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Date : 20240709

Dossier : IMM-8122-23

Référence : 2024 CF 1072

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2024

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

FADOUA BENELBARGUIA

Demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 14 juin 2023 par la Section d’appel de l’immigration [SAI] rejetant l’appel du refus par un agent de visa de la demande de parrainage en faveur de l’époux de la demanderesse [Décision]. En rendant sa Décision, la SAI conclut que l’époux ne répondait pas aux exigences de l’article 4 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR].

[2] La Cour conclut que la Décision n’est pas déraisonnable quant à l’analyse du mariage pour les fins du RIPR et la manière dont un rapport de police a été considéré par la SAI. Pour les motifs ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Faits

[3] Devant la SAI, la demanderesse a porté en appel le refus de la demande de résidence permanente de son époux, dans la catégorie du regroupement familial. La demanderesse est devenue citoyenne du Canada en 2010. Elle se marie avec son époux en 2017. Son époux était au Canada sur un permis d’étude quelques années avant le mariage. En 2019, ils accueillent une fille.

[4] La SAI a conclu que l’intention de la demanderesse et de son époux au moment de leur mariage était de permettre à ce dernier d’acquérir un statut d’immigration. En vertu du paragraphe 4(1) du RIPR, celui-ci ne faisait pas partie de la catégorie du regroupement familial. La SAI a déterminé que l’intention au moment du mariage était de permettre à l’époux d’acquérir un statut d’immigration sur la base de plusieurs motifs comme le témoignage contradictoire et floue des époux portant sur plusieurs événements clés de leur relation et les circonstances menant au mariage; des déclarations faites par la demanderesse à la police en novembre 2019; et au moment du mariage en octobre 2019, l’époux détenait un statut d’immigration précaire.

III. Question en litige et norme de contrôle

[5] Les deux questions en litige dans le présent contrôle judiciaire sont :

  1. Est-ce que la SAI a rendu une décision déraisonnable en ayant erré dans son application de l’article 4 du RIPR?

  2. Est-ce que la SAI a rendu une décision déraisonnable en ayant considéré des déclarations dans un rapport de police en dépit du fait que l’époux de la demanderesse a été acquitté?

[6] Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 25 [Vavilov]). Je suis du même avis que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle appropriée en l’espèce.

[7] Je suis consciente des effets de la Décision qui est le sujet du présent contrôle judiciaire. Par contre, en contrôle judiciaire, la Cour doit déterminer si une décision a fait preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision raisonnable dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l'objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125, 126). La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable. Elle doit convaincre la Cour que la lacune ou la déficience qu’elle invoque est suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

IV. Analyse

[8] Les parties conviennent que le paragraphe 4(1) du RIPR requiert que la demanderesse démontre, selon une prépondérance d’une probabilité, que le mariage est authentique et que le mariage ne visait pas principalement l’intention d’obtenir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR].

[9] La demanderesse allègue que la SAI confond l’analyse des critères de « l’authenticité » avec le critère de « l’intention » parce qu’elle s’était référée aux deux critères simultanément. En ce sens, la demanderesse soutient que la SAI n’a pas compris que les critères sous l’article 4 du RIPR sont des critères distincts et disjonctifs. Elle soumet aussi que la SAI a erré en considérant les déclarations dans le rapport de police de 2019, deux ans après le mariage et de plus car l’époux a été acquitté.

A. L’analyse du paragraphe 4(1) du RIPR n’était pas déraisonnable

[10] Lors de l’audience, la demanderesse a souligné les titres et sous-titres qui se trouvent dans les motifs de la Décision de la SAI et l’usage des termes « l’authenticité de leur intention au mariage » pour étayer que la SAI a fusionné les critères prévus par l’article 4 du RIPR. La demanderesse soutient aussi que la SAI a confondu l’aspect temporel dans son analyse du critère sur l’objectif (ou l’intention), en s’appuyant sur un rapport de police au sujet d’un incident ayant eu lieu deux ans après le mariage.

[11] Tout d’abord, je constate que la Décision a bien considéré les deux critères prévus par l’article 4 du RIPR de façon distincte et disjonctive. D’une part, l’analyse de l’authenticité du mariage (4(1)b) du RIPR) a été tranchée dans une section. D’autre part, dans une autre section, la SAI a procédé à une analyse distincte de l’intention du mariage (4(1)a) du RIPR).

[12] Je reconnais que l’usage des termes « l’authenticité de leur intention au mariage » dans l’analyse de l’intention du mariage sous l’alinéa 4(1)a) du RIPR est un choix de mots regrettable. Par contre, l’interprétation que la demanderesse propose me demande de faire une lecture isolée des mots, ce que je ne dois pas faire en contrôle judiciaire. De plus, les motifs écrits ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection (Vavilov au para 91).

[13] Dans Idrizi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1187 [Idrizi], la Cour mentionne « bien que la disposition modifiée établisse une distinction entre le critère du but principal et celui de l’authenticité, en considérant que chacun suffit, en soi, à fonder une conclusion d’exclusion de la catégorie des époux, ils peuvent malgré tout, dans certains cas, demeurer étroitement liés » (Idrizi au para 29). L’analyse de chacun des éléments est distincte voulant dire que la conclusion sur l’un des éléments ne dépend pas sur la conclusion de l’autre.

[14] La Cour a clarifié que la preuve pertinente pour les fins de l’analyse d’un critère sous l’article 4 du RIPR peut également être pertinente à l’appréciation de l’autre. Il peut y avoir un recoupement de la preuve lorsqu’il est question de l’objectif principal du mariage et de l’authenticité, et ce, malgré les différences sur le plan des références temporelles. Il est donc manifeste que les éléments de preuve qui datent d’après le mariage et qui attestent son authenticité (ou le contraire) constituent des éléments pertinents aux fins de l’appréciation de son motif principal (Lawrence c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 369 aux para 14-15).

[15] En lisant la Décision de façon globale, je suis d’avis qu’il n’y avait aucune confusion par la SAI quant aux critères requis par la RIPR. Il était raisonnable pour la SAI de prendre en considération des faits ayant eu lieu après le mariage, notamment ceux qui se trouvent dans le rapport de police (Huynh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 748 au para 15; Kaur Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522 aux para 32, 33).

[16] La demanderesse soutient que la conclusion de la SAI sur les motifs du mariage visant principalement l’acquisition d’un statut d’immigration ne pouvait pas être intelligible étant donné que la SAI avait déterminé que le mariage était authentique.

[17] Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse. En l’espèce, la SAI reconnaît que les critères sous l’article 4 du RIPR sont distinctifs, et que le fait d’avoir déterminé que le mariage est authentique n’entraînerait pas forcément une détermination que l’intention du mariage ne vise pas l’immigration. Cette conclusion est conforme à la jurisprudence.

[18] Le juge Norris dans Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 633 au paragraphe 43 [Zhou], a expliqué le critère disjonctif. Une conclusion sur l’un ou l’autre des éléments du paragraphe 4(1) du RIPR suffit à exclure la personne visée de la définition d’un époux. Le fardeau incombe à la demanderesse de démontrer que (1) son mariage ne visait pas principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège sous la LIPR et (2) son mariage était authentique (Zhou au para 43).

[19] Dans Trieu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 925 [Trieu], la Cour fédérale était saisie d’une question semblable, notamment si la SAI a commis une erreur de droit en confondant et en assimilant les deux critères dans l’application du paragraphe 4(1) du RIPR. La juge Kane a clarifié que « (m)ême si une relation est actuellement authentique, cela ne suffit pas à établir que le mariage ne visait pas des fins d’immigration. Les deux volets du critère doivent être établis » (Trieu au para 34).

[20] La SAI a convenablement analysé l’article 4 de la RIPR en considérant que les critères sont distincts et disjonctifs. Donc, il n’était pas déraisonnable pour la SAI de conclure que le mariage ne répondait pas aux exigences prévues par l’article 4 de la RIPR.

B. La référence au rapport de police n’était pas déraisonnable

[21] La demanderesse conteste ensuite le fait que la SAI s’était appuyée sur un rapport de police datant du 24 novembre 2019, soit deux ans après le mariage. D’ailleurs, puisque le rapport de police se rapporte aux allégations pour lesquelles son époux a été acquitté, la SAI n’aurait pas dû se fier sur cette preuve pour les fins de son analyse du paragraphe 4(1) du RIPR.

[22] Les deux parties ont fait référence à l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Solmaz, 2020 CAF 126 [Solmaz CAF]. Dans la décision de la Cour fédérale, Solmaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 736 [Solmaz], le juge Bell a jugé nécessaire de certifier une question « sur l’utilisation de faits qui sous-tendent des allégations criminelles pour lesquelles la personne interdite de territoire n’a ultimement fait l’objet d’aucune condamnation » (Solmaz au para 34). La réponse de la Cour d’appel fédérale était qu’une telle preuve était admissible pour autant qu’elle n’est pas utilisée pour faire une détermination sur la criminalité d’une personne (Solmaz CAF). La Cour d’appel fédérale s’était appuyée sur la règle générale articulée dans Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CAF 326 [Sittampalam] au paragraphe 50, que « (i)l ressort de la jurisprudence de la Cour que la preuve relative à des accusations qui ont été retirées ou rejetées peut être prise en considération lors des audiences en matière d’immigration. Ces accusations ne peuvent toutefois pas être utilisées comme seule preuve de la criminalité d’une personne ».

[23] La SAI a considéré le rapport de police au sein de son analyse sur l’intention du mariage. En 2019, lorsque la police est venue au domicile des époux, la demanderesse a fourni des déclarations aux policiers. La demanderesse affirme que la SAI a erré en ayant pris en considération le rapport de police puisque les faits se rapportaient aux allégations non prouvées et ont été rejetées car l’époux a été acquitté. La demanderesse avait aussi nié la fiabilité de ses déclarations qu’elle qualifiait comme étant de fausses déclarations.

[24] Dans le cas en l’espèce, la SAI explique à juste titre que la jurisprudence ne l’empêchait pas de prendre en considération les informations qui sous-tendent des accusations criminelles retirées ou pour lesquelles le justiciable a été acquitté. La SAI fait référence à l’explication du juge Leblanc dans Solmaz CAF clarifiant les conditions d’ouverture pour l’utilisation d’une preuve qui sous-tend des accusations retirées, rejetées ou envisagées, sont qu’elle ne peut à elle seule établir la criminalité de la personne interdite au territoire, et qu’elle doit se reposer sur des éléments crédibles et dignes de foi (Solmaz CAF au para 85).

[25] La SAI clarifie également que le but du tribunal n’était pas d’établir la criminalité de l’époux en lien avec des accusations de voies de fait pour lesquelles il a été acquitté. Le but était de considérer les informations crédibles et dignes de foi pour analyser les critères dans le contexte du parrainage. Par la suite, la SAI est arrivée à la conclusion qu’elle peut utiliser les informations se trouvant dans la preuve documentaire, notamment, les rapports de police si elle les juge crédibles et dignes de foi. La SAI considère non seulement les déclarations dans le rapport de police mais aussi le témoignage de la demanderesse et de l’époux en lien avec les déclarations afin de déterminer si le rapport de police était crédible et digne de foi. Elle a entrepris l’analyse telle que la jurisprudence l’exige.

[26] Dans l’affaire Pascal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 751 [Pascal], le juge McHaffie a résumé le principe que le décideur doit évaluer le contenu d’un rapport de police et arriver à la conclusion que ce dernier est « crédible ou digne de foi », plutôt que d’être muet sur la question quant à sa crédibilité ou que d’émettre une simple hypothèse à cet effet. Si une telle évaluation est faite, la Cour et la Cour d’appel [fédérale] ont reconnu qu’il peut être raisonnable pour qu’une conclusion s’appuie sur des rapports de police, même lorsque les faits qui y sont décrits ne sont pas corroborés distinctement par des témoignages de policiers ou de témoins (Pascal au para 29).

[27] Je ne décèle donc aucune erreur avec l’analyse de la SAI au sujet du rapport de police ni des déclarations qui s’y retrouvent. La SAI a entamé une analyse sur la crédibilité et la fiabilité du rapport de police. La demanderesse et l’époux ont aussi eu l’occasion de s’expliquer. La SAI a fourni des motifs pour déterminer que leurs explications durant leur témoignage n’étaient pas satisfaisantes et la SAI a expliqué pourquoi.

[28] Il était loisible à la SAI d’accorder plus de poids au rapport de police puisque la SAI a fourni des motifs expliquant les raisons pour lesquelles elle a accordé plus de crédibilité aux rapports de police qu’au témoignage des époux. En faisant sa propre évaluation de la preuve, la SAI a déterminé que le témoignage des époux n’avait pas pu la convaincre que toutes les informations qui se trouvaient dans le rapport de police étaient fausses. En ayant déterminé que le rapport de police était plus crédible que les autres éléments de preuve, la SAI prit en compte le contenu du rapport de police pour souligner les contradictions qui s’y trouvaient. De plus, la SAI a eu la possibilité de questionner les époux. Je ne décèle donc aucune erreur quant à l’appréciation de la SAI du rapport de police.

[29] La question de savoir si un mariage visait principalement des fins d’immigration ou s’il est authentique est hautement factuelle, et les tribunaux de révision doivent faire preuve de déférence à l’endroit des décideurs. Cela est particulièrement vrai lorsque ces derniers ont eu la possibilité de questionner les époux en personne (Idrizi au para 21). Par conséquent, si les motifs expliquent les raisons pour lesquelles la preuve du rapport de police était plus convaincante que les autres éléments de preuve, la Cour ne devrait pas substituer sa propre réponse car l’appréciation de la preuve relève de l’expertise de la SAI.

[30] Je suis d’avis que la SAI a raisonnablement considéré le rapport de police et a déterminé que la preuve était crédible et digne de foi dans les circonstances de ce dossier, ce qu’elle pouvait faire dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire. Les conclusions relatives à la crédibilité doivent faire l’objet d’une grande déférence dans le cadre d’un contrôle judiciaire et elles ne peuvent être infirmées que si elles sont abusives ou arbitraires ou ont été tirées sans qu’il soit tenu compte de la preuve.

[31] Dans le cas en l’espèce, la Décision est fondée sur une analyse raisonnable du paragraphe 4(1) du RIPR. Je note que la SAI a considéré les déclarations de la demanderesse dans le rapport de police parmi plusieurs autres éléments de preuve comme le témoignage des époux devant la SAI et le statut d’immigration précaire de l’époux lors du mariage pour évaluer les motifs de l’époux de s’être marié avec la demanderesse.

V. Conclusion

[32] Compte tenu de l’ensemble, la Décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti. La SAI n’a pas commis d’erreur susceptible de l’intervention de cette Cour, et pour les motifs ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[33] Les parties ont confirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier et je suis d’accord qu’aucune question ne se pose dans les circonstances.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8122-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8122-23

INTITULÉ :

FADOUA BENELBARGUIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUIN 2024

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JUILLET 2024

COMPARUTIONS :

Samuel McAuliffe

Pour le demandeur

Éloise Eysseric

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tremblay McAuliffe Avocats

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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