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Date : 20240612

Dossier : T-1606-19

Référence : 2024 CF 896

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 12 juin 2024

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

INNU NATION INC.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (représentant le ministre des Relations Couronne-Autochtones) et NUNATUKAVUT COMMUNITY COUNCIL INC.

 

défendeurs

et

GOUVERNEMENT NUNATSIAVUT

intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, prise par le ministre des Relations Couronne-Autochtones [le ministre] le 5 septembre 2019, de conclure un protocole d’entente en vue de faire progresser la réconciliation [le PE] avec la défenderesse Nunatukavut Community Council Inc. [NCC].

Les parties

Innu Nation Inc. – demanderesse

[2] Dans ses observations, Innu Nation Inc. [la demanderesse ou Innu Nation Inc.] affirme que les membres du peuple innu appartiennent majoritairement à la Première Nation innue de Mushuau et à la Première Nation innue de Sheshatshiu. Elle les désigne collectivement sous le nom « Innus du Labrador » et déclare qu’il s’agit d’un peuple autochtone au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Loi constitutionnelle de 1982]. Innu Nation Inc. serait une société constituée en vertu des lois de la province de Terre-Neuve-et-Labrador [la province] pour représenter les Innus et faire valoir leurs droits et leurs intérêts, notamment dans le cadre des négociations en cours concernant des revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale.

[3] Innu Nation Inc. déclare que les négociations en vue de la conclusion d’un traité entre le Canada, la province et la nation innue ont commencé en 1978, lorsque cette dernière a présenté une revendication conformément à la Politique sur les revendications territoriales globales, et que ces négociations se poursuivent en vue d’un accord définitif. Innu Nation Inc. fait valoir que l’accord définitif, une fois ratifié, reconnaîtra un éventail de droits sur les terres et les eaux du Labrador, y compris le droit de propriété et la compétence à l’égard des terres dans certaines régions ainsi que des droits de chasse, de récolte et de pêche et le droit de bénéficier du développement économique dans d’autres régions. À ce sujet, le Canada fait observer dans ses observations que Innu Nation, le Canada et la province participent activement depuis 1997 à des négociations en vue de conclure un traité moderne et que les parties ont signé, dans le cadre de ce processus, une entente-cadre le 29 mars 1996 et une entente de principe le 18 novembre 2011, et qu’elles sont actuellement à l’étape des négociations finales en vue de la conclusion d’un accord définitif.

NunatuKavut Community Council Inc. – défenderesse

[4] La défenderesse, NCC, se décrit comme un corps dirigeant inuit. NCC affirme avoir été créée en 1981 sous la dénomination Labrador Métis Association [la LMA], puis constituée en société en 1985 dans le but de promouvoir la reconnaissance et la protection des droits du groupe en tant que peuple autochtone. La LMA a changé de nom en 1998 pour devenir la Labrador Métis Nation, puis NCC en 2010.

[5] NCC explique qu’elle cherche à faire reconnaître ses droits par le Canada depuis 1991, année où elle a présenté sa première revendication au nom des « descendants des Inuits » qu’elle représente, sur le fondement de la Politique sur les revendications territoriales globales, dans sa version en vigueur à ce moment. NCC a par la suite présenté au moins deux autres revendications dans le cadre de cette politique, mais celles-ci n’ont pas été retenues.

[6] NCC déclare que le Canada l’a invitée, vers la fin de l’année 2016, à participer à un processus de consultation pour la réconciliation visant à accélérer le règlement des revendications territoriales globales de NCC, processus qui s’est achevé en 2017. En juillet 2018, le ministre a mis en place une table de discussion sur la reconnaissance des droits autochtones et l’autodétermination [la RDAA] avec NCC dans le but de faire progresser la réconciliation. Plus tard, NCC et le Canada, représenté par le ministre, ont conclu le PE.

Procureur général du Canada – défendeur

[7] Le procureur général du Canada [le procureur général] représente le ministre des Relations Couronne-Autochtones dans la présente demande de contrôle judiciaire. Les attributions générales et les responsabilités du ministre sont décrites dans la Loi sur le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, LC 2019, c 29 (en vigueur le 15 juillet 2019) [la Loi sur le MRCAAN].

Gouvernement nunatsiavut – intervenant

[8] Le gouvernement nunatsiavut a obtenu, par une ordonnance rendue par la juge responsable de la gestion de l’instance le 2 mai 2023, l’autorisation d’intervenir dans la présente demande de contrôle judiciaire. Il a été autorisé à déposer un mémoire des faits et du droit d’au plus dix pages. L’ordonnance précise que le gouvernement nunatsiavut ne présentera pas d’observations orales lors de l’audition de la demande, sauf si le juge présidant l’instance en décide autrement. J’ai refusé la demande ultérieure du gouvernement nunatsiavut par laquelle il sollicitait l’autorisation de présenter des observations de vive voix.

[9] Le gouvernement nunatsiavut se décrit comme le successeur de la Labrador Inuit Association, qui avait conclu avec le Canada et la province un accord sur les revendications territoriales entré en vigueur en 2005. L’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador porte sur des droits protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Loi sur l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador, LC 2005, c 27, art 3 et 11).

La contestation du protocole d’entente

[10] Le contenu du PE, dont une copie figure à l’annexe A des présents motifs, est décrit ci‐après. La demanderesse conteste la décision du ministre de conclure le PE.

[11] La demanderesse affirme essentiellement que le PE reconnaît que NCC est [traduction] « un groupe autochtone habilité à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 aux fins d’entamer des discussions sur la reconnaissance de droits et l’autodétermination », le Canada et NCC s’engageant ainsi à se pencher sur les droits ancestraux de ce groupe et les bénéficiaires de ces droits, la compétence de NCC à l’égard des terres, des eaux et des glaces ainsi que sur l’exercice des droits connexes. Or, les terres sur lesquelles NCC revendique un titre et des droits ancestraux font l’objet de la négociation d’un traité entre Innu Nation, le Canada et la province. Une fois conclu, ce traité assurera la reconnaissance et la protection du titre et des droits ancestraux des Innus du Labrador sur ces terres. Comme la région visée par la revendication relative au titre et aux droits ancestraux de NCC chevauche la région visée par la revendication des Innus, la demanderesse soutient que le PE pourrait avoir une incidence sur les droits des Innus garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 [les droits garantis par l’article 35], retarder la conclusion d’un traité avec les Innus ou nuire à la reconnaissance ou à la portée des droits et du titre des Innus visés par le traité. La demanderesse fait valoir que le PE porte atteinte aux droits garantis aux Innus par l’article 35 et peut donc faire l’objet d’un contrôle par la Cour.

[12] La demanderesse soutient en outre que la décision était erronée, car le PE est incompatible avec l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le paragraphe 35(1) reconnaît et confirme uniquement les droits des « peuples autochtones du Canada ». Le paragraphe 35(2) dispose que le terme « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment « des Indiens, des Inuit et des Métis ». NCC affirme être un groupe inuit, mais le Canada a déjà statué que la preuve était insuffisante pour étayer cette prétention. Le PE stipule malgré cela que NCC est [traduction] « habilité[e] à détenir » des droits garantis par l’article 35 en tant que [traduction] « groupe autochtone ». Cet énoncé accorde à NCC une reconnaissance juridique à laquelle elle n’a pas droit : seuls les peuples autochtones du Canada sont « habilités à détenir » des droits garantis par l’article 35. NCC ne fait pas partie des peuples autochtones du Canada et ne peut pas détenir des droits garantis par l’article 35 en tant que « groupe autochtone ». Par conséquent, la décision contestée est incompatible avec l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Elle excédait en outre le pouvoir conféré au ministre par la loi, qui se limite aux relations avec les peuples autochtones du Canada. Comme NCC ne fait pas partie des peuples autochtones, le ministre n’avait pas le pouvoir de conclure le PE avec elle.

[13] La demanderesse soutient aussi que la décision est déraisonnable, car elle ne peut être justifiée au regard du régime législatif applicable, à savoir la Loi sur le MRCAAN. NCC ne fait pas partie des peuples autochtones du Canada, et les attributions générales et les responsabilités du ministre prévues par la Loi sur le MRCAAN ne s’appliquent pas aux relations avec NCC. En outre, la décision ne saurait être justifiée au regard des contraintes factuelles auxquelles le ministre était assujetti à titre de décideur, y compris des conclusions antérieures du Canada selon lesquelles la preuve était insuffisante pour étayer que NCC fait partie des peuples autochtones du Canada. Le PE ne saurait non plus être justifié au regard des critères de la common law utilisés pour décider si un groupe fait partie des peuples autochtones du Canada.

[14] Finalement, la demanderesse fait valoir que, puisque le PE porte atteinte à ses droits garantis par l’article 35, le ministre était tenu de la consulter avant de décider de conclure le PE, mais il ne s’est pas acquitté de son obligation de consultation.

[15] La demanderesse sollicite une ordonnance annulant le PE et déclarant que le ministre n’avait pas le pouvoir légal ni la compétence requise pour conclure le PE. À titre subsidiaire, elle demande à la Cour de rendre une ordonnance annulant le PE, déclarant que le ministre ne s’est pas acquitté de l’obligation de la Couronne de la consulter et de l’accommoder et enjoignant au ministre d’amorcer et de mener sans délai des consultations approfondies, sérieuses et adéquates.

Le protocole d’entente

[16] En résumé, le PE est un document de six pages, commençant par un préambule qui stipule notamment que, en concluant le PE, le Canada et NCC s’engagent à renouveler et à renforcer leurs relations de nation à nation, et que les parties souhaitent étudier de nouvelles façons de faire progresser la réconciliation en se fondant sur la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et un partenariat constructif. Le préambule précise en outre que NCC se définit comme étant un groupe inuit qui fait valoir depuis longtemps des droits ancestraux (y compris un titre ancestral et des droits issus de traités) sur la région du territoire traditionnel revendiqué du NunatuKavut, que le Canada a reconnu que NCC était un groupe autochtone habilité à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 aux fins d’entamer des discussions sur la reconnaissance des droits et l’autodétermination, que les parties souhaitent collaborer en vue d’avoir une compréhension commune de la portée et de la nature des droits des membres de NCC garantis par la loi, et que le ministre représente le Canada dans ces discussions sur la RDAA et qu’il invitera d’autres ministères et organismes fédéraux à participer à ce processus, au besoin.

[17] Le PE reconnaît la mise en place d’une table de discussion sur la RDAA et définit ainsi les objectifs de cette dernière : a) déterminer la nature des droits que NCC pourrait détenir, déterminer les bénéficiaires de ces droits et tenir compte de ces renseignements aux fins de toute proposition de mandat conjoint; b) élaborer un ou plusieurs mandats de négociation conjoints acceptables pour les deux parties [les mandats conjoints] qui seront soumis au processus d’approbation interne respectif de ces dernières et serviront de fondement à leurs négociations visant à faire progresser la réconciliation (PE, à l’art 2).

[18] Le PE précise que le ou les mandats conjoints approuvés par les deux parties définiront les priorités de NCC, qui pourraient notamment comprendre [traduction] « [l]a compétence à l’égard des terres, des eaux et des glaces ainsi que l’exercice des droits connexes, le cas échéant » (PE, à l’al 3a)). Tout mandat conjoint approuvé par les deux parties définira également le processus de négociation (PE, à l’art 4).

[19] Le PE traite de son statut juridique et précise que, à l’exception des articles 13, 14, 15, 17, 18, 19, 22 et 25, le document n’est pas juridiquement contraignant et [traduction] « constitue uniquement l’expression de la bonne volonté et d’un engagement politique; il ne crée, ne modifie, ne reconnaît, ni ne nie aucune obligation ni aucun droit légal ou constitutionnel à l’égard de l’une ou l’autre des parties » (PE, aux art 13 et 25).

[20] Le PE précise que les parties reconnaissent que le Canada pourrait être tenu de consulter un groupe autochtone autre que NCC qui a ou peut avoir des droits protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui pourrait subir des préjudices par suite d’un produit de la table de discussion sur la RDAA. Il est possible que le Canada communique ce produit (sous forme d’ébauche ou en sa version définitive) en tout ou en partie à un autre groupe autochtone pour respecter son obligation de consultation (PE, à l’al 19a)). Dans le même ordre d’idées, les parties reconnaissent que le Canada pourrait être tenu de consulter NCC au sujet d’un produit (sous forme d’ébauche ou en sa version définitive) qui est le fruit de négociations entre le Canada et un autre groupe autochtone et qui est susceptible de porter atteinte aux droits de NCC garantis par l’article 35, qu’ils soient revendiqués ou établis (PE, à l’art 20). Les parties reconnaissent également qu’en cas de chevauchement entre les droits revendiqués par NCC et les droits revendiqués ou établis d’un autre groupe autochtone, ce chevauchement devrait faire l’objet de discussions entre NCC et le groupe autochtone concerné (PE, à l’al 21a)).

Les questions en litige

[21] Selon la demanderesse, les questions en litige dans la présente affaire sont celles de savoir si la décision du ministre de conclure le PE était fondée et raisonnable et si le ministre s’est acquitté de son obligation constitutionnelle de consulter la demanderesse avant de conclure le PE.

[22] Après avoir examiné les observations des parties, je formule en ces termes les questions à trancher :

  1. La conduite que la demanderesse reproche à la Couronne, c’est-à-dire la décision de conclure le PE, est-elle justiciable?

  2. La demanderesse a-t-elle la qualité requise pour présenter la demande de contrôle judiciaire?

  3. Le ministre avait-il l’obligation de consulter la demanderesse avant de conclure le PE?

  4. La décision du ministre de conclure le PE était-elle fondée ou raisonnable?

Observations préliminaires

[23] Le fait de préciser d’entrée de jeu ce qui fait et ne fait pas l’objet du présent contrôle judiciaire pourrait apporter un peu de contexte et clarifier les motifs qui suivent. Le présent contrôle judiciaire porte uniquement sur la décision du ministre de conclure le PE. Les questions de savoir si NCC fait ou ne fait pas partie des qui concerne les « peuples autochtones du Canada » au sens du paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 et, le cas échéant, de savoir quels sont les droits ancestraux que NCC peut ou ne peut pas détenir, ainsi que l’importance relative de tout droit revendiqué par la demanderesse ou NCC en ces revendications qui se chevauchent, outrepassent largement la portée du présent contrôle judiciaire.

[24] À cet égard, je reconnais que la demanderesse a déployé d’importants efforts pour faire valoir son point de vue selon lequel NCC n’a pas réussi à établir qu’elle fait partie des peuples autochtones du Canada au sens de la Politique sur les revendications territoriales globales.

[25] De son côté, NCC a déployé beaucoup d’énergie pour démontrer que ses efforts visant à se faire reconnaître parmi les peuples autochtones du Canada, afin de se prévaloir des droits qui y sont associés, se poursuivent et que plusieurs tribunaux ont jugé que sa revendication est crédible.

[26] Il n’est pas contesté que NCC a déjà présenté des revendications en vertu de la Politique sur les revendications territoriales globales du Canada, qui ont été rejetées.

[27] À cet égard, le contexte entourant les revendications de NCC est décrit dans l’affidavit de M. Casiel Rosenberg, gestionnaire des négociations fédérales, Direction des négociations des Territoires du Nord‐Ouest, Traités et gouvernements autochtones, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada [l’affidavit de M. Rosenberg], produit par le Canada en réponse à la présente demande de contrôle judiciaire. L’affidavit de M. Rosenberg contient des renseignements contextuels concernant la Politique sur les revendications territoriales globales du Canada et le Cadre sur la reconnaissance des droits autochtones et l’autodétermination (RDAA), ainsi que sur l’état des négociations du traité moderne avec Innu Nation et l’élaboration du PE.

[28] D’après l’affidavit de M. Rosenberg, NCC est une personne morale constituée en vertu des lois de la province et se définit comme étant une organisation inuite. NCC représente des collectivités du sud et du centre du Labrador, dont les membres déclarent être des Inuits du Sud. NCC, ou sa prédécesseure, a présenté le 8 novembre 1991 une revendication en vertu de la Politique sur les revendications territoriales globales du Canada. Après la présentation de la revendication initiale, NCC, ou sa prédécesseure, a présenté deux autres revendications. Le Canada a examiné la revendication en présumant qu’elle avait été présentée par un groupe inuit. À plusieurs reprises à compter de 1998, le Canada a informé NCC, ou sa prédécesseure, que le dossier de revendication ne contenait pas suffisamment d’éléments de preuve pour qu’elle puisse être admise à titre de revendication territoriale globale.

[29] Cependant, comme le soulignent NCC et le Canada, plusieurs décisions judiciaires touchant NCC ont été rendues.

[30] La décision la plus importante concernant NCC est l’arrêt Labrador Métis Nation v Newfoundland & Labrador, 2007 NLCA 75 [Labrador Métis Nation], dans lequel la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador s’est penchée sur la question de savoir si les personnes d’ascendance autochtone vivant dans le Sud du Labrador avaient une revendication de droits ancestraux communautaires suffisamment crédible pour déclencher l’obligation de la Couronne de les consulter au sujet des franchissements de terres humides et de cours d’eau visés par le tronçon de la phase 3 de la route Translabradorienne. Le juge de première instance avait conclu que ces personnes avaient effectivement une revendication crédible. La Couronne a interjeté appel en invoquant pour motifs principaux que la Nation des Métis du Labrador [la NML] n’avait pas produit une preuve suffisante attestant la continuité d’une collectivité autochtone et que ni la NML ni une personne représentant cette dernière ne devraient se voir accorder la qualité pour agir.

[31] La Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de déclarer son appartenance à une collectivité inuite ou métisse pour que soit déclenchée l’obligation de la Couronne en matière de consultation et d’accommodement. Elle a en outre jugé que la preuve présentée au juge de première instance était suffisante pour démontrer que les demandeurs avaient une revendication crédible d’appartenance à un peuple autochtone visé au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 :

[traduction]
36 Je ne souscris pas à la prétention des appelants selon laquelle tout demandeur doit déclarer qu’il appartient au peuple inuit ou métis pour que soit déclenchée l’obligation de la Couronne en matière de consultation et d’accommodement. Je suis d’accord avec les intimés lorsqu’ils disent qu’il était suffisant en l’espèce de présenter une allégation crédible selon laquelle les demandeurs appartiennent à un peuple autochtone visé au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Les intimés ont établi cette allégation au moyen des affidavits de Carter Russell, Todd Russell et Trent Parr, qui faisaient état de leur ascendance mixte inuite et européenne ainsi que de leurs origines ancestrales remontant aux Inuits qui vivaient dans le sud et le centre du Labrador avant l’arrivée des Européens. La preuve non contredite présentée au juge de première instance était suffisante pour établir une allégation crédible selon laquelle les membres des 24 collectivités de la NML savent que leur génétique, leur culture et leur utilisation des terres marquent une continuité avec leurs ancêtres inuits, qu’ils ont une conscience régionale d’une collectivité régionale et qu’ils occupent et utilisent, pour la pratique des activités traditionnelles de chasse et de cueillette, des terres et des eaux susceptibles de subir les répercussions négatives de la construction de la route Translabradorienne.

37 Il n’est pas encore établi si les collectivités actuelles de la NML représentent l’ethnogenèse d’une nouvelle culture des peuples autochtones, ayant émergé entre le moment des premiers contacts avec les Européens et la date de mainmise effective de ces derniers sur le territoire, mais il est possible qu’une telle ethnogenèse ait eu lieu. Le cas échéant, les membres des collectivités de la NML seraient, au sens de la loi, des Métis selon la Constitution.

38 Cependant, il est également possible que les collectivités de la NML soient simplement les descendantes des collectivités inuites historiques du sud et du centre du Labrador qui étaient présentes dans la région avant l’arrivée des Européens. Les collectivités de la NML pourraient aussi être la manifestation d’une culture postérieure à la mainmise des Européens sur le territoire; dans ce cas, selon l’arrêt Powley, cette culture pourrait être considérée comme découlant de coutumes et de pratiques non autochtones qui ne sont pas protégées par le par. 35(1). Le fait que les lignées des personnes autochtones puissent être d’ascendance mixte inuite et européenne n’enlève rien à l’argument selon lequel les collectivités de la NML sont susceptibles d’avoir des droits ancestraux à titre d’« inuites ». La manifestation actuelle de cette culture inuite authentique peut simplement avoir été influencée par des siècles d’interactions avec les Canadiens d’origine européenne.

39 Les collectivités de la NML n’ont pas refusé de s’identifier à une définition constitutionnelle précise; elles affirment plutôt, de manière raisonnable, qu’elles ne sont pas en mesure de le faire de manière définitive pour le moment. Ce point de vue est susceptible d’évoluer au fur et à mesure que de nouvelles données historiques, archéologiques, anthropologiques et autres seront obtenues et que la loi fournira des orientations supplémentaires sur ces questions complexes. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire en l’espèce que les intimés déclarent une appartenance définitive à un peuple autochtone particulier pour que naisse l’obligation de consultation de la Couronne. Les intimés devaient simplement établir, comme ils l’ont fait, certains faits essentiels pour démontrer l’existence d’une revendication crédible de droits ancestraux fondés sur l’ascendance inuite ou métisse. La situation pourrait être différente si le droit auquel il a été porté atteinte concernait uniquement l’une des cultures — la culture inuite ou la culture métisse. Mais ce n’est pas le cas. En l’espèce, ce sont les droits de pêche qui sont en cause, et ces droits ne dépendent pas du fait que la revendication soit celle d’une collectivité inuite ou d’une collectivité métisse. Les droits de pêche peuvent découler des deux types de revendication. Le juge de première instance n’avait pas à trancher la question de l’ethnicité.

[32] La Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador a par ailleurs conclu que la preuve présentée au juge de première instance était insuffisante pour établir l’ethnogenèse ou la date précise de la mainmise effective des Européens, mais que les autres conclusions du juge étaient suffisantes pour satisfaire au critère énoncé dans l’arrêt R c Van der Peet, [1996] 2 RCS 507, et démontrer l’existence d’une revendication crédible fondée sur l’ascendance inuite. Elle a également conclu que l’analyse de la Couronne aurait dû aboutir au même résultat, à savoir que la NML faisait valoir une revendication crédible qui déclenchait l’obligation de consultation (aux para 43‐45).

[33] En ce qui concerne la portée de l’obligation de consulter, l’« évaluation préliminaire, fondée sur la preuve », de la solidité des revendications » des intimés, comme il en a été question dans l’arrêt Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 [Haida] aux para 37 et 39, étayait le point de vue selon lequel la revendication de la NML était plus que « douteuse »,« marginale » ou « ténue », qui ne requerrait qu’une simple obligation d’informer. En fait, la NML avait [traduction] « démontré un lien à première vue avec la culture des Inuits avant l’arrivée des Européens ainsi qu’un lien constant avec le mode de vie inuit traditionnel. Elle avait présenté une preuve suffisante pour établir que les droits autochtones protégés, le cas échéant, comprendraient la chasse et la pêche à des fins de subsistance » (au para 51).

[34] Dans ses motifs, la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador a notamment conclu qu’il n’était pas nécessaire que les membres de la NML s’identifient, sur le plan ethnique, de façon définitive comme étant des Inuits ou des métis pour que naissent les obligations de la Couronne en matière de consultation et d’accommodement. Elle a en outre jugé que le juge de première instance avait commis une erreur lorsqu’il a dit que les intimés étaient d’origine métisse même si les parties avaient présenté leurs observations fondées sur les droits des Inuits, mais que cette erreur n’avait pas pour effet d’invalider sa conclusion fondamentale. Selon la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador, le juge de première instance n’avait commis aucune erreur lorsqu’il avait conclu que les intimés faisaient valoir une revendication crédible, mais non prouvée, qui faisait naître l’obligation de consultation de la Couronne. Elle a jugé que la revendication de la NML était assez solide pour déclencher l’obligation de consulter au niveau inférieur du continuum.

[35] NCC et le Canada ont invoqué d’autres décisions, notamment Nunatukavut Community Council Inc c Canada (Procureur général), 2015 CF 981. Dans cette affaire, NCC contestait une décision du ministre des Pêches et des Océans de délivrer une autorisation qui permettait de perturber le poisson et son habitat par suite de la construction de la centrale hydroélectrique de Muskrat Falls proposée. Dans les motifs de cette décision, j’avais relevé que NCC se décrivait comme l’organisation autonome qui représentait les intérêts des descendants des Inuits (parfois appelés les Inuits-Métis) du centre et du sud du Labrador, que NCC avait été constituée en 2010, que l’organisme qui avait précédé NCC, la LMA (plus tard appelée la NML) avait présenté au Canada un document de revendication territoriale en 1991, et qu’elle avait déposé un travail de recherche additionnel en 1996 et l’avait fait de nouveau en 2010 sous la forme d’un document intitulé Unveiling NunatuKavut, Describing the Lands and People of South/Central Labrador, document in Pursuit of Reclaiming a Homeland, NunatuKavut, 2010 [le rapport Unveiling NunatuKavut]. Dans cette affaire que j’avais instruite, personne ne contestait que la Couronne avait l’obligation de consulter NCC relativement au projet. La question qui se posait concernait plutôt l’étendue de l’obligation et, par conséquent, l’ampleur des consultations requises. J’avais relevé que, de façon générale, l’étendue de l’obligation dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur ce droit ou ce titre (Nation haïda, au para 39). Au moment où j’ai rendu cette décision, la revendication de NCC, même si elle avait été initialement rejetée par le Canada, était en réévaluation. NCC n’avait alors présenté aucune observation de fond à l’appui de la solidité de sa revendication dans le contexte d’une analyse relative au continuum des obligations. Par ailleurs, même si le rapport Unveiling NunatuKavut se trouvait dans le dossier, il n’avait pas été demandé à la Cour de l’évaluer de façon à déterminer la solidité de la revendication de NCC, et elle n’aurait pas été en mesure de le faire. Selon moi, le mieux que la Cour pouvait faire dans ces circonstances était de faire sienne la conclusion que la Cour d’appel de Terre‐Neuve-et-Labrador avait tirée dans l’arrêt Labrador Métis Nation, à savoir que la revendication était au moins suffisamment solide pour déclencher une obligation de consultation au niveau inférieur du continuum.

[36] Le Canada et NCC renvoient à des affaires dans lesquelles l’une des parties demandait une injonction, dont Nalcor Energy v NunatuKavut Community Council Inc, 2014 NLCA 46, et Nunatukavut Community Council Inc v Newfoundland & Labrador Hydro-Electric Corp, 2011 NLTD 44.

[37] En résumé, l’arrêt Labrador Métis Nation rendu en 2007 par la Cour d’appel de Terre‐Neuve‐et‐Labrador est, parmi les décisions invoquées par le Canada et NCC, la seule décision qui porte effectivement (en ce qui concerne les demandes) sur le fond des droits revendiqués par NCC. J’ai mentionné plus haut certains détails de cet arrêt pour présenter ce qui y a été décidé, à savoir que la NML (aujourd’hui NCC) faisait valoir une revendication crédible, mais non prouvée, qui était au moins suffisamment solide pour déclencher une obligation de consultation au niveau inférieur du continuum. La jurisprudence subséquente l’a également reconnu. Cependant, la revendication de NCC selon laquelle elle est un peuple autochtone du Canada qui a des droits en vertu de l’article 35 n’a fait l’objet d’aucun autre litige. Tous les efforts en vue du règlement de la revendication se sont déroulés selon le processus de négociation.

Questions préliminaires relatives à la preuve

[38] Il ressort clairement de la jurisprudence que le dossier de preuve qui est soumis à la cour de révision saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite, en règle générale, au dossier de preuve dont disposait le décideur. Les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur et qui ont trait au fond de l’affaire ne sont pas admissibles, sous réserve de certaines exceptions (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright] au para 19). Les exceptions concernent les affidavits qui contiennent des informations générales susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale, ou font ressortir le fait que le décideur ne disposait d’aucun élément de preuve lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (Access Copyright, aux para 19‐20; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 [Bernard] au para 30).

i. La contestation de NCC à l’égard de la preuve

[39] NCC fait valoir que la pièce G jointe à l’affidavit du grand chef Etienne Rich, membre de la Première Nation innue de Sheshatshiu et grand chef d’Innu Nation Inc. [l’affidavit du grand chef Rich], souscrit le 3 novembre 2022 et produit par la demanderesse à l’appui de la demande de contrôle judiciaire, est inadmissible ou qu’aucun poids ne devrait lui être accordée.

[40] La pièce G est un document obtenu par la demanderesse par suite d’une demande fondée sur la Loi sur l’accès à l’information présentée en 2003. Il s’agit de l’examen de la présentation de la NML au titre de la Politique sur les revendications territoriales globales. Ce document partiellement caviardé présente l’examen de plusieurs articles scientifiques. Il ne porte aucune date et aucune signature. La demanderesse et, dans son affidavit, le grand chef Rich invoquent ce document pour appuyer leur point de vue selon lequel NCC n’est pas un groupe autochtone habilité à détenir des droits garantis par l’article 35.

[41] Le document ne figure pas dans le dossier certifié du tribunal [le DCT] et n’est donc pas admissible dans le cadre d’un contrôle judiciaire, à moins qu’il ne tombe sous le coup de l’une des exceptions décrites ci‐dessus. La demanderesse n’a formulé aucune observation écrite à ce sujet. Lorsqu’elle a comparu devant moi, elle a affirmé que le document étayait son allégation selon laquelle la décision du ministre de conclure le PE n’était pas justifiée, étant donné que le document ne figurait pas dans le DCT et n’avait pas été pris en compte par le ministre. Même si j’étais d’avis qu’il fournit des informations générales ou des éléments factuels ou contextuels qui n’apparaissent pas explicitement ailleurs dans le DCT, mais qui étaient manifestement connus du ministre (Leahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227 au para 145), le document est sans conséquence. Personne ne conteste que NCC avait déjà présenté des revendications en vertu de la Politique sur les revendications territoriales globales qui n’ont pas été retenues au motif qu’il manquait des renseignements. Par conséquent, j’accorde peu de poids à la pièce G.

ii. La contestation du Canada à l’égard de la preuve

[42] Le Canada fait valoir que les pièces G, O, P, R, S, V et T jointes à l’affidavit du grand chef Rich sont inadmissibles.

[43] J’ai déjà tranché la question de l’admissibilité de la pièce G ci-dessus.

[44] Les pièces O et P ne correspondent pas à leur description respective faite dans l’affidavit du grand chef Rich. L’affidavit du grand chef Rich et le procureur général mentionnent tous deux que les pièces O et P sont des lettres adressées à la province par les avocats de la demanderesse au sujet d’un processus de consultation provincial. Cependant, la pièce O est une lettre que les avocats de NCC ont transmise à la province, lorsque cette dernière les a invités à signaler toute préoccupation concernant une demande de permis de coupe commerciale. La pièce P est une copie du PE, visé par la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire. Dans la mesure où la demanderesse conteste le rôle joué par NCC dans la demande de permis provincial de coupe commerciale (selon l’affidavit du grand chef Rich, il s’agit d’une atteinte à l’entente sur les avantages conclue par la demanderesse et le promoteur du projet), cette question n’a rien à voir avec l’affaire dont je suis saisie, et la pièce O ne se trouve pas non plus dans le DCT. Par conséquent, la pièce O n’est pas admissible.

[45] Les pièces R, S et V sont des copies d’articles de presse concernant la signature du PE, qui ont été publiés après la date de signature du PE. En règle générale, les articles de journaux ne sont pas admissibles, parce qu’ils constituent du ouï-dire et ne présentent pas la fiabilité nécessaire pour être admis en preuve devant une cour de justice (Democracy Watch v Canada (Attorney General), 2024 FCA 75 au para 7).

[46] S’agissant des pièces R et S, le grand chef Rich y renvoie pour étayer sa compréhension de la portée éventuelle des négociations entre NCC et le Canada, y compris la création d’un processus officiel auquel participerait le Canada en vue de s’entendre sur les droits de NCC. Cependant, en l’espèce, le PE est la décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire. Ainsi, ce sont les dispositions du PE, et non un article de journal mentionnant le PE, qui sont susceptibles de circonscrire la portée des négociations.

[47] La pièce V indique que Mme Yvonne Jones, députée, avait été désignée comme défenderesse dans la demande de contrôle judiciaire et qu’elle avait exprimé des réserves concernant la thèse d’Innu Nation. Il ne ressort pas clairement de l’affidavit du grand chef Rich ce que les articles de presse démontrent. Dans son affidavit, le grand chef Rich mentionne une conversation, à laquelle il n’avait pas participé, entre son prédécesseur et Mme Jones; il déclare croire que Mme Jones avait affirmé qu’il n’avait pas été question de revendications territoriales lors de cette conversation avec NCC. Le grand chef Rich affirme que ce n’est pas exact, puisque le PE a été signé un mois plus tard, et que Mme Jones a profité de son poste de députée pour critiquer les dirigeants d’Innu Nation.

[48] Il est possible que la production de la pièce V visait à appuyer l’allégation qui figure dans l’avis de demande modifié, selon laquelle le PE est [traduction] « fondé sur les intérêts politiques de Mme Jones et du ministre », ces intérêts politiques étant des facteurs inappropriés qui invalideraient la décision de conclure le PE. Toutefois, la demanderesse n’a pas approfondi dans ses observations écrites ou orales l’allégation selon laquelle la décision a été prise dans un but irrégulier. L’article n’est donc pas pertinent.

[49] Je suis d’accord avec le procureur général pour dire que ces articles de presse constituent du ouï-dire inadmissible et sont des éléments extrinsèques au dossier qui ne relèvent d’aucune des exceptions à la règle de l’inadmissibilité dans le cadre des contrôles judiciaires. Ils ne sont pas admissibles.

[50] La pièce T est une liasse de documents partiellement caviardés apparemment obtenus en réponse à une autre demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Il s’agit surtout de communications par courriel visant à fixer les dates et concernant l’ordre du jour de réunions ou de comptes rendus de réunion entièrement caviardés. Le grand chef Rich déclare que la demanderesse est choquée et frustrée par le fait que le Canada semble traiter la revendication de NCC avec un empressement qu’il ne témoigne pas à l’égard de la revendication d’Innu Nation. Le grand chef Rich affirme que, selon ses avocats, ces documents [traduction] « laissent entendre » que les négociations entre le NCC et le Canada se sont poursuivies même après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire. Toutefois, la demanderesse n’a pas cherché à obtenir une injonction pour suspendre les activités de la table de discussion sur la RDAA ou d’autres interactions entre le Canada et NCC en attendant l’issue du présent contrôle judiciaire. Par conséquent, les documents ne sont pas pertinents à cet égard, puisque NCC et le Canada étaient libres de poursuivre les discussions sur la RDAA. Sauf pour ce qui est de la question de l’obligation de consultation, je suis d’accord avec le procureur général pour dire que la pièce T est dépourvue de pertinence au regard des questions en litige et qu’elle est extrinsèque au dossier en plus de ne relever d’aucune des exceptions. En ce qui concerne l’obligation de consultation, la liasse de documents est toutefois admissible, puisque ces documents pourraient faire état d’événements déclenchant cette obligation. Cependant, étant donné que les documents ne révèlent aucune évolution dans le processus de la table de discussion sur la RDAA, je leur accorde peu de poids.

iii. La contestation de la demanderesse à l’égard de la preuve

[51] La demanderesse conteste les paragraphes 4 à 7, 21, 22, 26 et 30 de l’affidavit de Todd Russell, président de NCC, souscrit le 25 mai 2023 [l’affidavit M. Russell] et déposé en réponse à la présente demande de contrôle judiciaire. Elle conteste ces paragraphes en faisant valoir que leur contenu ne se limite pas aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle et qu’ils s’apparentent à une tentative d’étoffer le DCT.

[52] Les paragraphes 4 à 7 de l’affidavit M. Russell décrivent les Inuits du NunatuKavut et expliquent qu’ils sont des descendants de la collectivité inuite qui occupait le territoire avant le premier contact avec les Européens, en détaillant l’emplacement de leur territoire ainsi que les activités auxquelles ils se livraient et continuent d’exercer sur ce territoire. Aux paragraphes 21, 22 et 26, M. Russell explique que la LMA utilisait auparavant le terme « Métis » et affirme que NCC a toujours été une organisation inuite présentant une ligne de continuité ininterrompue en ce qui concerne la vie sur les terres, le patrimoine et la culture des Inuits du NunatuKavut. Le paragraphe 30 précise que, au moment de la revendication territoriale initiale il y a 32 ans, la preuve nécessaire pour appuyer la revendication de NCC n’existait pas.

[53] Il est vrai que le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] exige que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Il est par ailleurs évident que M. Russel ne peut avoir une connaissance personnelle de l’histoire ancestrale de NCC. M. Russel ne prétend pas fournir un témoignage d’opinion à titre d’expert. En outre, je ne suis pas non plus convaincue, comme NCC le fait valoir, que les Lignes directrices sur la pratique en matière de procédures intéressant le droit des Autochtones de la Cour fédérale (septembre 2021, 4e édition) ont été appliquées adéquatement en l’espèce. Le témoignage n’est pas le récit oral d’un aîné (aucun élément de preuve n’indique que M. Russel est un aîné ou l’équivalent d’un aîné) et ne constitue pas l’histoire orale de NCC.

[54] Cependant, aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, l’élément pertinent en l’espèce, que personne ne conteste, est que NCC avait déjà présenté des revendications en vertu de la Politique sur les revendications territoriales globales qui n’ont pas été retenues au motif qu’il manquait des renseignements. Par conséquent, j’admets ces paragraphes à titre d’informations générales présentant uniquement le point de vue de NCC quant à sa revendication selon laquelle elle fait partie des peuples autochtones du Canada titulaires de droits connexes, et je ne leur accorde que peu de poids.

La question de la justiciabilité

La thèse de la demanderesse

[55] La demanderesse soutient que la conduite de la Couronne en l’espèce est justiciable, parce qu’elle a une incidence sur les droits légaux de NCC, porte atteinte aux droits d’Innu Nation et entraîne des effets préjudiciables pour cette dernière. Selon la demanderesse, le PE a une incidence sur les droits de NCC, car il reconnaît que NCC, en tant que groupe autochtone, est habilitée à détenir des droits garantis par l’article 35. Or, même si le Canada réaffirme que NCC ne peut faire valoir des droits ou un titre en vertu de l’article 35, le fait de lui donner « voix au chapitre » lors des discussions touchant les droits garantis par l’article 35 qu’elle pourrait avoir est un « avantage juridique » auquel NCC, simple groupe autochtone, n’a pas droit en vertu de la Constitution. Le Canada a déjà déclaré que NCC n’était pas habilitée à détenir des droits garantis par l’article 35.

[56] La demanderesse fait valoir que le PE porte atteinte à ses droits, puisqu’une décision stratégique prise en haut lieu pourrait avoir des répercussions sur ses revendications et ses droits, déclenchant ainsi l’obligation de consultation. En vertu de l’obligation de consultation, la Couronne est tenue de consulter les groupes autochtones si elle signe une entente de négociation préliminaire avec un autre groupe autochtone et qu’il y a chevauchement des droits ou des titres, même si cette entente, comme le PE, n’est pas juridiquement contraignante et que ses répercussions pourraient ne pas être immédiates (citant la décision Première Nation des Dénés de Sambaa K’e c Duncan, 2012 CF 204 aux para 164-170 et 174 [Sambaa]).

[57] Selon la demanderesse, toute discussion sur la compétence de NCC à l’égard des terres, des eaux et des glaces ainsi que sur l’exercice des droits connexes — discussion à laquelle le Canada et NCC se sont engagés aux termes du PE —, touchera immanquablement à la région visée par les revendications territoriales des Innus. La reconnaissance des droits de NCC se traduira par une concurrence accrue pour les avantages économiques découlant du développement dans ce territoire. Ainsi, le PE porte atteinte aux droits garantis par l’article 35 des Innus et la décision de conclure le PE est, par conséquent, justiciable.

La thèse de l’intervenant

[58] Le gouvernement nunatsiavut n’a pas présenté d’observations portant sur la question de la justiciabilité.

La thèse de NCC

[59] NCC fait valoir que la conduite en cause de la Couronne n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits légaux, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables (citant l’arrêt Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2021 CAF 133 au para 23 [Démocratie en surveillance]). La décision du ministre de conclure le PE est un engagement politique, qui n’a pas d’incidence sur les droits des parties, et le PE n’a pas pour effet de créer ou de reconnaître des droits ou des obligations. Le PE ne reconnaît pas non plus NCC à titre de peuple autochtone au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, toute incidence sur les droits de NCC, du Canada ou de la demanderesse est totalement hypothétique et ne découle pas du PE.

[60] NCC soutient que la demanderesse attaque en réalité la décision du Canada d’entamer des discussions avec NCC, mais cette décision est antérieure au PE et n’a aucune incidence sur les droits de la demanderesse. NCC a été invitée à se joindre à la table de discussion sur la RDAA en juillet 2018. Selon NCC, la demanderesse tente d’utiliser le PE pour porter devant la Cour la décision antérieure du Canada d’entamer des discussions avec NCC, ce qui ne devrait pas être autorisé (citant l’arrêt Air Canada c Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347 aux para 29, 35, 42‐43 [Air Canada]).

La thèse du Canada

[61] En ce qui concerne la justiciabilité, le procureur général affirme que la décision de conclure le PE n’est pas de nature juridictionnelle et n’est donc pas susceptible de contrôle judiciaire. Le PE ne crée, ne reconnaît, ni ne nie aucune obligation ou aucun droit légal ou constitutionnel à l’égard de l’une ou l’autre des parties. Il ne reconnaît pas que NCC fait partie des « peuples autochtones du Canada » au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le PE constitue plutôt une décision politique d’amorcer des discussions avec NCC sous toutes réserves. Il se veut l’expression de la bonne volonté des parties et de leur engagement politique à tenir des discussions. C’est cette distinction – la question de savoir si la décision est de nature politique ou juridictionnelle – qui permet de décider si une question est justiciable ou non. Le procureur général redoute que la demanderesse amalgame les rôles distincts que jouent la négociation et les litiges pour faire progresser la réconciliation. Les résultats des ententes négociées n’ont pas besoin de faire l’objet d’un règlement, comme ce serait le cas dans le cadre de procédures judiciaires. Conclure que le PE est susceptible de contrôle judiciaire pour des motifs de fond compromettrait l’objectif de réconciliation de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et aurait pour effet d’entraver les négociations entre la Couronne et les peuples autochtones.

Analyse

[62] Une affaire est justiciable, c’est-à-dire susceptible de contrôle judiciaire en l’espèce, si elle porte atteinte à des droits légaux, impose des obligations juridiques ou entraîne des effets préjudiciables. Ainsi, dans la présente analyse, il faut déterminer si la décision de conclure le PE a pour effet de porter atteinte à des droits légaux, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables (Démocratie en surveillance, aux para 23, 29, 40, 44; Air Canada, aux para 26‐30, 32).

a) Le libellé du PE

[63] Il importe de souligner que l’ensemble des arguments de la demanderesse concerne la cinquième des dix dispositions liminaires du préambule du PE, soit :

[traduction]
ET ATTENDU QUE le Canada a reconnu que NCC est un groupe autochtone habilité à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 aux fins d’entamer des discussions sur la reconnaissance des droits et l’autodétermination;

La demanderesse soutient que le PE porte atteinte à ses droits légaux dans cette disposition du préambule où il est « statué » que NCC, à titre de groupe autochtone, est habilitée à détenir des droits garantis par l’article 35.

[64] Cependant, le préambule du PE indique que le Canada a reconnu que NCC est un groupe autochtone [traduction] « habilité à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 aux fins d’entamer des discussions sur la reconnaissance des droits et l’autodétermination » (non souligné dans l’original). En outre, on ne saurait examiner cette disposition liminaire du préambule de manière isolée, notamment parce que les dispositions immédiatement avant et après en étoffent le contexte :

[traduction]
ET ATTENDU QUE NCC se définit comme étant un groupe inuit qui fait valoir depuis longtemps des droits ancestraux (y compris un titre ancestral et des droits issus de traités) sur la région du territoire traditionnel revendiqué du NunatuKavut;

ET ATTENDU QUE le Canada a reconnu que NCC est un groupe autochtone habilité à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 aux fins d’entamer des discussions sur la reconnaissance des droits et l’autodétermination;

ET ATTENDU QUE les parties souhaitent collaborer en vue d’avoir une compréhension commune de la portée et de la nature des droits garantis par la loi des membres de NCC;

[65] Plus important encore, il est expressément énoncé dans le corps du PE que le document n’est pas juridiquement contraignant et [traduction] « constitue uniquement l’expression de la bonne volonté et d’un engagement politique; il ne crée, ne modifie, ne reconnaît, ni ne nie aucune obligation ni aucun droit légal ou constitutionnel à l’égard de l’une ou l’autre des parties » (PE, à l’art 13; non souligné dans l’original). À mon avis, aucune disposition du PE ne reconnaît que NCC fait partie des « peuples autochtones du Canada » ni que NCC détient des droits garantis par l’article 35.

[66] Les objectifs déclarés de la table de discussion appuient par ailleurs ce point de vue :

[traduction]
La table de discussion et ses objectifs

1. Les parties ont créé une table de discussion sur la reconnaissance des droits autochtones et l’autodétermination (RDAA).

2. Les objectifs de la table de discussion sur la RDAA sont les suivants :

a) déterminer la nature des droits que NCC pourrait détenir et les bénéficiaires de ces droits, puis tenir compte de ces renseignements aux fins de toute proposition de mandat conjoint;

b) élaborer un ou plusieurs mandats de négociation conjoints acceptables pour les deux parties (les mandats conjoints) qui seront soumis au processus d’approbation interne respectif de ces dernières et serviront de fondement à leurs négociations visant à faire progresser la réconciliation.

[67] Les objectifs de la table de discussion consistent ainsi à déterminer la nature des droits que NCC « pourrait détenir » et les bénéficiaires de ces droits, puis tenir compte de ces renseignements aux fins de toute proposition de mandat conjoint. Tout mandat conjoint servira de fondement aux négociations entre les parties visant à faire progresser la réconciliation.

[68] Bien que la demanderesse insiste pour dire que l’alinéa 3b) du PE démontre qu’il a été statué sur les droits de NCC et que cette décision portera atteinte à ses propres droits, cet alinéa indique plutôt que les mandats conjoints approuvés définiront les priorités de NCC, qui pourraient comprendre les éléments énumérés, sans s’y limiter, notamment [traduction] « la compétence à l’égard des terres, des eaux et des glaces ainsi que l’exercice des droits connexes, le cas échéant » (non souligné dans l’original). Le PE lui-même n’établit pas ces droits.

b) L’objet du protocole d’entente

[69] Le Canada a déposé l’affidavit de M. Rosenberg en réponse à la demande de contrôle judiciaire. Cet affidavit explique que la Politique sur les revendications territoriales globales et la Politique sur le droit inhérent du Canada représentaient autrefois les processus de négociation principaux pour traiter des revendications non réglées sur les droits et les titres ancestraux et pour établir des ententes sur l’autonomie gouvernementale hors du régime de la Loi sur les Indiens. Le processus de négociation de traités modernes ou d’ententes sur les revendications territoriales globales doit comprendre une présentation des revendications identifiant le groupe autochtone et contenant une déclaration relative au territoire traditionnel, à l’utilisation et à l’occupation des terres. On reprochait toutefois à ces deux politiques leur rigidité, leur inclination disproportionnée à l’égard des intérêts fédéraux et le fait qu’elles ne permettaient pas de reconnaître et de tenir compte de la situation particulière des groupes autochtones.

[70] C’est dans cette perspective que, en plus de négocier des traités modernes et des ententes sur les revendications territoriales globales, le Canada collabore avec les groupes autochtones pour trouver des moyens nouveaux et plus souples de travailler ensemble à la progression de la reconnaissance des droits autochtones et de l’autodétermination, y compris au cadre de la RDAA. Selon l’affidavit de M. Rosenberg, les discussions sur la RDAA sont axées sur les droits, les besoins et les intérêts uniques des Premières Nations, des Inuits et des Métis et prennent en compte les intérêts de ces peuples dans des domaines où les politiques fédérales existantes ne permettent pas de le faire. Ainsi, dans certains cas, il est possible qu’une table de discussion sur la RDAA soit lancée sans que le Canada ait officiellement reconnu le groupe comme faisant partie des « peuples autochtones du Canada » au sens du paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 ou les « droits ancestraux » visés au paragraphe 35(1) de cette loi.

[71] Une fois la table de discussion sur la RDAA établie, les parties entament des discussions préliminaires qui peuvent déboucher sur une entente préliminaire. Dans le cadre de la RDAA, les ententes préliminaires sont des documents de procédure, qui définissent le programme des parties pour les discussions à venir. Ces documents peuvent prendre la forme d’un protocole d’entente ou d’une entente-cadre. Lorsque des questions de fond y sont mentionnées, elles représentent la compréhension commune des parties en ce qui concerne les priorités dont il faudra traiter. Ces documents ne prévoient pas d’engagements importants autres que celui de tenir des discussions sur les priorités énumérées.

[72] Dans son affidavit, M. Rosenberg déclare que, à l’exception des dispositions liées à la nature confidentielle des discussions et au fait que celles‐ci sont menées « sous toutes réserves », les documents de procédure sont des ententes non juridiquement contraignantes qui définissent la portée des discussions et les sujets qui seront traités ainsi que les paramètres et les limites de ces sujets. Ils établissent en outre le calendrier des discussions et l’ordre dans lesquels les éléments seront discutés, et témoignent de la bonne volonté et collaboration des parties.

[73] En ce qui concerne NCC, M. Rosenberg précise dans son affidavit que le ministre a mis en place la table de discussion sur la RDAA avec NCC en juillet 2018. Le 5 septembre 2019, le ministre a conclu le PE. Quant à la disposition du préambule du PE qui dispose que « le Canada a reconnu que NCC est un groupe autochtone habilité à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 aux fins d’entamer des discussions sur la reconnaissance des droits et l’autodétermination », son libellé a évolué au fil des discussions sur la RDAA et reflète les intérêts du Canada et de NCC. Lorsqu’il a conclu le PE, le ministère des Relations Couronne‐Autochtones et des Affaires du Nord [le ministère des RCAAN] n’avait pas l’intention de reconnaître NCC comme faisant partie des « peuples autochtones du Canada » au sens du paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. L’intention était plutôt de tenir des discussions supplémentaires avec NCC en vue de préciser des questions en suspens concernant les bénéficiaires d’éventuels droits de NCC et le statut de ces derniers sous le régime de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’expression [traduction] « habilité à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 » a été reprise pour témoigner d’une certaine incertitude à cet égard. Du point de vue du ministère des RCAAN, le libellé du PE signifiait qu’il est possible, sans que ce soit nécessairement le cas, que NCC fasse partie des « peuples autochtones du Canada » habilités à détenir des droits garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Après la signature du PE, le ministère des RCAAN a commencé à travailler avec NCC pour déterminer la nature des droits que cette dernière pourrait détenir et les bénéficiaires de ces droits. Les résultats de ces travaux auront une incidence sur le contenu de tout mandat de négociation éventuel.

[74] Lorsqu’il a été contre-interrogé au sujet de son affidavit, M. Rosenberg a confirmé à plusieurs reprises que le PE ne reconnaît pas que NCC est un peuple autochtone au sens du paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. Il a ajouté que le Canada avait reconnu NCC à titre de groupe autochtone en 2018 et que cette décision avait été approuvée par le Cabinet. Ainsi, le PE fait écho à cette reconnaissance du statut de NCC par l’État canadien à ce moment‐là.

[75] Il y a lieu de souligner également que M. Rosenberg a déclaré lors de son témoignage que le Cabinet avait pris la décision de reconnaître NCC à titre de groupe autochtone en 2018, avant la signature du PE. Rien dans la preuve dont je dispose n’indique la nature de cette décision, et cette décision ne fait pas l’objet du présent contrôle judiciaire. Ce qui importe, c’est que cette désignation comme groupe autochtone est antérieure au PE et n’est pas le résultat de ce document. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai déjà dit, le PE indique que le Canada a reconnu que NCC est un groupe autochtone [traduction] « habilité » à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 [traduction] « aux fins d’entamer des discussions sur la reconnaissance des droits et l’autodétermination ».

[76] Je relève que le DCT contient une version caviardée d’une Note de service à l’intention du ministre des Relations Couronne‐Autochtones concernant le PE proposé. Cette note de service mentionne que certains ministères et organismes centraux ont fait part de préoccupations concernant la signature proposée du PE. Plus précisément, ils ont indiqué que le PE ne devrait pas être signé avant que la nature des droits de NCC ne soit confirmée et que et les titulaires de ceux‐ci ne soient définis, et que ce travail devrait être accompli avant l’élaboration conjointe d’un mandat de négociation lors des discussions. Voici les préoccupations signalées :

[traduction]
Les autres ministères ont signalé diverses préoccupations : 1) le risque de créer un précédent relativement à d’autres groupes dont on pourrait douter du statut de titulaire de droits garantis par l’article 35 si le ministère des RCAANC [le ministère des RCAAN] élabore un mandat de négociation conjointement avec le NunatuKavut Community Council; 2) le risque que l’élaboration d’un mandat de négociation conjoint avec le NunatuKavut Community Council avant qu’une décision ne soit prise sur la nature de ses droits crée chez ce groupe des attentes qui pourraient demeurer insatisfaites; 3) la possibilité qu’il y ait chevauchement avec les intérêts des autres groupes de la même région; 4) le fait que le protocole d’entente devra être modifié pour être axé sur les intérêts et les besoins de NunatuKavut, étant donné que les droits de ce groupe ne sont pas clairs pour l’instant.

[77] En fin de compte, le ministre s’est vu proposer trois options. L’option 1, soit celle qui était recommandée et a été retenue, consistait en une « approche par étapes », la première étape étant la signature du PE par le ministre. Le ministère des RCAAN devait ensuite informer le Comité directeur fédéral et NCC qu’il poursuivrait ses travaux pour confirmer la nature des droits de NCC et définir les titulaires de droits avant d’envisager un mandat de négociation. Le ministère des RCAAN présenterait plus tard ses conclusions aux autres ministères et aux agences centrales. Si les conclusions démontraient l’existence de droits, le ministère des RCAAN amorcerait par la suite des discussions avec NCC en vue d’élaborer un mandat de négociation conjoint.

[78] À mon avis, la note de service démontre que le PE n’avait pas pour objet de décider ou de confirmer que NCC détient des droits garantis par l’article 35. Il fallait confirmer la nature des droits, s’ils existent, et définir les titulaires de droits avant d’entreprendre l’étape suivante, qui concerne le mandat de négociation.

[79] Les documents déposés par la demanderesse témoignent également de la position du Canada quant au statut de NCC (en tant que peuple autochtone du Canada). Dans son affidavit, le grand chef Rich renvoie à des réunions avec des représentants du ministère des RCAAN tenues en septembre 2018. Des copies des questions qu’Innu Nation avait posées le 14 août et le 25 septembre 2018, ainsi que les réponses fournies par le ministère des RCAAN, sont jointes au document comme pièces. En voici des extraits :

[traduction]
Table principale – 14 août 2018

1. Veuillez confirmer la réponse du Canada selon laquelle les négociations sur la reconnaissance des droits autochtones et l’autodétermination de NCC se dérouleront selon le principe que NCC est un groupe inuit.

Réponse : Le Canada a reconnu que NunatuKavut Community Council (NCC) est un groupe autochtone, sans donner d’autres précisions concernant cette reconnaissance. NCC se définit comme étant un groupe de descendants des Inuits. Les parties ont entamé des discussions sur la reconnaissance des droits autochtones et l’autodétermination (RDAA) pour examiner les intérêts et les besoins de NCC.

2. Au titre de quelle politique le Canada a-t-il reconnu que NCC est un groupe autochtone visé à l’article 35?

Réponse : La reconnaissance par le Canada que NCC est un groupe autochtone et la décision du Canada s’inscrivent dans le cadre d’efforts plus vastes visant à faire progresser la réconciliation par la tenue de discussions sur la RDAA avec de nombreux groupes autochtones partout au pays.

3. Sur quelle preuve, quels renseignements ou quels fondements le Canada s’est-il appuyé pour accorder cette reconnaissance?

Réponse : Les renseignements fournis par NCC et ceux concernant les délibérations du Canada relativement à NCC sont confidentiels. Toute communication de la part du Canada des détails à un tiers serait inappropriée; Innu Nation peut cependant établir un dialogue avec NCC.

[...]

10. Le Canada peut-il affirmer par écrit que les droits des Innus ne seront pas affectés par les discussions exploratoires menées avec NCC?

Réponse : Le Canada peut confirmer qu’il consultera Innu Nation si une mesure envisagée par la Couronne risque d’avoir un effet préjudiciable sur les droits des Innus du Labrador, que ces droits soient revendiqués, établis ou prévus dans le cadre de l’entente de principe sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale des Innus du Labrador.

Table principale – 25 septembre 2018

13. Pouvez-vous confirmer que le Canada a l’intention de s’engager à consulter Innu Nation avant de signer tout protocole d’entente (PE), tout arrangement ou toute entente similaire que le Canada pourrait négocier avec NunatuKavut Community Council (NCC) dans le cadre de la table de discussions exploratoires entre le Canada et NCC?

Réponse : Le Canada peut confirmer qu’il consultera Innu Nation si une mesure envisagée par la Couronne risque d’avoir un effet préjudiciable sur les droits des Innus du Labrador, que ces droits soient revendiqués, établis ou prévus dans le cadre de l’entente de principe sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale des Innus du Labrador.

[80] En outre, il importe de souligner que NCC, partie au PE, n’affirme pas dans les observations qu’elle a présentées à la Cour que le PE lui a accordé des droits légaux ou que le PE reconnaissait que NCC était un peuple autochtone au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. NCC dit clairement qu’elle considère le PE comme étant un document très important. NCC a toujours fait valoir et continue de faire valoir qu’elle est titulaire de droits garantis par l’article 35, et espère que le Canada le reconnaîtra au cours du processus de RDAA, mais le Canada n’a pris aucun engagement à cet égard dans le PE. NCC soutient par conséquent que toute incidence sur les droits de NCC, du Canada ou de la demanderesse est totalement hypothétique et ne découle pas du PE.

c) Conseil général des établissements Métis c Canada (Relations Couronne-Autochtones)

[81] La décision Conseil général des établissements Métis c Canada (Relations Couronne-Autochtones), 2024 CF 487 [Conseil général des établissements Métis], a été rendue après l’audience relative la présente demande de contrôle judiciaire. Le procureur général a proposé que les parties aient la possibilité de présenter de brèves observations sur l’applicabilité et la pertinence de cette décision, le cas échéant, à l’égard de l’affaire dont je suis saisie. J’ai accepté cette proposition, et j’ai reçu des observations de NCC, dont j’ai tenu compte. Le procureur général a présenté une lettre indiquant qu’il est d’avis que la décision Conseil général des établissements Métis concerne une matrice juridique et factuelle qui est très différente de celle de l’espèce et a peu ou pas de pertinence quant à la demande dont je suis saisie. Le procureur général a également fait valoir que le raisonnement pour établir une distinction entre l’affaire Conseil général des établissements Métis et celle qui nous occupe est décrit avec justesse dans les observations supplémentaires de NCC, et qu’il n’avait rien à ajouter pour aider la Cour. Ni la demanderesse ni le gouvernement nunatsiavut n’ont présenté des observations supplémentaires.

[82] Dans l’affaire Conseil général des établissements Métis, le Canada et la Nation métisse de l’Alberta [la NMA] avaient conclu une Entente de reconnaissance et de mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale de la Nation métisse en Alberta (Métis Nation Within Alberta Self‐Government Recognition and Implementation Agreement) [l’Entente], qui faisait l’objet de demandes de contrôle judiciaire. L’Entente reconnaissait que la NMA représente de manière exclusive la Nation métisse en Alberta, en particulier pour ce qui concerne l’exercice des droits que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît à cette dernière. Les demandeurs revendiquaient tous deux des droits protégés par l’article 35 indépendamment de la NMA. Ils se disaient lésés par l’Entente, car ils avaient été inclus contre leur gré dans la définition de « Nation métisse en Alberta », ce qui conférait à la NMA le pouvoir exclusif de faire valoir leurs droits visés par l’article 35 dans le cadre des relations avec le Canada. Ils avaient demandé le contrôle judiciaire de l’Entente au motif que le Canada avait manqué à son obligation de les consulter.

[83] Le juge Grammond a conclu que, suivant le sens ordinaire de ses termes, l’Entente définissait la Nation métisse en Alberta de manière à inclure les demandeurs. Par conséquent, l’Entente conférait à la NMA un monopole sur l’exercice des droits garantis par l’article 35 que revendiquaient les demandeurs. Ce que l’Entente accordait exclusivement à la NMA, elle en privait nécessairement les demandeurs. Elle empêchait les demandeurs de négocier séparément avec le Canada la reconnaissance de leurs droits, et les obligeait ainsi à faire valoir leurs droits devant les tribunaux. Ces conséquences n’étaient pas hypothétiques et obligeaient le Canada à consulter les demandeurs avant de conclure l’Entente.

[84] En ce qui concerne la justiciabilité, le juge Grammond a souligné qu’il peut exister des circonstances dans lesquelles le fait de reconnaître certains droits à une communauté autochtone a une incidence sur l’exercice des droits que l’article 35 garantit à une autre communauté. Il a conclu que, dans cette mesure, « les décisions en matière de reconnaissance peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire au même titre que d’autres décisions touchant les droits protégés par l’article 35 » (au para 65).

[85] À mon avis, les faits de l’affaire Conseil général des établissements Métis se distinguent de ceux de l’espèce. Contrairement au PE dans la présente affaire, l’entente en cause dans l’affaire Conseil général des établissements Métis emportait reconnaissance de la NMA et lui accordait un droit exclusif de faire valoir les droits conférés par l’article 35 à d’autres communautés métisses, privant ainsi ces communautés de cette possibilité en plus de porter atteinte à leurs droits légaux. En l’espèce, le PE ne reconnaît pas NCC, n’accorde aucun droit à cette dernière et ne prive pas la demanderesse, l’intervenant ou tout autre groupe de leurs droits. Par conséquent, bien que la Cour ait conclu que l’entente en cause dans l’affaire Conseil général des établissements Métis était justiciable, cette conclusion ne s’applique pas aux circonstances portées à ma connaissance.

[86] À cet égard, il convient également de souligner qu’avant de conclure l’entente visée par les demandes de contrôle judiciaire dans l’affaire Conseil général des établissements Métis, le Canada et la MNA avaient conclu un PE en 2017, par lequel les parties s’engageaient à mener des discussions exploratoires. Plus tard cette même année, les parties ont conclu une entente‐cadre établissant une feuille de route en vue de la tenue de négociations approfondies et, en juin 2019, elles ont signé une entente de reconnaissance du gouvernement métis et d’autonomie gouvernementale (Métis Government Recognition and Self-Government Agreement). Cette entente établissait un processus menant à la reconnaissance législative fédérale d’un gouvernement pour la Nation métisse en Alberta, qui comprenait l’élaboration d’une constitution pour le gouvernement métis et l’adoption d’une loi mettant en œuvre une future entente sur les relations intergouvernementales. Le Canada et la MNA ont conclu en février 2023 l’entente visée par les demandes de contrôle judiciaire. Tout cela pour dire que l’entente dans l’affaire Conseil général des établissements Métis représentait un processus et un document bien plus élaborés que le PE en cause en l’espèce.

d. Avantage juridique

[87] La demanderesse fait en outre valoir que [traduction] « [m]ême si le Canada réaffirme sa position de longue date selon laquelle NCC n’a aucun droit ou titre garanti par l’art. 35 – ce qui représente une possibilité réelle, puisque le PE indique qu’il “constitue uniquement l’expression de la bonne volonté et d’un engagement politique; il ne crée, ne modifie, ne reconnaît, ni ne nie aucune obligation ni aucun droit légal ou constitutionnel à l’égard de l’une ou l’autre des parties” ‒, le fait de donner à NCC voix au chapitre dans le cadre de discussions touchant les droits garantis par l’art. 35 peut représenter un avantage juridique important ». Elle soutient que NCC n’a pas de droit constitutionnel à cet avantage, puisqu’un simple groupe autochtone ne peut pas être titulaire de droits protégés par l’article 35 et que le Canada a déjà confirmé à de multiples reprises que NCC n’était pas habilitée à détenir de tels droits.

[88] L’argument selon lequel on donne à NCC [traduction] « voix au chapitre » s’appuie sur le point de vue de la demanderesse à deux égards.

[89] Premièrement, selon la demanderesse, un groupe autochtone ne peut pas détenir des droits garantis par l’article 35. Cela peut être vrai ou non. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est libellé en ces termes :

Confirmation des droits existants des peuples autochtones

35 (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

Définition de peuples autochtones du Canada

(2) Dans la présente loi, peuples autochtones du Canada s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.

[90] Le terme « peuples autochtones du Canada » « s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada ». On peut présumer que, si le groupe autochtone réunit des Indiens, des Inuits et des Métis du Canada, ce groupe correspond à la définition (NCC se définit comme un groupe inuit). Cependant, je n’ai pas à me prononcer sur ce point et, selon la preuve dont je dispose, je ne peux pas le faire. En l’espèce, le Canada a reconnu que NCC est un groupe autochtone [traduction] « habilité » à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 aux fins d’entamer des discussions sur la reconnaissance des droits et l’autodétermination. La reconnaissance de NCC comme groupe autochtone (ce terme n’étant pas défini) est nuancée de deux manières. Elle se limite aux objectifs du PE, qui consistent à examiner et à faire progresser la réconciliation en misant sur le processus de la table de discussion sur la RDAA. Et, comme je l’ai mentionné, le PE ne crée ni ne reconnaît aucune obligation ni aucun droit légal ou constitutionnel à l’égard de l’une ou l’autre des parties. Le PE sert simplement à confirmer un processus qui peut ou non aboutir à la reconnaissance de NCC en tant que peuple autochtone du Canada titulaire de droits garantis par l’article 35. D’après le libellé du PE et les documents dont je dispose, les questions de savoir si et comment NCC obtiendrait cette reconnaissance — en tant que groupe ou sous une autre forme — n’ont pas encore été réglées.

[91] Deuxièmement, la demanderesse semble être d’avis que, puisque les présentations antérieures fondées sur la Politique sur les revendications territoriales globales de NCC n’avaient pas été retenues, NCC est exclue de tout effort et de toute interaction ou négociation ultérieurs avec le Canada, et que NCC n’a pas établi et ne pourra jamais établir une telle revendication. Je ne dispose toutefois d’aucune preuve indiquant que le Canada ait pris une décision définitive à ce sujet. Lorsqu’il a été contre-interrogé au sujet de son affidavit, M. Rosenberg devait répondre à la question de savoir si, en principe, le Canada pourrait dire à un groupe qu’il ne pouvait pas présenter une nouvelle demande contenant des renseignements supplémentaires à l’appui d’une revendication fondée sur la Politique sur les revendications territoriales globales. M. Rosenberg a répondu que non, il ne pensait pas que c’était vraisemblable. Il a également confirmé qu’il était juste de dire que le Canada n’avait jamais dit à NCC qu’elle ne pouvait pas présenter une nouvelle revendication. Il a déclaré que, pendant le dialogue entre NCC et le Canada lors du processus lié à la Politique sur les revendications territoriales globales, le Canada avait dit à NCC que ses revendications n’avaient pas été accueillies parce que la preuve présentée à l’appui était alors insuffisante, comme en fait d’ailleurs foi un extrait d’une page Web du gouvernement du Canada, joint à titre de pièce I à l’affidavit du grand chef Rich. Cet extrait décrit le contexte de la présentation de NCC en 1991 fondée sur la Politique sur les revendications territoriales globales, qui n’a pas été acceptée aux fins de négociation. Selon l’extrait, en 1987 et par la suite, le Canada avait fait savoir à la LMN (aujourd’hui NCC) à plusieurs reprises que la revendication n’était pas suffisamment étayée pour être acceptée comme revendication globale, décision que la LMA (qui était la NML à l’époque) avait vigoureusement contestée. Aucun élément dans le dossier dont je dispose n’appuie l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le Canada avait pris une décision définitive portant que NCC [traduction] « n’était pas habilitée à » détenir des droits garantis par l’article 35.

[92] Le processus qui est en cours est celui de la table de discussion sur la RDAA. On ne connaît pas la teneur des discussions entre le Canada et NCC, mais cette dernière devra vraisemblablement établir la nature et l’existence des droits qu’elle revendique et définir les bénéficiaires de ces droits avant les étapes suivantes, soit l’élaboration d’un mandat de négociation conjoint et, finalement, si les négociations aboutissent, la reconnaissance officielle par le Canada que NCC et/ou les bénéficiaires définis des droits de NCC sont un peuple autochtone du Canada. L’objet du PE est de permettre au Canada et à NCC d’étudier le statut de cette dernière ainsi que la nature de tout droit garanti par l’article 35 découlant de ce statut.

[93] Quoi qu’il en soit, la demanderesse n’a invoqué aucun précédent à l’appui de ce qu’elle appelle un [traduction] « avantage juridique » qui pourrait être considéré comme un « droit légal » aux fins de trancher la question de savoir si une décision est justiciable. À mon avis, il serait inquiétant que la décision du Canada d’entreprendre un processus de discussion avec un groupe qui s’identifie comme un peuple autochtone puisse être contestée à ce stade au motif que les discussions confèrent un [traduction] « avantage juridique ».

[94] À titre informatif, je signale que le grand chef Rich explique dans son affidavit les raisons pour lesquelles il croit que le PE pourrait avoir des répercussions sur les droits ancestraux et les revendications territoriales d’Innu Nation ou sur les négociations visant des revendications territoriales. Essentiellement, selon le grand chef Rich, NCC a fait des déclarations selon lesquelles elle a une revendication plus solide que celle des Innus relativement à de vastes régions du Labrador, et de telles déclarations sont [traduction] « profondément offensantes »; le chevauchement des revendications territoriales aura pour effet de diminuer ou de retarder la reconnaissance du titre et des droits des Innus du Labrador, en particulier des droits de propriété, de récolte et de cogestion; la position du Canada à l’égard de NCC perturberait, et prolongerait probablement, la négociation d’un traité moderne avec Innu Nation, parce que [traduction] « le Canada pourrait croire qu’il a une obligation de consultation et d’accommodement à l’égard de NCC fondée sur la reconnaissance de NCC à titre de groupe autochtone habilité à détenir des droits garantis par l’article 35 ».

[95] Il est annexé à l’affidavit du grand chef Rich une pièce consistant en une lettre, datée du 2 août 2018, que le grand chef Gregory Rich et le grand chef adjoint Etienne Rich (tel était alors son titre) d’Innu Nation ont envoyée au ministre des Relations Couronne‐Autochtones et des Affaires du Nord de l’époque. Dans cette lettre, Innu Nation exprime son indignation de ne pas avoir été consultée relativement à la décision du Canada d’amorcer des « pourparlers exploratoires » avec NCC en ces termes :

[traduction]
Il y a plus de quarante ans qu’Innu Nation participe à des négociations concernant ses revendications territoriales visant à protéger le Nitassinan. Maintenant, à la dernière minute, le Canada propose de compliquer radicalement, et de possiblement retarder, les choses en commençant des négociations avec une organisation illégitime concernant ses « droits » sur nos terres, sans même en avoir discuté avec nous au préalable. C’est inacceptable.

Le Canada est libre de discuter avec qui il veut. Cependant, il n’est pas libre de discuter de la possibilité d’accorder des droits à un groupe de colons sur les terres innues avant d’assurer la protection de nos droits sur les terres et les eaux que les Innus occupent depuis des milliers d’années.

NCC n’est pas la titulaire légitime de droits garantis par l’art. 35. Elle ne peut faire valoir aucune revendication légitime relativement à des droits fonciers ou à des droits de récolte sur le Nitassinan.

Le simple fait que certains de ses membres puissent avoir une ascendance autochtone de diverses sources ne fait pas de NCC une organisation qui détient des droits ancestraux collectifs. Il n’existe aucune de preuve permettant de conclure que NCC est titulaire de droits collectifs garantis par l’art. 35. On ne sait même pas très bien le fondement sur lequel s’appuie NCC pour revendiquer des droits garantis par l’art. 35.

Innu Nation a consacré beaucoup de temps et d’argent à la défense de ses droits dans le cadre du processus de négociation d’un traité. Ce processus ne doit pas être déraillé, ralenti ou indûment compliqué par la tentative du Canada de céder les droits et les terres des Innus à une organisation politique qui ne peut faire valoir aucune revendication légitime relativement à des droits garantis par l’art. 35.

Innu Nation demande d’obtenir sans tarder une explication sur le fondement des pourparlers du Canada avec NCC et sur l’incidence de ces pourparlers sur la conclusion de l’entente de principe sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale des Innus.

Innu Nation poursuivra les discussions à ce sujet à la table de négociation des revendications territoriales, dont les travaux ont été détournés à cause de la décision du Canada, alors que des efforts intenses étaient déployés pour parvenir à une entente définitive dans un avenir rapproché.

[96] Dans une autre lettre datée du 31 août 2018, que le grand chef Gregory Rich et le grand chef adjoint Etienne Rich (tel était alors son titre) ont également envoyée au ministre de l’époque, les deux auteurs ont exprimé leurs préoccupations concernant le Cadre de reconnaissance et de mise en œuvre des droits ancestraux du Canada et le risque que ce cadre ait une incidence négative sur les droits des Innus et le traité avec les Innus du Labrador. Ils ont fait valoir que le Cadre causerait un préjudice grave aux droits des Innus [traduction] « en accordant de façon arbitraire une reconnaissance et des droits à des groupes de personnes qui ne sont titulaires d’aucun droit, comme » NCC. Les auteurs de la lettre soutenaient que le Canada ne devrait pas créer un système qui reconnaît les droits de groupes illégitimes au détriment des Premières Nations qui vivent sur leurs terres et en assurent la gouvernance depuis des milliers d’années. Ils ajoutaient que le fait que certains des membres de NCC aient des ancêtres autochtones ne fait pas de cette organisation un peuple ou une entité qui détient des droits, et que NCC a continué de faire des [traduction] « allégations fantaisistes et non fondées », notamment celle voulant que sa revendication à l’égard des principales régions du territoire innu soit plus solide que celle des Innus. Selon les auteurs de la lettre, un cadre qui encouragerait ce type de comportement porte préjudice aux Innus. Ils se disaient frustrés du fait que les Innus soient obligés de prouver au Canada l’existence de leurs droits, alors que le Canada était disposé à reconnaître les revendications de NCC [traduction] « sans preuve ».

[97] Il est évident que ce qui est en cause ici est l’opinion d’Innu Nation selon laquelle NCC ne peut faire valoir aucune revendication légitime à l’égard de droits garantis par l’article 35 et NCC s’est faufilée dans la mesure où elle peut tirer profit d’une nouvelle politique de négociation qui, selon Innu Nation, est problématique. Innu Nation est aussi d’avis que toute tentative de NCC permettant d’établir le statut revendiqué et l’existence de droits garantis par l’article 35 aurait une incidence négative sur les revendications territoriales d’Innu Nation qui chevauchent celles de NCC. Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, le PE n’établit pas le statut ou les droits de NCC. Par conséquent, ces droits ne sauraient être en conflit avec des droits revendiqués ou détenus par la demanderesse. La légitimité ou la solidité des revendications concurrentes ne sont pas des questions dont la Cour est saisie.

[98] Toute répercussion future du processus de la table de discussion sur la RDAA énoncé dans le PE sera examinée ci-après dans le contexte de l’obligation de consultation.

e. Effets préjudiciables

[99] Enfin, en ce qui concerne l’effet préjudiciable, la Cour d’appel fédérale a conclu dans l’arrêt Démocratie en surveillance que :

[...] le critère de l’« effet préjudiciable » exige qu’on se demande si l’acte contesté a causé des effets préjudiciables. En l’affaire qui nous occupe, la question est de savoir si la décision de ne pas mener d’étude a causé des effets préjudiciables, et non si une enquête causerait des effets préjudiciables aux titulaires de charge. [au para 43; en italique dans l’original]

[100] En l’espèce, la demanderesse n’a subi aucun effet préjudiciable causé par la conclusion du PE. Le PE constitue l’expression de la bonne volonté et d’un engagement politique, et il confirme la mise en œuvre du cadre de la table de discussion sur la RDAA. Il n’a pas déterminé le statut de NCC à titre de peuple autochtone du Canada ni confirmé que NCC détient des droits protégés par l’article 35. Le processus lié à la RDAA pourrait ou non éventuellement aboutir à la reconnaissance de NCC en tant que peuple autochtone du Canada titulaire de droits garantis par l’article 35.

Conclusion

[101] En résumé, plusieurs éléments démontrent que la conclusion du PE par le ministre n’a pas eu pour effet ou conséquence de porter atteinte à des droits légaux, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables : le libellé du PE, lorsqu’on le lit dans son intégralité; le fait qu’aucune des parties au PE ne considère que le document confère à NCC des droits légaux ou reconnaît NCC en tant que peuple autochtone au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; la preuve dans les dossiers dont je dispose, qui indique que le PE ne visait pas à déterminer le statut de NCC, à reconnaître NCC en tant que peuple autochtone du Canada ou l’existence de droits de NCC garantis par l’article 35. Bien que NCC, reconnue comme étant un groupe autochtone aux fins du PE, soit susceptible d’être [traduction] « habilitée » à détenir de tels droits, il n’a pas encore été décidé de l’existence et de la nature de ces droits, le cas échéant, ainsi que des bénéficiaires de ces droits.

[102] Par conséquent, la décision de conclure le PE n’est pas justiciable.

[103] Vu ma conclusion selon laquelle la décision de conclure le PE n’est pas justiciable, il n’y a pas lieu de trancher la question de savoir si la demanderesse a qualité pour agir dans l’intérêt public ou privé pour contester cette décision. De même, il n’y a pas lieu de traiter des arguments de la demanderesse quant au caractère raisonnable de cette décision ou son bien‐fondé.

[104] Il reste à examiner l’argument de la demanderesse selon lequel le ministre n’a pas respecté son obligation de consultation. Le procureur général admet que cette question est justiciable.

L’obligation de consulter

[105] La demanderesse n’a pas contesté une décision effective du ministre de ne pas la consulter. Elle soutient toutefois à titre subsidiaire que la décision de conclure le PE a été prise au mépris de l’obligation de consultation de la Couronne. Elle fait valoir que le Canada a commis une erreur en décidant que cette obligation n’était pas déclenchée par la décision de conclure le PE. Elle affirme par ailleurs que le Canada ne s’est pas acquitté de l’obligation de consulter parce qu’il a omis de tenir des consultations avant de conclure le PE.

[106] Dans l’arrêt Nation haïda, la Cour suprême a jugé que l’existence et l’étendue de l’obligation de consulter ou d’accommoder sont des questions de droit dans la mesure où elles définissent une obligation légale. Cependant, la réponse à ces questions repose habituellement sur l’appréciation des faits. Il se peut donc qu’il convienne de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du premier décideur (Nation haïda, au para 61).

[107] Plus tard, la Cour d’appel fédérale a ajouté ceci, dans l’arrêt Première nation des ‘Namgis c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2020 CAF 122, au para 21 :

[21] [...] La portée des droits ancestraux et issus de traités au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (arrêt Vavilov), au paragraphe 55. Lorsque l’existence ou l’étendue de l’obligation de consulter « repose habituellement sur l’appréciation des faits », il convient de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du premier décideur : Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511 (arrêt Nation haïda), au paragraphe 61. Le caractère adéquat de la consultation est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable : arrêt Nation haïda, au paragraphe 62; Coldwater Première Nation c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 34, [2020] 3 R.C.F.3, au paragraphe 27.

(voir également Nation haïda, au para 37; La bande indienne de Squamish c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2019 CAF 216 au para 30). Dans l’arrêt Première Nation de Roseau River c Canada (Procureur général), 2023 CAF 163, la Cour d’appel fédérale a conclu au paragraphe 8 que les questions de l’existence ou de l’entendue de l’obligation de consulter sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte.

[108] Le procureur général soutient que la question de savoir si le PE porte atteinte aux droits ancestraux revendiqués par la demanderesse au point de déclencher l’obligation de consulter est une question de fait, qui commande la déférence lors d’un contrôle judiciaire. Cependant, pour savoir si le PE est susceptible de porter atteinte aux droits de la demanderesse, il faut décider si le PE lui-même crée des droits et des obligations juridiques, ce qui constitue une question de droit commandant l’application de la norme de la décision correcte. Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que, en l’espèce, il importe peu de savoir si la norme de contrôle est celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable. Il était à la fois correct et raisonnable de conclure que l’obligation de consulter ne jouait pas en droit.

[109] Les principes généraux relatifs à l’obligation de consulter sont bien établis et ne sont pas contestés en l’espèce.

[110] Voyons brièvement ces principes :

  • -L’obligation de consulter prend naissance « lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‐ci » (Rio Tinto Alcan Inc. c Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43 [Rio Tinto] au para 31, citant l’arrêt Nation haïda, au para 35). Ce critère comporte trois volets : 1) la connaissance par la Couronne, réelle ou imputée, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, 2) la mesure envisagée de la Couronne et 3) la possibilité que cette mesure ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral (Rio Tinto, au para 31).

  • -L’obligation de consulter s’origine de l’honneur de la Couronne. Elle est un corollaire de celle d’arriver à un règlement équitable des revendications autochtones au terme du processus de négociation de traités. Lorsque les négociations sont en cours, la Couronne a l’obligation tacite de consulter les demandeurs autochtones sur ce qui est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur leurs droits issus de traités et leurs droits ancestraux, et de trouver des mesures d’accommodement dans un esprit de conciliation (Rio Tinto, au para 32, citant Nation haïda, au para 20).

En bref, les Autochtones du Canada étaient déjà ici à l’arrivée des Européens; ils n’ont jamais été conquis. De nombreuses bandes ont concilié leurs revendications avec la souveraineté de la Couronne en négociant des traités. D’autres, notamment en Colombie‐Britannique, ne l’ont pas encore fait. Les droits potentiels visés par ces revendications sont protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’honneur de la Couronne commande que ces droits soient déterminés, reconnus et respectés. Pour ce faire, la Couronne doit agir honorablement et négocier. Au cours des négociations, l’honneur de la Couronne peut obliger celle-ci à consulter les Autochtones et, s’il y a lieu, à trouver des accommodements à leurs intérêts (Nation haïda, au para 25).

  • -L’obligation de consulter dont il est fait état dans l’arrêt Nation haïda découle de la nécessité de protéger les intérêts autochtones lorsque des terres ou des ressources font l’objet de revendications ou que la mesure projetée peut empiéter sur un droit ancestral (Rio Tinto, au para 33).

  • -L’arrêt Nation haïda jette les bases du dialogue préalable au règlement définitif des revendications en obligeant la Couronne à tenir compte des droits ancestraux contestés ou établis avant de prendre une décision susceptible de porter atteinte à ces droits. Il s’agit d’une obligation de nature prospective prenant appui sur des droits dont l’existence reste à prouver (Rio Tinto, au para 35).

  • -La nature de l’obligation varie en fonction de la situation. La consultation exigée est plus approfondie lorsque la revendication autochtone paraît de prime abord fondée et que l’effet sur le droit ancestral ou issu de traité sous‐jacent est grave (Rio Tinto, au para 36, citant l’arrêt Nation haïda, aux para 43‐45, et Première nation Tlingit de Taku River c Colombie‐Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74 au para 32).

  • -Le recours pour manquement à l’obligation de consulter varie également en fonction de la situation. Le défaut de la Couronne de consulter les intéressés peut donner lieu à un certain nombre de mesures allant de l’injonction visant l’activité préjudiciable, à l’indemnisation, voire à l’ordonnance enjoignant au gouvernement de consulter avant d’aller de l’avant avec son projet (Rio Tinto, au para 37, citant l’arrêt Nation haïda, aux para 13‐14).

[111] Quant au deuxième volet du critère, pour que naisse l’obligation de consulter, la mesure ou la décision de la Couronne doit mettre en jeu un droit ancestral éventuel. La décision ou la mesure doit être susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la revendication ou le droit en question. La Cour suprême ajoute ceci, dans l’arrêt Rio Tinto : :

[44] En outre, une mesure gouvernementale ne s’entend pas uniquement d’une décision ou d’un acte qui a un effet immédiat sur des terres et des ressources. La simple possibilité d’un effet préjudiciable suffit. Ainsi, l’obligation de consulter naît aussi d’une [traduction] « décision stratégique prise en haut lieu » qui est susceptible d’avoir un effet sur des revendications autochtones et des droits ancestraux (Woodward, p. 5‐41 (italiques omis)). Mentionnons quelques exemples : la cession de concessions de ferme forestière qui auraient permis l’abattage d’arbres dans de vieilles forêts (Nation Haïda), l’approbation d’un plan pluriannuel de gestion forestière visant un vaste secteur géographique (Klahoose First Nation c. Sunshine Coast Forest District (District Manager), 2008 BCSC 1642, [2009] 1 C.N.L.R. 110), la création d’un processus d’examen relativement à un gazoduc important (Première nation Dene Tha’ c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354 (CanLII), conf. par 2008 CAF 20 (CanLII)), et l’examen approfondi des besoins d’infrastructure et de capacité de transport d’électricité d’une province (An Inquiry into British Columbia’s Electricity Transmission Infrastructure & Capacity Needs for the Next 30 Years, Re, 2009 CarswellBC 3637 (B.C.U.C.)). La question de savoir si une mesure gouvernementale s’entend aussi d’une mesure législative devra être tranchée dans une affaire ultérieure : voir R. c. Lefthand, 2007 ABCA 206, 77 Alta. L.R. (4th) 203, par. 37‐40.

[112] Le troisième élément requis pour qu’il y ait obligation de consulter est la possibilité que la mesure de la Couronne ait un effet sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. Le demandeur doit établir un lien de causalité entre la mesure ou la décision envisagée par le gouvernement et un effet préjudiciable éventuel sur une revendication autochtone ou un droit ancestral (Rio Tinto, au para 45), et :

[46] Une approche généreuse et téléologique est aussi de mise à l’égard de ce troisième élément puisque, comme le dit Newman, l’objectif poursuivi est [traduction] « de reconnaître que les actes touchant un titre aborigène ou un droit ancestral non encore établi, ou des droits issus de traités, peuvent avoir des répercussions irréversibles qui sont incompatibles avec l’honneur de la Couronne » (p. 30, citant l’arrêt Nation Haïda, par. 27 et 33). Cependant, de simples répercussions hypothétiques ne suffisent pas. Comme il appert de l’arrêt R. c. Douglas, [2007] BCCA 265, 278 D.L.R. (4th) 653, au par. 44, il doit y avoir un [traduction] « effet préjudiciable important sur la possibilité qu’une Première nation puisse exercer son droit ancestral ». Le préjudice doit toucher l’exercice futur du droit lui‐même, et non seulement la position de négociation ultérieure de la Première nation.

[47] L’effet préjudiciable comprend toute répercussion risquant de compromettre une revendication autochtone ou un droit ancestral. Il est souvent de nature physique. Cependant, comme on l’a vu relativement à ce qui constitue une mesure de la Couronne, la décision prise en haut lieu ou la modification structurelle apportée à la gestion de la ressource risque aussi d’avoir un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral, et ce, même si elle n’a pas d’[traduction] « effet immédiat sur les terres et les ressources » : Woodward, p. 5‐41. La raison en est qu’une telle modification structurelle de la gestion de la ressource peut ouvrir la voie à d’autres décisions ayant un effet préjudiciable direct sur les terres et les ressources. Par exemple, le contrat par lequel la Couronne cède à une partie privée la maîtrise d’une ressource risque de supprimer ou de réduire le pouvoir de la Couronne de faire en sorte que la ressource soit exploitée dans le respect des intérêts autochtones, conformément à l’honneur de la Couronne. Les Autochtones seraient alors dépouillés en tout ou en partie de leur droit constitutionnel de voir leurs intérêts pris en considération dans les décisions de mise en valeur, ce qui constitue un effet préjudiciable : voir l’arrêt Nation Haïda, par. 72‐73.

La thèse de la demanderesse

[113] Se fondant sur la décision Sambaa, la demanderesse soutient qu’on a porté atteinte à ses droits, parce que la décision du ministre de conclure le PE est le type de décision stratégique prise en haut lieu qui est susceptible d’avoir un effet sur des revendications autochtones et des droits ancestraux, même si elle n’est pas juridiquement contraignante et que son effet n’est pas immédiat. Elle affirme en outre que le raisonnement suivi dans la décision Sambaa s’applique en l’espèce. Elle fait valoir que [traduction] « [l]es décisions initiales prises par le Canada et NCC — notamment concernant les terres sur lesquelles NCC serait susceptible d’exercer sa “compétence à l’égard des terres, des eaux et des glaces ainsi que [s]es droits connexes” — ouvriront inévitablement la voie à d’autres discussions entre le Canada et NCC ». La demanderesse affirme qu’elle doit être consultée avant que ces décisions soient prises, que les négociations entre le Canada et NCC prennent de l’ampleur et que les positions des parties s’ancrent, ce qui risque de rendre vaine toute consultation d’Innu Nation (citant la décision Sambaa, aux para 150, 165).

[114] Par ailleurs, la demanderesse soutient que, d’après l’arrêt Whiteduck v Ontario, 2023 ONCA 543 [Whiteduck], si le Canada a négligé de la consulter avant de signer le PE, elle a qualité pour contester cette décision et pour demander une réparation en conséquence, par exemple des ordonnances annulant le PE et enjoignant au ministre de la consulter. Dans la mesure où le Canada n’a pas consulté la demanderesse, la décision de conclure le PE est justiciable.

La thèse de l’intervenant

[115] Le gouvernement nunatsiavut s’appuie également sur la décision Sambaa pour soutenir que l’obligation de consultation doit être remplie dès que possible dans le processus décisionnel, même si la décision est antérieure aux négociations et n’a aucune incidence immédiate sur des droits.

La thèse de NCC

[116] NCC ne conteste pas les principes de droit énoncés dans la décision Sambaa, mais fait valoir que les négociations qui ont été menées en l’espèce ne se trouvent pas du tout à la même étape que celles effectuées dans cette affaire. Dans affaire Sambaa, le Canada et la Première Nation Acho Dene Koe [la Première Nation Acho] avaient déjà mené des négociations et conclu des ententes relatives à des terres ayant une incidence manifeste et non conjecturale sur les droits des demanderesses. En comparaison, NCC et le Canada n’en sont qu’au tout début des discussions du processus lié à la RDAA. Le PE ne fait état d’aucun engagement et les parties n’ont pas entamé des négociations ni pris des décisions concernant les questions susceptibles d’avoir une incidence sur la demanderesse. NCC et le Canada n’ont même pas encore déterminé les sujets dont ils discuteront. En outre, le PE est différent, par sa nature et son contenu, de l’entente‐cadre concernant la Première Nation Acho, qui précisait les sujets à négocier et l’échéancier ainsi que certains engagements relatifs à des terres. Le PE ne fait rien de tout cela et, par conséquent, rien n’a fait naître l’obligation de consulter. À cette étape, toute incidence possible sur les droits revendiqués par la demanderesse est hypothétique.

La thèse du procureur général

[117] Le procureur général admet que l’obligation de consultation est un motif de contrôle d’ordre procédural qui est justiciable. Toutefois, il soutient que la demanderesse n’a pas qualité pour contester la décision sur ce fondement, puisque la présente demande est prématurée.

[118] Le procureur général fait valoir que la décision du ministre de conclure le PE n’a pas fait naître l’obligation de consulter la demanderesse. Le PE énonce simplement un cadre pour les discussions et reconnaît que le Canada pourrait avoir une obligation de consultation si ces discussions aboutissent à un produit susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur les groupes autochtones qui ont ou peuvent avoir des droits protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Tout jugement déclarant qu’il y a eu violation de l’obligation de consultation est prématuré : l’établissement d’un cadre de discussion, en soi, n’a aucun effet préjudiciable sur les droits de la demanderesse garantis par l’article 35.

[119] Le procureur général affirme que la décision de conclure le PE, qui établit sous toutes réserves un cadre pour les discussions uniquement, n’est pas une mesure envisagée par la Couronne qui fait naître l’obligation juridique de consulter. Le cadre du PE énonce deux questions qui doivent être examinées l’une après l’autre. Les parties discuteront des droits que NCC pourrait détenir ainsi que des bénéficiaires de ces droits, et les parties pourront ensuite décider d’élaborer ensemble un mandat de négociation conjoint qui établira les paramètres de toute négociation future. Le fait d’établir un cadre pour les discussions n’a aucun effet préjudiciable sur les droits garantis par l’article 35 que la demanderesse revendique.

[120] De telles décisions de nature conceptuelle ne sont pas assujetties à l’obligation de consulter, car elles n’ont aucun effet préjudiciable notable sur les droits revendiqués par la demanderesse. Le Canada et NCC ont tous deux reconnu que le produit des discussions peut toutefois faire naître des obligations de consultation. La consultation, le cas échéant, doit être liée à la mesure envisagée par la Couronne et à ses possibles effets préjudiciables. Il est trop tôt pour prévoir les possibles effets préjudiciables de la mesure envisagée par la Couronne sans connaître les droits que NCC est susceptible de détenir et les bénéficiaires de ces droits, et sans savoir comment ces droits pourraient chevaucher les droits revendiqués par la demanderesse. Il serait vain de proposer des mesures d’atténuation ou d’accommodement à propos d’un cadre de discussion.

[121] De plus, le procureur général soutient qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la décision et tout effet préjudiciable possible sur le titre et les droits de récolte ancestraux revendiqués par la demanderesse, ou sur les terres de sa réserve. La demanderesse fait valoir un retard dans les négociations en vue de la conclusion d’une entente définitive sur un traité moderne, mais ce retard ne constitue pas un effet préjudiciable sur les droits ancestraux qui crée l’obligation juridique de consulter, car cette obligation a pour but de préserver les droits en attendant que la revendication soit établie. Quoi qu’il en soit, les consultations entre le Canada et NCC relatives à l’entente définitive sur un traité moderne concernant les Innus du Labrador ont commencé bien avant le PE.

[122] Finalement, le procureur général fait valoir qu’en se fondant sur la décision Sambaa, la demanderesse fait peu de cas du fait que l’obligation de consultation est tributaire des faits et qu’il existe une distinction entre les faits de l’espèce et ceux de l’affaire Sambaa.

Analyse

[123] En l’espèce, le premier volet du critère pour déterminer le moment où est déclenchée l’obligation de consultation est établi dans le dossier. Le Canada est parfaitement conscient des droits revendiqués par la demanderesse (tel qu’il est démontré par l’entente de principe que le Canada a conclue avec la demanderesse) et de l’opinion de cette dernière selon laquelle NCC n’a aucune revendication fondée concernant des droits garantis par l’article 35, y compris relativement à des revendications territoriales qui chevauchent d’autres revendications. Il ressort du dossier dont je dispose et du préambule du PE que le Canada est également conscient que NCC fait valoir depuis longtemps des droits ancestraux (y compris un titre ancestral et des droits issus de traités) sur la région du territoire traditionnel du NunatuKavut revendiqué par cette dernière.

[124] Quant au deuxième volet, soit que la mesure ou la décision de la Couronne doit mettre en jeu un droit ancestral éventuel et être susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la revendication ou le droit en question, et au troisième volet du critère, soit la possibilité que la mesure envisagée ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral de la demanderesse, ils ne peuvent pas être établis pour les motifs énoncés ci-dessus.

[125] Comme on l’a vu, le PE constitue l’expression de la bonne volonté et d’un engagement politique, et il ne crée, ne reconnaît, ni ne nie aucune obligation ni aucun droit légal ou constitutionnel à l’égard de l’une ou l’autre des parties. Ce document de six pages définit les objectifs de la table de discussion sur la RDAA, qui a été établie avant la conclusion du PE par le Canada, et il reconnaît que la participation de la province à la table de discussion sur la RDAA est importante. Il mentionne la structure et la fréquence des réunions et indique que NCC a besoin de moyens financiers pour participer à la table de discussion sur la RDAA. Il prévoit que les parties collaboreront en vue d’élaborer un plan de travail et un budget. Le statut juridique du document est précisé. Le PE indique qu’il y aura une approche commune en matière de communication, et prévoit notamment l’obligation de consultation. Il précise sa durée et indique qu’il sera en vigueur jusqu’à ce qu’il soit remplacé par une entente subséquente entre les parties. Autrement dit, le PE n’est pas un document exhaustif. Il vise en fait à reconnaître et à faciliter de manière générale le processus de la table de discussion sur la RDAA.

[126] À mon avis, le PE en soi n’est donc pas une [traduction] « décision stratégique prise en haut lieu » susceptible d’avoir un effet sur les revendications autochtones et les droits ancestraux de la demanderesse. Dans ces circonstances, il faut quelque chose de plus, comme une autre mesure de la Couronne, pour qu’une possible incidence se profile. Comme le prévoit le PE, l’obligation de consultation pourrait être déclenchée si un produit de la table de discussion sur la RDAA est susceptible de porter atteinte aux droits de la demanderesse ou d’un autre groupe autochtone.

[127] De même, la demanderesse n’a pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre la décision du ministre de conclure le PE et d’éventuels effets préjudiciables sur ses revendications ou ses droits ancestraux revendiqués. Au paragraphe 46 de l’arrêt Rio Tinto, la Cour suprême a précisé ceci : « Cependant, de simples répercussions hypothétiques ne suffisent pas. [...] il doit y avoir un [traduction] “effet préjudiciable important sur la possibilité qu’une Première nation puisse exercer son droit ancestral”. Le préjudice doit toucher l’exercice futur du droit lui‐même, et non seulement la position de négociation ultérieure de la Première nation. » À mon avis, le dossier révèle que la demanderesse cherche essentiellement à protéger ses droits de négociation futurs. Par ailleurs, puisque nous en sommes au début du processus de la table de discussion sur la RDAA, la possibilité d’un effet préjudiciable sur les droits ancestraux revendiqués par la demanderesse demeure hypothétique.

[128] Dans l’arrêt Première Nation des Hupacasath c Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 4, la Cour d’appel fédérale a souligné que la ligne de démarcation entre la possibilité et l’hypothèse est parfois fine. Elle a rappelé que l’obligation de consulter vise à protéger les droits ancestraux contre tout préjudice et toute répercussion défavorable irréversible et à préserver l’utilisation ultérieure des ressources revendiquées par les peuples autochtones, compte tenu des intérêts opposés de la Couronne. La Cour d’appel fédérale a précisé qu’« [u]ne conséquence qui est tout au plus indirecte, qui pourrait bien ne jamais survenir (de sorte qu’aucune évaluation de probabilité ne puisse en être faite) et à laquelle on pourrait entièrement remédier ultérieurement se situe, quant à la ligne de démarcation, du côté des hypothèses, du côté qui ne donne pas naissance à l’obligation de consulter » (au paragraphe 102). Dans la présente affaire, la conclusion du PE n’empêche pas que les préoccupations de la demanderesse soient prises en compte lorsque l’obligation de consulter sera déclenchée, le cas échéant. En outre, comme nous le verrons plus loin, la présente affaire ne concerne pas une entente en litige ou une mesure connexe reconnaissant un groupe autochtone et définissant ses droits, à l’exclusion d’autres groupes.

[129] Dans l’arrêt Buffalo River Dene Nation v Saskatchewan (Energy and Resources), 2015 SKCA 31 [Buffalo River], la Cour d’appel de la Saskatchewan a examiné la question de savoir si l’obligation de consultation avait été déclenchée lorsque la Couronne avait accordé des permis de prospection pour des sables bitumineux situés sous des terres visées par le Traité no 10. Elle a rejeté l’appel au motif que l’obligation de consultation n’avait pas été déclenchée, puisque toute répercussion possible sur les droits des membres de la Première Nation ne reposait que sur une hypothèse à ce stade.

[130] Dans cette affaire, la Cour d’appel de la Saskatchewan a jugé que la délivrance de permis de prospection représentait la première de deux décisions du processus décisionnel. Cette première décision n’avait aucune incidence sur les terres elles-mêmes. Une telle incidence se produirait uniquement lorsque la Couronne accorderait à un détenteur de permis l’accès à la surface, le cas échéant, par suite de la deuxième décision du processus décisionnel. Bien que l’obligation de consultation soit vite déclenchée, la mesure reprochée à la Couronne doit avoir eu une incidence importante ou perceptible avant que naisse l’obligation de consultation s’y rapportant — autrement dit, l’obligation de consultation doit porter sur un élément concret. Le fait que la Couronne affiche ou délivre des permis de prospection n’aurait aucune incidence importante ou actuelle sur des droits issus de traités jusqu’à ce que la deuxième approbation soit envisagée (aux para 91‐92).

[131] La Cour d’appel de la Saskatchewan a souscrit à l’avis de la Couronne selon lequel la demande de la Première Nation visant à obliger la Couronne à la consulter était prématurée. En effet, au moment de la première étape du processus réglementaire, rien ne prouvait l’existence d’un lien de causalité entre la décision de délivrer les permis et l’incidence préjudiciable éventuelle de la prospection et du développement sur les droits issus du Traité no 10 (au para 93).

[132] La Cour d’appel de la Saskatchewan s’est prononcée ainsi :

[traduction]
104 La jurisprudence est claire : l’obligation de consulter est assortie d’un seuil de déclenchement rationnel. Pour que l’obligation soit déclenchée, la mesure reprochée à la Couronne doit entraîner des effets préjudiciables prévisibles concrets à l’égard d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral ou issu de traités déterminé. Le critère reconnaît la possibilité que des effets préjudiciables se produisent, mais son application requiert un lien direct entre les effets préjudiciables et la mesure reprochée à la Couronne. Si les effets préjudiciables ne sont susceptibles de survenir qu’à la suite d’une décision prise de façon autonome plus tard, c’est cette décision ultérieure qui déclenchera l’obligation de consulter.

Comme une répercussion hypothétique ne suffit pas pour satisfaire au troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt Rio Tinto, l’obligation de consulter n’avait donc pas pris naissance dans cette affaire (voir aussi Blueberry River First Nations v British Columbia (Minister of Natural Gas Development), 2017 BCSC 540 [Blueberry River]).

[133] Je suis d’accord avec NCC pour dire qu’il n’existe aucun lien direct ou lien de causalité entre la mesure de la Couronne, la conclusion du PE et tout effet préjudiciable éventuel sur les droits de la demanderesse garantis par l’article 35. D’abord, le PE lui‐même n’a aucune incidence sur ces droits. Il reconnaît simplement et facilite de manière générale le processus de la table de discussion sur la RDAA. L’obligation de consultation se limite aux seuls effets préjudiciables de la décision ou de la mesure précise de la Couronne qui est visée (Rio Tinto, au para 53; Blueberry River, au para 72). En l’espèce, cette décision concerne le PE et non la décision de participer à la table de discussion sur la RDAA (prise avant la conclusion du PE) ou de mettre en œuvre la politique qui sous-tend le processus de la table de discussion sur la RDAA.

[134] Ensuite, bien que la décision ne porte pas sur des ressources, le processus de la table de discussion sur la RDAA envisagé dans le PE se déroulera en deux étapes, tout comme le processus visé dans l’affaire Buffalo River. La première étape consiste en des discussions exploratoires qui ont pour objet de déterminer la nature des droits que NCC pourrait détenir et les bénéficiaires de ces droits. Cependant, tant que la nature des droits de NCC n’a pas été déterminée et qu’une décision n’a pas été prise en vue de reconnaître que NCC est un peuple autochtone du Canada (ou qu’une partie de ses membres ou bénéficiaires font partie d’un tel peuple) qui, le cas échéant, bénéficie de droits éventuels protégés par l’article 35, toute incidence sur les droits de la demanderesse garantis par l’article 35 ou d’un autre groupe autochtone est hypothétique. Et, [traduction] « [s]ans une compréhension claire des répercussions concrètes et appréciables sur les droits d’une Première Nation, il n’est pas possible de mener une consultation véritable ou d’élaborer des accommodements appropriés » (Blueberry River, au para 70).

[135] C’est en ce qui concerne la reconnaissance que l’affaire Conseil général des établissements Métis est différente de l’affaire dont je suis saisie. Dans la décision Conseil général des établissements Métis, le juge Grammond a conclu que des décisions comme Sambaa « montrent que l’obligation de consultation prend naissance lorsque la reconnaissance des droits garantis par l’article 35 à un groupe est susceptible de porter atteinte aux droits garantis par l’article 35 à un autre groupe » (non souligné dans l’original). Contrairement aux affaires Conseil général des établissements Métis et Sambaa, dans lesquelles des ententes reconnaissant les droits d’un peuple autochtone du Canada étaient susceptibles d’avoir une incidence sur les droits d’un autre groupe, en l’espèce, les droits de NCC protégés par l’article 35 n’ont pas été reconnus par le PE, qui est la décision faisant l’objet du contrôle. C’est le processus de la table de discussion sur la RDAA qui pourrait donner lieu à une mesure de la Couronne susceptible de faire naître l’obligation de consulter sur le fondement de la reconnaissance.

[136] À cet égard, les motifs de la décision Conseil général des établissements Métis mentionnaient l’affaire Sambaa, dans laquelle les mesures envisagées par la Couronne étaient susceptibles de mettre en péril les revendications actuelles des demanderesses. Le juge Grammond a déclaré qu’il en était de même dans l’affaire dont il était saisi, puisque l’entente en cause mettait en péril les droits garantis par l’article 35 que revendiquaient les demandeurs du fait qu’elle conférait à la NMA le mandat exclusif de gérer ces droits. Cette répercussion résultait du libellé de l’entente, qui « pren[ait] effet immédiatement sur le plan juridique » et n’était pas hypothétique, puisque « les conséquences de l’absence de reconnaissance ne peuvent pas être considérées comme lointaines ou hypothétiques » (au para 147; non souligné dans l’original).

[137] Le juge Grammond a tranché que l’entente avait « une incidence potentielle sur les droits des demandeurs qui leur sont garantis par l’article 35, parce que le Canada s’engage[ait] par contrat à reconnaître la NMA comme la seule représentante d’un groupe autochtone qui inclut les demandeurs, aux fins de l’exercice de ces droits. Par conséquent, le Canada ne sera[it] plus en mesure d’examiner les revendications de droits par les demandeurs indépendamment de la NMA » (au para 90). Les circonstances en l’espèce sont différentes. Le PE ne reconnaît pas NCC en tant que peuple autochtone du Canada ni ne restreint les droits de la demanderesse ou de tout autre groupe autochtone et, par conséquent, il n’est pas susceptible de porter atteinte à leurs droits garantis par l’article 35.

[138] En ce qui concerne l’affaire Whiteduck, je constate que toutes les parties ont présenté des observations écrites supplémentaires après le prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario.

[139] L’arrêt Whiteduck portait sur l’appel et l’appel incident de la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario concernant une motion en radiation de la déclaration des Algonquins de l’Ontario [les Algonquins] visant à contester la reconnaissance par l’Ontario des droits de récolte des Métis sur le territoire des Algonquins.

[140] Dans l’affaire Whiteduck, les Algonquins de l’Ontario menaient, conformément à un cadre établi en 1994, des négociations avec l’Ontario et le Canada en vue de parvenir à un traité moderne portant, entre autres choses, sur les droits des Algonquins de pêcher, de chasser et de piéger des ressources fauniques sur le territoire désigné. Une entente de principe a été conclue en 2016. En 2017, l’Ontario a reconnu six communautés métisses et, selon une entente-cadre conclue en 2018, leur a accordé des droits de récolte dans une zone qui chevauchait le territoire désigné des Algonquins. Dans leur déclaration, les Algonquins sollicitaient un jugement déclarant que l’Ontario n’avait pas respecté son obligation de les consulter et de tenir compte de leurs intérêts avant de reconnaître les communautés métisses et de leur accorder des droits de récolte illimités ainsi que diverses autres choses, notamment que l’Ontario ne pouvait pas reconnaître ou prétendre reconnaître des droits de récolte des Métis dans cette zone ou prendre toute autre mesure équivalant à une telle reconnaissance sans le consentement des Algonquins. Le juge des requêtes a radié toutes les demandes de déclaration mentionnées dans l’acte de procédure, à l’exception de celle portant que l’Ontario n’avait pas respecté son obligation de les consulter.

[141] La Cour d’appel de l’Ontario a jugé que, dans le contexte de la requête en radiation présentée, l’allégation de manquement à l’obligation de consultation pouvait être instruite. Les questions soulevées, soit celles de savoir si la Couronne avait effectivement manqué à ses obligations de consultation et d’accommodement, si les Algonquins pouvaient prouver qu’ils avaient droit aux consultations approfondies et aux accommodements qu’ils revendiquaient et aux mesures de réparation sollicitées, étaient toutes des questions pertinentes, non pas pour une requête portant sur un acte de procédure, mais pour un procès et, espérons-le, pour des négociations en vue d’un règlement, qui sont de loin préférables (au para 39).

[142] Ainsi, la Cour d’appel de l’Ontario n’a tiré aucune conclusion sur le fond de l’allégation concernant l’obligation de consultation. Comme la demanderesse se fonde sur l’arrêt Whiteduck, je tiens aussi à souligner qu’il existe des différences factuelles importantes entre cette affaire et l’espèce. Dans l’affaire Whiteduck, l’Ontario a reconnu six communautés métisses et, selon une entente-cadre conclue en 2018, leur a effectivement accordé des droits de récolte dans une zone qui chevauchait le territoire désigné des Algonquins. En l’espèce, le PE reconnaît que les discussions de la table de discussion sur la RDAA se poursuivront. Ce processus vise à déterminer la nature des droits que NCC pourrait détenir et les bénéficiaires éventuels de ces droits. Une fois que ces droits et ces bénéficiaires éventuels auront été déterminés, il sera possible de les prendre en compte aux fins de toute proposition de mandat conjoint. Contrairement aux circonstances de l’affaire Whiteduck, le statut et les droits de NCC n’ont pas encore été reconnus à ce stade‐ci, et les droits de la demanderesse garantis par l’article 35 n’ont pas été touchés par l’octroi de droits sur une région visée par des revendications concurrentes. En fait, il n’existe aucun lien de causalité entre la conclusion du PE et tout effet préjudiciable possible sur les droits de la demanderesse protégés par l’article 35.

[143] Dans l’affaire Sambaa, les demanderesses, soit la bande des Dénés de Sambaa K’e et la bande des Dénés de Nahanni Butte [collectivement, les bandes], avaient sollicité le contrôle judiciaire de la décision du ministre de reporter toute consultation avec elles jusqu’à ce qu’une entente de principe soit conclue avec la défenderesse, la Première Nation Acho Dene Koe [la Première Nation Acho], à l’issue de négociations sur des revendications territoriales globales. Les bandes et la Première Nation Acho revendiquaient des territoires qui se chevauchaient. Les demanderesses avaient fait valoir qu’en reportant la consultation jusqu’à ce qu’une entente de principe soit conclue entre le Canada et la Première Nation Acho, le Canada n’avait pas respecté son obligation juridique et constitutionnelle de consulter les demanderesses et de prendre les mesures d’accommodement qui s’imposaient à leur égard. Compte tenu de la jurisprudence et des faits qui lui avaient été présentés, la Cour était d’accord.

[144] Le processus de revendications globales en cause dans cette affaire était articulé de manière à ce que, une fois que le Canada avait accepté de négocier le règlement de revendications territoriales globales, les parties parviennent, au terme de trois étapes, à une entente. D’abord, les parties devaient conclure une « entente-cadre » qui précisait le processus de négociation. Si les négociations initiales révélaient l’existence d’un terrain d’entente suffisant, les parties signaient ensuite une « entente de principe » exposant les points essentiels sur lesquels elles s’entendaient. Finalement, les parties devaient rédiger un accord définitif pouvant notamment comprendre une entente sur des questions telles que la propriété des terres, les avantages financiers, les questions de gouvernance et les chevauchements territoriaux. Une fois ratifié par toutes les parties, l’accord définitif bénéficiait d’une protection constitutionnelle et était considéré comme un traité visé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[145] Le Canada et la Première Nation Acho ont réalisé la première étape en concluant une entente-cadre. Selon le préambule de cette entente-cadre, les parties se proposaient de négocier le règlement de revendications territoriales globales pour clairement définir certaines terres et ressources et certains droits de gouvernance revendiqués par la Première Nation Acho dans les Territoires du Nord-Ouest [les T.N.-O.]. L’entente-cadre décrivait les objectifs et le calendrier des négociations entre les parties, les sujets de ces négociations et le processus d’approbation d’une éventuelle entente de principe et d’un accord définitif. Elle concernait des terres décrites comme étant le [traduction] « territoire revendiqué par la [Première Nation Acho] », délimité sur la carte jointe en annexe. Parmi ces terres se trouvaient des zones revendiquées en tant que zones d’utilisation principale par les bandes, l’utilisation principale ayant été acceptée en 2006.

[146] Dans l’affaire Sambaa, l’existence d’une obligation de consulter n’était pas en litige. Le litige portait sur la teneur et l’étendue de l’obligation de consulter, ainsi que sur le moment où les consultations devaient être menées. La Cour a examiné la jurisprudence concernant l’obligation de consulter, en particulier l’arrêt Rio Tinto.

[147] Quant à la connaissance du Canada, nul ne contestait l’existence des droits issus de traités de la bande des Dénés de Sambaa K’e ni le fait que le Canada en avait une connaissance suffisante pour que soit déclenchée son obligation de consulter. Le Canada avait en outre admis que la conclusion de l’entente‐cadre avec la Première Nation Acho et le fait que les négociations avec cette dernière en ce qui concerne sa revendication territoriale globale aient débuté étaient susceptibles d’avoir un effet sur les droits issus de traités des bandes.

[148] En ce qui concerne la possibilité d’un effet préjudiciable des mesures envisagées par la Couronne sur les droits issus de traités ou les revendications autochtones, la juge Mactavish a conclu que la gravité des conséquences éventuelles n’était pas hypothétique compte tenu des décisions que le Canada avaient déjà prises, sans consulter les bandes, dans le cadre de ses négociations avec la Première Nation Acho. L’une des décisions prises par le Canada avait été de limiter la revendication territoriale de la Première Nation Acho au territoire situé à l’intérieur des frontières des T.N‐O. Cette décision revêtait une grande importance, puisque les deux tiers du territoire traditionnel revendiqué par la Première Nation Acho se trouvaient à l’extérieur des T.N.‐O. Par ailleurs, comme point de départ aux négociations devant mener à une entente de principe sur la question de la superficie des terres, la Première Nation Acho avait accepté une offre du Canada lui permettant de sélectionner en tout 6 474 kilomètres carrés de terres dans les T.N.‐O. pour régler ses revendications territoriales. La juge Mactavish a conclu que « [c]ompte tenu de la dynamique du processus de négociation, il est difficile d’imaginer que l’entente de principe puisse être moins généreuse pour la [Première Nation Acho] que l’offre initiale du Canada ». Elle a en outre conclu que l’acceptation de cette offre se traduirait inévitablement par un empiétement sur le territoire revendiqué par la bande des Dénés de Sambaa K’e (aux para 171 à 174), puisqu’il n’y avait tout simplement pas suffisamment de terres disponibles dans les T.N.‐O pour satisfaire aux revendications de la Première Nation Acho et pour donner suite à l’offre du Canada sans empiéter sur les zones d’utilisation principale des terres revendiquées par les bandes, et porter ainsi atteinte aux droits ancestraux et issus de traités des dernières. À son avis, ces répercussions n’étaient pas hypothétiques.

[149] Qui plus est, à l’occasion de la signature de l’entente‐cadre, le Canada et la Première Nation Acho avaient convenu d’adopter le régime qui existait alors en vertu de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie [la LGRVM], qui était, selon les bandes, incompatible avec le processus de gestion du territoire préconisé par le processus concernant les trois Premières Nations, à savoir une cogestion collective sous l’égide d’une seule autorité responsable de la gestion. La juge Mactavish a conclu que, bien que les répercussions négatives de l’adoption de ce régime en ce qui concernait les terres susceptibles de faire partie des zones d’utilisation principale des bandes ne seraient peut‐être pas ressenties immédiatement par ces dernières, l’atteinte qui pourrait éventuellement être causée aux droits à l’autonomie gouvernementale autochtone n’en demeurait pas moins sérieuse.

[150] Enfin, l’offre que le Canada avait faite à la Première Nation Acho avait également eu des répercussions immédiates sur les bandes, étant donné qu’elle s’était traduite par une réduction proportionnelle de l’offre que le Canada avait faite aux Premières Nations du Deh Cho, y compris aux bandes.

[151] Je suis d’avis que les faits de l’affaire Sambaa diffèrent de ceux de l’espèce. Comme je l’ai déjà mentionné, le PE est un document de six pages qui vise à reconnaître et à faciliter de manière générale le processus de la table de discussion sur la RDAA. Ce document ne reconnaît pas NCC en tant que peuple autochtone du Canada ni l’existence de droits protégés par l’article 35. En outre, le processus de la table de discussion sur la RDAA en est encore à ses balbutiements. Aucune entente globale à l’image de l’entente-cadre conclue dans l’affaire Sambaa n’a été conclue à ce jour. Je ne dispose d’aucun élément de preuve laissant croire qu’une entente relative à un territoire ou à d’autres droits a été conclue avec NCC par suite du PE ou autrement.

[152] Cependant, à mon avis, l’affaire Sambaa démontre que, dans certaines circonstances et lorsqu’il existe des revendications territoriales connues qui se chevauchent, il est possible que l’obligation de consulter soit déclenchée avant que soit conclue une entente non contraignante, mais globale, telle qu’une entente de principe.

[153] À cet égard, il est important aussi de signaler qu’en l’espèce le PE reconnaît que le Canada pourrait avoir l’obligation de consulter des groupes autochtones autres que NCC qui ont ou peuvent avoir des droits protégés par l’article 35 si un produit de la table de discussion sur la RDAA est susceptible de porter atteinte à ces droits. En outre, comme il ressort du dossier, le Canada a confirmé qu’il consultera la demanderesse si une mesure envisagée par la Couronne risque d’avoir un effet préjudiciable sur ses droits, que ces droits soient revendiqués, établis ou prévus dans le cadre de l’entente sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale des Innus du Labrador.

[154] Si le Canada détermine, dans le cadre ou à la suite du processus de table de discussion sur la RDAA, la nature des droits que NCC pourrait détenir et les bénéficiaires de ces droits, et s’il décide que NCC (ou ses membres désignés) doit être reconnue comme un peuple autochtone du Canada, il devra alors examiner la question de savoir si ces droits pourraient éventuellement être en conflit avec les droits garantis par l’article 35 d’autres groupes autochtones, y compris la demanderesse. Le cas échéant, et seulement alors, l’incidence sur les droits éventuels de ces groupes ne sera plus hypothétique et l’obligation de consulter sera déclenchée. Toutefois, selon le libellé du PE et le dossier dont je dispose, je suis d’accord avec le procureur général pour dire que cette obligation n’a ni pris naissance ni été déclenchée.

[155] Par ailleurs, la Cour ne peut déterminer à quel moment l’obligation serait déclenchée. La Cour n’est pas au courant des discussions entre NCC et le Canada, et le dossier n’indique pas l’état d’avancement de ces discussions.

[156] Cependant, comme le souligne la demanderesse, il est possible que l’obligation de consulter soit déclenchée avant la conclusion d’une entente de principe ou de même nature avec NCC. Comme le montre le dossier, l’entente de principe sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale des Innus du Labrador compte plus de 400 pages et constitue le fruit de négociations et de travaux très importants. Ce document hautement détaillé porte sur un éventail de sujets, dont les terres et les ressources non renouvelables, la gestion des ressources, la faune, les oiseaux migrateurs, les pêches, les indemnités relatives aux récoltes, les ressources forestières et les plantes, la gestion de l’eau et des droits des Innus sur l’eau. Il décrit expressément la région visée par le règlement des Innus du Labrador et les terres innues du Labrador.

[157] Dans l’hypothèse où le but du processus de discussion avec NCC est de produire un document similaire (les deux processus menant à des traités), si le statut de NCC ainsi que ses éventuels droits garantis par l’article 35 visés par des revendications concurrentes sont établis à la satisfaction du Canada, toute nouvelle entente pour négocier une entente de principe ou un document similaire pourrait avoir pour effet de déclencher l’obligation de consulter.

[158] Le défi pour le Canada sera de déterminer le moment où cette obligation est déclenchée, compte tenu des circonstances portées à sa connaissance.

[159] En conclusion, pour les motifs qui précèdent et dans les circonstances de la présente affaire, l’obligation de consulter n’a pas encore été déclenchée. Par conséquent, la Couronne n’a pas manqué à son obligation de consulter la demanderesse avant de signer le PE, et la demanderesse n’a donc pas qualité pour contester la décision sur ce fondement.

Conclusion

[160] La décision de conclure le PE n’est pas justiciable. Il n’est donc pas nécessaire que j’examine les autres arguments soulevés par la demanderesse sur le caractère raisonnable ou le bien‐fondé du PE, ou sur la qualité pour agir de cette dernière.

[161] L’obligation de consulter n’a pas été déclenchée.

Dépens

[162] Le procureur général a sollicité le rejet de la demande sans dépens. La Cour rejette la demande et aucuns dépens ne sont adjugés au procureur général.

[163] NCC a quant à elle sollicité le rejet de la demande avec dépens. Les parties n’ont pas présenté d’observations sur le montant des dépens. L’article 400 des Règles confère à la Cour un pouvoir discrétionnaire pour l’adjudication des dépens. L’article 407 des Règles dispose que, sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B. Comme on ne m’a informée d’aucune situation qui pourrait justifier une adjudication des dépens exceptionnelle, NCC aura droit à ses dépens selon la colonne III du tableau du tarif B.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER No T-1606-19

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés au procureur général. NCC a droit à ses dépens, calculés selon la colonne III du tableau du tarif B, payables par la demanderesse.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo

Annexe « A »


[TRADUCTION]

PROTOCOLE D’ENTENTE EN VUE DE FAVORISER LA RÉCONCILIATION

Le protocole d’entente est préparé en deux exemplaires en ce

2019

ENTRE :

NUNATUKAVUT COMMUNITY COUNCIL

représenté par son président

(« NCC »)

-et-

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

(le « Canada »)

(ci-après désignés collectivement les « parties » et individuellement une « partie »)

ATTENDU QU’en concluant le présent protocole d’entente (le « PE »), le Canada et NCC s’engagent à renouveler et à renforcer leur relation de nation à nation;

ET ATTENDU QUE les parties souhaitent étudier de nouvelles façons de faire progresser la réconciliation en se fondant sur la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et un partenariat constructif;

ET ATTENDU QUE le Canada appuie pleinement, et sans réserve, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et s’engage à la mettre en œuvre en partenariat avec les peuples autochtones, dans le respect de sa Constitution.

ET ATTENDU QUE NCC se définit comme étant un groupe inuit qui fait valoir depuis longtemps des droits ancestraux (y compris un titre ancestral et des droits issus de traités) sur la région du territoire traditionnel revendiqué du NunatuKavut;

ET ATTENDU QUE le Canada a reconnu que NCC est un groupe autochtone habilité à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 aux fins d’entamer des discussions sur la reconnaissance des droits et l’autodétermination;

ET ATTENDU QUE les parties souhaitent collaborer en vue d’avoir une compréhension commune de la portée et de la nature des droits garantis par la loi des membres de NCC;

ATTENDU QUE les parties souhaitent discuter de la meilleure façon de soutenir et d’assurer la sécurité et le bien-être physique, émotionnel et spirituel des membres du peuple du NunatuKavut;

ET ATTENDU QUE NCC souhaite discuter de la façon optimale de soutenir et de préserver la culture des Inuits du NunatuKavut, ainsi que leurs liens de parenté, familles et communautés, tout comme le lien qu’ils entretiennent avec le territoire traditionnel revendiqué;

ET ATTENDU QUE les parties conviennent de faire preuve d’ouverture, de bonne foi et de transparence, et d’adopter une approche commune et consensuelle orientée vers la recherche de solutions, axée sur la coopération et la collaboration;

ATTENDU QUE le ministre représente le Canada dans ces discussions sur la RDAA et qu’il invitera d’autres ministères et organismes fédéraux à participer à ce processus, au besoin;

PAR CONSÉQUENT, les parties conviennent de ce qui suit :

La table de discussion et ses objectifs

  1. Les parties ont établi une table de discussion sur la reconnaissance des droits autochtones et l’autodétermination (RDAA).

  2. Les objectifs de la table de discussion sur la RDAA sont les suivants :

    • a)déterminer la nature des droits que NCC pourrait détenir et les bénéficiaires de ces droits, puis tenir compte de ces renseignements aux fins de toute proposition de mandat conjoint;

    • b)élaborer un ou plusieurs mandats de négociation conjoints acceptables pour les deux parties (les mandats conjoints) qui seront soumis au processus d’approbation interne respectif de ces dernières et serviront de fondement à leurs négociations visant à faciliter la réconciliation.

  3. Tout mandat conjoint approuvé par les deux parties définira les priorités de NCC, qui pourraient comprendre les éléments suivants, sans s’y limiter :

    • a)des mesures communautaires visant à accroître la confiance, comme des programmes et des services fondés sur les besoins et les intérêts;

    • b)la compétence à l’égard des terres, des eaux et des glaces ainsi que l’exercice des droits connexes, le cas échéant;

    • c)les structures, les responsabilités et les processus de gouvernance;

    • d)la santé ainsi que l’amélioration de la situation sociale et économique;3

    • e)les dispositions financières;

    • f)d’autres points convenus.

  4. Tout mandat conjoint approuvé par les deux parties définira également un processus de négociation.

  5. Les parties élaboreront un plan de travail convenu conformément à l’article 11.

Province de Terre-Neuve-et-Labrador

  1. Les parties reconnaissent l’importance de la participation de la province de Terre‐Neuve-et-Labrador à la table de discussion sur la RDAA pour faire progresser la réconciliation; elles encourageront la province à contribuer activement à la table de discussion sur la RDAA au moment opportun.

Structure et réunions

Chaque partie désignera sa représentante ou son représentant à la table de discussion sur la RDAA.

  1. Les membres de la table de discussion sur la RDAA se réuniront une fois par mois civil, sauf si les parties en conviennent autrement. Les parties décideront ensemble du lieu et de la date appropriés pour chaque réunion.

  2. Les parties mettront en place les groupes de travail techniques jugés nécessaires pour faire avancer les discussions.

  3. Si un différend persiste pendant les discussions sur la RDAA, les parties peuvent renvoyer la question au président de NCC et au sous-ministre adjoint principal, Traités et gouvernement autochtone, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, aux fins de résolution.

Financement et ressources financières

  1. Le Canada reconnaît que NCC doit disposer d’une capacité raisonnable lui permettant de participer au processus de la table de discussion sur la RDAA établi par le présent PE. Les parties s’emploieront à élaborer un plan de travail et un budget qui leur conviennent pour financer la participation de NCC à la table de discussion sur la RDAA. Le plan de travail et le budget seront conformes aux modalités et aux conditions approuvées par le Conseil du Trésor et assujettis à l’affectation des fonds du Parlement pour les exercices financiers au cours desquels les fonds sont fournis à NCC.

  2. Le présent PE n’empêche pas NCC d’obtenir du financement au titre d’autres initiatives ou programmes fédéraux mis à la disposition des autres entités ou groupes autochtones par le Canada. Toutefois, l’accès à ce financement est assujetti aux critères d’admissibilité de l’initiative ou du programme concerné, sous réserve de toute modification par le Canada.

Statut juridique

  1. À l’exception du présent article et des articles 14, 15, 17, 18, 19, 22 et 25, le présent PE n’est pas juridiquement contraignant et constitue uniquement l’expression de la bonne volonté et d’un engagement politique; il ne crée, ne modifie, ne reconnaît, ni ne nie aucune obligation ni aucun droit légal ou constitutionnel à l’égard de l’une ou l’autre des parties.

  2. Qu’ils soient ou non divulgués à une ou plusieurs personnes,

  • a)le présent PE (à l’exception des articles 13, 14, 15, 17, 18, 19, 22 et 25),

  • b)tous les propos échangés à la table de discussion,

  • c)tous les documents et renseignements et toutes les communications dévoilant le contenu des discussions ou des positions ou points de vue d’une partie

s’appliquent sous réserve des droits juridiques et des positions de toute partie dans toute poursuite, négociation ou autre situation.

  1. Sauf pour l'application des articles 13, 14, 15, 17, 18, 19, 22 ou 25, les parties renoncent à présenter ou à faire admettre, dans le cadre d’une instance ou de toute procédure devant un tribunal ou un conseil, des éléments de preuve concernant le présent PE ou tout autre élément mentionné à l’alinéa b) ou c) de l’article 14.

  2. Les parties reconnaissent et conviennent que le présent PE et les discussions menées conformément au PE ne constituent pas une consultation ou un accommodement de la part du Canada.

Approche commune en matière de communication

  1.  

  • a)Sous réserve de l’alinéa b), les parties peuvent informer le public ou les médias de l’existence ou du contenu du présent PE et fournir au public ou aux médias des renseignements de nature générale sur l’état d’avancement de la table de discussion sur la RDAA conformément au PE.

  • b)Les parties discuteront de la possibilité d’élaborer une approche commune en matière de communication concernant le présent PE, laquelle pourrait comprendre une disposition prévoyant une action commune des parties pour informer le public ou les médias des questions visées à l’alinéa a).

  1. Sauf si les parties en conviennent autrement à l’avance et par écrit, et sous réserve de l’article 19 des présentes, les dispositions suivantes s’appliquent :

  • a)Toutes les discussions tenues à la table de discussion sur la RDAA ont lieu à huis clos et demeureront confidentielles.

  • b)Une partie ne divulguera pas de documents, ni d’information, ni de communications révélant le contenu des discussions ou des points de vue ou positions de l’autre partie.

  1. Les parties reconnaissent ce qui suit :

  • a)Le Canada pourrait avoir l’obligation de consulter un groupe autochtone autre que NCC qui a ou peut avoir des droits garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui pourrait subir des préjudices par suite d’un produit de la table de discussion sur la RDAA. Il est possible que le Canada communique ce produit (sous forme d’ébauche ou en sa version définitive) en tout ou en partie à un autre groupe autochtone pour respecter son obligation de consultation.

  • b)Avant de communiquer tout document conformément à l’alinéa 19 a), le Canada consultera NCC au sujet de la communication envisagée, sous réserve de toute obligation de confidentialité du Canada à l’égard de l’autre groupe autochtone concerné.

  • c)Lorsqu’une communication faite conformément à l’alinéa 19 a) est envisagée, le Canada prendra des mesures raisonnables pour obliger l’autre groupe autochtone concerner à préserver la confidentialité de tous les documents communiqués.

  1. Les parties reconnaissent que le Canada pourrait être tenu de consulter NCC au sujet d’un produit (sous forme d’ébauche ou en sa version définitive) qui est le fruit de négociations entre le Canada et un autre groupe autochtone et qui est susceptible de porter atteinte aux droits de NCC garantis par l’article 35, qu’ils soient revendiqués ou établis.

  2. Les parties reconnaissent ce qui suit :

  • a)En cas de chevauchement entre les droits revendiqués par NCC et les droits revendiqués ou établis d’un autre groupe autochtone, ce chevauchement devrait faire l’objet de discussions entre NCC et le groupe autochtone concerné.

  • b)Le Canada pourrait jouer un rôle en facilitant ou en fournissant du financement pour la tenue de discussions.

  1. Comprendre la nécessité d’assurer la confidentialité. NCC peut communiquer à ses membres des renseignements sur les sujets des discussions menées conformément au présent PE. NCC donnera au Canada l’occasion de faire connaître son point de vue avant toute communication de renseignements.

Durée, suspension et résiliation du PE

  1. Le présent PE entre en vigueur dès sa signature et, sous réserve de l’article 25, reste en vigueur jusqu'à ce qu'il soit remplacé par un accord ultérieur entre les parties.

  2. L’une ou l’autre des parties peut suspendre ou résilier le présent PE moyennant un préavis écrit de 30 jours à l’autre partie, qui indique les motifs de la suspension ou de la résiliation.

  3. À moins que les parties n’en conviennent autrement par écrit, les articles 13, 14, 15, 18, 19, 22 et le présent article demeureront en vigueur après la fin des activités de la table de discussion sur la RDAA et après la suspension ou la résiliation du présent PE.

EN FOI DE QUOI les parties ont signé le présent PE à la date indiquée ci-après.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Signataire :
[Signature dans la version anglaise originale]

L’honorable Carolyn Bennett

Ministre des Relations Couronne-Autochtones

NUNATUKAVUT COMMUNITY COUNCIL

Signataire :

[Signature dans la version anglaise originale]

Todd N. Russel

Président

 


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1606-19

 

INTITULÉ :

INNU NATION INC. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (représentant le ministre des Relations Couronne-Autochtones) et NUNATUKAVUT COMMUNITY COUNCIL INC. ET GOUVERNEMENT NUNATSIAVUT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 19 et 20 mars 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

12 Juin 2024

 

COMPARUTIONS :

Senwung Luk

Nick Kennedy

Jolene Ashni

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kelly Peck

Gwen MacIsaac

 

POUR LE DÉFENDEUR (PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

 

Jason Cooke

Sarah MacLeod

 

POUR LE DÉFENDEUR (NUNATUKAVUT COMMUNITY COUNCIL INC.)

 

Brian Crane

Graham Ragan

 

POUR L’INTERVENANT

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Olthius Kleer Townshend LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‐Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR (PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

 

Burchell Wickwire Bryson LLP

Halifax (Nouvelle‐Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR (NUNATUKAVUT COMMUNITY COUNCIL INC.)

 

Gowling WLG (Canada) LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANT

 

 

 

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