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Date : 20240708

Dossier : IMM-11260-23

Référence : 2024 CF 1067

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2024

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

MERVEILLE ASSAKA KALEMBA et TRÉSOR BAKATUBIA KALEMBA

Demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR] le 16 août 2023, rejetant leur demande de réouverture de leur dossier d’appel [Décision] en vertu de la règle 49 des Règles de la Section d'appel des réfugiés, DORS/2012-257 [Règles].

[2] Après avoir considéré les soumissions des parties et le droit applicable, je ne peux conclure que la SAR a rendu une décision déraisonnable compte tenu des contraintes factuelles et juridiques qui délimitent sa Décision. La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs ci-dessous.

II. Faits

[3] Les demandeurs soutiennent être des citoyens de la République démocratique du Congo [RDC]. Le 2 janvier 2019, les demandeurs sont arrivés au Canada avec des passeports angolais émis au nom de Nathaniel Prospero Unyembe et Kevino Prospero Unyembe. Dans leurs demandes d’asile, ils ont avoué que les passeports angolais en leur possession avaient été obtenus frauduleusement à l’aide d’un ami.

[4] Le 1er septembre 2022, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté leurs demandes d’asile concluant qu’ils n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. La SPR a accordé peu de valeur probante aux passeports angolais et a considéré que les demandeurs n’ont pas utilisé ces passeports lors de leurs demandes d’asile pour prouver leurs identités. La SPR a évalué d’autres documents incluant des actes de naissance, des jugements supplétifs, des documents scolaires, des certificats de naissance, des certificats de citoyenneté et une carte d’électeur. La SPR a aussi accordé peu de valeur probante à ces autres documents. La conclusion de la SPR était que les demandeurs n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, leurs identités.

[5] En mai 2023, les demandeurs ont reçu un nouveau passeport de Nathaniel Prospero Unyembe délivré par les autorités congolaises [nouveau passeport]. Le 28 juin 2023, l’avocat des demandeurs a envoyé au Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [Ministre] une demande pour l’admission du nouveau passeport [demande d’admission]. Le Ministre a répondu le 4 juillet 2023. Par contre, l’avocat du demandeur n’a pas soumis la demande d’admission à la SAR.

[6] Le 7 juillet 2023, la SAR a rendu sa décision sur l’appel de la décision prise par la SPR. La SAR a effectué sa propre analyse du dossier pour décider de façon indépendante si les erreurs alléguées avaient du mérite en appel. La conclusion de la SAR était que la SPR n’avait pas commis d’erreur puisque les demandeurs n’ont pas pu établir, selon la prépondérance des probabilités, leurs identités.

[7] Après avoir pris connaissance de la décision du 7 juillet 2023, l’avocat des demandeurs s’était rendu compte qu’il avait oublié de déposer la demande d’admission, ainsi que le nouveau passeport émis par les autorités congolaises, au dossier devant la SAR. L’avocat avait uniquement envoyé ces éléments au Ministre le 28 juin 2023, mais il avait omis de les déposer à la SAR. Les demandeurs ont déposé une demande de réouverture du dossier d’appel en vertu de la règle 49 des Règles afin que la SAR rende une autre décision tenant compte du nouveau passeport.

[8] Le 16 août 2023, la SAR a rendu sa Décision sur la demande de réouverture, et a refusé de rouvrir le dossier d’appel des demandeurs en vertu de la règle 49 des Règles. La SAR a reconnu que les demandeurs soutiennent que le nouveau passeport était pertinent pour les fins de leurs demandes d’asile. La SAR a pris en considération les soumissions déposées au sujet de la pertinence du nouveau passeport, et l’omission de déposer la demande d’admission par l’avocat, dans le cadre de son analyse sous la règle 49 des Règles.

[9] La SAR a reconnu que ce n’est qu’après avoir pris connaissance de la décision de la SAR datée du 7 juillet 2023, que l’avocat des demandeurs a réalisé avoir omis de déposer à la SAR la demande d’admission et le nouveau passeport. La SAR a déterminé que plus qu’un mois s’était écoulé entre le moment où les demandeurs ont reçu le nouveau passeport et le moment où leur avocat indique avoir transmis la demande d’admission au Ministre. La SAR a déterminé que les demandeurs n’ont pas fourni d’explication dans leur demande de réouverture pour clarifier les raisons pour lesquelles le délai d’un mois s’était écoulé. La SAR a mentionné que, depuis la décision de la SPR du 1er septembre 2022, il était évident que la première question à trancher était celle de l’identité des demandeurs. La SAR a expliqué que les demandeurs avaient la possibilité de fournir des éléments de preuve, et qu’ils ont eu une réelle occasion de persuader la SAR d’accueillir l’appel. Dans ces circonstances, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas de manquement à la justice naturelle ni à l’équité procédurale.

[10] La Décision de la SAR rejetant la demande de réouverture fait l’objet de ce contrôle judiciaire.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[11] La question devant la Cour est celle de savoir s’il était déraisonnable que la SAR rejette la demande de réouverture en vertu de la règle 49 des Règles. La jurisprudence reconnaît que la norme qui s’applique lorsque le décideur interprète sa loi habilitante est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 7 [Vavilov]).

[12] Les demandeurs allèguent aussi un manquement à l’équité procédurale en ce qui a trait à la façon que la SAR a tranché leur demande de réouverture. La Cour fédérale a conclu que la révision d’une décision sur une demande de réouverture se fait sous la norme de la décision raisonnable (Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1103 [Brown] aux para 24‑26; Khakpour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 25 au para 20). En suivant le courant jurisprudentiel, la Décision sera alors considérée selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux para 10, 25; Imafidon v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 1592 aux para 22 à 25).

[13] La Cour doit déterminer en contrôle judiciaire si une décision fait preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l'objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125, 126). La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov au para 100). Une décision raisonnable doit être fondée sur un raisonnement rationnel et logique, mais la norme de la décision raisonnable n’est pas un contrôle similaire à celle d’une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102).

IV. Analyse

[14] La disposition pertinente se trouve à la Règle 49 des Règles, reproduite ci-dessous :

Demande de réouverture d’un appel

49 (1) À tout moment avant que la Cour fédérale rende une décision en dernier ressort à l’égard de l’appel qui a fait l’objet d’une décision ou dont le désistement a été prononcé, l’appelant peut demander à la Section de rouvrir cet appel.

(…)

Allégations à l’égard d’un conseil

(4) S’il est allégué dans sa demande que son conseil, dans les procédures faisant l’objet de la demande, l’a représentée inadéquatement :

a) la personne en cause transmet une copie de la demande au conseil, puis l’original et une copie à la Section;

b) la demande transmise à la Section est accompagnée d’une preuve de la transmission d’une copie au conseil.

(…)

Élément à considérer

(6) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi.

Éléments à considérer

(7) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

a) la question de savoir si la demande a été faite en temps opportun et la justification de tout retard;

b) si l’appelant n’a pas présenté une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ou une demande de contrôle judiciaire, les raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait.

Application to reopen appeal

49 (1) At any time before the Federal Court has made a final determination in respect of an appeal that has been decided or declared abandoned, the appellant may make an application to the Division to reopen the appeal.

(…)

Allegations against counsel

(4) If it is alleged in the application that the person who is the subject of the appeal’s counsel in the proceedings that are the subject of the application provided inadequate representation,

(a) the person must first provide a copy of the application to the counsel and then provide the original and a copy of the application to the Division, and

(b) the application provided to the Division must be accompanied by proof that a copy was provided to the counsel.

(…)

Factor

(6) The Division must not allow the application unless it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

Factors

(7) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

(a) whether the application was made in a timely manner and the justification for any delay; and

(b) if the appellant did not make an application for leave to apply for judicial review or an application for judicial review, the reasons why an application was not made.

[15] Les demandeurs soutiennent que la SAR a rendu une décision déraisonnable en refusant leur demande de réouverture puisqu’elle n’avait pas conclu que l’erreur de leur avocat était un manquement à un principe de justice naturelle ayant entaché la décision sur l’appel du 7 juillet 2023.

[16] Le défendeur soutient que la Décision était raisonnable, car la SAR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas de manquement à un principe de justice naturelle, et que la SAR a aussi considéré la règle 49(7) des Règles exigeant la prise en considération de tout élément pertinent pour statuer sur la demande de réouverture. Puisque la SAR a conclu qu’il n’y avait pas de manquement à un principe de justice naturelle, elle ne pouvait pas accueillir la demande de réouverture.

[17] Les demandeurs allèguent que la SAR aurait dû considérer la règle 29 des Règles et 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Pour répondre à cet argument, le défendeur a souligné à juste titre que les soumissions faites lors du processus lié à la décision du 7 juillet 2023 ne sont pas les soumissions faites dans le cadre de la demande de réouverture. Je conviens que la Cour prend uniquement en considération les soumissions qui ont été faites dans le cadre de la demande de réouverture en vertu de la règle 49 des Règles.

[18] Les demandeurs soutiennent que dans des circonstances extraordinaires, la SAR peut accueillir une demande de réouverture sur la base d’un manquement de justice naturelle en raison d’incompétence d’un conseil (Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1305 aux para 30, 55-56, 59; Mahadjir Djibrine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1036 au para 18). Selon les demandeurs, l’erreur de l’avocat a fait en sorte que la SAR n’avait pas eu la possibilité d’examiner le nouveau passeport comme un des éléments de preuve pour établir l’identité d’un des demandeurs.

[19] Le défendeur soutient que, même si l’avocat a pris une entière responsabilité, il n’y avait pas eu de manquement de justice naturelle, car la Décision n’aurait pas été différente, n’eût été l’erreur de l’avocat.

[20] La SAR s’était penchée sur de nombreux éléments de preuve, autre que le nouveau passeport pour rejeter l’appel de la décision de la SPR. La SAR a considéré d’autres éléments que les demandeurs avaient soumis à la SPR, incluant des actes de naissance, des jugements supplétifs, des documents scolaires, des certificats de naissance, des certificats de citoyenneté et une carte d’électeur, ainsi que le témoignage de la mère des demandeurs à l’audience. Dans sa décision du 16 août 2023, la SAR a évalué la preuve et a attribué un poids à chacune des pièces d’identité versées au dossier pour ensuite arriver à sa conclusion que les demandeurs n’avaient pas établi leur identité compte tenu l’ensemble de la preuve soumise.

[21] Le demandeur a soulevé l’arrêt Nijjer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1259 [Nijjer] pour suggérer que la SAR doit attribuer un poids plus accru au nouveau passeport en comparaison aux autres éléments de preuve, lorsqu’elle soupèse la preuve pour établir l’identité des demandeurs. Dans Nijjer au paragraphe 27, la Cour a repris les principes étayés par la Cour d’appel fédérale reconnaissant que le rejet d’un élément de preuve, qui ne fait que répéter une version des faits considérée comme étant peu crédible et improbable, n’est pas une contravention à la règle générale voulant que toute la preuve doive être considérée avant de se prononcer sur la crédibilité (Sheikh c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1990 CanLII 13057 (CAF); Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89).

[22] À l’audience devant la Cour, les demandeurs soutiennent qu’un passeport est un document qui triomphe essentiellement tout autre élément de preuve. Les demandeurs se sont référés à Farah v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 760 au paragraphe 20 [Farah]. La jurisprudence confirme que les documents soumis en preuve, et qui ont été délivrés par une autorité étrangère, sont présumés authentiques à moins qu’il n’y ait une raison valable de douter de leur authenticité.

[23] Avec respect, l’arrêt Farah ne porte pas atteinte à l’analyse de la SAR compte tenu le fait qu’elle a évalué une série de plusieurs documents et de témoignage des demandeurs, soit d’autres éléments de preuve que le nouveau passeport, pour traiter la question de l’identité des demandeurs. Comme le défendeur le soutient, la SAR a analysé la preuve au dossier et le témoignage à l’égard des identités des demandeurs dans son ensemble. La SAR a pris en compte le fait que le nouveau passeport a été obtenu en utilisant un certificat de nationalité altéré. La totalité des incohérences et irrégularités qui se trouvaient au dossier n’aurait pas pu être surmontée seulement par le nouveau passeport.

[24] En considérant l’ensemble du dossier, il n’est pas déraisonnable pour la SAR de conclure que le nouveau passeport en soi ne pouvait pas établir l’identité d’un des demandeurs. Donc, l’erreur de l’avocat n’aurait pas changé le résultat sur la question déterminante de l’identité des demandeurs. En vertu du langage clair de la règle 49 des Règles, puisque la SAR a conclu qu’il n’y avait pas de manquement à un principe de justice naturelle, elle ne pouvait pas accueillir la demande de réouverture.

[25] De plus, la SAR a aussi considéré les autres facteurs en vertu de la règle 49(7) des Règles, ce qui incluaient, le délai entre la date que le demandeur ait reçu son nouveau passeport en mai 2023 et la date de soumission le 28 juin 2023, la possibilité pour les demandeurs de fournir des éléments de preuve, ainsi que l’occasion que les demandeurs avaient pour persuader la SAR que leur appel aurait dû être accueilli.

V. Conclusion

[26] En lisant la Décision dans son ensemble, la SAR n’a pas rendu une décision déraisonnable en refusant la demande de réouverture puisque les motifs de la Décision sont intrinsèquement cohérents et justifiés en tenant compte des contraintes factuelles et juridiques (Vavilov au para 91). La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[27] Les parties ont confirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier. Je suis d’accord que dans les circonstances il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans IMM-11260-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-11260-23

INTITULÉ :

MERVEILLE ASSAKA KALEMBA, ET AL. c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUIN 2024

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JUILLET 2024

COMPARUTIONS :

Me Arthur Ayers

Pour LES DEMANDEURS

Me Dylan Smith

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Arthur Ayers

Avocat

Ottawa (Ontario)

Pour LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour LE DÉFENDEUR

 

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