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Date : 20060608

Dossiers : IMM-6500-05

IMM-6501-05

IMM-6503-05

Référence : 2006 CF 722

Ottawa (Ontario), le 8 juin 06

En présence de Monsieur le juge Harrington

ENTRE :

PAY PAY MUNDE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA

SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, Monsieur Pay Pay, se retrouve dans une situation tout à fait particulière. Incapable de retourner à la République démocratique du Congo (RDC), il est maintenant devant cette Cour afin de revendiquer trois demandes de contrôle judiciaire. Bien que ces dernières sont toutes de nature différentes, elle doivent toutes être tranchées en même temps : une demande portant sur des considérations humanitaires, une demande d'examen de risques avant renvoi (ERAR), et une demande de révision en ce qui concerne la décision de l'agent de renvoi de ne pas différer son renvoi aux États-Unis.

[2]                Monsieur Pay Pay a quitté la RDC en 1997 et a réclamé le statut de réfugié au Canada en raison de ses liens de parenté avec Pierre Pay Pay, son oncle et père adoptif, les antécédents politiques de ce dernier et le risque de persécution créé en raison d'opinions politiques imputées et d'appartenance à un groupe social. Cette demande a été rejetée.

[3]                Une des étapes que plusieurs gens entament dans une situation semblable est une demande ERAR, anciennement connu sous le nom d'une demande d'évaluation de risques de retour (DNRSRC). Mais Monsieur Pay Pay n'a pas entamé cette procédure en vertu du sursis administratif général qui est aujourd'hui prévu par l'article 230 des Règlements sur l'immigration et la protection des réfugiés (RIPR) pour la RDC. Cet article prévoit un sursis administratif général dans des situations particulières, par exemple, lors du Tsunami au Sri Lanka.

[4]                Un sursis administratif, tel que mentionné ci-dessus, ne s'applique pas à certaines catégories d'individus, tel qu'un individu inadmissible en raison de grande criminalité. Puisque Monsieur Pay Pay a été déclaré coupable de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles en vertu du paragraphe 255(2) du Code criminel, il est donc inadmissible pour un sursis général administratif pour grande criminalité en vertu de l'alinéa 36(1) a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Monsieur Pay Pay se retrouve donc dans une situation où il ne bénéficie pas d'un sursis administratif.

[5]                Entre temps, le demandeur a également déposé une demande pour considérations d'ordre humanitaires (CH) et une demande ERAR en vertu des articles 25 et 112 de la LIPR.

[6]                En somme, suite au rejet de ses demandes CH et ERAR, Monsieur Pay Pay a demandé à l'agent de renvoi de différer son renvoi aux États-Unis puisqu'il avait déposé une demande de contrôle judiciaire en ce qui concernait ces dossiers. De plus, il allègue que la décision de l'agent de renvoi est discriminatoire en raison du fait que son casier judiciaire a été l'élément déterminant dans le refus de sa demande.

[7]                En fait, selon lui, l'alinéa 230 (3) c) des RIPR devrait être inopérant puisqu'il enfreint à ses droits en vertu de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a donc invoqué une question constitutionnelle à ce sujet dans le dossier portant sur le refus de l'agent de renvoi de différer son renvoi aux États-Unis, soit :

« [q]ue la disposition réglementaire levant le sursis de renvoi dans son cas contrevient à l'article 15 de la Charte et aux articles 7, 9 et 26 du Pacte international sur les droits civils et politiques. »

[8]                Cette Cour doit maintenant se prononcer sur les trois demandes de contrôle judicaire à la suite de cet historique procédural.

ANALYSE

[9]                Afin de procéder à une analyse logique des questions en litige, cette Cour traitera des dossiers selon l'ordre suivant:

·         La demande CH;

·         La demande ERAR; et

·         La décision de renvoi.

[10]            En ce qui a trait à la demande CH, la norme de contrôle judiciaire est celle de la décision raisonnable simpliciter (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). Puisque la question constitutionnelle ne s'applique pas à une telle demande et que l'agent a entamé à une analyse logique et raisonnable de la preuve, la décision de l'agent n'est pas déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[11]            Pour ce qui est de la demande ERAR, il importe de noter que cette Cour trouve l'analyse de l'agent perturbant sur trois aspects en particulier, soit :

·         L'agent a déterminé que Monsieur Pay Pay avait un manque de crainte subjective de persécution en raison du fait qu'il a commis un crime. En autres mots, l'agent a déterminé que le fait de causer des lésions corporelles à un autre individu était un choix conscient et prémédité. Cette prétention n'a pas de fondement logique;

·         L'agent a également décidé qu'en raison du statut du père adoptif du demandeur, ce dernier bénéficiait d'une protection accrue. Il semble faire allusion au fait qu'en raison du statut politique de son père adoptif, le demandeur profiterait de ceci. Toutefois, il n'y a aucune analyse à savoir comment cette protection devait avoir lieu. Cette analyse laisse à désirer puisque l'agent semble sous entendre que la protection que son père adoptif puisse lui donner pourrait être celle offerte en vertu d'une association criminelle étant donné son statut politique;

·         Finalement, la décision de l'agent repose sur la possibilité d'un refuge interne qu'aurait Monsieur Pay Pay en raison du fait qu'il est natal de la région géographique de Kivu. L'agent s'est fié à un rapport Britannique stipulant qu'il y avait effectivement une guerre civile à Kivu, province de la RDC. Ce même rapport était toutefois silencieux à savoir si les gens provenant de Kivu étaient mal traités dans d'autres parties du pays. C'est sur cette conjecture que l'agent a tenté d'alléguer que parce que le rapport ne faisait pas état de l'harcèlement contre les gens de Kivu ailleurs dans le pays, Monsieur Pay Pay avait une possibilité de refuge interne ailleurs.

[12]            C'est sur ces trois aspects que la Cour tranche la question à savoir si la demande de contrôle judiciaire doit être accordée.

[13]            Lorsqu'il s'agit d'une question de faits, la norme de contrôle applicable à une demande ERAR est celle de la décision manifestement déraisonnable, voir Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 540 au paragraphe 19 et Figurado c. Canada (Solliciteur général) (C.F.), 2005 CF 347, [2005] 4 R.C.F. 387. Il est clair que la décision de l'agent est manifestement déraisonnable étant donné qu'il n'a pas pris en considération le test pour déterminer s'il existe une possibilité de refuge interne établit par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.). Le test énoncé dans l'arrêt ci-dessus est à deux volets, soit :

·         La Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté à l'endroit proposé comme possibilité de refuge interne; et

·         Compte tenu de toutes les circonstances, dont celles propres au demandeur, la situation à l'endroit proposé est tell qu'il n'est pas déraisonnable pour le demandeur d'y chercher refuge.

[14]            L'agent n'a pas entamé une analyse des faits et n'a pas évalué la possibilité d'un refuge interne de façon logique. La demande de contrôle judiciaire en ce qui a trait à la demande ERAR est donc accordée.

[15]            Pour ce qui est de la question constitutionnelle, il importe de souligner que cette dernière est invoquée en vertu de l'article 57 de la Loi sur les Cours fédérales. Puisqu'une disposition légale est considérée valide à moins de démontrer le contraire, le demandeur doit donc établir pourquoi cette question doit être répondue dans l'affirmative. Le demandeur a intégré la question constitutionnelle dans le dossier portant sur le refus de l'agent de renvoi de différer le renvoi et réclame essentiellement la discrimination en vertu de son casier judiciaire.   

[16]            Malgré les propos du demandeur sur ce point, cette Cour estime que la question constitutionnelle doit être répondue dans la négative. Le fait que Monsieur Pay Pay a choisit de prendre le volant en état d'ébriété était un choix. Ce n'est pas une caractéristique innée sur laquelle s'est fondée l'agent pour refuser ses demandes mais plutôt une décision qui a fait en sorte de l'exclure d'un sursis administratif, voir Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497. Il n'y a pas de discrimination dans ce contexte. Un sursis administratif est en effet un bénéfice conféré au Ministre afin qu'il n'ait pas à évaluer les circonstances individuelles de chaque demandeur lorsque les conditions d'un pays sont similaires. Dans ce contexte, le fait que Monsieur Pay Pay ne bénéficie pas d'un sursis administratif fait en sorte de le mettre dans la même catégorie que tout autre demandeur de n'importe quel autre pays ne bénéficiant pas de ce privilège.

[17]            Pour ce qui est donc du dossier portant sur le refus de l'agent de renvoi de différer le renvoi, étant donné la détermination que l'alinéa 230(3) c) est valide, la question portant sur sa constitutionnalité dans ce dossier est sans objet. De plus, c'est une règle de droit bien connue parmi les décisions de mes collèges, ainsi que les miennes, qu'un renvoi aux États-Unis, avec le potentiel de se faire ensuite renvoyer à son pays d'origine, ne constitue pas un préjudice irréparable, voir Hassan c. Canada (Solliciteur général), 2004 FC 564. Or, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[18]            Cette Cour tient toutefois à souligner que la question du renvoi de Monsieur Pay Pay aux États-Unis soulève une question sérieuse à laquelle les parties devraient songer. Le demandeur prétend que se faire renvoyer aux États-Unis est réellement un point de relais puisqu'il sera ensuite renvoyé à la RDC. Selon lui, s'il y a un renvoi à la RDC, il y a donc la possibilité d'obtenir un sursis.    Tel que mentionné ci-dessus, la Cour a énoncé à plusieurs reprises que c'est de la conjecture de prendre pour acquis que l'individu sera renvoyé à son pays d'origine lorsqu'il sera retourné aux États-Unis. Il est toutefois tout aussi facile de prétendre que c'est de la conjecture que ce même individu demeurerait aux États-Unis sans un risque de se faire renvoyer dans son pays d'origine. Il n'y a aucune assurance de la part des États-Unis afin de garantir que cet individu ne sera pas renvoyé dans son pays. De plus, alors que Monsieur Pay Pay à l'occasion de soumettre une demande ERAR portant sur son pays d'origine, soit la RDC, on ne lui accorde pas la chance d'établir un préjudice irréparable parce que le renvoi se fait aux Etats-Unis et non à la RDC.

[19]            Il est fort possible qu'un renvoi aux États-Unis ne créerait pas un préjudice irréparable, mais puisque les parties n'ont soulevé aucune jurisprudence de la Cour d'appel à cet effet, cette Cour est prête à ce que les parties suggèrent des questions à certifier sur ce point d'importance générale.

[20]            En somme, la demande de contrôle judiciaire portant sur la demande CH est rejetée ainsi que la demande portant sur la décision de l'agent de renvoi de refuser de différer le renvoi aux États-Unis. En ce qui a trait au dossier portant sur la demande ERAR, cette Cour estime que la décision de l'agent est manifestement déraisonnable et que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. Bien que cette Cour ait répondu à la question constitutionnelle dans la négative, cette Cour est néanmoins prête à certifier cette dernière. Puisque les parties ont convenus, lors de l'audience, de faire circuler les motifs afin de leur donner l'occasion de suggérer des questions à certifier, ces dernières auront jusqu'au 14 juin 2006 afin de remettre leurs questions à certifier en identifiant clairement le dossier dans lequel les questions se rapportent et jusqu'au 19 juin 2006 afin d'y répondre.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                       IMM-6500-05

                                                            IMM-6501-05

                                                            IMM-6503-05

INTITULÉ :                                        PAY PAY MUNDE c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 10 mai 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        Le juge Harrington

DATE DES MOTIFS :                       Le 8 juin 2006

COMPARUTIONS:

Me Johanne Doyon

POUR LE DEMANDEUR

Me Lisa Maziade

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Johanne Doyon

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

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