Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060131

Dossier : IMM-3785-05

Référence : 2006 CF 104

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

JUAN MIGUEL BENAVIDES LIVORA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 ( « LIPR » ) d'une décision de Me R. Néron, membre de la Section d'appel de l'immigration ( « SAI » ), datée du 7 juin 2005. Par cette décision, le membre de la SAI rejetait l'appel interjeté par Juan Miguel Benavides Livora ( « demandeur » ) à l'encontre d'une décision de M. Rolland Ladouceur, commissaire à la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « CISR » ), datée du 14 janvier 2005. La décision de rejeter l'appel est fondée sur les deux considérations suivantes :

-                                              Selon les paragraphes 64(1) et (2) LIPR, le droit d'appel à la SAI n'existe pas au profit des résidents permanents interdits de territoire pour grande criminalité;

-                                              Il n'y a pas lieu d'examiner la validité constitutionnelle de ces paragraphes, le demandeur ayant fait défaut de transmettre à tous les procureurs généraux copie de l'avis de question constitutionnelle requis en vertu de l'article 52 des Règles de la Section d'appel de l'immigration.

QUESTION EN LITIGE ET CONCLUSIONS RECHERCHÉES

[2]                La seule question en litige est la suivante :

-           Le membre de la SAI a-t-il erré en droit en décidant qu'il n'avait pas compétence pour décider de la validité constitutionnelle des paragraphes 64(1) et (2) LIPR, le demandeur ayant fait défaut d'envoyer un avis de question constitutionnelle?

.

[3]                Le demandeur demande à cette Cour :

-                                              D'annuler la décision du 7 juin 2005 rejetant l'appel du demandeur à l'encontre de la mesure d'expulsion prononcée contre lui le 14 janvier 2005;

-                                              De déclarer inopérants et inapplicables en l'espèce les paragraphes 36 (1) et 64(1) et (2) de la LIPR en vertu de diverses dispositions constitutionnelles et d'arguments de droit international;

-                                              De surseoir à son renvoi.

[4]                De façon subsidiaire, le demandeur demande d'ordonner à la SAI d'entendre le demandeur et de se prononcer sur la question constitutionnelle.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

[5]                Le demandeur est âgé de 50 ans et est né au Pérou. Il est arrivé au Canada en 1983 et est devenu résident permanent le 2 novembre 1991. L'historique des procédures est la suivante :

-                                              Le 9 janvier 2004, une peine d'emprisonnement de trois ans était infligée au demandeur, qui a été reconnu coupable de diverses infractions liées au trafic de la cocaïne;

-                                              Le 14 janvier 2005, à la suite d'une enquête visant à déterminer si le demandeur devait être renvoyé du Canada, le Commissaire Rolland Ladouceur de la CISR prononçait une mesure d'expulsion à son encontre fondée sur les paragraphes 36(1) a) et 45d) LIPR (interdiction de territoire pour grande criminalité);

-                                              Le 18 janvier 2005, le demandeur en appelait de cette décision devant la SAI;

-                                              Le 7 juin 2005, le membre de la SAI Me R. Néron rejetait l'appel au motif qu'un tel droit d'appel n'existe pas, en vertu des paragraphes 64(1) et (2) LIPR, au profit des résidents permanents interdits de territoire pour grande criminalité. Le membre décidait également de ne pas se prononcer sur les arguments constitutionnels du demandeur du fait que celui-ci avait fait défaut de transmettre copie de l'avis de question constitutionnelle requis en vertu de l'article 52 des Règles de la Section d'appel de l'immigration ( « Règles SAI » ) aux procureurs généraux de toutes les provinces;

-                                              Le 21 juin 2005, le demandeur introduisait la présente demande de contrôle judiciaire;

-                                              Le 8 novembre 2005, la permission de présenter sa demande de contrôle judiciaire fût accordée au demandeur;

-                                              Le 23 décembre 2005, le demandeur déposait une demande d'Examen des risques avant renvoi ( « demande d'ERAR » );

-                                              Le 9 janvier 2006, le demandeur était libéré de prison;

-                                              Le 10 janvier 2006, la demande d'ERAR était refusée;

-                                              Le 12 janvier 2006, le soussigné rendait une ordonnance pour surseoir au renvoi du demandeur, prévu pour le 13 janvier 2006, jusqu'à ce que la demande de contrôle judiciaire ait été tranchée;

-                                              L'audition sur la présente demande de contrôle judicaire s'est tenue le 26 janvier 2006.

ANALYSE

[6]                Les paragraphes 64(1) et 64(2) LIPR se lisent comme suit :

64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

[7]                Il n'est pas contesté que la SAI n'avait pas compétence pour entendre l'appel. Le demandeur allègue que la SAI devait néanmoins se prononcer sur la validité constitutionnelle de ces dispositions malgré le défaut du demandeur de transmettre une copie de l'avis de question constitutionnelle aux procureurs généraux de chacune des provinces, comme cela est requis en vertu de l'article 52 des Règles SAI. Les extraits pertinents de cet article se lisent comme suit :

52. (1) La partie qui veut contester la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, d'une disposition législative établit un avis de question constitutionnelle.

[...]

(3) La partie transmet :

a) au procureur général du Canada et au procureur général de chaque province et territoire du Canada, en conformité avec l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, une copie de l'avis;

b) à l'autre partie une copie de l'avis;

c) à la Section l'original de l'avis, ainsi qu'une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon une copie de l'avis a été transmise aux destinataires visés aux alinéas a) et b).

52. (1) A party who wants to challenge the constitutional validity, applicability or operability of a legislative provision must complete a notice of constitutional question.

[...]

(3) The party must provide

(a) a copy of the notice of constitutional question to the Attorney General of Canada and to the attorney general of every province and territory of Canada, according to section 57 of the Federal Court Act;

(b) a copy of the notice to the other party; and

(c) the original notice to the Division, together with a written statement of how and when a copy of the notice was provided under paragraphs (a) and (b).

[8]                Les paragraphes (1), (2) et (3) de l'article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 ( « LCF » ) se lisent comme suit :

57. (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d'application, dont la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour d'appel fédérale ou la Cour fédérale ou un office fédéral, sauf s'il s'agit d'un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n'aient été avisés conformément au paragraphe (2).

(2) L'avis est, sauf ordonnance contraire de la Cour d'appel fédérale ou de la Cour fédérale ou de l'office fédéral en cause, signifié au moins dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle qui en fait l'objet doit être débattue.

(3) Les avis d'appel et de demande de contrôle judiciaire portant sur une question constitutionnelle sont à signifier au procureur général du Canada et à ceux des provinces.

57. (1) If the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of a province, or of regulations made under such an Act, is in question before the Federal Court of Appeal or the Federal Court or a federal board, commission or other tribunal, other than a service tribunal within the meaning of the National Defence Act, the Act or regulation shall not be judged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).

(2) The notice must be served at least 10 days before the day on which the constitutional question is to be argued, unless the Federal Court of Appeal or the Federal Court or the federal board, commission or other tribunal, as the case may be, orders otherwise.

(3) The Attorney General of Canada and the attorney general of each province are entitled to notice of any appeal or application for judicial review made in respect of the constitutional question.

[9]                Comme il s'agit d'une question de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Le libellé des articles précités est clair, et l'avis de question constitutionnelle n'est d'ordinaire pas considéré comme une formalité qui peut être contournée à la légère (voir par exemple Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, [2004] A.C.F. No. 819, au para. 8).

[10]            De toute façon, même si l'avis de question constitutionnelle avait été envoyé, la SAI n'aurait pas pu se prononcer sur la question constitutionnelle puisqu'elle n'a pas un tel pouvoir dans le cas des résidents permanents interdits de territoire pour grande criminalité (voir Ferri v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1580, [2005] F.C.J. No. 1941 et Kroon c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 697, [2004] A.C.F. No. 857). Dans cette dernière affaire, le juge Rouleau écrit, au para. 33 :

En l'espèce, une fois qu'il fut établi dans les faits que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité, une décision que le demandeur ne conteste pas, la SAI a perdu tout mandat d'entendre un appel. Comme la SAI n'est pas habilitée à se prononcer sur des questions de droit soulevées en vertu de l'article 64, elle n'est donc pas habilitée à entendre des contestations constitutionnelles de cette disposition.

[11]            J'ajoute que les arguments du demandeur visant à faire invalider les paras 64(1) et (2) ne sont pas fondés, la question ayant été pour l'essentiel été tranchée par la Cour suprême du Canada dans Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 51, [2005] A.C.S. No. 31.

[12]            Les parties furent invitées à poser des questions pour fins de certification. La demanderesse demande que les questions suivantes soient certifiées :

-                                              La Section d'appel de l'Immigration de la Commission de l'Immigration et du statut de réfugié avait-elle le devoir d'entendre l'appelant à l'égard de son avis d'appel résultant d'une mesure de renvoi prononcée par la Section de l'Immigration de la C.I.S.R. eu égard au droit supra législatif comportant des principes de justice naturelle telle que l'équité procédurale et le devoir d'agir équitablement?

-                                              Si oui, le régime de protection prévu à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés entre-t-il en application pour la protection de la sécurité de la personne de la partie demanderesse?

[13]            Comme l'ont fait valoir les défendeurs, cette question ne répond pas aux critères établis par la jurisprudence, notamment dans Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. No. 1637, au para. 4. La question doit transcender les intérêts des parties au litige, avoir une portée générale et être déterminante quant à l'issue de l'appel. Compte tenu de ce qui précède, la question du demandeur est déjà réglée par les tribunaux et omet de mentionner que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité. Il n'y a donc pas lieu de certifier la question.

[14]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée. La mesure d'expulsion prise par le commissaire Ladouceur, datée du 14 janvier 2005, est donc en vigueur. Compte tenu de ce qui précède, il est également mis fin au sursis intérimaire ordonné par le soussigné en date du 12 janvier 2006, et la demande de sursis est rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

-                      La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

-                      Aucune question ne soit certifiée.

-                      Le sursis intérimaire de renvoi accordé au demandeur soit annulé et la mesure d'expulsion émise est en vigueur.

« Simon Noël »

JUGE


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                  IMM-3785-05

INTITULÉ :                                 JUAN MIGUEL BENAVIDES LIVORA

                                                                                                                              demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L=IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :         le 26 janvier 2006

MOTIFSDE L=ORDONNANCE ET ORDONNANCE:

                  L=HONORABLE JUGE SIMON NOÊL

DATE DES MOTIFS :               le 31 janvier 2006

COMPARUTIONS:

Me DANIEL DROUIN                                          POUR LE DEMANDEUR

Me MICHEL PÉPIN                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me DANIEL DROUIN                                         POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

JOHN H. SIMS                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.