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     IMM-2597-96

E n t r e :

     HAWEYA ABDINUR HASHI,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision (T95-02336) de la section du statut de réfugié au sens de la Convention de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui a été rendue le 26 juin 1996 et communiquée à la requérante le 16 juillet 1996. La section du statut a conclu que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. La requérante demande une ordonnance infirmant la décision de la section du statut et lui renvoyant la question pour réexamen par une formation différente.

     La requérante est une Somalienne de 23 ans. Elle fonde sa revendication sur son appartenance au sous-clan des Marehan du clan Darod, de même que sur sa situation de jeune femme Marehan sans aucune famille proche en Somalie.

     L'ancien président de la Somalie (Barre) appartenait au même clan que la requérante. Le gouvernement Barre a été renversé en 1991 par un groupe de milices. La requérante déclare qu'elle craint d'être persécutée par le Congrès de la Somalie unifiée (C.S.U.), qui s'en prend particulièrement au clan Marehan.

     La requérante et sa famille ont fui Mogadiscio au début de la guerre civile en janvier 1991. Ils se sont déplacés vers le sud de la Somalie et se sont installés dans la ville de Luuq dans la région de Gedo, où ils sont demeurés chez des parents éloignés, également membres du clan Marehan. En avril 1992, la région a été attaquée par le C.S.U. et sa famille et elle-même ont fui en Éthiopie. En mars 1995, la requérante est arrivée au Canada et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

     La section du statut reconnaît que la requérante ne peut retourner à Mogadiscio sans risquer d'être persécutée, étant donné que d'autres milices appartenant à d'autres clans contrôlent la ville. Toutefois, la section a statué que la requérante avait une possibilité de refuge dans la région de Gedo. Pour parvenir à cette décision, la section du statut a tenu compte des facteurs appropriés pour déterminer si une possibilité de refuge existe dans le même pays, savoir les conditions particulières du pays et la situation de la personne visée.

     Pour ce qui a trait aux conditions du pays, la section du statut a accepté la preuve documentaire qui lui a été présentée et qui confirme que les Maheran contrôlent actuellement la région de Gedo et le secteur de Luuq. La section du statut a noté que, depuis 1993, les Somalis reviennent progressivement à Gedo, avec ou sans l'aide du HCNUR. Bien que la section du statut reconnaisse que le rapatriement volontaire ne signifie pas automatiquement qu'il n'y a plus de risque de persécution, en l'absence de preuve contraire il est raisonnable de déduire qu'il y a un degré de sécurité relatif. Après avoir examiné la preuve documentaire, la section du statut conclut à la page 20 du dossier de la requérante (DR) :

     [TRADUCTION]         
     [...] que la région de Gedo, y compris le secteur et la ville de Luuq, sont sous le contrôle des Marehan du clan Darod, de leur organisation politique et de leur milice, le Front national somalien (FNS). Nous sommes également en mesure de conclure, d'après la prépondérance des probabilités, qu'il ne s'agit pas d'une région "contestée" et que, même si les Marehan contrôlent le secteur, d'autres tribus ou clans s'y trouvent également, notamment des membres des clans Rahanweyne et Ogadeni.         

     La section du statut a ensuite analysé la situation particulière de la requérante : une jeune femme, sans proche famille, qui réside en Somalie, aux pages 20 et 21 :

     [TRADUCTION]         
     Comme il a été indiqué précédemment, l'adoption et l'application de la shari'a revêt une importance particulière compte tenu de la situation de la requérante. Les Somaliennes ont été particulièrement marginalisées et tyrannisées au cours de la guerre civile, et l'introduction de la shari'a dans la région de Gedo et d'autres régions, de même que la capacité du clan à laquelle appartient cette jeune femme de contrôler son propre territoire et d'offrir aide et protection, ont assuré aux femmes une protection efficace contre les abus perpétrés par les membres des milices d'autres clans et de bandits itinérants, ce qui n'existait pas auparavant.         
     Après avoir examiné attentivement l'ensemble de la preuve dont elle est saisie, la formation est convaincue que la ville et le secteur de Luuq dans la région de Gedo en Somalie représentent pour la requérante une possibilité de refuge à l'intérieur du pays viable et raisonnable dans sa situation particulière.         
     À notre avis, la requérante n'a pas établi, d'après la prépondérance des probabilités, qu'il y a une possibilité sérieuse qu'elle soit persécutée pour l'un des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention si elle doit retourner dans le secteur de Luuq, contrôlé par les Marehan, dans la région de Gedo en Somalie. À notre avis, comme nous l'avons déjà dit, les Marehan, clan auquel appartient la requérante, exercent un contrôle efficace dans cette région, y ont établi leur pouvoir et un système de droit opérationnel et, par l'entremise d'un clan élargi dans cette région traditionnellement occupée par les Marehan, les membres peuvent demander l'aide et la protection du clan.         
     La possibilité de refuge dans le même pays qui existe pour cette requérante, compte tenu de sa situation particulière, est une option réelle et non théorique à laquelle elle devrait avoir recours avant de demander la protection d'un État étranger à titre de réfugiée au sens de la Convention. La requérante peut se rendre immédiatement dans la région identifiée comme présentant une possibilité de refuge réelle en passant par l'Éthiopie ou le Kenya et donc sans avoir à traverser le champ de bataille ou à mettre sa vie en danger d'une autre façon.         

     La requérante prétend que la section du statut a mal interprété la preuve quand elle a conclu qu'elle devrait demander la protection des Maheran dans la région de Gedo. La requérante affirme que le clan Marehan ne peut contrôler Gedo qu'en violant les droits de la personne des non-Marehan. À l'appui de cet argument, la requérante cite un rapport d'Africa Watch en date d'avril 1995, dans lequel un travailleur de l'humanitaire déclare, à la page 53 du dossier de la requérante, que depuis 1993, malgré la population Rahanweyne et Ogadeni, le clan Marehan a contrôlé tout ce qui se passe par l'entremise [TRADUCTION[ "d'un comité de douze personnes. Le contrôle est tel que la population craint réellement d'exprimer des opinions indépendantes. C'est une mafia Maheran". La requérante cite un autre extrait du même rapport (DR, page 52) :

     [TRADUCTION]         
     Les Marehan ont tué, pillé, violé et enlevé des femmes [...] Pour autant que je sache, environ soixante femmes ont été enlevées. Je les connais personnellement. Ils ont même pris une de mes filles [...] Elle a dix-neuf ans. Elle se trouve maintenant au Kenya [...] On l'a mariée de force à un Maheran, un bandit.         

     Pour ce qui a trait à cet argument, il convient de signaler deux points. Premièrement, il n'y a pas de preuve récente que les Marehan commettent des abus au niveau des droits de la personne contre les non-Maheran. La section du statut a expressément traité de la référence à la "mafia" en indiquant ceci (page 20 du DR) :

     [TRADUCTION]         
     La formation a examiné l'ensemble de la preuve documentaire qui a été déposée par l'agent d'audience et par la requérante. Nous notons qu'à un moment où les rapports sur la Somalie établis par de nouvelles organisations et des groupes des droits de la personne sont nombreux, il y a très peu de références spécifiques à des événements récents mettant en cause le clan Marehan, le Front national somalien (FNS) qui est l'organisation politique et la milice des Maheran et, en outre, aux terres traditionnelles des Marehan, y compris la région de Gedo. À notre avis, étant donné que les événements en Somalie ont été très largement couverts, il est raisonnable de croire que, si les Marehan livraient des combats internes nombreux, comme le laissait entendre la réponse de 1994 aux demandes de renseignements, ci-dessus, ou avaient engagé les hostilités envers les clans occupant leurs terres traditionnelles, notamment la région de Gedo, ce fait ne serait pas passé inaperçu et aurait en fait été signalé. [Les italiques ne figurent pas dans l'original]         

     Cette conclusion est raisonnable, d'après la décision de la Section d'appel dans Adu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (A-194-92), en date du 24 janvier 1995, dans laquelle le juge Hugessen a statué qu'il est permis de faire des déductions en l'absence d'une preuve documentaire indiquant ce que l'on pourrait normalement s'attendre d'y trouver.

     La deuxième citation ayant trait au viol et à l'enlèvement des femmes a trait à des incidents qui se sont produits pendant la guerre de 1991 à 1992. La majeure partie de la preuve mentionnée dans la décision de la section du statut indique que la situation a beaucoup changé dans la région de Gedo.

     Par conséquent, d'après la preuve dont était saisie la section du statut, la conclusion à laquelle elle en est arrivée, c'est-à-dire que la requérante pouvait se réclamer de la protection des autorités dans la région de Gedo, est raisonnable. L'argument selon lequel les Marehan commettent encore des abus aux droits de la personne n'est pas fondé d'après la preuve.

     Le deuxième point qu'il faut signaler concernant l'argument de la requérante porte sur le critère applicable à la détermination d'une possibilité de refuge dans le même pays. La requérante a mal interprété le critère en croyant que la section du statut doit être convaincue qu'il n'y a absolument aucune possibilité que toutes les personnes qui vivent dans la région désignée soient persécutées. Le critère exige que la section du statut soit convaincue, d'après la prépondérance des probabilités, qu'il n'y a pas de possibilité sérieuse qu'un requérant soit persécuté dans la région désignée. La section du statut doit tenir compte de la situation particulière de la requérante et de la situation dans le pays quand elle se prononce sur la possibilité de refuge dans le pays. Dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), le juge Linden énonce le critère de la façon suivante à la page 598 :

     [TRADUCTION]         
     Il s'agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada. [Les italiques ne figurent pas dans l'original]         

Autrement dit (page 597) :

     [TRADUCTION]         
     Par conséquent, s'il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs du statut sont tenus de s'en prévaloir à moins qu'ils puissent démontrer qu'il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire. [Les italiques ne figurent pas dans l'original]         

     Le critère exige que la section du statut évalue si la requérante court un risque sérieux d'être persécutée. Celle-ci n'a pas contesté de quelque façon que ce soit la conclusion selon laquelle elle pouvait demander la protection des autorités dans la région de Gedo, en tant que membre du clan Marehan. La section du statut a donc conclu à bon droit que les Marehan dans la région de Gedo pouvaient la protéger de façon qu'elle ne risque pas sérieusement d'être persécutée. Comme elle n'a pas contesté la conclusion indiquant qu'elle pouvait demander la protection des autorités, elle doit satisfaire au critère du caractère raisonnable.

     La requérante fait valoir qu'il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce qu'elle demande la protection des Marehan dans la région de Gedo compte tenu de son affirmation que des abus sont commis contre les droits de la personne. Elle déclare qu'elle ne veut pas demander la protection des Marehan à cause de leurs pratiques en matière de droits de la personne.

     Elle cite l'arrêt Zolfagharakhani c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] 3 C.F. 540, dans lequel la Cour d'appel a statué que la section du statut avait commis une erreur en concluant que le requérant ne courait pas un risque sérieux d'être persécuté à cause de son objection de conscience à l'utilisation d'armes chimiques en Iran. Dans cette affaire, le requérant, travailleur paramédical, avait servi dans l'armée iranienne. Après avoir été libéré de l'armée, on lui a demandé de se présenter en vue d'une autre période de service militaire à titre de travailleur paramédical dans la guerre contre le mouvement kurde. Au cours de la dernière semaine de sa formation, il a appris que le gouvernement avait l'intention de s'engager dans une guerre chimique contre les Kurdes. La section du statut a conclu qu'il n'avait pas de motifs valables de craindre la persécution fondée sur son opinion politique savoir son opposition à servir comme travailleur paramédical dans l'armée.

     On peut facilement distinguer cet arrêt de l'espèce. Dans Zolfagharakhani, l'utilisation d'armes chimiques a été jugée probable, et non pas une simple possibilité, de sorte que l'objection de conscience exprimée par Zolfagharakhani à l'utilisation de telles armes, appuyée par la communauté internationale, serait considérée comme l'expression d'une opinion politique inacceptable. À la page 555, le juge MacGuigan dit ceci :

     L'usage probable d'armes chimiques, que la Commission accepte comme un fait, est clairement jugé par la communauté internationale comme contraire aux règles de conduite les plus élémentaires et, en conséquence, la loi iranienne sur la conscription ayant une application générale, appliquée à un conflit dans lequel l'Iran avait l'intention de faire usage d'armes chimiques, équivaut à de la persécution pour des opinions politiques.         

     En l'espèce, comme il a été indiqué ci-dessus, il n'y a pas de preuve qui confirme la conclusion de la requérante selon laquelle des abus sont commis contre des non-Maheran au niveau des droits de la personne et il n'y a pas de preuve que ses objections à ces abus allégués seraient considérées par les Maheran comme l'expression d'une opinion politique qui lui ferait courir un risque sérieux d'être persécutée.

     Pour ce qui a trait à l'affirmation de la requérante indiquant qu'elle ne veut pas se réclamer de la protection des peu recommandables Marehan, la Cour suprême du Canada a déclaré dans Ward c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 689, que le refus d'un demandeur de se réclamer de la protection de l'État doit découler d'une crainte d'être persécuté pour l'un des motifs prévus dans la Convention. En l'espèce, la requérante n'a fourni aucune preuve qu'elle sera persécutée. En fait, comme il est indiqué ci-dessus, elle n'a pas contesté la conclusion selon laquelle il lui est possible de demander la protection des autorités dans la région de Gedo. Ce n'est qu'au cours de l'audience sur le contrôle judiciaire que l'avocat de la requérante s'est plaint que cette protection serait de piètre qualité et qu'elle serait donnée par des gangsters primitifs.

     Pour ces motifs, la Cour conclut que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

                         "F.C. Muldoon"

                                     Juge

Toronto (Ontario)

le 31 juillet 1997

Traduction certifiée conforme         
                                 François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

NE DU GREFFE :              IMM-2597-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      HAWEYA ABDINUR HASHI

                     - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 30 JUILLET 1997

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE MULDOON

DATE :                  LE 31 JUILLET 1997

ONT COMPARU :

                     David P. Yerzy

                         Pour la requérante

                     Ann Margaret Oberst

                         Pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                     David P. Yersy

                     Avocat et procureur

                     33 avenue Prince Arthur, bureau 300

                     Toronto (Ontario)

                     M5B 1B2

                         Pour la requérante

                     George Thomson

                     Sous-procureur général du Canada

                         Pour l'intimé

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

NE du greffe :      IMM-2597-96

Entre :

HAWEYA ABDINUR HASHI,

     requérante,

     - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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