendeur ne sollicite pas de dépens, et aucuns ne seront adjugés.




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