Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20240808


Dossier : IMM-10071-24

Référence : 2024 CF 1243

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa, Ontario, le 8 août 2024

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ABIDEEN OLALEKAN OLADIPUPO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le défendeur, par voie de requête, sollicite une ordonnance pour que la Cour réexamine ou modifie la décision qu’elle a rendue dans Oladipupo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2024 CF 921 (la décision accordant un sursis), le 14 juin 2024, en vertu des articles 397 et 399 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

[2] Le défendeur fait valoir que la décision contient des observations qui ont été faites sans égard à la preuve et qui sont préjudiciables à la réputation professionnelle de son avocate.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande du défendeur est rejetée.

II. Analyse

A. Question en litige et cadre législatif

[4] La seule question en litige est celle de savoir si la Cour doit réexaminer ou modifier la décision accordant un sursis conformément à l’article 397 ou 399 des Règles.

[5] Une ordonnance, une fois rendue, est définitive; elle est opposable à moins d’être annulée en appel, ou alors réexaminée, modifiée ou annulée dans la mesure restreinte prévue aux articles 397 et 399.

[6] L’article 397 des Règles est formulé ainsi :

Réexamen

397 (1) Dans les 10 jours après qu’une ordonnance a été rendue ou dans tout autre délai accordé par la Cour, une partie peut signifier et déposer un avis de requête demandant à la Cour qui a rendu l’ordonnance, telle qu’elle était constituée à ce moment, d’en examiner de nouveau les termes, mais seulement pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier;

b) une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement.

Motion to reconsider

397 (1) Within 10 days after the making of an order, or within such other time as the Court may allow, a party may serve and file a notice of motion to request that the Court, as constituted at the time the order was made, reconsider its terms on the ground that

(a) the order does not accord with any reasons given for it; or

(b) a matter that should have been dealt with has been overlooked or accidentally omitted.

Erreurs

(2) Les fautes de transcription, les erreurs et les omissions contenues dans les ordonnances peuvent être corrigées à tout moment par la Cour.

Mistakes

(2) Clerical mistakes, errors or omissions in an order may at any time be corrected by the Court.

[7] Quant à lui, l’article 399 des Règles est rédigé ainsi :

Annulation sur preuve prima facie

399 (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance.

Setting aside or variance

399 (1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

(a) ex parte; or

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding,

if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.

Annulation

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.

Setting aside or variance

(2) On motion, the Court may set aside or vary an order

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or

(b) where the order was obtained by fraud

A. La décision accordant un sursis ne sera ni réexaminée, ni modifiée, ni annulée

[8] D’après le défendeur, il y a lieu de réexaminer ou de modifier trois passages de la décision accordant un sursis conformément à l’article 397 ou 399.

[9] Le premier passage englobe les paragraphes 33 à 40 de la décision accordant un sursis, dans lesquels, selon le défendeur, la Cour aurait à plusieurs reprises confondu son évaluation de la fiabilité d’éléments de preuve à celle de l’intégrité personnelle de son avocate. Le défendeur fait valoir que son avocate a déployé tous les efforts possibles en ce qui concerne la preuve, a admis l’existence d’éléments de preuve contradictoires et a reconnu que l’incohérence entre la preuve produite et la preuve de son client pouvait découler d’un problème de communication. Selon le défendeur, on ne sait trop, à la lecture du paragraphe 36 de la décision accordant un sursis, si c’était la conduite du défendeur lui-même (c.-à-d. le ministre) ou celle de son avocate qui avait « frôlé une tentative d’induire en erreur la Cour ». Le défendeur avance en outre qu’au paragraphe 39 de la décision accordant un sursis, celle-ci [traduction] « peut être interprétée » comme reprochant à l’avocate du défendeur un manque de compassion ou son impassibilité devant l’élément humain du renvoi, soit une attaque personnelle à son endroit que la preuve n’étaye pas. Il fait de plus valoir que le paragraphe 40 de la décision accordant un sursis « semble attaquer », sans preuve à l’appui, l’intégrité personnelle de son avocate, ce qui justifierait le retrait ou la modification de ce paragraphe afin que la franchise ou le professionnalisme de cette dernière ne puisse être mis en doute.

[10] Le deuxième passage que le défendeur souhaite faire réexaminer ou modifier correspond aux paragraphes 46 et 47 de la décision accordant un sursis. Le défendeur soutient que les termes qu’y emploie la Cour sont injustifiés et dirigés contre son avocate. Il avance de plus que les conclusions énoncées aux paragraphes 46 et 47 [traduction] « ne sont pas étayées par le dossier [et] donnent l’impression [que son avocate] s’était montrée cavalière dans l’approche » qu’elle avait utilisée relativement à la question en litige, ce qui porte atteinte à sa réputation professionnelle.

[11] Le troisième passage contesté est le paragraphe 56 de la décision accordant un sursis; le défendeur fait valoir qu’on peut l’interpréter comme faisant référence soit au ministre, soit à son avocate, et que, dans cette dernière éventualité, il s’agit d’un autre exemple de dénigrement injustifié.

[12] Le demandeur ne prend pas position en ce qui concerne les paragraphes 46 et 47 de la décision accordant un sursis ou la présumée allusion de la Cour à l’avocate du défendeur. Le demandeur s’oppose à la demande de modification de la décision accordant un sursis et à la suppression de l’un ou l’autre des paragraphes contestés (c.-à-d. les paragraphes 36, 37, 40 et 56).

[13] Les allégations du défendeur sont infondées. La Cour ne réexaminera, n’annulera et ne modifiera aucune partie de la décision accordant un sursis.

[14] Je souligne d’entrée de jeu qu’aucun des articles 397 et 399 ne s’applique en l’espèce. L’article 397 permet à la Cour de corriger les erreurs et omissions faites par inadvertance dans un jugement et de veiller à ce que tout jugement reflète l’intention du juge qui en est auteur et traite de toutes les questions à trancher (Rebello c Canada (Justice), 2021 CF 275 (« Rebello »), au para 2, citant Pharmascience Inc. c Canada (Ministre de la Santé) (CAF), 2003 CAF 333 (« Pharmascience »), aux para 12 à 15, et les affaires qui y sont citées).

[15] Dans la décision accordant un sursis, aucune des « erreurs » alléguées n’a été faite par inadvertance, et l’intention de la Cour était adéquatement reflétée. De plus, toutes les questions en litige ont été tranchées, en l’occurrence celle de savoir si le demandeur avait satisfait aux trois volets du critère à remplir pour que l’on sursoie à son renvoi. Un élément essentiel tient au fait que, pour les besoins de la présente requête, le défendeur ne s’oppose à aucune des conclusions de la décision accordant un sursis qui a trait à ce critère. Faire droit à la requête visant à faire réexaminer la décision accordant un sursis irait donc à l’encontre de l’objet et de l’utilisation de l’article 397 (Rebello, au para 2; Pharmascience, au para 15).

[16] En outre, le paragraphe 399(2) des Règles exige la survenance ou la découverte de faits nouveaux après qu’une ordonnance a été rendue pour que celle-ci soit annulée ou modifiée (Dabiri Sharifabad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 740, au para 11 [citations omises]). Trois conditions doivent être satisfaites pour qu’une requête présentée en vertu de l’alinéa 399(2)a) soit accueillie : « les renseignements nouvellement découverts doivent être des “faits nouveaux” au sens des Règles; les “faits nouveaux” ne doivent pas être des faits nouveaux que l’intéressé aurait pu découvrir avant que l’ordonnance ne soit rendue en faisant preuve de diligence raisonnable; et les “faits nouveaux” doivent être de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question » (Shen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 115, au para 14 [citations omises]). Aucun des faits nouveaux allégués par le défendeur n’aurait eu une influence déterminante sur la décision accordant un sursis. Comme je viens de l’indiquer, le défendeur « ne s’oppose à aucune de ces conclusions de fond de la Cour » en ce qui concerne le critère tripartite en matière de renvoi. Ainsi, il ne serait pas conforme à l’alinéa 399(2)a) d’annuler ou de modifier la décision accordant un sursis.

[17] Les articles 397 et 399 des Règles ne sont donc d’aucun secours au défendeur. Le défendeur n’a rempli aucune des exigences légales nécessaires pour que la Cour réexamine, annule ou modifie la décision accordant un sursis. Cela dit, pour l’édification de la partie requérante, la Cour se penchera sur chacune de ses allégations.


 

(1) Les paragraphes 33 à 40 de la décision accordant un sursis

[18] La Cour ne saurait convenir avec le défendeur que les paragraphes 33 à 40 de la décision accordant un sursis justifient l’obtention d’une ordonnance aux termes de l’article 397 ou 399 des Règles.

[19] D’abord, l’avocate du défendeur n’est mentionnée nulle part dans la décision accordant un sursis. Si la Cour avait voulu parler expressément de l’avocate du défendeur, elle l’aurait fait (voir p. ex. Igreja Ferreira de Campos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 1193, au para 26; Henry-Okoisama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 1160, au para 23; Rocha Badillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 1092, au para 34, et Ramo Salazar c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2024 CanLII 59712 (CF)). En effet, dans la décision accordant un sursis, la Cour a mentionné l’avocat du demandeur trois fois (aux paragraphes 23, 32 et 37), mais n’a jamais mentionné l’avocate du défendeur.

[20] En outre, il n’importe aucunement que le passage en question puisse être « interprété comme » visant l’avocate du défendeur ou « sembler » la viser. Lue dans son contexte, la décision est limpide quant aux personnes qu’elle vise. Prenons, par exemple, l’extrait suivant : « Il ne s’agit pas simplement de tactiques judiciaires troublantes de la part du défendeur – un ministre du gouvernement canadien –, qui tente d’inclure subrepticement des éléments de preuve équivoques dans un dossier à l’appui de sa position. Une telle conduite frôle – et de très près – une tentative d’induire en erreur la Cour. » (décision accordant un sursis, au paragraphe 36 [Non souligné dans l’original.]). Ni ce paragraphe ni les autres paragraphes contestés ne mentionnent « ... l’avocate du défendeur ».

[21] De plus, le défendeur fait valoir que son avocate a reconnu l’existence d’éléments de preuve contradictoires, qu’elle « a admis qu’on ne savait pas clairement comment cela avait pu se produire, et qu’elle a affirmé que cette incohérence pourrait être due à un problème de communication ». Il a ajouté ceci : [traduction] « Rien dans la transcription n’appuie la thèse que l’avocate du défendeur n’était pas disposée à donner certains renseignements ». Le défendeur cite certains passages de la transcription de l’audience à l’appui de son argument.

[22] Par exemple, il renvoie au passage concernant une incohérence relative à un courriel provenant de Gracehill Behavioral Health Services.

[23] À l’audience, l’avocate du défendeur a déclaré ce qui suit à propos du courriel : [traduction] « Je reconnais que le demandeur a produit un courriel de Grace Hill qui indiquait le contraire. Donc... il semble y avoir eu un problème de communication à ce propos. » La Cour a demandé à l’avocate d’en dire davantage sur ce « problème de communication ». Elle a répondu ce qui suit : [traduction] « Eh bien, ce n’est pas clair. Nous n’avons pas été directement en contact avec l’agent de liaison. »

[24] Ainsi, il ressort de la transcription que le « problème de communication » n’était pas qu’« une explication possible » de cette « incohérence » dans la preuve, comme l’a avancé l’avocate du défendeur; elle en était la seule explication possible.

[25] De plus, rappelons-nous en quoi consistait cette « incohérence » dans la preuve.

[26] À l’audience, le défendeur a présenté un élément de preuve selon lequel un déposant avait reçu d’un agent de liaison un courriel indiquant que les responsables d’un hôpital au Nigéria avaient « confirmé qu’ils admettraient le demandeur dans leur établissement ». (voir également la décision accordant un sursis, au paragraphe 34). Cet élément de preuve a été contredit par des courriels de l’hôpital, lesquels indiquaient notamment qu’il n’y avait pas de places disponibles dans cet établissement et que seule une demande de renseignements générale au sujet des soins à prodiguer au demandeur avait été reçue (voir la décision accordant un sursis, au paragraphe 35).

[27] La Cour a donc souligné qu’il était préoccupant que le défendeur – et non son avocate – ait présenté des éléments de preuve qui auraient pu induire la Cour en erreur et ainsi entacher sa décision (décision accordant un sursis, au paragraphe 36).

[28] L’avocate du demandeur a affirmé à l’audience que ce comportement pourrait être vu comme « frôl[ant] – et de très près – une tentative d’induire en erreur la Cour. » La Cour a acquiescé. Elle a d’ailleurs expliqué en détail en quoi cet élément de preuve aurait pu l’induire en erreur (décision accordant un sursis, aux paragraphes 37 et 38). La Cour a posé des questions sur cet élément de preuve à l’audience, et on a fait état d’un « problème de communication » en réponse.

[29] Malgré les efforts déployés par l’avocate du défendeur pour expliquer la contradiction dans les renseignements relatifs à l’hôpital qui ont été fournis à la Cour, j’ai jugé insuffisante la justification fournie pour la présence d’éléments de preuve contradictoires au dossier (décision accordant un sursis, au paragraphe 39). J’ai donc mis en garde le défendeur – et non, je le répète, son avocate (décision accordant un sursis, au paragraphe 40).

[30] Nous sommes par conséquent loin d’une preuve lacunaire, ou de [traduction] « l’absence de preuve au dossier » comme le soutient le défendeur dans sa requête : le libellé des paragraphes 33 à 40 de la décision accordant un sursis indique clairement qu’il est question de la preuve au dossier et de celle produite à l’audience. Pour reprendre les propos du défendeur, la Cour conclut que rien au dossier n’indique que, dans ses motifs, celle-ci s’adressait à l’avocate du défendeur ou qu’elle rendait une décision sans tenir compte des faits.

[31] Il est curieux de constater que le défendeur, dans sa requête, ne traite que de certains passages de la décision accordant un sursis. En effet, il y fait entièrement fi d’autres parties importantes de celle-ci.

[32] Premièrement, je note l’observation écrite suivante, qu’a formulée le défendeur dans ses observations relatives à l’audience sur le sursis : [traduction] « le défendeur a déployé des efforts considérables pour que soit assuré le bien-être du demandeur à son arrivée au Nigéria. En plus de lui fournir une escorte médicale, on a pris des dispositions pour qu’il puisse être admis en établissement psychiatrique, au besoin. » (mémoire du défendeur, au paragraphe 33).

[33] Pour appuyer cette observation, le défendeur a invoqué les éléments de preuve selon lesquels le demandeur serait hospitalisé à son arrivée au Nigéria (voir l’affidavit déposé à l’appui du dossier de requête du défendeur relatif à la décision accordant un sursis, aux paragraphes 5 et 6). L’affidavit indiquait notamment ce qui suit : [traduction] « L’[agent de liaison] a également joint Gracehill Behavioral Health Services (Gracehill Hospital & Rehab), dont le personnel lui a confirmé qu’au besoin, il accueillerait le demandeur à son arrivée et le ferait transporter par ambulance de l’aéroport à l’hôpital » (affidavit déposé à l’appui du dossier de requête du défendeur relatif à la décision accordant un sursis, au paragraphe 6).

[34] Or, comme je l’ai mentionné, la preuve provenant directement de Gracehill indique que seule une demande de renseignements générale avait été faite à propos du demandeur, et qu’aucune place n’était disponible pour lui (décision accordant un sursis, au paragraphe 35). Je le répète, on a fait état à l’audience d’un « problème de communication » en ce qui concerne les éléments de preuve touchant la réception de soins au Nigéria par le demandeur, et ce, même si la Cour avait demandé à l’avocate du défendeur d’expliquer la contradiction et si cette dernière avait admis que [traduction] « le demandeur avait produit un courriel de Grace Hill indiquant le contraire ». Malgré cette preuve contradictoire directe, le défendeur n’a pas retiré l’observation écrite relatant la prise de dispositions pour faire hospitaliser le demandeur.

[35] Par conséquent, dans le contexte global des paragraphes 33 à 40, la Cour a mis en garde le défendeur contre l’adoption de tactiques susceptibles de nuire à l’intégrité des procédures menées devant elle (c.-à-d. en façonnant sa preuve d’une manière susceptible de l’induire en erreur) et a mis en doute la probité du défendeur (compte tenu de la preuve trompeuse présentée en présence d’éléments de preuve contradictoires) au regard des enjeux de l’affaire (c.-à-d. une vie humaine).

[36] En bref, les observations sur cette question formulées par le défendeur dans sa requête sont spécieuses et malavisées, et elles ne tiennent compte ni de la formulation de la décision accordant un sursis, ni de toute la trame factuelle présentée à la Cour.

(2) Les paragraphes 46 et 47 de la décision accordant un sursis

[37] L’argument du défendeur portant que la formulation des paragraphes 46 et 47 de la décision accordant un sursis justifie une ordonnance conformément à l’article 397 ou 399 des Règles est tout aussi infondé. Ici encore, il semble que le défendeur n’ait pas convenablement interprété la décision accordant un sursis et évalué dans son ensemble la trame factuelle présentée à la Cour.

[38] Premièrement, comme je l’ai déjà souligné, il n’est fait mention de l’avocate du défendeur nulle part dans les paragraphes 46 et 47. Ce seul élément est suffisant pour rejeter les allégations du défendeur.

[39] Néanmoins, le défendeur fait valoir que son avocate n’a jamais dit que [traduction] « l’imminence, dans ce contexte, nécessite qu’une personne parvienne à s’enlever la vie, et qu’elle n’a pas fait preuve d’un manque de compréhension quant au sens du mot “imminent”. Elle a simplement mentionné la jurisprudence pertinente devant la Cour, pendant sa plaidoirie. Elle n’a pas dit que le risque de suicide n’était pas imminent [...] Ces conclusions ne sont pas étayées par la preuve au dossier. »

[40] À l’audience, l’avocat du demandeur n’a pas soulevé la question de l’imminence. En revanche, l’avocate du défendeur l’a fait au début de ses observations sur le volet du critère tripartite concernant le préjudice irréparable : [traduction] « [...] je comprends que la... question clé relative au préjudice irréparable en matière de risque de suicide est celle de savoir s’il y a un risque grave et imminent de suicide. » L’avocate du défendeur a cité l’affaire Bastien c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 926, au paragraphe 23, dans laquelle il est entre autres indiqué ceci : « Il est vrai que notre Cour a déjà ordonné le sursis d’un renvoi lorsque le demandeur présentait un risque grave et imminent de suicide. » Puis, elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « Donc, encore une fois, la question est de savoir s’il y a un risque grave et imminent de suicide. »

[41] Voici l’échange entre l’avocate et la Cour qui a eu lieu immédiatement après :

[traduction]

L’avocate du défendeur : J’ai présenté à la Cour tous les renseignements dont je dispose, et je n’en ai pas d’autres à présenter à l’heure actuelle. Si la Cour conclut à l’existence d’un risque grave et imminent, le critère du préjudice irréparable est satisfait. Si elle conclut à l’absence d’un tel risque, le critère [...] n’est pas satisfait.

La Cour : Mais je croyais que le demandeur [...] avait tenté de s’enlever la vie hier.

L’avocate du défendeur : C’est [...] ce que je comprends également.

La Cour : N’est-ce pas imminent?

L’avocate du défendeur : Eh bien, si c’est [...] ce que la Cour conclut.

La Cour : Poursuivez.

L’avocate du défendeur : Mon [...] client m’a indiqué que selon lui, la dernière tentative n’a pas d’incidence importante sur le calcul, étant donné [...] les efforts déployés pour mettre un soutien sur pied au Nigéria. C’est tout ce que j’avais à dire sur le volet du préjudice irréparable; pour le reste, je m’en remets à mes observations écrites. [Non souligné dans l’original.]

[42] Les observations écrites du défendeur relatives à la décision accordant un sursis auxquelles l’avocate a dit s’en remettre indiquaient ce qui suit : [traduction] « De plus, le demandeur n’a pas démontré qu’il subirait un préjudice irréparable s’il retournait au Nigéria » (mémoire du défendeur, au paragraphe 31).

[43] La requête du défendeur est fondée sur une interprétation sélective de la preuve et de la décision accordant un sursis. Lorsqu’on interprète ensemble les observations écrites sur le préjudice irréparable et l’échange précité sur cette question – dont le fait que l’avocat du demandeur n’a pas soulevé la question de savoir si le risque de suicide devait être « imminent », alors que l’avocate du défendeur l’a fait en se rapportant à la jurisprudence –, la Cour a jugé qu’il était évident que le défendeur faisait valoir que le risque de suicide devait être imminent pour démontrer l’existence d’un préjudice irréparable (décision accordant un sursis, au paragraphe 45).

[44] De plus, comme je l’ai mentionné, l’avocate du défendeur a soulevé cette « question clé » qu’est l’imminence. Le paragraphe 47 de la décision accordant un sursis répond à cette question en renvoyant à d’autres jugements de notre Cour.

[45] Ainsi, loin d’être « sans fondement », les conclusions des paragraphes 46 et 47 de la décision accordant un sursis sont directement étayées par la preuve. La thèse du défendeur est sans fondement.

(3) Le paragraphe 56

[46] La Cour ne saurait convenir avec le défendeur que quoi que ce soit dans le paragraphe 56 de la décision accordant un sursis puisse justifier une ordonnance en vertu de l’article 397 ou 399 des Règles. Le défendeur soutient que la deuxième phrase de ce paragraphe devrait être modifiée ou supprimée, étant donné [traduction] « les conclusions antérieures injustifiées de la Cour ». Bien au contraire, ces conclusions étaient justifiées. Je le répète, la décision accordant un sursis montre clairement que ces conclusions ne visaient pas l’avocate du défendeur, mais bien la thèse défendue et la preuve présentée par son client.

B. Observations finales

[47] Le défendeur a allégué que notre Cour a rendu une décision qui n’est aucunement étayée par la preuve. Il est même allé jusqu’à prétendre qu’elle [traduction] a « attaqué personnellement [son avocate] » et formulé à son endroit [traduction] « des remarques désobligeantes et préjudiciables ».

[48] Ces allégations sont fausses. Il se peut bien que le défendeur n’aime pas les termes employés dans la décision, ou qu’il estime que celle-ci peut être interprétée d’une certaine manière, mais cela ne justifie pas que notre Cour réexamine, modifie ou annule une décision définitive. Il en faut davantage pour contester l’intégrité de notre Cour.

III. Conclusion

[49] La requête du défendeur est rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-10071-24

LA COUR ORDONNE le rejet de la requête du défendeur.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10071-24

 

INTITULÉ :

ABIDEEN OLALEKAN OLADIPUPO c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

REQUÊTE EN VERTU DES ARTICLES 397 et 399 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE et motifs :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 août 2024

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Anthony Navaneelan

 

Pour le demandeur

 

Kevin Doyle

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Refugee Law Office

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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