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Date : 20240612

Dossiers : T-252-19

T-254-19

T-258-19

T-259-19

T-261-19

T-262-19

Référence : 2024 CF 892

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2024

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

Dossier : T-252-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

NADER GHERMEZIAN

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-254-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

MARC VATURI

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-258-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

GHERFAM EQUITIES INC.

défenderesse

ET ENTRE :

Dossier : T-259-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

PAUL GHERMEZIAN

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-261-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

RAPHAEL GHERMEZIAN

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-262-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

JOSHUA GHERMEZIAN

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente ordonnance et les présents motifs adjugent des dépens dans les six demandes. Pour les motifs expliqués ci-après, j’accorde au demandeur des dépens sous la forme d’une somme globale de 41 000 $ pour chacune de ces demandes, pour un total de 246 000 $.

II. Le contexte

[2] La présente instance se rapporte à six demandes présentées par le ministre du Revenu national [le ministre], en vue d’obtenir des ordonnances fondées sur l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5suppl) [la Loi]. Les défendeurs sont cinq personnes, tous membres de la famille Ghermezian élargie, et une société apparentée, Gherfam Equities Inc. Chacune des demandes du ministre vise à obliger le défendeur concerné à fournir les documents et/ou les renseignements précédemment demandés par le ministre en vertu de l’article 231.1 et/ou de l’article 231.2 de la Loi.

[3] Le 23 février 2022, la Cour a prononcé son jugement et ses motifs [le jugement initial] dans le cadre de ces demandes. Le jugement initial faisait droit aux demandes du ministre, sous réserve de certaines étapes restantes qui y étaient décrites, en vue d’appliquer les conclusions de la Cour, du fait que certains moyens de défense soulevés par les défendeurs avaient été retenus, à l’élaboration de l’ordonnance dans chaque demande. Une fois ces étapes terminées, la Cour a rendu les ordonnances de production le 8 juillet 2022 [les ordonnances]. Ces ordonnances étaient accompagnées de motifs supplémentaires portant la même date. Les motifs expliquaient les conclusions de la Cour sur les principaux litiges en suspens entre les parties concernant le type d’ordonnance dans les six demandes, comme il est énoncé dans les observations écrites fournies par les parties après le prononcé du jugement initial [les motifs supplémentaires].

[4] Les défendeurs ont interjeté appel du jugement initial, et le ministre a formé un appel incident. Les défendeurs ont également interjeté appel des ordonnances après que celles-ci eurent été rendues. Le 20 juillet 2022, avec le consentement des parties, la Cour d’appel fédérale [la CAF] a ordonné la jonction des appels et la suspension des ordonnances en attendant l’audience et la décision sur les appels.

[5] Le 1er septembre 2023, la CAF a rendu son jugement dans l’affaire Ghermezian c Canada (Revenu national), 2023 CAF 183 [Ghermezian CAF], par lequel il rejetait les appels des défendeurs et accueillait les appels incidents du ministre. En accueillant les appels incidents, dans l’arrêt Ghermezian CAF, la Cour a conclu que, conformément aux demandes présentées au titre du paragraphe 231.1(1) de la Loi, le ministre est autorisé non seulement à exiger la fourniture de documents, mais aussi à exiger la communication de renseignements non écrits (aux para 14-42). La CAF a renvoyé ces demandes à la Cour afin que les parties aient l’occasion de lui demander de rendre de nouvelles ordonnances reflétant la question tranchée dans les appels incidents (au para 68).

[6] Le 6 octobre 2023, la Cour a tenu sa première conférence de gestion de l’instance [CGI] à la suite de la publication de l’arrêt Ghermezian CAF, afin d’examiner avec les parties leur position sur le processus que la Cour devrait adopter pour mener à bien l’instance et rendre de nouvelles ordonnances, conformément aux motifs de la CAF. Comme les parties ont adopté des positions divergentes, la Cour a par la suite donné des directives les obligeant à présenter des observations écrites sur les questions procédurales soulevées à la CGI, qui allaient être suivies d’une plaidoirie sur ces questions à une autre CGI prévue le 6 novembre 2023.

[7] La Cour a entendu les arguments des parties à la CGI et, le 8 novembre 2023, a rendu son ordonnance et ses motifs, prescrivant les étapes et les délais pour l’achèvement de la présente instance, qui culminent avec l’octroi des dépens [l’ordonnance rendue à la CGI]. Conformément à ces étapes, les parties ont présenté leurs observations écrites respectives sur le projet de type d’ordonnance pour chacune des nouvelles ordonnances. Le 25 mars 2024, la Cour a rendu les nouvelles ordonnances de production [les nouvelles ordonnances], sous la forme des projets d’ordonnance proposés par le ministre, accompagnées des motifs expliquant la décision rendue sur les principaux litiges énoncés dans les observations écrites des parties (Canada (Revenu national) c Ghermezian, 2024 CF 463 [les motifs des nouvelles ordonnances]).

[8] L’ordonnance rendue à la CGI prévoyait un processus permettant aux parties de présenter des observations écrites sur leurs positions respectives concernant les dépens, suivant lequel le ministre a déposé des observations datées du 9 avril 2024, appuyées par des affidavits. Les défendeurs ont déposé des observations datées du 13 mai 2024, appuyées par des affidavits, et le ministre a déposé des observations en réplique datées du 21 mai 2024.

III. La question en litige

[9] La seule question que la Cour doit trancher est l’octroi des dépens dans chacune des six demandes.

IV. Analyse

[10] Le ministre presse la Cour d’adjuger les dépens sous la forme d’une somme globale de 50 000 $ pour chaque demande, pour un total de 300 000 $. Ayant déposé un mémoire de frais fondé sur la colonne V du tarif B, selon lequel le total des honoraires et des débours est de 152 078,66 $, le ministre reconnaît que cette demande dépasse la quantification des dépens selon le tarif. Il a également déposé une preuve par affidavit attestant que des frais entre avocat et client de 819 780 $ ont été engagés relativement au litige des six demandes d’ordonnance de production. Les dépens réclamés par le ministre représentent environ 36,6 p. cent de ce chiffre avocat-client. S’appuyant sur l’arrêt Nova Chemicals Corp c Dow Chemical Co, 2017 CAF 25 [Nova Chemicals] au para 17, le ministre soutient que, lorsque des dépens majorés ont été adjugés sous forme de somme globale, celle-ci correspond généralement à un pourcentage allant de 25 à 50 p. cent des frais effectivement engagés.

[11] Le ministre fait valoir qu’il convient d’adjuger des dépens majorés en l’espèce, compte tenu des facteurs énoncés à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], et, en particulier, du résultat de l’instance (alinéa 400(3)a)), de la charge de travail (alinéa 400(3)g)), de la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance (alinéa 400(3)i)) et de la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas, était inappropriée, vexatoire ou inutile, ou a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection (alinéa 400(3)k)). Le ministre insiste sur le fait qu’il a obtenu en grande partie gain de cause dans les demandes d’ordonnance de production et quant à l’objectif d’empêcher ce que le ministre décrit comme une conduite récalcitrante et abusive de la part des défendeurs dans leur défense dans le cadre des demandes, ce qui a contribué au fait que le règlement de ces instances a pris plus de cinq ans après leur introduction.

[12] Les défendeurs contestent les allégations de conduite inappropriée avancées par le ministre et soutiennent que ce sont des retards de la part du ministre qui ont contribué à la période de temps nécessaire pour régler la présente instance. Les défendeurs contestent des éléments du calcul, par le ministre, des frais entre avocat et client, ainsi que des aspects du mémoire de frais du ministre selon la colonne V. Les défendeurs font également valoir que l’approche proposée par le ministre à l’égard des dépens ne tient pas compte des différents faits, questions et complexités dans les demandes individuelles présentées contre les divers défendeurs. Comme chaque défendeur est séparément responsable de respecter l’ordonnance et les dépens adjugés contre lui, les défendeurs soutiennent que l’adjudication des dépens contre chaque défendeur devrait être renvoyée aux fins de taxation, pour qu’elle soit adaptée aux circonstances uniques de la demande pertinente.

[13] L’arrêt Nova Chemicals examine les principes applicables à l’octroi de dépens sous forme de somme globale (aux para 10-13). Comme premier principe dans l’octroi des dépens, le paragraphe 400(1) des Règles confère à la Cour le plein pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens et de les répartir, et le paragraphe 400(4) des Règles envisage expressément d’adjuger des dépens sous forme de somme globale, au lieu d’une taxation selon le tarif B. À juste titre, l’octroi d’une somme globale connaît une faveur croissante auprès des tribunaux, en ce sens qu’il permet aux parties de gagner du temps et d’économiser de l’argent, d’éviter des analyses détaillées et d’empêcher que l’octroi de dépens ne devienne un exercice comptable. En outre, il y a des circonstances dans lesquelles les dépens calculés, même à l’extrémité supérieure de la colonne V du tarif B, ont peu de rapport avec l’objectif de contribuer de manière raisonnable aux frais du litige. Néanmoins, une partie qui demande des dépens majorés doit démontrer que sa situation particulière justifie un tel octroi, situation devant aller au-delà du fait que ses frais sont nettement supérieurs aux sommes prévues au tarif.

[14] En l’espèce, les frais du ministre calculés sur une base avocat‑client (819 780 $) dépassent manifestement les dépens générés par l’application même de la colonne V du tarif B (152 078,66 $). En fait, les défendeurs contestent certains aspects du calcul du ministre selon la colonne V, y compris les unités et les honoraires d’avocat effectifs réclamés pour certains éléments, et ils font valoir que le ministre a mal utilisé la valeur unitaire actuelle de 180 $ dans le contexte d’un litige qui s’est prolongé sur plusieurs années. Si la Cour acceptait l’un ou l’autre de ces arguments, le chiffre de la colonne V serait davantage réduit, et l’écart entre ce chiffre et les frais effectivement engagés par le ministre se creuserait.

[15] Les défendeurs contestent également certains aspects du calcul, par le ministre, des frais entre avocat et client, en mettant l’accent en particulier sur le nombre d’heures engagées relativement : a) à l’opposition infructueuse du ministre à une requête présentée par les défendeurs visant à exiger la production de formulaires T2020 non caviardés (documents qui consignent les communications entre l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] et un contribuable) [la requête relative aux formulaires T2020]; b) à la préparation de l’audition des demandes, du 25 au 27 janvier 2022, qui a donné lieu au jugement du 23 février 2022, ainsi qu’à la participation à celle-ci; et c) à la préparation des six avis de demande sommaire presque identiques ainsi que des affidavits à l’appui.

[16] Les observations des deux parties concernant les dépens mettent grandement l’accent sur la requête relative aux formulaires T2020. Les défendeurs soulignent qu’ils ont obtenu gain de cause relativement à cette requête. Le ministre répond que les heures auxquelles les défendeurs font référence comprennent les frais engagés par ses avocats pour examiner, caviarder et produire les volumineux documents T2020 avant la présentation de la requête, ainsi que pour examiner, supprimer le caviardage, attribuer des codes de couleur et reproduire un ensemble de ces documents après que la requête a été accueillie. Le ministre souligne également que, comme les défendeurs ne se sont finalement pas appuyés sur les documents T2020 dans leurs dossiers de demande en réponse, la requête relative aux formulaires T2020 et le travail de production qui en a découlé ont été tout à fait inutiles. Le ministre fait valoir qu’il faudrait décourager une telle conduite consistant à présenter une requête inutile et à créer des tâches inutiles.

[17] Le ministre note également que, bien que le juge responsable de la gestion de l’instance Aalto ait accueilli la requête relative aux formulaires T2020 dans une ordonnance datée du 20 septembre 2021 [l’ordonnance sur les formulaires T2020], il a refusé d’adjuger des dépens aux défendeurs, en s’appuyant sur ce que le ministre qualifie de conduite obstructionniste, au cours du contre-interrogatoire du déposant du ministre. Je reviendrai sous peu sur les allégations de conduite obstructionniste auxquelles l’ordonnance sur les formulaires T2020 fait référence.

[18] Je ne vois aucune raison de remettre en question la décision des défendeurs de présenter la requête relative aux formulaires T2020. Selon la lecture que j’en fais, l’ordonnance sur les formulaires T2020 ne remet pas en question cette décision. Le juge responsable de la gestion de l’instance Aalto a plutôt conclu qu’à une exception près liée aux discussions en vue d’un règlement, le caviardage des formulaires T2020 par le ministre était excessif et non justifié. Rien ne permet non plus de conclure, du fait que les défendeurs ont finalement choisi de ne pas inclure les documents T2020 dans leurs dossiers de demande après leur production, que les défendeurs gaspillaient le temps du ministre ou de la Cour. La Cour a accepté, dans l’ordonnance sur les formulaires T2020, la probabilité qu’un grand nombre des passages caviardés soient ultimement considérés comme non pertinents par les défendeurs, mais elle a conclu que la portée de ces passages était telle qu’il n’était pas possible d’en déterminer la pertinence à cette étape‑là.

[19] Cela dit, rien ne permet non plus de conclure que le travail effectué par l’équipe juridique du ministre dans la préparation des documents T2020 aux fins de production, conformément à la demande des défendeurs et à l’ordonnance sur les formulaires T2020, était inutile ou excessivement long, de sorte qu’il serait inapproprié de tenir compte des frais connexes dans l’examen des frais effectivement engagés par le ministre pour mener à bien ces demandes d’ordonnance de production.

[20] De même, je ne vois aucune raison de remettre en question les frais engagés par les avocats du ministre dans le cadre de la préparation de l’audition du 25 au 27 janvier 2022 et de la participation à celle-ci, ou de la préparation antérieure des avis de demande sommaire et des affidavits à l’appui. Comme le ministre le souligne, les défendeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve concernant leurs propres frais juridiques pour étayer une conclusion selon laquelle les heures enregistrées par les avocats du ministre étaient excessives en comparaison.

[21] De plus, ayant maintenant statué à deux reprises sur les présentes demandes (avant et après l’appel du ministre, qui a été accueilli dans l’arrêt Germezian CAF), la Cour est consciente de la complexité de la présente instance, y compris le nombre de demandes, le nombre de questions soulevées par les défendeurs pour s’y opposer ainsi que la complexité juridique et factuelle de certaines des questions. Je ne vois aucune raison de conclure que les frais juridiques effectivement engagés par le ministre sont excessifs. À mon avis, le fait que le ministre a en grande partie obtenu gain de cause dans ces demandes combiné au niveau des frais engagés pour les poursuivre favorise l’octroi de dépens sous forme de somme globale supérieure à un calcul selon le tarif B.

[22] Pour déterminer s’il y a lieu d’octroyer une somme globale fondée sur le taux demandé de 36,6 p. cent des frais effectivement engagés par le ministre, j’ai également tenu compte des arguments respectifs des parties selon lesquels l’autre était responsable de l’obstruction et du retard dans l’avancement du règlement du présent litige. En faisant valoir sa position, le ministre bénéficie de certaines décisions antérieures rendues par la Cour. Comme il a été mentionné précédemment, le juge responsable de la gestion de l’instance Aalto a conclu, dans l’ordonnance sur les formulaires T2020, que le contre-interrogatoire du déposant du ministre par les défendeurs était disproportionné, par rapport aux questions en litige, et qu’une grande partie de l’exercice n’était pas pertinent, raison pour laquelle le juge responsable de la gestion de l’instance a privé les défendeurs des dépens relativement à cette requête. De même, dans une ordonnance datée du 30 mars 2021, le juge responsable de la gestion de l’instance a accueilli une requête présentée par le ministre, en vue d’obtenir l’autorisation de modifier ses avis de demande sommaire et d’introduire des affidavits supplémentaires, et a formulé des commentaires qui ne peuvent être considérés que comme des critiques à l’égard de l’approche adoptée par les défendeurs dans leur opposition à cette requête. Comme l’a souligné le ministre, le juge responsable de la gestion de l’instance Aalto a mentionné et rejeté une [traduction] « vigoureuse litanie d’arguments des défendeurs en opposition [à la requête] ».

[23] Le ministre fait également référence à une instance interlocutoire plus récente, à la suite de la publication de l’arrêt Germezian CAF, dans laquelle les défendeurs ont cherché à suspendre les demandes en attendant une demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada et ont cherché à avoir la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l’instance menant à la délivrance de nouvelles ordonnances par la Cour. Dans une ordonnance et des motifs datés du 8 novembre 2023 (Canada (Revenu national) c Ghermezian, 2023 CF 1488), la Cour a rejeté la demande de suspension des défendeurs (au para 25) et n’a trouvé aucun fondement pour justifier l’ajout d’autres éléments de preuve au processus de délivrance de nouvelles ordonnances (au para 30). À titre d’exemple, les défendeurs ont fait mention de la possibilité de présenter des éléments de preuve montrant que certains défendeurs n’étaient pas des résidents canadiens, ce qui, selon les défendeurs, aurait une incidence sur la compétence de la Cour de rendre les ordonnances (voir le para 29). La Cour a rejeté cet argument de la façon suivante (au para 30) :

30. Je suis d’accord avec le ministre pour dire que les défendeurs n’ont trouvé aucun fondement pour justifier l’ajout d’autres éléments de preuve au processus de réexamen des ordonnances. Des questions comme celle de savoir si les défendeurs sont des résidents canadiens, ce qui nécessitait un fondement probatoire, ont déjà été soulevées par les défendeurs, débattues par les parties et ont été abordées dans le jugement initial. La Cour n’était plus saisie de ces questions lorsqu’elle a rendu les motifs supplémentaires et les ordonnances initiales, et rien dans l’arrêt Ghermezian CAF n’a conféré à la Cour le mandat de réexaminer ces questions.

[24] Je souscris à la description par le ministre de la position des défendeurs comme d’un effort inapproprié pour soulever des arguments qu’ils avaient déjà présentés, et qui avaient été rejetés par la Cour.

[25] Toutefois, je ne suis pas convaincu par tous les arguments du ministre à l’appui de sa position selon laquelle les défendeurs ont inutilement compliqué ou retardé la présente instance. Le ministre mentionne que les défendeurs ont présenté une requête sans fondement concernant les contre-interrogatoires deux jours avant l’audition des demandes, ce qui a retardé l’audience de sept semaines supplémentaires.

[26] À l’appui de cet argument, le ministre s’appuie sur l’affidavit, daté du 9 avril 2024, de Kristina Anderson, une adjointe juridique qui travaille avec les avocats du ministre. Les paragraphes mentionnés de l’affidavit de Mme Anderson comprennent une déclaration selon laquelle, par ordonnance datée du 29 novembre 2021, l’audition des demandes a été reportée pour permettre aux défendeurs de présenter une requête concernant le contre-interrogatoire, une requête qui a par la suite été ajournée, au motif que les questions soulevées devraient faire partie des observations sur le fond des demandes. Toutefois, dans l’ordonnance du 29 novembre 2021, il est mentionné que l’audience est ajournée, non seulement en raison de la requête présentée par les défendeurs, mais aussi parce que les parties n’avaient pas encore déposé de dossiers de demande.

[27] Le ministre fait également valoir que, dans leurs observations écrites sur leur projet de type et de contenu des nouvelles ordonnances, les défendeurs ont soulevé des allégations non fondées contre les avocats du ministre, qui laissaient entendre que ces derniers avaient délibérément induit la Cour en erreur dans leurs propres observations. Ayant déjà statué sur les observations respectives des parties qui ont donné lieu à de nouvelles ordonnances, je n’ai pas compris que les défendeurs avaient fait valoir que les avocats du ministre avaient induit délibérément la Cour en erreur. De plus, dans les motifs des nouvelles ordonnances, j’ai souscrit à l’une des plaintes des défendeurs, à savoir que le ministre avait proposé de nouvelles ordonnances contenant certains changements qui n’avaient pas été expressément signalés pour permettre aux défendeurs ou à la Cour de les examiner, une lacune qui a créé du travail supplémentaire pour les défendeurs et la Cour (au para 30).

[28] Comme il a été mentionné précédemment, le ministre considère également que la requête relative aux formulaires T2020 était inutile ou irrégulière, une position que la Cour a rejetée.

[29] Les défendeurs ont également soulevé les arguments qui suivent, voulant que ce soit le ministre qui avait retardé l’avancement de ces demandes jusqu’à leur conclusion :

[traduction]

  1. Le ministre a retardé le processus en demandant unilatéralement que les six demandes fassent l’objet d’une gestion de l’instance, de sorte que les affidavits à l’appui du ministre n’ont été signifiés et déposés que près de six mois après le dépôt des avis de demande sommaire le 7 février 2019;

  2. Le déposant du ministre a refusé pendant plus de quatre mois de se présenter à un contre-interrogatoire, relativement à la demande dans le dossier de la Cour T-258-19, et pendant plus de 27 mois relativement aux autres demandes;

  3. Sans explication, le ministre a retardé de plus de quatre mois sa réponse à leur demande de production des documents T2020 et, à la suite du dépôt de la requête relative aux formulaires T2020 par les défendeurs, le ministre a pris 85 jours pour déposer son dossier de requête en réponse;

  4. Le 7 avril 2021, soit plus de 790 jours après avoir déposé ses avis de demande sommaire originaux, le ministre a déposé des avis modifiés, précisant en détail les renseignements demandés aux défendeurs.

[30] En réponse à ces arguments, le ministre soutient ce qui suit :

[traduction]

  1. Le ministre n’a pas tardé à déposer ses affidavits. Le juge responsable de la gestion de l’instance a plutôt été nommé le 4 mars 2019, une première CGI a eu lieu le 21 mai 2019, et l’ordonnance subséquente de la Cour ordonnait au ministre de signifier ses affidavits au plus tard le 1er juillet 2019, date limite à laquelle le ministre s’est conformé;

  2. L’assignation à comparaître au contre-interrogatoire adressée par les défendeurs au déposant du ministre était inappropriée, parce qu’elle demandait la production du dossier complet de l’ARC. Cela a nécessité le dépôt d’une requête visant à obtenir une dispense de production. Le déposant du ministre n’a pas refusé de se présenter au contre-interrogatoire. Au premier abord, les défendeurs ont plutôt remis des assignations à comparaître à des dates auxquelles ils savaient que l’avocat du ministre n’était pas disponible, et le retard subséquent dans la tenue du contre-interrogatoire a fait en sorte que le ministre a modifié les avis de demande sommaire.

[31] Après avoir examiné les observations respectives des parties précitées, je ne suis pas convaincu que les défendeurs ont établi que le ministre avait retardé l’avancement raisonnable de ces demandes. En ce qui concerne la requête relative aux formulaires T2020, compte tenu des remarques et de la décision du juge responsable de la gestion de l’instance de priver les défendeurs des dépens, malgré le fait qu’ils avaient obtenu gain de cause relativement à cette requête, je ne suis pas convaincu que les défendeurs disposent d’un argument convaincant découlant de cette étape du litige. La mesure prise par le ministre pour détailler ses demandes dans les avis de demande sommaire modifiés ne permet pas non plus de conclure qu’il a retardé les demandes dont la Cour était saisie.

[32] En conclusion, bien que j’aie rejeté plusieurs des arguments du ministre à l’appui de sa position selon laquelle les défendeurs avaient entravé l’avancement du présent litige (et rejeté des arguments similaires présentés par les défendeurs), je suis convaincu que les demandes dont la Cour était saisie étaient complexes et que les positions adoptées par les défendeurs dans le cadre du présent litige ont quelque peu complexifié davantage et prolongé ces demandes. Combiné au fait que le ministre a en grande partie obtenu gain de cause dans les demandes, l’octroi de dépens sous la forme d’une somme globale d’un montant supérieur à la colonne V du tarif et dans la fourchette décrite dans l’arrêt Nova Chemicals est justifié. Comme j’ai rejeté plusieurs des arguments du ministre, je calculerai l’octroi de dépens en fonction d’un taux de 30 p. cent des frais entre avocat et client engagés par le ministre, et non du taux de plus de 36 p. cent qu’il a réclamé. En arrondissant les chiffres, 30 p. cent de 820 000 $ donnent des dépens adjugés pour une somme globale de 246 000 $.

[33] En divisant ce chiffre entre les six demandes, j’adjugerai au ministre des dépens de 41 000 $ pour chacune des demandes. Pour en arriver à cette décision, j’ai tenu compte de la position des défendeurs selon laquelle les dépens adjugés dans chaque demande distincte contre eux devraient être renvoyés aux fins de taxation, afin des adapter aux circonstances uniques de la demande pertinente.

[34] Je comprends que, comme l’affirment les défendeurs, les faits, les questions en litige et les arguments ne sont pas identiques pour les six demandes. Toutefois, je souscris à l’observation du ministre selon laquelle les demandes sont essentiellement similaires, qu’elles comportaient bon nombre des mêmes arguments et qu’elles ont été plaidées ensemble. De plus, les observations des défendeurs n’ont pas permis d’expliquer comment, selon eux, les différences entre les demandes devraient se faire sentir dans l’octroi de dépens différents dans chaque demande.

[35] Dans ce contexte, je m’inspire des principes expliqués dans l’arrêt Nova Chemicals, y compris l’importance d’éviter les analyses détaillées fondées sur la comptabilité. À mon avis, il serait inutilement compliqué et fastidieux de renvoyer ces questions aux fins de taxation comme le suggèrent les défendeurs. Comme les deux parties le soulignent, le présent litige dure depuis plus de cinq ans et, à mon avis, il est temps d’en arriver à une conclusion.

ORDONNANCE

dans les dossiers T-252-19, T-254-19, T-258-19, T-259-19, T-261-19 et T‑262-19

LA COUR ORDONNE que des dépens sont adjugés au demandeur sous forme d’une somme globale de 41 000 $ contre le défendeur dans chacune de présentes demandes, pour une somme globale totale de 246 000 $.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-252-19, T-254-19, T-258-19, T-259-19, T-261-19 et T-262-19

INTITULÉ :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c NADER GHERMEZIAN; MINISTRE DU REVENU NATIONAL c MARC VATURI; LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c GHERFAM EQUITIES INC; LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c PAUL GHERMEZIAN; LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c RAPHAEL GHERMEZIAN; LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c JOSHUA GHERMEZIAN

DÉCISION FONDÉE SUR LES OBSERVATIONS ÉCRITES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

 

Le 12 juin 2024

OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :

Rita Araujo

Peter Swanstrom

Angelica Buggie

Pour le demandeur

Bobby J. Sood

Stephen S. Ruby

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Davies Ward Phillips

& Vineberg S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs

 

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