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Date: 20060519

Dossier: IMM-6637-05

Référence: 2006 CF 607

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2006

En présence de Monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

RAVINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 ( « LIPR » ) d'une décision de la Section de la protection des réfugiés ( « SPR » ) datée du 13 octobre 2005. Par cette décision, la SPR refusait la demande d'asile de Ravinder Singh ( « demandeur » ). Selon la SPR, le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. La décision de la SPR est fondée sur des considérations liées à la crédibilité du demandeur.

I.          Questions en litige

[2]                La seule question en litige est la suivante :

-                      La SPR a-t-elle erré en concluant que le demandeur n'est pas crédible?

II.        Faits

[3]                Le demandeur est d'origine indienne. Il est né au Pendjab en Inde.

[4]                Le 10 octobre 2001, des individus lui ont volé sa motocyclette en le menaçant d'une arme à feu. Le demandeur a ensuite regagné la maison familiale pour en discuter avec sa famille. Puis, en compagnie de son père, il a décidé d'aller raconter l'incident au Sarpanch du village, qui recommanda d'attendre au lendemain avant de porter plainte à la police.

[5]                À son retour à la maison le soir même, la police y était déjà. Le demandeur fût arrêté, emmené au poste de police et torturé en raison de son association imputée à un groupe terroriste. Le demandeur a été libéré sur paiement d'un pot-de-vin et à la suite de l'intervention de sa famille et de membres du conseil du village. Il a été soigné par un médecin.

[6]                Le demandeur fût arrêté, détenu et torturé trois autres fois, soit le 1er février 2002, le 26 avril 2003 et le 12 août 2003. Chaque fois, il fût libéré dans des circonstances similaires à celles d'octobre 2001. À plusieurs reprises, la police est venue chez le demandeur pour l'harceler et interroger les membres de sa famille.

[7]                En juin 2004, le demandeur rencontre le Sarpanch du village en vue de porter plainte contre la police. Peu après, la police eût vent de ses intentions et retourna à la maison familiale. Le demandeur étant absent, la police exigea qu'il soit livré aux forces de l'ordre, tout en menaçant de le tuer.

[8]                Le demandeur s'enfuit à Delhi où il rencontra un passeur. Il arriva au Canada le 19 septembre 2004 et demanda l'asile le 28 janvier 2005.

III.       Analyse

[9]                Les conclusions de la SPR à l'égard de la crédibilité du demandeur sont les suivantes - (j'indique entre parenthèses les passages pertinents du procès-verbal d'audience et du dossier de la SPR) :

-                      La SPR observe, de façon générale, qu'il manque de preuve au dossier permettant de démontrer que la police était persuadée qu'il a été associé à un ou des groupes terroristes;

-                      De même, la SPR a noté que le demandeur a produit peu de preuve crédible ou plausible dans l'ensemble permettant de démontrer qu'il a fait l'objet de harcèlement, qu'il a été détenu et qu'il a été brutalisé;

-                      La SPR a trouvé invraisemblable que la police se soit subitement acharnée sur le demandeur alors que celui-ci a admis que ni lui, ni les membres de sa famille n'ont de lien avec des groupes terroristes, et qu'ils ont vécu sans problèmes dans le Pundjab pendant des années (dossier de la SPR, p. 203, 215, 224, 225, 227);

-                      La SPR a trouvé invraisemblable que le demandeur ait pu, en une heure, se faire dérober sa motocyclette sous la menace d'une arme, regagner la maison familiale située à deux kilomètres du lieu du vol, prendre un verre d'eau et discuter avec son père, marcher jusqu'à la maison du Sarpanch, réveiller le Sarpanch, discuter et convenir avec lui de ne porter plainte que le lendemain et enfin retourner à la maison familiale où la police attendait le demander de pied ferme (dossier de la SPR, p. 205 à 216);

-                      La SPR a trouvé invraisemblable que le demandeur n'ait pas été capable de fournir d'informations concernant l'identité des personnes qui lui ont dérobé sa motocyclette, concernant les raisons ayant amené la police à l'accuser d'être associé à des groupes terroristes et concernant le lien qu'il était suspecté d'avoir avec ces groupes (dossier de la SPR, p. 203 et suiv. 217, 222, 233);

-                      La SPR a trouvé invraisemblable que les personnes ayant participé à le libérer à quatre reprises n'aient posé aucune question concernant les raisons pour lesquelles la police s'est acharnée sur le demandeur (dossier de la SPR, p. 226);

-                      La SPR estime que le demandeur a eu un comportement qui n'est pas compatible avec celui d'une personne qui craint d'être persécutée puisque l'ensemble des démarches du demandeur visaient à aller au Canada uniquement (et non ailleurs);

-                      Le demandeur a laissé s'écouler beaucoup de temps avant d'agir lorsqu'il a constaté qu'il tardait à obtenir les documents nécessaires à son départ (dossier de la SPR, p. 195 à 201, 234 à 237), le tout dans un contexte où il allègue avoir été sauvagement battu par la police et craindre que les forces de l'ordre s'en prennent de nouveau à lui;

-                      Le demandeur a tardé à faire sa demande d'asile, une fois arrivé au Canada et ses explications à ce sujet sont vagues (dossier de la SPR, p. 237 à 241);

-                      Finalement, la SPR a noté que le demandeur a fait une demande de passeport avant la date à laquelle ses problèmes ont commencé (dossier de la SPR, p. 241 à 243).

[10]            Ayant relu l'ensemble des documents pertinents et ayant entendu les parties, j'en viens à la conclusion que la SPR n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur n'est pas crédible, compte tenu de la norme de contrôle applicable, qui est celle de la décision manifestement déraisonnable (Thavarathinam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1469, [2003] A.C.F. No. 1866 (C.A.F.), au para. 10; Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. No. 732 (C.A.F.), au para. 4). Plusieurs éléments affectent gravement la crédibilité du demandeur, et il a eu l'occasion d'expliquer sa version des faits à l'égard de chacun de ces éléments. Bien que certains éléments qui fondent la décision soient moins convaincants et bien que la SPR ait commis des erreurs de faits mineures, je ne crois pas que le raisonnement dans son ensemble en est affecté, ni qu'il y a lieu d'intervenir. La décision est correcte dans son ensemble.

[11]            Dans ses mémoires et lors de l'audience, le demandeur a prétendu qu'il a quitté l'Inde principalement parce qu'il était persécuté par la police en raison de la plainte qu'il comptait formuler auprès des autorités en juin 2004. Le demandeur prétend qu'il avait des preuves permettant de le démontrer, soit la lettre de son avocat indien, ainsi que ses certificats médicaux et l'affidavit du Sarpanch du village (dossier de la SPR, pp. 62-65). Ce faisant, il semble que le demandeur tente d'isoler l'un des motifs allégués de son départ de l'Inde des autres faits de son récit. Le demandeur croit apparemment pouvoir convaincre la Cour que la SPR a fait défaut de traiter un aspect majeur de la revendication dans sa décision.

[12]            À la lecture du dossier, toutefois, il n'est pas clair du tout que ce qui a motivé le départ de l'Inde du demandeur est d'abord et avant tout l'épisode de juin 2004. En effet, plusieurs éléments semblent démontrer qu'au contraire, le demandeur a soutenu devant la SPR qu'il a quitté l'Inde en raison de la torture subie en détention du fait de ses liens imputés avec des groupes terroristes :

-                      le récit annexé au Formulaire de renseignements personnels (FRP) (dossier de la SPR, p. 20-21) du demandeur indique qu'il était « [MA TRADUCTION] épuisé de cette routine [en parlant des multiples arrestations et de la torture] » ;

-                      l'essentiel du récit du demandeur raconte la torture et la détention que le demandeur aurait subies aux mains des autorités (dossier de la SPR, p. 20-21);

-                      à l'audience, le demandeur a indiqué qu'il a décidé de quitter l'Inde de façon permanente en juin 2002, et qu'il a pris cette décision en raison du harcèlement policier qu'il subissait du fait de ses liens imputés avec des groupes terroristes (dossier de la SPR, p. 195 et 201);

-                      lorsqu'il a été interrogé concernant les événements de juin 2004, le demandeur a eu l'occasion de donner beaucoup de détails, mais n'a mentionné en aucun temps que sa plainte à la police a été l'élément déclencheur l'ayant amené à quitter l'Inde (dossier de la SPR, p. 236);

-                      lors de ses représentations à l'audience devant la SPR, l'avocat du demandeur a insisté sur les événements de 2002, et non sur ceux de 2004, pour expliquer la décision du demandeur de quitter l'Inde (dossier de la SPR, p. 250).

Dans ce contexte, il est tout à fait compréhensible que la SPR n'ait pas traité plus en profondeur des événements de juin 2004. À mon avis, la SPR a pris en considération l'ensemble des faits pertinents, y compris la tentative allégué du demandeur de porter plainte contre la police et les éléments de preuve présentés par le demandeur. En effet, ce fait a été mentionné par la SPR à la page 5 de sa décision. La SPR était donc au fait de la tentative allégué du demandeur de porter plainte contre la police. En insistant en contrôle judiciaire sur une facette de sa revendication qui apparaissait marginale devant la SPR, le demandeur introduit tardivement une nouvelle version des faits et ne fait qu'ajouter à la confusion inhérente à son récit. De plus, même si cette nouvelle version était tenue pour avérée, le comportement du demandeur demeurerait néanmoins incompatible, comme l'a remarqué la SPR, avec celui d'une personne qui craint d'être persécutée.

[13]            La SPR a, en somme, porté un jugement bien étayé sur la crédibilité du demandeur et a considéré la preuve telle qu'elle lui a été présentée. Les éléments invoqué au soutien de la décision m'apparaissent amplement suffisants et dans ce contexte, je pense qu'il n'était pas nécessaire que la décision de la SPR traite expressément des certificats médicaux, de la lettre de l'avocat indien du demandeur et de l'affidavit du Sarpanch du village (voir Florea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598).

[14]            Les parties furent invitées à poser des questions pour fins de certification mais aucune question n'a été posée.

[15]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n'est certifiée.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

-            La demande de contrôle judiciaire soit rejetée et aucune question n'est certifiée.

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                        IMM-6637-05

INTITULÉ :                                        

RAVINDER SINGH

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                     Le 16 mai 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                 L'Honorable Juge Simon Noël

DATE DES MOTIFS :                            Le 19 mai 2006       

                                                                

COMPARUTIONS:

Me Jean-François Bertrand

                                                           POUR LE DEMANDEUR

                                                          

Me Alexandre Tavadian

                                                           POUR LE DÉFENDEUR                     

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Michel Le Brun

Montréal

                                                           POUR LE DEMANDEUR                   

Procureur général du Canada

MinistPre de la justice - Montréal

                                                           POUR LE DÉFENDEUR

                                                          

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