Dossier : IMM-491-23
Référence : 2024 CF 1140
Ottawa (Ontario), le 22 juillet, 2024
En présence de la juge en chef adjointe Gagné
ENTRE :
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HAMID TARMOUL
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demandeur |
et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Survol
[1] M. Hamid Tarmoul conteste la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] par laquelle elle analyse le mérite de sa demande d’asile et conclut qu’il n’est pas un réfugié ou une personne à protéger. La SAR conclut que la preuve ne démontre pas que le demandeur ferait l’objet de représailles de la part du gouvernement algérien pour ses activités politiques passées ou en raison de son ethnicité berbère.
[2] Puisque personne ne conteste le fait que la SAR ait infirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [SPR] excluant le demandeur de la protection du Canada pour avoir commis un crime grave de droit commun en Algérie (en application de l’article 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés), ce second aspect de la décision de la SAR ne sera donc pas traité dans les présents motifs.
II. Faits
[3] Le demandeur est un ingénieur algérien qui a été fonctionnaire à l’emploi de la Société Nationale de Génie [SNG] de 2015 à 2018.
[4] Il est venu au Canada du 2 mai au 1er juin 2018, muni d’un visa de visiteur, puis est revenu le 11 juin 2019 et a présenté une demande d’asile en octobre 2019.
[5] Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA], le demandeur allègue qu’alors qu’il était à la SNG, ses supérieurs l’ont forcé, sous la menace d’un renvoi, à participer à une fraude en signant de faux bons de commande.
[6] En octobre 2019, des policiers l’auraient recherché chez son frère en lien avec cette fraude.
[7] Le demandeur allègue également qu’il pourrait être ciblé en Algérie en raison de son ethnie berbère et de son appui au mouvement d’indépendance de la Kabylie.
III. Décision contestée
[8] Outre la question de l’exclusion, et toutes les sous-questions qu’une potentielle exclusion soulève, la SAR précise que la question déterminante est celle de la crédibilité du demandeur.
[9] La SAR note qu’après une première journée d’audience devant la SPR, celle-ci a suspendu l’audience pour informer le ministre des allégations de fraude et d’une possible exclusion. La SAR note également qu’entre la première et la seconde journée, le demandeur a modifié son témoignage afin de minimiser l’importance de la fraude.
[10] D’après le témoignage rendu lors de la première journée d’audience, le demandeur indique que la fraude aurait été pour plus d’un million, il aurait confectionné de faux bons de commande à trois reprises et il précise qu’il parle bien de dollars et non de dinars algériens. Or, en présence du ministre, il se ravise et précise qu’il parlait plutôt de dinars algériens, ce qui équivaudrait environ à 10 000 $. Il explique l’incohérence par le fait que depuis deux aux, il s’est habitué avec la devise canadienne ce qui l’a induit en erreur.
[11] Cela dit, la SAR est d’avis que la SPR a erré en concluant que le témoignage de la première journée était crédible alors que celui rendu au cours de la seconde journée ne l’était pas. À l’écoute de l’enregistrement de l’audience, la SAR ne voit pas de différence importante dans la façon de témoigner du demandeur. La SAR est plutôt d’avis que l’ensemble du témoignage du demandeur sur le montant de la fraude est équivoque, hésitant et évolutif, le demandeur acquiesçant plutôt aux suggestions du commissaire. Pour la SAR, le montant de 1 000 000 $ n’est pas plus crédible que celui de 10 000 $; il est tout aussi possible que le demandeur ait exagéré le montant de la fraude lors de la première journée, dans le but d’établir un risque de persécution, qu’il l’ait minimisé lors de la deuxième journée, dans le but d’éviter l’exclusion.
[12] La SAR conclut que la fraude est établie (bien que le montant ne le soit pas) puisque son récit est constant à cet égard.
[13] Toutefois, la SAR est d’avis que la preuve est insuffisante pour conclure que le demandeur serait visé par des représailles de la part des policiers, notamment puisqu’aucune preuve documentaire ne confirme qu’une plainte ait été portée ou un mandat d’arrestation émis. La preuve n’établit pas que le demandeur serait exposé à une menace éventuelle à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.
[14] Le demandeur dit craindre, advenant son retour en Algérie, d’être arrêté pour la fraude dans laquelle il a été complice et d’en devenir le bouc émissaire en raison de son ethnicité kabyle. La SAR précise que cette crainte vient d’un message texte que le demandeur a reçu de son frère en octobre 2019 par lequel il l’informe, en des termes peu flatteurs, qu’il aurait reçu la visite des policiers en lien avec la fraude.
[15] La SAR conclut que la crainte du demandeur d’être traduit en justice est probablement bien fondée, mais que son témoignage est insuffisant pour établir qu’il deviendra bouc émissaire et qu’il sera arrêté et torturé. Le message texte de son frère n’établit pas, à lui seul ou en conjonction avec l’ensemble de la preuve, que le demandeur a des raisons de craindre pour sa vie ou pour sa sécurité.
[16] Le demandeur n’a pas convaincu la SAR qu’il pourrait être ciblé pour son militantisme ou pour son ethnicité puisque son FDA est principalement axé sur son implication dans la fraude de son employeur plutôt que sur sa vision sur l’autodétermination de la Kabylie.
[17] La SAR conclut que même si le demandeur a établi certaines activités militantes, son implication est insuffisante pour qu’il soit la cible de représailles de la part du gouvernement algérien.
[18] La SAR rejette donc l’appel pour des motifs autres que ceux de la SPR.
IV. Questions en litige et norme de contrôle
[19] La seule question soulevée par cette demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la SAR a erré dans son analyse de la crainte du demandeur.
[20] La norme de contrôle applicable à l’analyse de cette question est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).
V. Analyse
[21] Il n’est pas contesté que le demandeur ait participé à commettre une fraude en Algérie. La question déterminante pour cette Cour est celle de savoir s’il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur ne serait pas persécuté sans justification à son retour dans son pays.
[22] Le demandeur soulève deux motifs de crainte distincts au soutien de sa demande d’asile; sa participation dans une fraude contre son employeur, pour laquelle il est recherché par les autorités, et; son ethnicité berbère et sa participation dans le mouvement indépendantiste kabyle.
[23] En ce qui concerne la possibilité que le demandeur soit persécuté par la police, la SAR note qu’il n’y a aucune preuve d’accusation formelle contre le demandeur. Le seul élément de preuve déposé par le demandeur est le message de son frère dans lequel il indique qu’on désire l’interroger sur sa participation dans un stratagème frauduleux. Dans le contexte où le demandeur avoue avoir participé dans la fraude en question, on ne s’attend pas à moins des policiers. Cela ne prouve pas que le demandeur sera assujetti à de la persécution ni qu’il servira de bouc émissaire en raison de son ethnicité.
[24] En ce qui concerne justement l’ethnicité du demandeur et sa participation dans le mouvement indépendantiste, il était loisible à la SAR de conclure que la preuve ne démontre pas un quelconque engagement du demandeur avant son arrivée au Canada. La SAR tient compte de la preuve documentaire voulant que des personnes aient été persécutées pour avoir porté le drapeau kabyle et pour avoir participé dans des manifestations d’indépendantistes. Toutefois, elle note que ce sont surtout les leaders et organisateurs de ces manifestations qui font l’objet de persécution.
[25] Il était raisonnable pour la SAR de conclure que la preuve n’établit pas une possibilité sérieuse de persécution du demandeur en raison de son ethnicité, advenant son retour en Algérie (voir notamment Chergui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1058 aux paras 14-15).
VI. Conclusion
[26] La décision de la SAR est raisonnable de sorte que la demande en contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.
[27] Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fin de certification et aucune telle question n’émane des faits de cette affaire.
JUGEMENT dans IMM-491-23
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
Aucune question d’importance générale n’est certifiée.
« Jocelyne Gagné »
Juge en chef adjointe
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-491-23 |
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INTITULÉ :
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HAMID TARMOUL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
montréal (québec) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 9 mai 2024 |
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JUGEMENT ET motifs : |
LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 22 JUILLET 2024
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COMPARUTIONS :
Fernand Bali |
Pour le demandeur |
Daniel Latulippe |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Fernand Bali Montréal (Québec) |
Pour le demandeur |
Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour le défendeur |