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Date : 20240917


Dossier : T-2228-23

Référence : 2024 CF 1462

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2024

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

ANDRÉE FOISY

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse, Andrée Foisy, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 21 septembre 2023 par laquelle l’agente de l’Agence du revenu du Canada [ARC] a déterminé l’inadmissibilité de la demanderesse à la Prestation canadienne de relance économique [PCRE] puisqu’elle n’a pas satisfait les critères d’admissibilité du revenu minimal [Décision]. La demanderesse affirme se conformer aux exigences d’admissibilité de la PCRE et que l’ARC aurait dû considérer son revenu brut, et non son revenu net dans l’examen de son admissibilité à la PCRE.

II. Faits et Décision sous contrôle

[2] La demanderesse est avocate depuis 1975 et pratique à son compte. Elle a demandé et reçu pendant la pandémie, des sommes provenant de la prestation de PCRE pour les périodes du 11 octobre 2020 au 5 décembre 2020 et du 14 février 2021 au 14 mars 2021.

[3] Le 16 janvier 2023, l’ARC a envoyé une lettre à la demanderesse signalant qu’elle a été sélectionnée pour un premier examen de son inadmissibilité à la PCRE [Lettre du premier examen]. Dans le cadre de son premier examen, la demanderesse a fourni des documents supplémentaires. Le 20 février 2023, elle a transmis à l’ARC un sommaire et des factures pour des services rendus en 2019. Le 23 février 2023, elle a envoyé une copie de relevés bancaires.

[4] Le 28 février 2023, l’agent de premier examen a informé la demanderesse qu’elle n’était pas éligible à la PCRE, car elle n’avait pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande; et elle était capable de travailler, mais ne cherchait pas d’emploi.

[5] Le 24 mars 2023, la demanderesse a fait une demande de deuxième examen auprès de l’ARC. Dans le cadre du deuxième examen, la demanderesse a fourni une lettre datée du 24 mars 2023 étayant sa contestation des lettres de l’ARC et les raisons de sa contestation. Dans cette lettre, la demanderesse a décrit sa situation face à la PCRE et a souligné qu’elle n’avait pas quitté son emploi, réduit volontairement ses heures de travail, ni refusé de travail dans les périodes visées par la PCRE. La demanderesse a notamment précisé les mandats qu’elle détenait en 2019, 2020 et 2021, l’impact de la pandémie sur ses clients, et par conséquent la diminution de son travail avec eux. Le 29 mai 2023, la demanderesse a écrit à l’ARC demandant un suivi de son dossier.

[6] Le 21 septembre 2023, l’ARC a fait parvenir une lettre à la demanderesse lui informant que suite au deuxième examen, elle était inadmissible à la PCRE comme elle n’avait pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi et/ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande. L’ARC lui demande de rembourser les montants payés en vertu de la PCRE. Cette Décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[7] La question en litige est de savoir si la Décision sur l’inadmissibilité de la demanderesse à la PCRE était déraisonnable ou non.

[8] Le défendeur a correctement fait valoir que la norme de contrôle applicable aux mérites de la Décision est celle de la décision raisonnable (Milan c Canada (Procureur général), 2024 CF 17 au para 14 [Milan]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653 aux para 10, 16 et 17 [Vavilov]). D’ailleurs, la norme de la décision raisonnable s’applique dans le contexte d’un contrôle judiciaire d’une décision prise par l’ARC portant sur, entre autres, l’octroi de la PCRE (Veilleux c Canada (Procureur général), 2024 CF 587 au para 23; He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 au para 20; Lapointe c Canada (Procureur général) 2024 CF 172 au para 6 [Lapointe]). Je suis d’accord que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce.

[9] Une cour appliquant le test du caractère raisonnable ne demande pas quelle décision elle aurait prise à la place du décideur administratif. Il s'agit d'une approche visant à garantir que les tribunaux interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsqu'il est vraiment nécessaire de le faire afin de préserver la légalité, la rationalité et l'équité du processus administratif. Elle est ancrée dans le principe de modération judiciaire et démontre le respect du rôle distinct des décideurs administratifs (Vavilov au para 13). Elle ne cherche pas à déterminer l'éventail des conclusions possibles qui auraient pu être tirées par le décideur, ni à effectuer une analyse de novo, ni à déterminer la bonne solution au problème (Vavilov au para 83). La cour de révision ne peut soupeser ni réévaluer les preuves examinées par le décideur (Vavilov au para 125).

[10] Une décision raisonnable est une décision fondée sur une chaîne d'analyse cohérente et rationnelle et qui est justifiée par rapport aux faits et au droit qui contraint le décideur. (Vavilov au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision de démontrer que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne puisse pas dire que la décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100).

IV. Analyse

A. Question d’ordre préliminaire : admissibilité de nouvelle preuve

[11] Dans un ordre préliminaire, le défendeur s’oppose à l’admission en preuve de pièces à l’affidavit de la demanderesse qui se trouve dans le dossier de la demanderesse. Il s’agit de trois annexes (Annexe 3, 4, 5) qui comprennent les documents suivants : la déclaration de revenus pour l’année 2019 modifiée le 20 octobre 2023 [Déclaration de revenus amendée], une copie d’une facture envoyée le 1er trimestre de 2020, et une copie de rapport de TPS et TVQ pour le 1er trimestre de 2020. Le défendeur souligne que ces documents n’ont pas été soumis au décideur lors du deuxième examen et que la demanderesse tente après coup de modifier sa Déclaration de revenus pour l’année 2019 afin d’augmenter son revenu net.

[12] Dans son mémoire, la demanderesse fait valoir que la Déclaration de revenus amendée est admissible parce qu’elle a simplement fait une erreur de bonne foi et qu’il n’y a pas de raisons valables justifiant le refus de cette déclaration par l’ARC. De plus, elle respecte les critères et les normes de l’ARC. Lors de l’audience, la demanderesse a confirmé que la Déclaration de revenus amendée est en attente de traitement avec l’ARC. Elle dit qu’il s’agit d’une correction de la déduction qu’elle a apportée en incluant ses cotisations professionnelles pour l’année 2019. Si la Déclaration de revenus amendée est acceptée, elle serait en mesure de rencontrer le seuil minimal financier de 5 000$ net en déplaçant au revenu net le montant réclamé pour ses revenus et dépenses.

[13] Comme j’ai expliqué à la demanderesse lors de l’audience, le rôle de la Cour en contrôle judiciaire est d’examiner la décision du décideur administratif dans le contexte juridique et factuel présenté au décideur. En fonction de ce rôle, le dossier de preuve devant la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite généralement au dossier de preuve dont disposait le décideur. Donc, en règle générale, les documents et informations dont ne disposait pas le décideur ne sont pas admissibles lors du contrôle judiciaire devant la Cour (Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97-98; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20 [Access Copyright]).

[14] Les exceptions à ce principe général comprennent: 1) fournir du contexte permettant à la Cour de comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, 2) faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion, ou 3) porter à l’attention de la Cour des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif (Access Copyright au para 20).

[15] La Déclaration de revenus amendée cherchant à modifier la déclaration de revenus pour 2019 a été signée le 20 octobre 2023, soit un mois après la Décision de deuxième examen. Il est clair que l’agente n’avait pas ce document devant elle (ni l’information modifiant les revenus déclarés pour 2019). L’agente de deuxième examen a aussi confirmé par voie d’affidavit que les documents aux Annexes 3, 4 et 5 n’ont pas été soumis dans le cadre de son processus décisionnel.

[16] De plus, advenant que la Déclaration de revenus amendée fût acceptée par l’ARC, cette déclaration n’aurait pas nécessairement l’impact que la demanderesse met de l’avant quant à son admissibilité à la PCRE. En effet, le défendeur cite le principe d’interdiction à la rectification d’une planification fiscale rétroactive établi par la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c Collins Family Trust, 2022 CSC 26, aux para 1, 7 et 29. Dans le contexte des prestations de PCRE, on « […] ne peut pas simplement revenir en arrière et reclasser les revenues après coup dans le but d’être admissible à la PCRE. » (Laplante c Canada (Procureur général), 2023 CF 1450 au para 19; Morin c Canada (Procureur Général) 2023 CF 751 au para 22) et « le fait d’avoir fait des redressements de ses revenus après coup dans le but d’être admissible aux prestations n'oblige pas l'agente à lui donner raison » (Lapointe au para 21).

[17] Le juge Gascon, citant la Cour d’appel fédérale dans Access Copyright, rappelle que le but premier d’un contrôle judiciaire est de contrôler des décisions administratives, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n’ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le décideur administratif compétent. Une demande de contrôle judiciaire n’est pas un appel (Labrosse c Canada (Procureur général), 2022 CF 1792 au para 32 [Labrosse]).

[18] Les Annexes 3, 4 et 5, ne rencontrent aucune des exceptions énoncées dans Access Copyright et n’ont pas été présentées à l’agente de deuxième examen. Ces trois documents ne sont donc pas admissibles en l’espèce. La Cour, dans son exercice de contrôle judiciaire, ne peut pas les examiner pour déterminer le caractère raisonnable ou la légalité de la Décision (Labrosse au para 33; Lapointe au para 13 citant Fortier c Canada (Procureur général), 2022 CF 374 au para 17).

B. Est-ce que la Décision est déraisonnable?

[19] La demanderesse a présenté une demande pour la PCRE, qui fait partie d’un ensemble de mesures introduites par le gouvernement du Canada en réponse aux répercussions de la pandémie de la COVID-19. Elle soutient qu’il n’était pas clair que le critère d’admissibilité exigeait un seuil minimal de 5 000 $ de revenus nets. Elle ajoute que la loi était vague vu que la version française utilise le terme « revenu » alors que la version anglaise utilise le terme « total income ». La demanderesse fait valoir que l’ARC défend une interprétation inadéquate de son dossier. La demanderesse souligne qu’elle croyait avoir suivi l’information disponible concernant les critères d’admissibilité au moment de ses demandes pour la PCRE.

[20] En revanche, le défendeur soutient que les dispositions législatives sont claires et que la Lettre du premier examen avait expliqué qu’elle ne satisfaisait pas le critère du revenu net.

[21] La PCRE est régie par la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, ch. 12, art. 2, en vigueur depuis 2 octobre 2020 [LPCRE]. En particulier, les critères d’admissibilité pour la PCRE qui s’appliquent à la demanderesse se retrouvent aux alinéas 3(1)(d), 3(1)(e), et à l’article 4 de la LPCRE. Afin de satisfaire les critères de la PCRE, la demanderesse devait démontrer avoir gagné des revenus provenant d’un emploi ou d’un travail qu’elle exécutait pour son compte s’élevant à au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou 2020, ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle a présenté sa demande. Le langage au paragraphe 3(2) de la LPCRE définit le revenu de la personne qui exécute un travail pour son compte comme « son revenu moins les dépenses engagées pour le gagner » pour les fins des alinéas 3(1)(d) et (e). Donc, le paragraphe 3(2) de la LPCRE précise que le terme « revenu » qui se retrouve aux alinéas 3(1)(d) et (e) s’agit de revenu net.

[22] Le défendeur me souligne que les faits et l’analyse dans les arrêts Milan et Flock c Canada (Procureur général), 2022 CF 305 [Flock], sont pertinents pour le présent contrôle judiciaire, car les parties dans ces arrêts se sont aussi concentrées sur la question de l’exigence du revenu net pour les fins de l’admissibilité à la PCRE.

[23] Dans Milan, la juge Walker (tel était alors son titre) avait confirmé que les critères d’admissibilité établis au paragraphe 3(2) de la LPCRE exigent clairement que le revenu pertinent pour un travailleur autonome soit son revenu moins les dépenses engagées pour le gagner, ce qui constitue un revenu net. (Milan au para 19). Dans l’affaire Milan, la demanderesse se fiait sur les questionnaires en ligne et avait présenté l’argument que le seuil minimal consistait en un calcul du revenu net et non brut. La juge Walker confirme également que les critères établis au paragraphe 3(2) de la LPCRE sont prescrits par la loi et ne sont pas discrétionnaires (Milan au para 23 citant Flock au para 23).

[24] Dans Flock, le juge Fothergill confirme que les critères d’admissibilité au paragraphe 3(2) de la LPCRE pour la cotisation de la personne qui travaille pour son compte sont calculés en fonction de son revenu net d’un travail indépendant après les dépenses et autres déductions, et non en fonction de son revenu brut tiré d’un travail indépendant (Flock au para 20). Les critères d’admissibilité sont prescrits par la loi et ne sont pas discrétionnaires. L’agente n’avait pas le choix de les appliquer. Il ne peut pas y avoir de préclusion face à une disposition explicite d’une loi : la loi est suprême (Flock au para 23, citant Centre hospitalier Mont-Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41 aux para 35, 47).

[25] En l’espèce, la demanderesse dit n’avoir jamais reçu de confirmation qu’il existait un seuil minimal de revenus nets pour satisfaire les critères d’admissibilité que ce soit lors du démarrage de la PCRE, la Lettre du premier examen, verbalement avec l’ARC ou sur le site web. Elle fait valoir que ceux-ci ne précisaient pas s’il s’agissait de revenus bruts ou nets.

[26] Avec tout respect, l’argument de la demanderesse ne peut pas être retenu. Premièrement, l’information que la demanderesse décrit ne peut pas avoir préséance sur les lois. Je confirme d’ailleurs, contrairement aux arguments de la demanderesse, que la Lettre du premier examen a effectivement identifié que le revenu net pourrait être gagné dans le cadre d’un travail indépendant (après la déduction des dépenses). Deuxièmement, les exigences et critères d’admissibilité établis par la LPCRE priment et l’agente de deuxième examen n’avait pas d'autre choix que de les appliquer (Milan au para 23). Le critère exigeant que le seuil minimal soit calculé à partir du revenu net est clair.

[27] Quant au calcul des revenus nets de la demanderesse durant les périodes pertinentes de la PCRE, le défendeur a identifié que le dossier devant l’agente de deuxième examen comprenait les documents que la demanderesse a fournis, l’information notée par l’agente à partir du dossier et la déclaration de la demanderesse que ses déclarations de revenus sont conformes. Pour les périodes pertinentes de la PCRE, le dossier démontre que la demanderesse a déclaré des montants de revenus nets de travail autonome qui étaient inférieurs à 5 000 $.

[28] La conclusion que la demanderesse ne remplissait pas la condition relative au revenu minimal et que par conséquent, elle ne qualifiait pas pour la PCRE n’était donc pas déraisonnable. Cette conclusion est fondée sur la preuve et est conforme aux contraintes de la LPCRE, ce qui satisfait aux critères énoncés dans Vavilov comme elle est intrinsèquement cohérente, ainsi que d’être transparente, justifiée et intelligible.

[29] Lors de sa réplique, la demanderesse a aussi soulevé pour la première fois qu’elle conteste le bien-fondé du montant que l’ARC lui demande de rembourser. Je lui ai expliqué qu’il ne s’agissait pas d’une réplique appropriée, car elle ne l’avait jamais plaidé.

V. Conclusion

[30] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. La demanderesse n’a pas démontré que la Décision contestée était déraisonnable.

[31] En vertu de ma discrétion sous la règle 400 des Règles des Cours fédérales, et compte tenu des circonstances de l’affaire, je suis d’accord avec le défendeur qu’une ordonnance quant aux dépens ne serait pas appropriée.


JUGEMENT dans le dossier T-2228-23

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2228-23

INTITULÉ :

ANDRÉE FOISY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 SEPTEMBRE 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 17 SEPTEMBRE 2024

COMPARUTIONS :

Andrée Foisy

Pour LA DEMANDERESSE

(EN SON PROPRE NOM)

Me Caroline Berthelet

Pour le défendeur

AVOCAT INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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