Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     T-323-97

E n t r e :

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD.,

     EMPRESSA CUBANA DEL TABACO, faisant affaire

     sous les raisons sociales de

     CUBATABACO et HABANOS, S.A.,

     demanderesses

     (défenderesses reconventionnelles),

     et

     MORINO NAEINI, OREX COMMUNICATIONS LTD.

     et PACIFIC TOBACCO & CIGARS,

     défendeurs

     (demandeurs reconventionnels).

     Je requiers que la version révisée ci-jointe (à laquelle des renvois ont été ajoutés) des motifs qui ont été prononcés oralement à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique) le jeudi 31 juillet 1997 soit déposée pour satisfaire aux exigences de l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale.

OTTAWA (Ontario)

Le 12 août 1997.

    

     Juge

Traduction certifiée conforme     

                                     Martine Guay, LL. L.

     T-323-97

E n t r e :

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD.,

     EMPRESSA CUBANA DEL TABACO, faisant affaire

     sous les raisons sociales de

     CUBATABACO et HABANOS, S.A.,

     demanderesses

     (défenderesses reconventionnelles),

     et

     MORINO NAEINI, OREX COMMUNICATIONS LTD.

     et PACIFIC TOBACCO & CIGARS,

     défendeurs

     (demandeurs reconventionnels).

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (prononcés oralement à l'audience le 31 juillet 1997)

LE JUGE REED

         Les demanderesses ne m'ont pas persuadée qu'il y avait lieu en l'espèce de prononcer une injonction interlocutoire. La principale raison pour laquelle j'en arrive à cette conclusion est la faiblesse des éléments de preuve en ce qui concerne l'allégation suivant laquelle les défendeurs ont vendu des cigares cubains contrefaits. Cette allégation se rapporte directement à la prétention des demanderesses suivant laquelle elles subiront un préjudice irréparable si l'injonction n'est pas prononcée.

         L'allégation suivant laquelle les défendeurs ont vendu des cigares cubains contrefaits est fondée sur trois cas de présumées ventes de cigares contrefaits. Ainsi que l'avocat des défendeurs l'affirme à juste titre, il n'y a aucun élément de preuve qui permet de conclure à l'existence du premier cas. M. Ortego, le directeur du marketing de la demanderesse Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. (Havana House), déclare que le 3 janvier ou vers cette date, un certain M. Jarvis a dit à quelqu'un de la Havana House que les défendeurs vendaient des cigares contrefaits. M. Jarvis a fourni à la Havana House les reçus de vente de certains cigares qu'il affirmait avoir acheté à l'un des défendeurs, la Pacific Tobacco and Cigars, ainsi que les cigares dans les boîtes dans lesquelles ils auraient, selon lui, été vendus.

         M. Ortego ne possède aucun renseignement en ce qui concerne l'endroit et la date où les cigares ont été achetés, ni à qui ils l'ont été. M. Jarvis est un concurrent de M. Naeini. M. Jarvis a refusé de témoigner lui-même. C'est là un élément déterminant lorsqu'il s'agit d'évaluer la qualité de la preuve. M. Jarvis a affirmé qu'il avait peur de M. Naeini, mais il n'a donné aucune raison pour expliquer pourquoi il en était ainsi. Ainsi que l'avocat des défendeurs l'a souligné, d'autres personnes qui connaissaient M. Naeini n'avaient pas peur de témoigner contre lui. Mais ce qui est encore plus important, c'est qu'il n'existe aucun élément de preuve digne de foi qui permette d'établir un lien entre les reçus qui ont été produits par M. Jarvis et les cigares que M. Ortego a examinés et qui, selon ce qu'il affirme, étaient contrefaits et de seconde qualité.

         Le deuxième présumé cas de vente par les défendeurs de cigares contrefaits cubains de mauvaise qualité est celui de l'achat effectué par MM. Van Pykstra et Cartland le 7 mai. M. Van Pykstra est un autre concurrent de M. Naeini. Il a reconnu, en contre-interrogatoire, que son entreprise se porterait probablement mieux si M. Naeini cessait ses activités. J'estime qu'il ne s'agit pas là d'un aveu très significatif. Les relations d'affaires exclusives qu'entretient M. Van Pykstra avec la demanderesse Havana House et sur lesquelles je reviendrai plus loin constituent un élément plus important.

         M. Cartland est un détective privé qui a été engagé par la Havana House, mais qui ne s'y connaît pas en matière de cigares. MM. Van Pykstra et Cartland ont acheté des boîtes de cigares entamées, qui contenaient respectivement six et dix cigares et qui étaient en montre chez la Pacific Tobacco and Cigars le 7 mai. M. Cartland a fait préciser par le commis ce qu'il achetait à l'endos du reçu. Il a apposé sa signature sur une étiquette qu'il a collée sur les boîtes pour les identifier. Les cigares qui se trouvaient dans les boîtes n'ont pas été marqués pour en permettre l'identification ultérieure. Les boîtes étaient ouvertes au moment de l'achat; elles n'ont pas été scellées par la suite, mais elles ont été emballées en vue d'être expédiées par messager à M. Ortego. Les boîtes contenant les cigares ont été envoyées par Federal Express de Vancouver à Toronto à l'attention de M. Ortego. M. Ortego affirme que les cigares qui se trouvaient dans les boîtes étaient contrefaits et de mauvaise qualité. Il affirme que l'une des boîtes (c.-à-d. la boîte elle-même) était authentique, mais que l'autre boîte aurait été rejetée à Cuba au cours du processus de production.

         Il y a plusieurs choses que les demanderesses auraient pu faire pour améliorer la confiance de la Cour au sujet de l'intégrité de la preuve. Les cigares qui ont été achetés auraient pu être déposés auprès de la Cour par M. Cartland immédiatement après leur achat pour en assurer la conservation ou ils auraient pu être confiés à un tiers impartial qui s'y connaissait en matière de cigares pour qu'il les évalue et les garde en sécurité. M. Cartland aurait pu les conserver, sous réserve d'en permettre l'inspection. Au lieu de cela, les cigares ont été confiés à la garde de la demanderesse, qui les a conservés en tout temps. M. Cartland ne les avait pas devant lui lorsqu'il a signé son affidavit. Il n'y a aucune garantie que les cigares qui ont été évalués par M. Ortego et qui se trouvent maintenant dans les boîtes sont les mêmes que ceux qui ont été achetés au défendeur. La Cour ne sait pas avec certitude si les cigares qui, selon ce qu'affirme M. Ortego, sont contrefaits, ont effectivement été achetés au défendeur.

         M. Naeini affirme qu'il se souvient d'avoir vendu des cigares à M. Van Pykstra " il le connaissait " et de lui avoir vendu des cigares authentiques. M. Naeini déclare également qu'il ne se souvient pas d'avoir jamais vu un cigare Romeo y Julieta Churchill maduro (foncé), qui, selon M. Ortego, était l'un des cigares qui se trouvait dans la boîte lorsqu'il en a examiné le contenu. M. Cartland ne se souvient pas que, parmi les cigares qu'il a achetés, l'un d'entre eux était visiblement plus foncé que les autres.

         M. Van Pykstra affirme que les deux boîtes contenaient des cigares contrefaits et que tous les cigares qui étaient dans le magasin étaient contrefaits. Le docteur Devlin est un des rares souscripteurs d'affidavit en l'espèce qui n'est pas étroitement lié à l'une des parties. Il avait été un client de M. Naeini à quelques reprises et est un connaisseur en matière de cigares. Il a souscrit un affidavit dans lequel il affirme qu'il n'a jamais vu de cigares contrefaits dans la marchandise de M. Naeini. Il a également formulé des commentaires plutôt négatifs au sujet de M. Jarvis et a allégué que M. Jarvis avait au moins une fois vendu de faux cigares cubains. Le docteur Devlin n'a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit.

         Le 31 mai, M. Ferrari, le contrôleur de la Havana House, et M. Tromp, le trésorier de la même compagnie, ont acheté des cigares dans un magasin de Vancouver appelé Cigar Connoisseur. Ils ont examiné les boîtes de cigares dans le magasin et ont conclu que certaines d'entre elles contenaient des cigares cubains contrefaits. M. Tromp a acheté une boîte de 19 cigares H. Upmann Sir Winston " une boîte entamée, qui n'était pas scellée au moment de l'achat ", ainsi qu'un cigare Monte Cristo. Il a payé par carte de crédit et a conservé le reçu de carte de crédit et le reçu de caisse.

         M. Ferrari soutient que les cigares qui se trouvaient dans la boîte et le cigare Monte Cristo étaient contrefaits. Il a transporté les cigares qui avaient été achetés de Vancouver à Toronto, chez la Havana House et, là encore, les cigares ont été confiés à la garde de la demanderesse. Le cigare Monte Cristo avait disparu.

         Là encore, il n'y a rien qui prouve de façon convaincante que les cigares qui se trouvent en ce moment dans la boîte sont ceux qui ont été achetés. Autre fait important dans le cas qui nous occupe : il ressort de la preuve que les défendeurs ne contrôlent pas Cigar Connoisseur. Bien que M. Naeini soit un des actionnaires de la compagnie qui possède et gère ce magasin, il ne gère et ne contrôle pas le magasin ou ses décisions d'achat. Le magasin s'approvisionne en cigares auprès d'Orex et d'autres grossistes. Suivant la preuve, il existe sur le marché canadien un grand nombre de cigares cubains de qualité inférieure parce que la demande de cigares cubains authentiques de première qualité dépasse de loin l'offre.

         M. Naieni a témoigné que les cigares qu'il vend sont authentiques, qu'il se les procure auprès de magasins du gouvernement cubain à Cuba, qu'il les obtient de House of Horvarth, un distributeur de la Havana House. Je ne suis pas convaincue que la preuve démontre que la qualité des produits provenant des magasins du gouvernement cubain est moindre que celle des produits provenant de la Havana House.

         Avant le 1er janvier de la présente année, M. Naeini se procurait également les cigares qu'il vend auprès de la Havana House. La demanderesse a refusé de lui fournir des cigares après cette date parce qu'il refusait de signer une entente par laquelle il reconnaissait que la Havana House était propriétaire de certaines marques de commerce et s'engageait à ne vendre ou à n'acheter aucun cigare qui n'était pas acheté par l'intermédiaire de la Havana House ou de ses distributeurs. Un avocat a informé M. Naeini que le second volet de l'entente constituait un engagement trop large et qu'il ne devait pas signer cette entente. Ainsi qu'il a déjà été précisé, M. Van Pykstra est un concurrent de M. Naeini. Il est également un des marchands qui a signé l'entente d'achat exclusif de la Havana House. Ces éléments me permettent de douter encore plus de l'intégrité des éléments de preuve présentés au sujet de la présumée vente de cigares contrefaits.

         Les défendeurs faisaient affaire depuis quelques années avec les demanderesses. Il n'y avait jamais eu de plaintes au sujet de la qualité des cigares que les défendeurs vendaient et personne n'avait jamais prétendu que les installations d'entreposage de M. Naeini (humidificateur) étaient moins que très bonnes.

         La prétention des demanderesses repose sur le fait qu'elles ont récemment obtenu l'enregistrement comme propriétaire de diverses marques de commerce associées à certains cigares cubains (par ex., le Monte Cristo, le Romeo y Julieta, le Partagas). La Havana House a obtenu en 1994 et par la suite l'enregistrement des marques dont elle s'affirme propriétaire. Elle fonde sa revendication sur un emploi remontant à 1988. la Cubatabaco fait valoir ses droits de propriété sur trois marques. Une de ces marques a été enregistrée en 1990; elle fait reposer sa revendication sur un usage remontant à 1988. Les autres enregistrements sont antérieurs. L'un d'entre eux a été renouvelé en 1988.

         Il ressort toutefois de la preuve que la presque totalité des marques de commerce ont été utilisées au Canada pendant une période de temps beaucoup plus longue que celles se rapportant aux dates d'enregistrement ou d'emploi susmentionnées. Les marques de commerce ont été employées en liaison avec des cigares qui étaient vendus par l'entremise de plusieurs distributeurs et d'un grand nombre de détaillants. Je crois qu'il est évident que l'argument de l'avocat des défendeurs, suivant lequel les marques en question sont des marques de fabricant, est un argument solide. Rien ne permet de penser que les droits sur les marques de commerce aient jamais été cédés aux demanderesses.

         En ce qui concerne les règles de droit applicables, je reconnais que, dans l'arrêt RJR-MacDonald1, la Cour suprême du Canada a affirmé que le critère qui s'applique lorsqu'il s'agit de déterminer s'il existe une question sérieuse à juger n'est pas très exigeant2. Je suis également consciente du fait que l'affaire RJR-MacDonald ne portait pas sur une marque de commerce, mais sur un sursis d'instance. Je ne suis pas convaincue que les observations formulées dans le jugement Molson3 aient été écartées.

         En tout état de cause, il n'est pas nécessaire que je détermine s'il existe une question sérieuse à juger. Si M. Naeini ne vend pas de cigares cubains contrefaits " et je ne suis pas convaincue que la preuve démontre qu'il en vend ", l'argument des demanderesses, qui prétendent qu'elles subiront un préjudice irréparable, comme une perte de réputation, en raison de la vente de cigares de mauvaise qualité, est mal fondé. Le seul préjudice qu'elles subiraient serait la perte des ventes conclues par M. Naeini qui auraient pu être effectuées par la Havana House, si l'enregistrement de la marque de commerce de la Havana House est valide. Il ressort toutefois de la preuve que l'offre de cigares cubains de première qualité est très limitée et que la Havana House vend tous ceux qu'elle peut se procurer auprès du gouvernement cubain.

         J'accepte le fait que M. Naeini note les ventes qu'il conclut. Les pertes en découlant sont certainement quantifiables, et je ne puis conclure qu'il a été démontré qu'un préjudice irréparable serait causé si l'injonction n'est pas prononcée. Je constate qu'il ressort de la preuve que M. Naeini livre concurrence dans la tranche supérieure du marché de la vente au détail et qu'il a consacré des ressources considérables pour promouvoir la vente de cigares cubains. Je constate également qu'il ressort de la preuve que la Havana House vend au Canada des cigares qui ne sont pas..., disons qui sont de seconde qualité, qui ne satisfont pas aux normes de qualité des cigares cubains authentiques de première qualité. Ils sont vendus en lots dépareillés et les cigares sont de couleurs et de longueurs différentes.

         Si je dois examiner, en conséquence, la prépondérance des inconvénients " bien que je ne croie pas que cela soit nécessaire, étant donné que je ne suis pas convaincue que l'existence d'un préjudice irréparable a été démontrée ", la prépondérance des inconvénients favorise non pas les demanderesses, mais les défendeurs.

         Voilà les motifs pour lesquels je refuse de prononcer l'injonction interlocutoire sollicitée. Merci.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-323-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. et autres c. Morino Naeini et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :          31 juillet 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés oralement à l'audience par le juge Reed

                     en date du 31 juillet 1997

ONT COMPARU :

     Me Kenneth McKay                  pour les demanderesses
                             (défenderesses reconventionnelles)
     Me Michael Manson                  pour les défendeurs
     Me Brian Kingwell                  (demandeurs reconventionnels)

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Sim, Hughes, Ashton & McCay          pour les demanderesses
     Toronto (Ontario)                  (défenderesses reconventionnelles)
     Smart & Biggar                  pour les défendeurs
                             (demandeurs reconventionnels)
__________________

1      RJR-McDonald Inc. c. Canada (procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

2      Dans cet arrêt, la Cour énonce deux exceptions qui ne s'appliquent pas au cas qui nous occupe.

3      Brasserie Molson c. Labatt Brewing Co., (1992), 44 C.P.R. (3d) 242, à la page 251 (C.F. 1re inst.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.