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Date : 20240617


Dossier : T-236-20

Référence : 2024 CF 669

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2024

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

HYDRO-QUÉBEC, société constituée en vertu

de la Loi sur Hydro-Québec, RLRQ, c. H-5

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Identiques au Jugement et motifs confidentiels émis le 8 mai 2024)

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Hydro-Québec, société constituée en vertu de la Loi sur Hydro-Québec, RLRQ, c H-5, demande le contrôle judiciaire d’une portion de la décision prise le 4 décembre 2019 [la Décision] par M. David Spicer, agissant alors au nom du ministre de l’Industrie [Ministre] sous l’égide de l’article 29.16 de la Loi sur l’inspection de l’électricité et du gaz, LRC 1985, c E-4 [la Loi].

[2] M. Spicer, par ailleurs vice-président, modernisation de règlements au sein de Mesures Canada, agissait alors à titre de personne désignée pour déterminer, au nom du Ministre [Délégué du Ministre], l’issue de la contestation logée par Hydro-Québec, en vertu de l’alinéa 29.13(2)b) de la Loi, à l’encontre du procès-verbal numéro 2018-05-EG dressé par Mesures Canada le 1 février 2019 [le Procès-Verbal].

[3] Devant la Cour, Hydro-Québec conteste la portion de la Décision dans laquelle le Délégué du Ministre (1) conclut qu’Hydro-Québec est responsable des violations alléguées dans le Procès-Verbal à l’égard de 246 compteurs situés sur des terres non-autochtones, sous le paragraphe 12(1) et l’alinéa 33(1)e) de la Loi; et (2) impose une pénalité de 123 000,00$ à Hydro-Québec en vertu des dispositions de la Loi et de celles du Règlement sur l’inspection de l’électricité et du gaz, DORS/86-131 [Règlement].

[4] Par ailleurs, Hydro-Québec ne conteste pas la conclusion du Délégué du Ministre selon laquelle Hydro-Québec n’est pas responsable des violations alléguées à l’égard de 443 compteurs situés en territoire autochtone.

[5] Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, Hydro-Québec avance que le processus décisionnel ayant mené à la Décision a été compromis par d’importantes violations des principes de justice naturelle et d’équité procédurale qui ont fatalement vicié la Décision. Hydro-Québec précise que le Délégué du Ministre, supposé être un décideur indépendant, a eu des communications avec l’autre partie au litige, c’est-à-dire Mesures Canada, hors la présence et hors la connaissance d’Hydro-Québec et que le Délégué du Ministre a aussi eu des communications avec, ou retenu les services de, l’avocate de Mesures Canada, hors la connaissance d’Hydro-Québec. Ainsi, Hydro-Québec soutient qu’elle n’a pas eu l’audition impartiale par un décideur indépendant à laquelle elle avait droit.

[6] Au surplus, Hydro-Québec soutient que la Décision est déraisonnable et inintelligible puisque le Délégué du Ministre a mal appliqué la Loi, faisant défaut d’examiner la situation de chaque compteur ou sceau, et qu’il a ignoré la preuve. Hydro-Québec souligne notamment que la Décision confirme une violation en lien avec tous et chacun des 246 compteurs en territoire non-autochtone, en bloc, alors que la preuve révèle qu’il n’existait pas de violations pour au moins certains compteurs au moment de la contestation ministérielle; il n’existait pas de motifs raisonnables de croire à une violation pour au moins certains compteurs au moment de dresser le Procès-Verbal; et la défense de diligence raisonnable s’appliquait au moins à l’égard de certains compteurs en territoire non-autochtone.

[7] Hydro-Québec demande à la Cour d’accueillir la demande de contrôle judiciaire, de déclarer que le Délégué du Ministre ne pouvait conclure à la commission des violations retenues à l’égard des 246 compteurs en territoire non-autochtone, de casser en partie la Décision et d’annuler le Procès-Verbal.

[8] Le défendeur, le Procureur général du Canada [le PGC], répond essentiellement que la preuve au dossier démontre qu’aucune crainte raisonnable de partialité ne découle du comportement de Mesures Canada et qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis.

[9] Le PGC ajoute qu’il était raisonnable pour Mesures Canada de conclure qu’Hydro-Québec n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable afin d’éviter que des compteurs à sceau expiré demeurent en service.

[10] Pour les motifs qui suivent, la Cour accordera la demande de contrôle judiciaire.

[11] En bref, Hydro-Québec a d’abord démontré ne pas avoir eu le bénéfice de l’audition impartiale par un décideur indépendant à laquelle elle était en droit de s’attendre, et elle a aussi démontré que ceci vicie fatalement la Décision. Ce motif suffit pour casser la Décision.

[12] Alternativement, Hydro-Québec a également démontré que la Décision est déraisonnable.

[13] D’abord, aux paragraphes 29.11(1), 29.12(1) et 29.12(4), la Loi exige que chaque violation soit prouvée, ce que le PGC ne conteste pas reconnaissant d’ailleurs aussi qu’un constat de violation ne doit, et ne peut, s’attacher qu’à un seul compteur. Or, Hydro-Québec a fourni la preuve que certains compteurs avaient été remplacés au moment de la contestation ministérielle alors que le Délégué du Ministre ne mentionne pas, ni ne discute, écarte ou encore distingue les éléments de preuve qui contredisent sa conclusion qu’une violation existe et que les sceaux sont expirés pour tous les compteurs. Le Délégué du Ministre ne tient donc pas compte de la situation individuelle de chacun des compteurs, tel que la Loi l’exige, et/ou il ignore la preuve soumise à cet effet.

[14] De plus, Hydro-Québec a fourni la preuve que certains compteurs avaient été remplacés lorsque l’inspecteur a dressé son Procès-Verbal. Or, le Délégué du Ministre ne mentionne pas, ni ne discute, écarte ou distingue les éléments de preuve qui contredisent sa conclusion que l’inspecteur avait effectivement des motifs raisonnables de croire à une violation, pour tous les compteurs, au moment de dresser le Procès-Verbal. Le Délégué du Ministre ne tient donc pas compte de la situation individuelle de chacun des compteurs et/ou il ignore la preuve à cet effet.

[15] Au surplus, la Cour conclut que le Délégué du Ministre a aussi erré fatalement dans l’évaluation de la défense de diligence raisonnable ouverte à Hydro-Québec en vertu du paragraphe 29.2(1) de la Loi puisque le Délégué du Ministre ne tient pas compte de la situation spécifique de chacun des compteurs en territoire non-autochtone, dont certains n’étaient même pas en situation de violation, tel qu’il doit le faire, et/ou il ignore la preuve à cet effet.

[16] La Décision est donc indéfendable au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 101 [Vavilov]) et l’intervention de la Cour est donc justifiée.

II. Contexte

[17] En 2013, Hydro-Québec entreprend un projet afin de remplacer près de 3,8 millions de compteurs d’électricité électromécaniques par des compteurs de nouvelle génération. Dans le cadre de ces remplacements, Hydro-Québec présente à Mesures Canada des demandes de dispenses temporaires de l’obligation de vérification prévue à l’alinéa 12(1)a) de la Loi. Le 6 mai 2013, Mesures Canada accorde une dispense à Hydro-Québec, conformément au paragraphe 9(2) de la Loi, permettant à cette dernière d’utiliser des compteurs d’électricité sans nouvelle vérification jusqu’au 31 décembre 2015. En 2015, 2017 et 2018, Mesures Canada accorde des dispenses temporaires supplémentaires. Entre 2013 et 2018, Hydro-Québec et Mesures Canada se rencontrent régulièrement afin de discuter de l’état du déploiement des nouveaux compteurs.

[18] Le 27 septembre 2018, Mesures Canada transmet à Hydro-Québec un Avertissement de violation. Mesures Canada y souligne notamment être préoccupée par les 1 420 compteurs à sceau expiré et note que ceci contrevient au paragraphe 12(1) et à l’alinéa 33(1)e) de la Loi et peut encourir l’imposition de sanctions. Mesures Canada demande donc à Hydro-Québec de retirer lesdits compteurs au plus tard le 31 décembre 2018 et de corriger la violation. Mesures Canada souligne aussi notamment que la dispense visant 6 074 compteurs, valide jusqu’au 31 décembre 2018, ne pourra être reconduite. Enfin, Mesures Canada demande à Hydro-Québec de lui soumettre un plan d’action pour le 27 octobre 2018 (Dossier de la Demanderesse aux pp 141-142, Pièce PGL-3 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine (Pièce HQ-6 du dossier de révision ministérielle)). Le 26 octobre 2018, Hydro-Québec soumet ce plan d’action à Mesures Canada par courriel.

[19] Le 20 novembre et le 11 décembre 2018, un inspecteur de Mesures Canada visite Hydro-Québec pour valider les étapes de la documentation alors faite par Hydro-Québec en lien avec les compteurs à sceau expiré et effectue des vérifications sur un échantillonnage de 16 dossiers de compteurs.

[20] Le 2 janvier 2019, Mesures Canada demande à Hydro-Québec de lui fournir, pour le 7 janvier 2019, la liste complète des compteurs à sceau expiré toujours installés qui font partie de l’Avertissement de violation du 27 septembre précédent et dont le plan d’action prenait fin le 31 décembre 2018. Mesures Canada liste alors 10 types d’information qu’Hydro-Québec doit consigner, pour chaque compteur.

[21] Le 11 janvier 2019, après avoir reçu une prolongation du délai initial, Hydro-Québec transmet à Mesures Canada une liste de 844 compteurs et inclut, pour chacun, certaines informations succinctes, dont la raison du délai pour leur remplacement et les démarches en cours (Dossier de la Demanderesse aux pp 409-419, Pièce PGL-3 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine (Pièce HQ-13 du dossier de révision ministérielle)). Hydro-Québec offre alors à Mesures Canada d’accueillir ses représentants afin de montrer à ces derniers les détails des étapes suivies pour chaque compteur.

[22] Le ou vers le 18 janvier 2019, Mesures Canada dresse un Rapport de violation lequel sera utilisé pour dresser le Procès-Verbal. Il y est consigné que, pendant ses deux jours de visite d’inspection, les 20 novembre et 11 décembre précédents, Mesures Canada a vérifié un total de 16 dossiers de compteurs. L’inspecteur de Mesures Canada consigne les commentaires suivants dans l’Annexe au Rapport de violation :

Les efforts d’HQ effectués pour certains cas de compteurs avec des sceaux périmés en 2014 sont insuffisants. Nous avons des évidences qui démontrent que certains clients ont été contactés seulement une à deux fois sur de très grandes périodes de temps. Dans certains de ces cas, après qu’HQ a reçu la lettre d’avertissement de violation de Mesures Canada, nous avons remarqué une augmentation de lettres d’avertissement/modérées envoyé de leur part.

La vérification de la documentation d’HQ démontre qu’une approche systématique et uniforme n’a pas été appliquée au cours des années tel qu’HQ s’était engagé pour tous les compteurs avec des sceaux périmés.

[23] Le 1er février 2019, un fonctionnaire de Mesures Canada désigné, M. Mario Dupuis, dresse le Procès-Verbal selon le paragraphe 29.12(1) de la Loi. M. Dupuis y indique être d’avis que l’auteur présumé de la violation, Hydro-Québec, a commis une violation au paragraphe 12(1) et à l’alinéa 33(1)e) de la Loi en permettant qu’un compteur reste en service au-delà de la date fixée pour une nouvelle vérification. Dans la section du Procès-Verbal relative aux faits reprochés, M. Dupuis note que le 1er janvier 2019, Hydro-Québec avait toujours 844 compteurs à sceau périmé et que ces compteurs étaient visés par l’Avertissement de violation émis le 27 septembre 2018. M. Dupuis note aussi qu’après revue des mesures prises par Hydro-Québec afin de remplacer les compteurs à sceau périmé restants, Mesures Canada a soustrait 155 compteurs à la pénalité administrative, évaluant qu’Hydro-Québec ne les utilisait pas pour facturation aux clients ou qu’elle avait fait preuve de diligence raisonnable afin de les retirer du service et que 689 compteurs à sceau périmé étaient donc visés par la pénalité administrative.

[24] M. Dupuis souligne aussi qu’en vertu de l’article 49 et du paragraphe 50(1) du Règlement, la violation est qualifiée de très grave et que la pénalité pour une violation très grave est de 1 000$. Cependant, compte tenu des antécédents (paragraphe 50(2) du Règlement), il réduit la pénalité de moitié et la fixe donc à 344 500,00$, montant qui sera réduit de moitié si la pénalité est payée dans les 15 jours qui suivent.

[25] Le Procès-Verbal confirme les trois options à la disposition de l’auteur présumé de la violation en réponse au Procès-Verbal, soit (1) payer la pénalité et corriger la violation immédiatement; (2) demander de conclure une transaction avec Mesures Canada; ou (3) demander une révision des faits reprochés ou du montant de la pénalité.

[26] Le 4 février 2019, le Procès-Verbal est signifié à Hydro-Québec. Le 18 février 2019, M. Dupuis confirme à Hydro-Québec qu’il attend la réponse au Procès-Verbal d’ici le 6 mars et qu’Hydro-Québec aura ensuite 30 jours additionnels pour soumettre des pièces justificatives.

[27] Le 5 mars 2019, Hydro-Québec soumet un formulaire de réponse au Procès-Verbal à Mesures Canada en vertu de l’alinéa 29.13(2) b) de la Loi et demande la révision ministérielle des faits reprochés ou du montant de la pénalité.

[28] Hydro-Québec joint à ce formulaire des observations écrites et les pièces désignées HQ-1 à HQ-20 (Dossier de la Demanderesse, Pièce PGL-3 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine). Hydro-Québec soutient alors que (1) les procédures en violation sont nulles puisqu’elles sont prescrites; (2) la pénalité réclamée s’avère illégale puisqu’elle est supérieure à 2 000$ (paragraphe 29.11(3) de la Loi) et qu’elle incorpore dans le même procès-verbal plusieurs actes reprochés; (3) le Procès-Verbal est illégal puisqu’un procès-verbal doit être dressé pour chaque violation, ce qui n’a pas été fait (paragraphes 29.11(1) et 29.12(1) de la Loi) et l’inclusion de 689 violations alléguées au sein d’un même procès-verbal de violation ne permettent pas une réponse adaptée à chaque situation; (4) sa responsabilité ne peut être retenue puisqu’Hydro-Québec n’a pas commis la violation reprochée; et (5) l’absence de motifs raisonnables (paragraphe 29.12(1) de la Loi) puisque, notamment, le Procès-Verbal a été dressé sur la base d’information que Mesures Canada savait être incomplète et que l’exigence des motifs raisonnables pour chaque violation prévue à la Loi est incompatible avec le processus d’échantillonnage. Hydro-Québec souligne alors particulièrement, à titre d’exemples, que le compteur portant le no 392J7683695 avait pourtant été remplacé le 1er mai 2018 par le compteur portant le no G9SJ3579648 et que le compteur portant le numéro 320H6089201 avait été remplacé le 15 novembre 2018 par le compteur portant le numéro G4SXB001332 et qu’aucune violation n’existait donc pour ces compteurs le 1er janvier 2019 (Dossier de la Demanderesse à la p 2436).

[29] Toujours en réponse au Procès-Verbal, Hydro-Québec soulève aussi que l’équité procédurale n’a pas été respectée, qu’elle a une défense de diligence raisonnable et qu’elle a pris toutes les précautions voulues pour prévenir la commission de la violation alléguée. Hydro-Québec indique aussi que les pièces justificatives au soutien de la défense de diligence raisonnable, en ce qui concerne les compteurs visés par le Procès-Verbal, seront soumises au plus tard le 4 avril 2019.

[30] Le 19 mars 2019, en réponse au formulaire de réponse et au choix d’Hydro-Québec de contester le Procès-Verbal devant le Ministre, Mme Diane Allan, présidente de Mesures Canada, charge M. Spicer de procéder, au nom du Ministre, à l’examen de la contestation.

[31] Le même jour, M. Dupuis confirme à Hydro-Québec que Mesures Canada a reçu la demande d’examen et souligne notamment que la demande et les observations écrites seront soumises à un examinateur indépendant. M. Dupuis informe aussi Hydro-Québec que M. Spicer a été désigné pour procéder à l’examen.

[32] Le 3 avril 2019, sans attendre le dépôt des pièces justificatives annoncé par Hydro-Québec le 5 mars précédent, M. Dupuis transmet au Délégué du Ministre la réponse de Mesures Canada aux observations soumises par Hydro-Québec. M. Dupuis confirme alors notamment que le Procès-Verbal a été signifié à Hydro-Québec sur la base des informations de suivi présentées le 11 janvier 2019 pour chacun des compteurs visés. Il souligne aussi que Mesures Canada a incorporé dans un seul procès-verbal un même acte reproché visant un total de 689 compteurs, et « qu’un groupe de compteurs qui a été visé par une même dispense et plan d’action subséquent seront aussi inclus sur un même procès-verbal. Le calcul effectué tient alors en compte le montant maximal prévu par appareils [...] » (Dossier de la Demanderesse à la p 2453). À la page 3 de sa réponse, M. Dupuis souligne que « [s]elon Mesures Canada, la Régie de l’énergie pourvoit [Hydro-Québec] de pouvoirs d’entrée, et selon un avis légal obtenu par [Mesures Canada], ils ont la possibilité d’exercer leur droit d’entrée prévu à la [Loi sur l'inspection de l'électricité et du gaz] » (Dossier de la Demanderesse à la p 2454). M. Dupuis ne joint pas la copie de cet avis légal à sa réponse. Enfin, M. Dupuis réfère à la preuve alors existante et il indique laisser au Délégué du Ministre le soin de considérer les arguments soulevés par Hydro-Québec en lien avec l’équité procédurale et avec la défense de diligence raisonnable.

[33] Le 4 avril 2019, Hydro-Québec soumet ses observations écrites amendées annoncées. Hydro-Québec soutient alors encore avoir pris toutes les précautions voulues pour prévenir la commission de la violation alléguée et ajoute un volumineux dossier de plus de 1 500 pages contenant les pièces justificatives, soit les Pièces HQ-21 et HQ-22 détaillant les mesures prises en lien avec chacun des compteurs sur les terres non-autochtones et sur les terres autochtones respectivement (voir la Pièce PGL-3 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine). Hydro-Québec suggère alors notamment que Mesures Canada n’a revu que les informations qu’Hydro-Québec a fournies le 11 janvier 2019, en transmettant la liste demandée, et en novembre et décembre 2018, lors de l’inspection de 16 compteurs par échantillonnage. Hydro-Québec soutient donc qu’il est erroné d’affirmer que Mesures Canada a revu les mesures prises pour le remplacement des 844 compteurs.

[34] Hydro-Québec souligne alors qu’entre le 11 janvier 2019 et la date de l’émission du Procès-Verbal, 33 compteurs avaient déjà été remplacés de sorte que la révision effectuée par Mesures Canada ne pouvait être contemporaine à l’émission du Procès-Verbal alors que les motifs raisonnables exigés par la Loi pour dresser le Procès-Verbal doivent être contemporains à celui-ci. Hydro-Québec souligne d’autres situations factuelles qui démontrent, selon elle, que Mesures Canada s’est limitée à utiliser l’information fournie par Hydro-Québec au moment de l’envoi de la liste des compteurs le 11 janvier 2019, que Mesures Canada a interprété l’information de la liste à partir des informations obtenues lors des vérifications des 20 novembre et 11 décembre 2018 sur un échantillon de 16 compteurs, et essentiellement, que Mesures Canada n’a pas effectué ses propres vérifications relativement à chaque compteur et à chaque violation à la suite de la réception de la liste des compteurs à sceau expiré. Enfin, Hydro-Québec soutient avoir fait preuve de diligence raisonnable et avoir pris les précautions voulues pour prévenir la commission de la violation reprochée. Hydro-Québec demande donc l’annulation du Procès-Verbal ou subsidiairement, la révision du montant de la pénalité pour l’établir à 500$ pour une seule violation conformément à la Loi. De surcroit, Hydro-Québec ajoute des exemples de compteurs qui auraient été remplacés, dont le compteur portant le numéro 392JD011677 qui avait été remplacé par le compteur portant le numéro G9SJ3722660 le 21 septembre 2018, soit bien avant l’émission du Procès-Verbal.

[35] Au début du mois d’avril 2019, les représentants de Mesures Canada ont des échanges avec le Délégué du Ministre hors la connaissance d’Hydro-Québec. C’est la première des situations soulevées par Hydro-Québec pour soutenir l’allégation de violation aux principes de justice naturelle, examinée plus loin dans les présents motifs.

[36] Le 18 avril 2019, Hydro-Québec transmet au Délégué du Ministre sa réplique à la réponse de Mesures Canada du 3 avril 2019. Hydro-Québec souligne alors en outre que (1) la réponse de Mesures Canada a eu lieu avant l’expiration du délai octroyé à Hydro-Québec pour soumettre ses pièces justificatives; (2) les pièces justificatives transmises par Hydro-Québec le 4 avril comprennent plusieurs milliers de pages; (3) Mesures Canada réfère à un avis légal sans en fournir la copie et Hydro-Québec en demande la communication; et (4) le Procès-Verbal ne peut être basé sur un échantillon de 16 vérifications puisque chaque violation nécessite des motifs raisonnables de croire qu’une violation a été commise au soutien des faits reprochés.

[37] Le 6 mai 2019, le Délégué du Ministre signale, en écrivant aux parties, de « [...] veiller à ce que toutes les parties aient accès aux mêmes documents » (Dossier de la Demanderesse à la p 3511).

[38] En mai 2019, Me Sherri Anderson, l’avocate de Mesures Canada dans le cadre de la préparation du Procès-Verbal, échange avec le Délégué du Ministre hors la connaissance d’Hydro-Québec. C’est la deuxième des situations problématiques invoquées par Hydro-Québec, examinée plus loin dans les présents motifs.

[39] À l’automne 2019, des représentants de Mesures Canada échangent de nouveau avec le Délégué du Ministre à propos d’une demande de prolongation de dispense formulée par Hydro-Québec, une fois de plus hors la connaissance d’Hydro-Québec. Il s’agit de la troisième situation présentée comme problématique par Hydro-Québec.

[40] Dans ce contexte, le 4 décembre 2019, le Délégué du Ministre rend sa Décision et Hydro-Québec en demande le contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[41] Dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, Hydro-Québec formule une demande de transmission du dossier du tribunal selon la règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles].

[42] Le 14 septembre 2020, en réponse à cette demande de transmission sous la Règle 317, Mesures Canada transmet son Dossier Certifié du Tribunal [DCT] aux parties, mais dont certaines portions sont caviardées. Hydro-Québec demande la divulgation de l’information caviardée, mais Mesures Canada s’y oppose en vertu de la règle 318 des Règles, invoquant le secret professionnel de l’avocat. Mesures Canada dépose alors une Requête en opposition de transmission du dossier du tribunal et en confidentialité, en vertu des règles 369, 151, 152, 317 et 318 des Règles. L’un des documents caviardés est l’avis légal du 28 décembre 2018 préparé par l’avocate de Mesures Canada mentionnée plus haut, pour Mme Campeau et M. Dupuis, fonctionnaires de Mesures Canada. M. Dupuis fait d’ailleurs état de cet avis légal dans sa réponse du 3 avril 2019 au Délégué du Ministre et c’est cet avis légal qui a été remis, en mai 2019, par l’avocate à M. Spicer alors qu’il agissait à titre de Délégué du Ministre.

[43] Le 26 avril 2021, Mme la juge adjointe Mireille Tabib accueille la requête en opposition de Mesures Canada et conclut que les parties du DCT identifiées comme étant couvertes par le privilège relatif au secret professionnel de l’avocat ne doivent pas être divulguées. Hydro-Québec loge un appel à l’encontre de la partie de cette décision visant le caviardage de l’avis légal.

[44] Dans le cadre de cet appel, Mesures Canada soutient alors notamment que la divulgation d’un document protégé par le privilège relatif au secret professionnel par l’avocat d’une institution gouvernementale à une autre, à plus forte raison d’un fonctionnaire à un autre fonctionnaire œuvrant pour la même institution, n’emporte pas la renonciation au privilège. Mesures Canada soutient donc alors que le fonctionnaire qui agit comme Délégué du Ministre et les fonctionnaires de Mesures Canada partagent le même secret professionnel. Mesures Canada soutient alors aussi que le décideur administratif peut rechercher et obtenir un avis légal auprès d’un avocat.

[45] Le 26 octobre 2021, la Cour accueille l’appel d’Hydro-Québec et ordonne la communication, à Hydro-Québec, d’une version non caviardée de l’avis légal du 28 décembre 2018. La Cour note alors, entre autres, que le Délégué du Ministre ne peut partager le même secret professionnel que celui liant les fonctionnaires de Mesures Canada à l’origine du Procès-Verbal que le Délégué du Ministre est justement chargé de réviser. Mesures Canada n’a pas porté cette décision en appel.

III. Décision contestée

[46] Dans sa Décision, le Délégué du Ministre explique que son rôle, à titre d’examinateur est de (1) déterminer si Hydro-Québec a commis la violation ou établi avoir pris les précautions voulues pour empêcher que la violation se produise; et (2) déterminer si le montant de la pénalité a été établi conformément au Règlement. Il souligne être tenu d’examiner tous les documents pertinents liés au Procès-Verbal soumis par les parties. Le Délégué du Ministre fait un survol des faits et il note que, malgré les mesures prises par Hydro-Québec pour remplacer les compteurs, dans les faits, on compte toujours 844 compteurs dont le sceau était expiré en date du 1er janvier 2019.

[47] Dans le cadre de son analyse, le Délégué du Ministre traite des actes ou omissions constituant une violation présumée (Partie 1) et du montant de la pénalité (Partie 2).

[48] Dans la Partie 1, le Délégué du Ministre souligne qu’il est évident, d’après la preuve documentaire fournie par les parties, que les 844 compteurs visés par le Procès-Verbal ont des sceaux expirés et que les deux parties étaient au courant de ces compteurs et possédaient d’autres détails sur chacun d’eux. Il note que malgré les efforts déployés par Hydro-Québec, les compteurs ne satisfont pas aux exigences de l’article 12 de la Loi. Il conclut qu’Hydro-Québec a, par conséquent, commis la violation telle qu’énoncée dans le Procès-Verbal.

[49] Toujours dans la Partie 1, le Délégué du Ministre traite ensuite des quatre arguments soulevés par Hydro-Québec qui sont, à son avis, nécessaires et pertinents en l’espèce soit que (1) Mesures Canada n’a pas satisfait aux exigences de l’article 29.26 de la Loi; (2) il devrait y avoir un procès-verbal distinct pour chaque compteur et une pénalité correspondante en vertu de l’article 29.11 de la Loi; (3) l’inspecteur n’avait aucun motif raisonnable de dresser un procès-verbal en vertu de l’article 29.12; et (4) Mesures Canada n’a pas satisfait aux exigences d’équité procédurale et Hydro-Québec a pris toutes les précautions voulues.

[50] Quant à l’argument que Mesures Canada n’a pas satisfait aux exigences de l’article 29.26 de la Loi, le Délégué du Ministre indique que le concept de prescription de six mois ne semble pas s’appliquer puisqu’il y a eu une succession régulière de dispenses temporaires. Il ajoute que, comme la dispense temporaire soustrait les compteurs des exigences de la Loi concernant le scellage et la vérification, la dispense temporaire doit également soustraire les parties des exigences prévues à l’article 29.26 de la Loi.

[51] Quant à l’argument qu’il doit y avoir un procès-verbal distinct pour chaque compteur et une pénalité correspondante en vertu de l’article 29.11 de la Loi, le Délégué du Ministre opine que, comme c’est l’omission de remplacer les compteurs dont le sceau est expiré qui constitue une violation, Mesures Canada peut inclure tous les compteurs associés à cette violation dans un seul procès-verbal et assortir celui-ci de la pénalité appropriée, laquelle représente la somme des pénalités pour chaque compteur.

[52] Quant à l’argument que l’inspecteur n’avait aucun motif raisonnable de dresser un procès-verbal en vertu de l’article 29.12, le Délégué du Ministre souligne qu’Hydro-Québec a fourni plusieurs exemples de situations où Mesures Canada n’a pas satisfait au seuil des motifs raisonnables pour dresser un procès-verbal. Le Délégué du Ministre note que, cependant, le fait demeure que selon la liste d’Hydro-Québec, le sceau des compteurs en question était expiré, ce qui contrevient à la Loi et constitue un motif suffisant pour que Mesures Canada dresse un procès-verbal.

[53] Enfin, quant à l’argument que Mesures Canada n’a pas satisfait aux exigences d’équité procédurale et qu’Hydro-Québec a pris les précautions voulues, le Délégué du Ministre souligne en outre, pour les fins de la présente que, d’après les documents qu’il a examinés, (a) il semble qu’Hydro-Québec ait eu suffisamment d’occasions de régler bon nombre de cas difficiles; (b) dans certaines situations il y avait des écarts de plusieurs mois ou années entre les communications; (c) il semble qu’aucune approche systématique n’ait été adoptée par Hydro-Québec pour les communications régulières et continues; (d) Hydro-Québec aurait pu demander de l’aide à Mesures Canada pour les cas difficiles; (e) s’étant vu octroyer plusieurs dispenses temporaires, il est possible qu’Hydro-Québec n’ait pas été motivée à en faire plus; (f) la diligence est établie au cas par cas et est mesurée par rapport à la prépondérance des probabilités; et (g) les éléments de preuve ont démontré clairement un manque de diligence raisonnable à l’égard des compteurs situés sur des terres non autochtones.

[54] Dans la Partie 2 de son analyse, le Délégué du Ministre conclut que le montant de la pénalité initiale de 689 000$ (réduite de moitié à 344 500$) est correct compte tenu des dispositions de la Loi et de son Règlement, et étant donné les faits énoncés dans le Procès-Verbal.

[55] Le Délégué du Ministre conclut donc qu’Hydro-Québec n’a pas pris toutes les précautions voulues à l’égard des compteurs situés sur des terres non autochtones et par conséquent, les violations liées à ces 246 compteurs sont maintenues. Le Délégué du Ministre détermine donc que le montant de la pénalité à imposer est de 246 000$ et que, conformément au paragraphe 50(2) du Règlement, la pénalité est réduite de moitié et s’élève donc à 123 000$.

IV. Questions en litige

[56] Compte tenu des représentations des parties, la Cour doit déterminer si:

  1. Le processus décisionnel a violé les principes d’équité procédurale de façon à vicier la Décision;

  2. Hydro-Québec a établi que la Décision est déraisonnable; et

  3. si oui, les remèdes appropriés.

V. Analyse

A. Allégation de violation des principes de justice naturelle

(1) Position des parties

[57] Hydro-Québec soutient que le processus ayant mené à l’émission de la Décision a été fondamentalement vicié par d’importantes violations des principes de justice naturelle.

[58] Hydro-Québec avance que, contrairement à ce qui lui avait été présenté, le processus décisionnel n’a pas été objectif et indépendant puisque le Délégué du Ministre a entretenu des communications avec les fonctionnaires de Mesures Canada pendant son délibéré et à l’insu d’Hydro-Québec, ce qui constitue une violation des principes d’équité procédurale et vicie fatalement la Décision.

[59] Hydro-Québec souligne que la communication la plus préoccupante est certainement celle qui ressort d’une chaîne de courriels des 3 et 4 avril 2019. Hydro-Québec soutient que le contenu de ces échanges est troublant puisqu’ (1) ils démontrent que des échanges ont eu lieu à l’insu d’Hydro-Québec entre le décideur, le Délégué du Ministre, prétendument indépendant, et l’une des parties au litige que le décideur était chargé de trancher; (2) ces échanges ont porté sur la substance du débat devant le Délégué du Ministre et sur les arguments à soulever en réponse à Hydro-Québec; (3) ces échanges font eux-mêmes état d’autres échanges entre le Délégué du Ministre et l’auteur du Procès-Verbal contesté; et (4) certains échanges confirment que ce n’est ni un hasard, ni un oubli si Hydro-Québec n’a pas été tenue informée des échanges entre Mesures Canada et le Délégué du Ministre.

[60] Ensuite, Hydro-Québec souligne que, toujours à son insu, le Délégué du Ministre a communiqué directement avec Me Anderson, soit l’avocate que Mesures Canada avait retenue pour préparer un avis juridique en vue de l’émission du Procès-Verbal. Il est acquis que Me Anderson communique alors notamment à M. Spicer, en sa qualité de Délégué du Ministre, l’avis juridique qu’elle a rédigé pour Mesures Canada dans le cadre de la préparation du Procès-Verbal.

[61] Enfin, à l’automne 2019, alors que le Délégué du Ministre est en délibéré, il échange plusieurs courriels avec les fonctionnaires de Mesures Canada au sujet des compteurs visés par le Procès-Verbal, toujours à l’insu d’Hydro-Québec.

[62] Hydro-Québec indique avoir appris l’existence de ces échanges par le biais de la réception du DCT le ou vers le 11 septembre 2020, soit bien après que la Décision eut été rendue.

[63] Hydro-Québec soutient qu’il ne fait aucun doute que ces nombreux échanges sont inappropriés et qu’ils constituent des violations claires des principes d’équité procédurale les plus élémentaires, qu’ils contreviennent de manière manifeste à la procédure adoptée par Mesures Canada et aux assurances données par M. Dupuis et par le Délégué du Ministre quant à l’objectivité et l’indépendance du processus, et démontrent l’absence de tout fondement des prétentions de Mme Allan à l’égard de la transparence du processus.

[64] Le PGC répond qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis. Il souligne que les facteurs suivants doivent être ici analysés, soit (1) la nature de la décision recherchée et le processus pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif applicable; (3) l’importance de la décision pour les individus visés; (4) les attentes légitimes de ces individus; et (5) les choix de procédure du décideur (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 aux para 21-28 [Baker]). Le PGC soutient, en bref, que son analyse démontre qu’Hydro-Québec avait droit à un niveau modéré d’équité procédurale.

[65] Le PGC ajoute que le comportement du décideur ne donne lieu à aucune crainte raisonnable de partialité selon le test établi (Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie), 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 RCS 369 [Committee for Justice and Liberty]). Le PGC ajoute qu’au surplus, comme Mesures Canada n’est pas un tribunal administratif quasi-judicaire, l’application du critère d’impartialité est assouplie (Baker au para 44, Newfoundland Telephone Co. c Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 RCS 623, 89 DLR (4e) 289 à la p 636 [Newfoundland Telephone Co.]; Enquête Énergie c Comm. de contrôle de l'énergie atomique, [1985] 1 CF 563, 14 DLR (4e) 48 à la p 584 [Enquête Énergie]; Corporation Gardaworld Services Transport de valeurs Canada c Smith, 2020 CF 1108 au para 33 [Gardaworld]; Patrice Garant, Droit administratif, Montréal, Yvon Blais, 7e éd, 2017 au ch X, L’impartialité - Introduction, L’impartialité décisionnelle : la crainte raisonnable de partialité, L’impartialité - La situation des organismes exerçant des fonctions administratives) et ajoute que le fardeau de preuve reposant sur Hydro-Québec est élevé en raison de la présomption d’impartialité dont jouissent les décideurs administratifs (Committee for Justice and Liberty à la p 394; Telus Communications Inc. v Telecommunications Workers Union, 2005 FCA 262 aux para 36-38).

[66] Quant au premier échange de courriels datant d’avril 2019, le PGC soutient que le Délégué du Ministre n’a pas participé à ces échanges et qu’ils lui ont simplement été transférés par la présidente de Mesures Canada, Mme Allan, afin d’assurer une plus grande transparence dans le processus décisionnel. Le PGC qualifie d’insinuations, suppositions et soupçons le fait qu’un courriel rapporte la tenue d’une brève discussion entre le Délégué du Ministre et un fonctionnaire de Mesures Canada.

[67] Le PGC reconnait qu’un décideur ne devrait pas communiquer avec une partie en l’absence de l’autre partie (Gardaworld au para 38; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Tobiass, [1997] 3 RCS 391, 151 DLR (4e) 119 aux para 74-75 [Tobiass]). Cependant, le PGC soutient qu’une partie peut inversement communiquer avec le décideur sur la substance du dossier sans inclure l’autre partie dans cette communication. Le PGC ajoute qu’il n’y a pas de crainte de partialité si le décideur transmet ensuite cette communication à la partie adverse (Gardaworld au para 39; GRK Fasteners c Leland Industries Inc., 2006 CAF 118 au para 17 [GRK Fasteners]).

[68] Quant au second échange en juin 2019 entre le Délégué du Ministre et Me Anderson, le PGC souligne que l’échange fut caviardé en application du privilège du secret professionnel de l’avocat. Mesures Canada et le Délégué du Ministre étant donc liés par un secret professionnel, le PGC soutient de plus que le caviardage a été contesté par Hydro-Québec et maintenu par la Cour fédérale, et que l’argument d’Hydro-Québec repose donc sur des insinuations et doit être rejeté.

[69] Le PGC maintient aussi, paradoxalement, que le Délégué du Ministre pouvait solliciter et obtenir des conseils juridiques dans le cadre de ses fonctions et qu’en fait, le Délégué du Ministre a retenu les services de l’avocate de Mesures Canada, comme son avocate. Le PGC a proposé, lors de l’audience, que l’embauche de la même avocate par Mesures Canada et par le Délégué du Ministre pourrait résulter de contraintes opérationnelles au sein de Mesures Canada.

[70] Quant au troisième échange entre le Délégué du Ministre, M. Dupuis et d’autres fonctionnaires de Mesures Canada, le PGC note les sujets des échanges, soit les compteurs devant être remplacés, une question sur le moment attendu de la décision et un échange débutant par une demande de prolongation de dispense d’Hydro-Québec. Il souligne qu’il ressort de ces échanges que le Délégué du Ministre a indiqué ne pouvoir répondre « à aucune question de la demanderesse à cet égard » en raison de son rôle limité à évaluer la preuve et les observations écrites. Le PGC ajoute que Mesures Canada soulevait alors des enjeux de nature procédurale sur le statut de compteurs qui sont visés par la demande de révision ministérielle, ce qui ne concerne pas le fond de la contestation formulée par Hydro-Québec. Le PGC soutient que puisque les communications étaient de nature administrative, elles font exception au principe général d’interdiction de communications ex parte avec une seule des parties (Gardaworld aux para 33, 39; Grey c Première nation no 459 de Whitefish Lake, 2020 CF 949 aux para 44-51. Voir aussi Baker au para 44; Newfoundland Telephone Co. à la p 636; Enquête Énergie à la p 584).

(2) Décision

a) Norme de contrôle

[71] En ce qui a trait à l’équité procédurale, aucune norme de contrôle n’est appliquée, mais l’exercice de contrôle de la Cour est « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée], citant l’arrêt Eagle’s Nest Youth Ranch Inc v Corman Park (Rural Municipality #344), 2016 SKCA 20 au para 20; voir aussi Canadian Hardwood Plywood and Veneer Association v Canada (Attorney General), 2023 FCA 74 au para 57). La Cour doit ainsi se demander si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (Chemin de fer Canadian Pacifique Limitée aux para 54-56).

[72] Dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, la Cour d’appel fédérale souligne que la question fondamentale, peu importe la déférence accordée aux tribunaux administratifs, « demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée au para 56).

[73] Tel que le rappelle Hydro-Québec, la Loi établit que, saisi d’une contestation, le Ministre ne tient compte, lorsqu’il détermine la responsabilité de l’intéressé, que des éléments de preuve et des arguments écrits. La Loi prévoit en outre que la décision du Ministre, en cas de contestation des faits, repose sur la prépondérance des probabilités (paragraphe 29.16 (5) et article 29.21 de la Loi).

[74] En matière d’équité, la Cour suprême du Canada a souligné dans l’arrêt Baker que :

Les valeurs qui sous‐tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision (Baker au para 28).

b) Communications non divulguées entre une partie et/ou son avocat et le décideur administratif

[75] La preuve révèle que plusieurs communications ont eu lieu (1) entre le Délégué du Ministre et des fonctionnaires de Mesures Canada, dont la présidente et les personnes responsables de l’émission du Procès-Verbal; et (2) entre le Délégué du Ministre et l’avocate de Mesures Canada, le tout sans qu’Hydro-Québec n’en ait été informée.

[76] La première série d’échanges, celle des 3 et 4 avril 2019, se trouve aux pages 3457 et suivantes du Dossier de la Demanderesse (DCT aux pp 5-106). Ainsi, le 3 avril 2019, M. Dupuis transmet à M. Carl Cotton, à Mme Campeau et à Mme Allan, tous de Mesures Canada, la réponse qu’il a adressée au Délégué du Ministre et il leur indique (en anglais dans le texte) en substance que (1) les éléments additionnels d’Hydro-Québec sont dus au Délégué du Ministre le lendemain; (2) après réflexion et une rapide discussion avec le Délégué du Ministre, il a été décidé que lui (M. Dupuis) offrirait sa réponse au Délégué du Ministre pour revue, et pas à Hydro-Québec; (3) le Délégué du Ministre solliciterait des conseils légaux si cela s’avérait nécessaire; et (4) cette manière de procéder a été choisie pour maintenir un processus de révision indépendant.

[77] Le 4 avril 2019, M. Cotton répond à tous (en anglais dans le texte) et indique notamment qu’il faudrait être soucieux (mindful) de fournir trop d’informations à Hydro-Québec au sujet de ces autres arguments, car Hydro-Québec pourrait les utiliser si elle souhaite faire appel devant la Cour fédérale.

[78] Le 4 avril 2019, Mme Allan communique la chaîne de messages au Délégué du Ministre. Elle ne demande pas qu’Hydro-Québec soit informée.

[79] La preuve révèle que ces communications entre M. Dupuis, Mme Allan et les autres fonctionnaires de Mesures Canada entre le 3 et 4 avril 2019 n’ont pas été transmises à Hydro-Québec et que cette dernière n’en a pris connaissance qu’après avoir initié la présente demande de contrôle judiciaire et après avoir reçu le DCT de Mesures Canada.

[80] Tel que le souligne aussi Hydro-Québec, l’un des aspects importants de l’équité procédurale est le fait qu’une partie ne peut avoir aucune communication avec le décideur en l’absence de l’autre partie au litige (R c Curragh Inc., [1997] 1 RCS 537, 144 DLR (4e) 614 au para 104; Tobiass aux para 74-75; R c Peters, 2001 CSC 34 au para 2). Ainsi, les décideurs administratifs ne peuvent s’entretenir avec une partie sans avertir l’autre partie et lui donner l’opportunité de répondre, même en l’absence d’un processus adjudicatif formel (Kane c Cons. d'administration de l'U.C.B., [1980] 1 RCS 1105, 110 DLR (3e) 311 à la p 1114 [Kane]; Pfizer Co. Ltd. c Sous-ministre du Revenu National, 1975 CanLII 194, [1977] 1 RCS 456 à la p 463).

[81] Mesures Canada reconnaît elle-même cette obligation dans sa Procédure d’examen ministériel [Procédure] et Mme Allan l’a confirmé aussi sans équivoque lors de son contre-interrogatoire dans le cadre du présent litige.

[82] Le PGC lui-même reconnaît, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, qu’il n’y a pas de crainte de partialité si le décideur transmet ensuite cette communication à la partie adverse (Gardaworld au para 39; GRK Fasteners au para 17).

[83] Or, la preuve au dossier ne contient aucune indication que le Délégué du Ministre a transmis les communications à Hydro-Québec qui est, en l’instance, la partie adverse. Le PGC ne conteste pas que les échanges entre Mesures Canada et le Délégué du Ministre n’ont pas été transmis, ou divulgués, à Hydro-Québec et je conclus qu’ils n’ont effectivement pas été transmis ou divulgués à Hydro-Québec, cette dernière n’ayant appris leur existence qu’à la réception du DCT.

[84] Je suis convaincue que tous ces échanges, qui ne sont pas de nature administrative, sont inappropriés. Ils constituent des violations claires des principes d’équité procédurale et entachent l’impartialité du décideur. En outre, ils contreviennent manifestement à la Procédure adoptée par Mesures Canada et aux assurances d’indépendance et d’objectivité données par M. Dupuis et par le Délégué du Ministre à Hydro-Québec ainsi qu’à l’assurance de transparence du processus donnée par la présidente de Mesures Canada. Ces échanges, qui n’ont pas été dévoilés à Hydro-Québec, n’ont pas leur place dans le cadre d’un processus qui doit être équitable, impartial et ouvert tel que la Cour suprême du Canada l’exige dans l’arrêt Baker. Ils sont de nature à vicier fatalement le processus décisionnel et la Décision qui a été rendue au terme de ce processus.

[85] Hydro-Québec souligne avec justesse qu’« [e]n contre-interrogatoire, Mme Allan tente de justifier qu’elle ait transmis au Délégué du Ministre les échanges tenus entre fonctionnaires en invoquant qu’elle pensait que cette information serait partagée avec HQ » (Mémoire des faits et du droit de la Demanderesse au para 90 à la note en bas de page 104; voir contre-interrogatoire de Mme Diane Allan aux pp 48-53, Dossier de la Demanderesse aux pp 3710-3715). Je suis d’accord avec Hydro-Québec qu’il s’agit là d’une tentative de justification a posteriori fort peu utile puisque Mme Allan a reconnu n’avoir effectué aucun suivi pour s’assurer que les échanges soient effectivement transmis à Hydro-Québec, que les courriels eux-mêmes font état d’une volonté de ne pas révéler l’information à Hydro-Québec et que lesdits échanges n’ont pas été partagés avec Hydro-Québec.

[86] La deuxième série d’échanges problématiques est celle entre l’avocate de Mesures Canada et le Délégué du Ministre.

[87] Le PGC souligne d’abord que les échanges entre l’avocate de Mesures Canada et le Délégué du Ministre sont caviardés, protégés par le secret professionnel de l’avocat, et que la Cour a d’ailleurs maintenu le caviardage.

[88] D’emblée, il n’est pas tout à fait exact d’indiquer que la Cour a maintenu le caviardage sans préciser que la soussignée a, en octobre 2021, ordonné la divulgation de l’avis légal du 28 décembre 2018, après avoir conclu que sa transmission par Me Anderson au Délégué du Ministre, une tierce partie, avait entraîné la renonciation, par Mesures Canada, au secret professionnel. En effet, j’ai alors notamment conclu qu’il était évident que Mesures Canada et le Délégué du Ministre ne pouvaient pas être liés par et/ou invoquer le même secret professionnel, un secret qui les lierait tous les deux à l’avocate de Mesures Canada, alors qu’ils sont respectivement partie (Mesures Canada) et décideur (le Délégué du Ministre) à un litige dans le cadre de la contestation du Procès-Verbal.

[89] Dans le cadre de l’audience en appel de la Décision de Mme la juge adjointe Tabib, il était clair que le PGC soutenait que l’avocate de Mesures Canada était concurremment l’avocate du Délégué du Ministre, lesquels ne constituant donc un seul « client » puisque l’avocate était, soutenait-il, tenue au même secret professionnel.

[90] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le PGC soutient (1) que Me Anderson était à la fois l’avocate de Mesures Canada et celle du Délégué du Ministre, les deux constituant un seul et même client, et qu’elle était liée par le même secret professionnel; et alternativement, (2) que le Délégué du Ministre a retenu les services d’une avocate pour le conseiller distinctement, dans son rôle de Délégué du Ministre, et qu’il a dû choisir l’avocate qui conseille aussi Mesures Canada à cause de contraintes opérationnelles au sein de l’organisation.

[91] Le PGC n’a présenté aucune preuve pour soutenir cette deuxième proposition qui contredit d’ailleurs la position qu’il a présentée dans le cadre de sa requête en opposition ayant mené à l’ordonnance d’octobre 2021. Cela étant dit, il n’est pas nécessaire de clarifier laquelle de ces deux options s’applique en l’instance car, avec égards, elles paraissent toutes les deux hautement problématiques et elles vicient toutes les deux fatalement le processus décisionnel. En effet, la preuve confirme que le Délégué du Ministre a été conseillé par l’avocate même qui conseille, ou qui a conseillé, Mesures Canada, l’une des parties du litige, et que le Délégué du Ministre a eu accès à au moins une opinion juridique préparée pour Mesures Canada, hors la connaissance d’Hydro-Québec. La preuve révèle aussi que l’avocate qui a conseillé le Délégué du Ministre a conseillé Mesures Canada précisément sur le sujet du litige, c’est-à-dire sur le Procès-Verbal.

[92] Ainsi, de deux choses l’une : ou bien l’avocate de Mesures Canada conseillait Mesures Canada et le Délégué du Ministre simultanément ou concurremment, ou bien l’avocate de Mesures Canada conseillait le Délégué du Ministre distinctement, alors que rien n’indique que des mesures auraient été prises pour séparer et isoler les dossiers (présumant même que de telles mesures puissent être prises) entre Mesures Canada et le Délégué du Ministre (Succession Macdonalds c Martin [1990] 3 RCS 1235 aux pp 1261-1262). Au contraire, la preuve révèle qu’au moins une opinion juridique a été partagée, hors la connaissance d’Hydro-Québec.

[93] Il semble évident qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, trouverait selon toute vraisemblance que le Délégué du Ministre, consciemment ou non, ne rendra pas une décision impartiale et juste selon le test formulé dans la décision Committee for Justice and Liberty (voir Baker aux para 45, 46; Oleynik c Canada (Procureur général), 2020 CAF 5 aux para 46-57; Kohl c Canada (Procureur général), 2024 CF 45 au para 61). Le Délégué du Ministre a reçu des arguments et opinions directement de Mesures Canada, l’une des parties, et n’a pas permis à Hydro-Québec d’en connaître la teneur et d’y répondre.

[94] Dans sa décision Banque de Montréal c Brown, 2006 CF 503, l’honorable juge Yves de Montigny, aujourd’hui juge en chef de la Cour d’appel fédérale, soulignait l’importance de bénéficier de décideurs impartiaux :

[41] [...] La raison pour laquelle on insiste pour que les décideurs soient impartiaux a été expliquée avec justesse par la Cour suprême dans l’arrêt Szilard c. Szasz, 1954 CanLII 4 (SCC), [1955] 1 D.L.R. 370, page 373 :

[TRADUCTION] Ces arrêts illustrent en quoi des relations commerciales ou personnelles peuvent, par leur nature ou par leur étroitesse, mettre l’impartialité en doute à tel point qu’une partie à l’arbitrage peut contester la légitimité du tribunal établi. C’est la probabilité ou le soupçon raisonnable que l’évaluation et le jugement soient empreints de partialité, même involontaire, qui vicie le jugement dès le départ. Chaque partie, agissant raisonnablement, a le droit de pouvoir compter constamment sur l’indépendance d’esprit de ceux qui porteront jugement sur elle et sur ses affaires. [Nos soulignés]

[95] Je conclus que le processus décisionnel a été entaché par d’importantes violations des principes d’équité procédurale qui ont porté atteinte aux droits fondamentaux d’Hydro-Québec d’être entendue, de répondre ainsi que de bénéficier d’une audition et d’un décideur impartial. Il en résulte une crainte raisonnable de partialité qui requiert l’intervention de la Cour. Tel que le souligne Hydro-Québec, il n’est pas nécessaire de démontrer que l’information transmise au Délégué du Ministre a réellement joué au détriment de l’autre partie, il suffit que cette possibilité existe (Kane à la p 1116).

[96] Compte tenu de mes conclusions sur les deux premières situations, je n’ai pas besoin d’examiner l’impact de la troisième série d’échanges de l’automne 2019.

B. La décision est-elle déraisonnable?

(1) Position des parties

[97] Hydro-Québec soutient que (1) le Procès-Verbal ne pouvait validement multiplier le nombre de violations et le montant de la pénalité par le nombre de compteurs; et (2) la Décision a quo est fondée sur une conception fondamentalement erronée de la défense de diligence raisonnable.

[98] Quant au premier motif qu’elle soulève, Hydro-Québec soutient particulièrement que (a) les dispositions de la Loi interdisent le regroupement de plusieurs violations dans un seul procès-verbal; (b) le regroupement de violations alléguées dans un même procès-verbal a substantiellement porté atteinte aux droits d’Hydro-Québec; et (c) le Procès-Verbal n’identifie véritablement qu’une seule violation.

[99] Quant au deuxième motif qu’elle soulève, Hydro-Québec soutient particulièrement que la Décision (a) fait défaut d’analyser les violations recherchées puisque le Délégué du Ministre ne se penche pas sur les violations spécifiques dont il est saisi et (b) est fondée sur des erreurs de droit fondamentales de ce qui constitue de la diligence raisonnable en transformant la diligence raisonnable imposée par la Loi en obligation de résultat.

[100] Le PGC soutient plutôt que la décision est raisonnable et répond en substance qu’ (1) Hydro-Québec a l’obligation légale d’éviter que ses compteurs à sceau expiré demeurent en service; (2) la nature de la violation est le défaut d’Hydro-Québec de procéder au remplacement des compteurs avant l’expiration des sceaux permettant ainsi qu’ils demeurent en service; (3) un seul procès-verbal pouvait être émis et la pénalité ne peut être annulée par la Cour; (4) Hydro-Québec a permis que des compteurs à sceau expiré demeurent en service; et (5) Hydro-Québec n’a pas démontré avoir fait preuve de diligence raisonnable.

(2) Décision

[101] Hydro-Québec soulève plusieurs arguments, mais trois suffisent pour casser la Décision. Le Délégué du Ministre a erré (1) en faisant défaut d’analyser les violations reprochées pour chacun des compteurs, concluant en une violation en lien avec tous les compteurs alors que la preuve révèle qu’aucune violation n’était commise, pour au moins certains compteurs, au moment de la contestation ministérielle; (2) en confirmant que l’inspecteur avait des motifs raisonnables de croire qu’une violation avait été commise pour tous les compteurs du Procès-Verbal alors que certains compteurs avaient été remplacés; et (3) en ne tenant pas compte des démarches spécifiques à chaque compteur situé en territoire non-autochtone dans l’évaluation de la défense de diligence raisonnable.

a) Dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement

[102] Il importe d’examiner d’abord les dispositions de la Loi en lien avec l’obligation de vérification et de scellage, l’infraction créée en cas de défaut et le régime des violations.

[103] Le paragraphe 9(1) de la Loi prévoit que sauf exception, un compteur dont un fournisseur ou un consommateur prévoit l’usage aux fins d’établir le montant exigible pour l’électricité ou le gaz qu’il fournit ou qui lui est fourni, selon le cas, ne peut être mis en service que s’il a d’abord été vérifié et scellé conformément à la présente loi ou aux règlements.

[104] Le paragraphe 12(1) de la Loi prévoit quant à lui que tout compteur doit être soumis à une nouvelle vérification, et en particulier, dans le cas d’un compteur servant à établir un montant exigible pour la fourniture d’électricité, dans les huit ans de la dernière vérification (alinéa 12(1)a) de la Loi). Le compteur fait alors l’objet d’un nouveau scellage, d’un nouveau marquage ou d’une annulation du sceau ou de la marque, selon le cas, en conformité avec la présente loi et les règlements (alinéa 12(1) de la Loi).

[105] Le paragraphe 33(1) de la Loi prévoit notamment que toute personne qui est un fournisseur et permet qu’un compteur reste en service au-delà du délai prévu à l’article 12, bien que les exigences prévues à cet article n’aient pas été observées, commet une infraction (alinéa 33(1)e) de la Loi).

[106] Le paragraphe 29.11(1) de la Loi prévoit que toute contravention à une disposition désignée en vertu de l’alinéa 29.1a) constitue une violation exposant son auteur à la pénalité établie conformément aux règlements. Par ailleurs, les infractions prévues à l’article 12 et à l’alinéa 33(1)e) de la Loi sont, dans l’annexe 2 du Règlement, désignées comme des violations « très graves » et reçoivent 5 points (articles 48 et 49 du Règlement).

[107] Le régime des violations est prévu aux articles 29.11 et suivants de la Loi.

[108] Ainsi, le paragraphe 29.12(1) de la Loi prévoit que l’inspecteur, qui a des motifs raisonnables de croire qu’une violation a été commise, peut dresser un procès-verbal qu’il fait notifier à l’auteur présumé de la violation.

[109] Ensuite, le paragraphe 29.2(1) de la Loi prévoit quant à lui que nul ne peut être tenu responsable d’une violation s’il prouve qu’il a pris toutes les précautions voulues pour prévenir sa commission.

[110] La contestation devant le ministre est prévue aux articles 29.16 et suivants de la Loi. Ainsi, le ministre détermine la responsabilité de l’intéressé, en l’instance Hydro-Québec, et lui fait notifier sa décision. Dans le cas où il conclut à la responsabilité de l’intéressé, si le ministre considère que le montant de la pénalité n’a pas été établi en conformité avec les règlements, il y substitue le montant qu’il estime conforme.

[111] Enfin, selon le paragraphe 29.16(5) de la Loi, le ministre ne tient compte que des éléments de preuve et des arguments écrits lorsqu’il détermine la responsabilité de l’intéressé ou vérifie si le montant de la pénalité a été établi en conformité avec les règlements.

b) La norme de contrôle

[112] La Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable s’applique pour le contrôle judiciaire d’une décision administrative (Vavilov au para 85). Aucune des situations justifiant le renversement de cette présomption ne se présente dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Vavilov aux para 25, 33, 53; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27).

[113] Le rôle de la Cour est d’examiner les motifs du décideur administratif et de déterminer si la décision « est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La Cour doit tenir compte « du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15).

c) Hydro-Québec a établi que la décision est déraisonnable

(i) La preuve des faits reprochés

[114] En lien avec les faits reprochés, et selon la preuve au dossier, deux conclusions du Délégué du Ministre paraissent déraisonnables, soit (1) celle se trouvant à la page trois de la Décision alors que le Délégué du Ministre conclut qu’« il est évident d’après la preuve documentaire fournie par [Hydro-Québec] et par [Mesures Canada] que les 844 compteurs visés par le procès-verbal ont des sceaux expirés »; et (2) celle se trouvant à la page cinq de la Décision alors que, évaluant si l’inspecteur avait des motifs raisonnables de croire qu’une violation a été commise, le Délégué du Ministre conclut que « le fait demeure que, selon la liste d’[Hydro-Québec], le sceau des compteurs en question était expiré et cela contrevient à la loi ».

[115] Ces conclusions sont déraisonnables puisque la preuve révèle que certains compteurs avaient effectivement été remplacés.

[116] Le Délégué du Ministre ne pouvait donc pas, selon la preuve et les soumissions qui lui avaient été présentées par Hydro-Québec, conclure que tous ces compteurs avaient un sceau expiré. Pour arriver à cette conclusion, le Délégué du Ministre a soit fait défaut d’évaluer la situation de chacun des compteurs individuellement, tel qu’il doit le faire en vertu de la Loi, et/ou il a ignoré la preuve qui était devant lui.

[117] En effet, Hydro-Québec avait précisément souligné dans sa réponse au Procès-Verbal du 5 mars 2019, transmise au Délégué du Ministre, que le compteur portant le numéro 392J7683695 avait été remplacé le 1 mai 2018 par le compteur portant le numéro G9SJ3579648, que le compteur portant le numéro 320H6089201 avait été remplacé le 15 novembre 2018 par le compteur portant le numéro G4SXB001332 et qu’aucune violation n’existait donc, au moins pour ces compteurs, en date du 1er janvier 2019.

[118] Hydro-Québec a ensuite fourni la preuve de ces faits particuliers en déposant son volumineux dossier de preuve le 4 avril 2019 (Pièce PGL-25 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine (Pièce HQ-21.50 du dossier de révision ministérielle), Pièce PGL-27 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine (Pièce HQ-21.202 du dossier de révision ministérielle)).

[119] En outre, la preuve révèle que d’autres compteurs avaient été remplacés au moment de la contestation ministérielle, notamment :

  1. le compteur à numéro Q6DJ0008355, remplacé le 22 août 2018 par le compteur à numéro G9SJ0009779 (Pièce PGL-4 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine (Pièce HQ-21.152 du dossier de révision ministérielle), Dossier de la Demanderesse à la p 1496);
  2. le compteur à numéro 392J6080553, remplacé le 18 janvier 2019 par le compteur à numéro G9SJB062129 (Pièce PGL-4 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine (Pièce HQ-21.235 du dossier de révision ministérielle), Dossier de la Demanderesse à la p 2003);
  3. le compteur à numéro 392J3155028, remplacé le 21 janvier 2019 par le compteur à numéro X95J0012861 (Pièce PGL-4 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine (Pièce HQ-21.205 du dossier de révision ministérielle), Dossier de la Demanderesse à la p 1779);
  4. le compteur à numéro 372P0310845, remplacé le 22 janvier 2019 par le compteur à numéro G9SR0040626 (Pièce PGL-4 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine (Pièce HQ-21.76 du dossier de révision ministérielle) Dossier de la Demanderesse à la p 880);
  5. le compteur à numéro 372E0199274, remplacé le 25 janvier 2019 par le compteur à numéro G9SR0049850 (Pièce PGL-4 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine (Pièce HQ-21.74 du dossier de révision ministérielle), Dossier de la Demanderesse à la p 874);
  6. le compteur à numéro Q64J0007367, remplacé le 5 février 2019 par le compteur à numéro G9SJ3834222 (Pièce PGL-4 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine (Pièce HQ-21.75 du dossier de révision ministérielle) Dossier de la Demanderesse à la p 877); et
  7. le compteur à numéro 320C0132210, remplacé le 7 février 2019 par le compteur à numéro G4ACOJOO178 (Pièce PGL-4 de l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine (Pièce HQ-21.233 du dossier de révision ministérielle), Dossier de la Demanderesse à la p 1995).

[120] Le décideur administratif est présumé avoir considéré tous les documents. Cependant, en l’instance, je suis convaincue que cette présomption a été réfutée vu les éléments du dossier qui contredisent directement la conclusion du Délégué du Ministre, éléments qui confirment qu’au moins deux compteurs ont été remplacés avant le 1 janvier 2019 et portés à l’attention du Délégué du Ministre dans la réponse au Procès-Verbal, et dont il ne fait aucunement mention. Le Délégué du Ministre aurait à tout le moins dû expliquer pourquoi il entérine une conclusion de violation pour chacun des compteurs alors que la preuve révèle qu’il n’y a pas de violation pour au moins certains compteurs et que cette preuve lui a été présentée.

[121] Selon l’article 29.16 de la Loi mentionné plus haut, le Délégué du Ministre doit déterminer la responsabilité de l’intéressé. Il doit donc examiner si les faits reprochés ont été prouvés. Or, il est clair qu’aucune violation n’existait pour au moins certains compteurs au moment de la contestation ministérielle, soit le 5 mars 2019, puisque la preuve révèle qu’un certains nombres de compteurs avaient alors été remplacés. Dans sa Décision, le Délégué du Ministre ne mentionne pas la situation de ces compteurs et ne soustrait pas, du total, les compteurs qui ne sont alors pas en violation. Cette conclusion est inexplicable et ne fait pas partie des issues possibles (Vavilov aux para 86, 304).

[122] De plus, évaluant si l’inspecteur avait des motifs raisonnables de croire qu’une violation avait été commise pour les compteurs visés par le Procès-Verbal, le Délégué du Ministre omet de tenir compte que certains compteurs, inclus dans le Procès-Verbal, avaient été remplacés avant même le 1 janvier 2019 (affidavit de M. Patrick Grignon-Labine aux para 67-70, Pièce PGL-3, Dossier de la Demanderesse aux pp 15-16) et que, pour au moins ces compteurs, l’inspecteur ne pouvait raisonnablement avoir des motifs raisonnables de croire qu’une violation avait été commise.

[123] Ainsi, selon la preuve au dossier, le Délégué du Ministre ne pouvait pas conclure que l’inspecteur avait des motifs raisonnables de croire, selon les mots de la Loi, qu’une violation avait été commise pour tous et chacun des compteurs puisque certains compteurs n’étaient clairement pas en violation de la Loi au moment de dresser le Procès-Verbal.

[124] Les conclusions du Délégué du Ministre dans les deux cas précités font défaut de considérer chaque compteur de façon individuelle et/ou ignore la preuve. Dans les deux cas, selon moi, il s’agit d’une erreur fatale.

(ii) La défense de diligence raisonnable pour chacune des violations

[125] Le Délégué du Ministre semble encore ici avoir omis de considérer chaque compteur de façon individuelle et/ou ignoré la preuve volumineuse qu’Hydro-Québec lui a transmise le 4 avril 2019 indiquant qu’elle a pris les précautions nécessaires et surtout que certains compteurs avaient même déjà été remplacés.

[126] En lien avec les 246 compteurs sur des terres non autochtones, la preuve révèle, tel qu’Hydro-Québec le souligne, que certains compteurs dont le sceau était expiré et non remplacé étaient dans une situation très particulière, incluant des compteurs barricadés par des clients opposés au remplacement (dont le compteur à numéro 320H2226213, voir l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine au para 76, Pièce PGL-31 (Pièce HQ-21.188 dans le dossier de contestation ministérielle), Dossier de la Demanderesse à la p 18) et des compteurs auxquels Hydro-Québec ne pouvait accéder sans que le propriétaire ne démolisse ou ne modifie des constructions faites après leur installation (dont le compteur à numéro 392J6086157 ou celui à numéro 392J9197809; voir l’affidavit de M. Patrick Grignon-Labine aux para 80-81, Pièce PGL-33 et Pièce PGL-34 (Pièce HQ-21.225 et Pièce HQ-21.187 dans le dossier de contestation ministérielle), Dossier de la Demanderesse aux pp 20-21).

[127] Or, le Délégué du Ministre, ici encore, n’analyse pas la situation de chacun des compteurs ni les précautions prises par Hydro-Québec pour chacun des compteurs. Tel que le souligne Hydro-Québec, le Délégué du Ministre semble plutôt imposer à cette dernière une obligation de résultat puisque vu qu’il n’est pas possible de régler la situation de certains compteurs, le Délégué du Ministre considère qu’Hydro-Québec ne fait pas preuve de diligence raisonnable, qu’elle n’a pas pris les précautions voulues et qu’elle a commis une violation à l’égard de tous et chacun des compteurs sur des terres non autochtones.

[128] La Loi prévoit que nul ne peut être tenu responsable d’une violation s’il démontre avoir « pris toutes les précautions voulues pour prévenir sa commission » (paragraphe 29.2(1) de la Loi). La diligence raisonnable est « une norme objective, qui apprécie [le] comportement par rapport à celui d’une personne raisonnable, placée dans un contexte similaire » (Lévis (Ville) c Tétreault; Lévis (Ville) c 2629‐4470 Québec inc., 2006 CSC 12 au para 15 [Lévis]). La personne peut ainsi « écarter sa responsabilité en prouvant qu’[elle] a pris toutes les précautions nécessaires. Ceci comporte l’examen de ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances » (Lévis au para 15 citant R c Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 RCS 1299 à la p 1326). La Cour d’appel fédérale confirme aussi que, dans le contexte de la diligence raisonnable imposé à une société en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, « bien que les administrateurs soient tenus de prendre des mesures concrètes, il suffit que ces mesures soient raisonnables et concrètes. Il n’est pas nécessaire qu’elles soient à toute épreuve » (Cameron c Canada, 2001 CAF 2008 au para 4).

[129] Hydro-Québec a souligné certaines mesures, qu’elle qualifie de suffisantes, et elle estime que ces mesures auraient dû être considérées. Cependant, il n’est pas nécessaire d’analyser ces mesures ou de déterminer s’il était raisonnable de conclure que les mesures prises par Hydro-Québec étaient, ou non, suffisantes. Il suffit de constater, encore une fois, que les sceaux d’au moins certains compteurs avaient été remplacés au moment où le Procès-Verbal a été dressé et au moment de la contestation ministérielle. Le remplacement de sceaux, ou de compteurs, se qualifie certainement comme une précaution voulue pour éviter la violation, et le Délégué du Ministre aurait dû considérer la situation de chacun des compteurs individuellement plutôt que de confirmer la violation pour tous les compteurs.

C. Les remèdes recherchés

[130] Le PGC soutient que les remèdes recherchés par Hydro-Québec sont inappropriés. Je suis d’accord. Lorsque la Décision est trouvée déraisonnable, le remède approprié n’est pas, sauf exception, pour la Cour de se substituer au Délégué du Ministre, mais plutôt de renvoyer la demande de révision ministérielle pour un nouvel examen devant un autre décideur (Vavilov aux para 140-142). Hydro-Québec ne m’a pas convaincue qu’il n’existe qu’une seule issue possible en l’instance qui justifierait pour la Cour de prononcer le jugement qu’elle recherche.

VI. Conclusion

[131] La Cour cassera donc la portion contestée de la Décision du Délégué du Ministre, c’est-à-dire la portion qui a trait aux compteurs en territoire non autochtone, et renverra l’affaire pour une nouvelle détermination, quant à ces compteurs, par un décideur différent.


JUGEMENT dans le dossier T-236-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
  2. La portion de la décision qui est contestée par la présente demande de contrôle judiciaire est annulée.
  3. Le dossier est renvoyé, pour une nouvelle déterminationde la portion de la décision qui a été contestée, par un autre décideur.
  4. Les dépens sont accordés en faveur d’Hydro-Québec selon la Règle 407 des Règles des Cours fédérales.
  5. Considérant l’ordonnance de confidentialité, les parties disposent de 15 jours à partir du moment où sont rendus les présents motifs confidentiels pour présenter des observations sur les caviardages à faire avant qu’une version publique ne soit publiée.

« Martine St-Louis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-236-20

INTITULÉ :

HYDRO-QUÉBEC, société constituée en vertu

de la Loi sur Hydro-Québec, RLRQ, c. H-5 c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 décembre 2023

JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFSCONFIDENTIELS :

LE 8 MAI 2024

DATE DES MOTIFS PUBLICS :

lE 17 JUIN 2024

COMPARUTIONS :

Me Patrick Ferland

Me Tristan Desjardins

Pour la demanderesse

Me Émilie Tremblay

Me Béatrice Stella Gagné

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LCM AVOCATS INC

Montréal (Québec)

DESJARDINS BOLDUC SNA

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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