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Date : 20060117

Dossier : IMM-3019-05

Référence : 2006 CF 34

Montréal (Québec), le 17 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

ROGER LUCAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur est un citoyen de Trinidad et Tobago. Il est arrivé au Canada en 1990 à l'âge de dix ansà titre de résidant permanent. Il est père d'une fille née au Canada. Celle-ci est aujourd'hui âgée de quatre ans.

[2]                Le demandeur est trouvé coupable en 1999 et 2000 de diverses infractions criminelles : agression armée et voies de fait le 19 mars 1999; proférer des menaces le 5 juillet 2000. Un premier rapport est établi en vertu de l'article 27 de la Loisur l'immigration, L.R.C. (1985), c. I-2 (l'ancienne loi). Aucune mesure de renvoi n'est prise contre le demandeur. Celui-ci fait notamment valoir qu'il a été lui-même victime de sévices de la part de son oncle et sa tante dans sa jeunesse à Trinidad, puis de sa mère au Canada. Malgré l'infliction d'une peine de douze mois de prison, l'usage de violence et le caractère sérieux des crimes commis par le demandeur, en novembre 2001, l'enquêteur décide que le demandeur « devrait avoir une chance de démontrer que c'était une erreur. Il semble sincère dans son désir de s'amender » .

[3]                Par la suite, d'autres condamnations criminelles sont prononcées contre le demandeur, soit en mars et mai 2002 respectivement : en date du 18 mars 2002 pour vol par effraction, pour défaut de se conformer à une ordonnance de probation et pour défaut de se conformer à un engagement; en date du 1er mai 2002 pour supposition intentionnelle de personne, fraude ne dépassant pas 5000$ et emploi d'un document contrefait. Entre-temps, un deuxième rapport en vertu de l'article 27 de l'ancienne loi est établi. Conformément au paragraphe 32(2) de l'ancienne loi, une mesure d'expulsion est prononcée le 22 avril 2002 contre le demandeur. Celui-ci fait alors appel à la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal). L'appel est entendu après l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la nouvelle loi). L'emprisonnement du demandeur étant sous la limite de 24 mois imposée par l'article 64 de la nouvelle loi, le tribunal considère qu'il a encore juridiction pour entendre cet appel.

[4]                L'article 67 de la nouvelle loi définit la juridiction du tribunal dans le cas d'un appel valablement porté en vertu de l'article 63 de la nouvelle loi. Cette disposition précise :

67. (1) Il est fait droit à l'appel sur preuve qu'au moment où il en est disposé :

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

c) sauf dans le cas de l'appel du ministre, il y a - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - des motifs d'ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l'affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d'une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l'affaire est renvoyée devant l'instance compétente.

2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

[5]                Au mérite, le tribunal décide de rejeter l'appel du demandeur. Les raisons humanitaires invoquées par ce dernier ne justifient pas, selon le tribunal, qu'un sursis soit prononcé à l'encontre de la mesure d'expulsion. S'agissant de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché par l'exécution de la mesure d'expulsion contre le demandeur, le tribunal conclut que celui-ci est mince, voire inexistant. En effet, la fille du demandeur demeure avec sa mère et le demandeur admet qu'il n'a aucun contact avec celle-ci et qu'il ne lui apporte aucun soutien affectif ou financier. À cet égard, le tribunal note que la vie d'errance et de criminalité du demandeur laisse peu d'espoir qu'il devienne un soutien important pour cet enfant dans les années à venir.

[6]                En ce qui concerne les chances de réhabilitation du demandeur, le tribunal souligne que la preuve à cet égard est loin d'être concluante. Bien que le demandeur n'ait pas été l'objet d'autres condamnations depuis mai 2002, le demandeur a admis avoir vendu du crack pendant l'été de 2002 et qu'il a continué d'en consommer, au moins jusqu'en mai 2004. Le tribunal note, par ailleurs, aux paragraphes 22, 23 et 25 de sa décision :

[22] Le tribunal n'est pas impressionné favorablement par l'argument selon lequel il faut accorder un sursis à cause du temps passé au Canada. C'est vrai que l'appelant est arrivé jeune, mais à partir de novembre 2001, où il a convaincu l'enquêteur de lui « donner une chance » , il a vendu une des drogues les plus nocives qui existent et a lui-même abusé de substances diverses qui l'ont mené dans nos hôpitaux à maintes reprises. Il est demeuré un fardeau pour notre système d'aide sociale et notre réseau de santé, sans faire d'efforts sérieux pour s'en sortir. Il utilise les ressources publiques et les foyers de réhabilitation sans pour autant régler ses problèmes.

[23] Le tribunal est d'accord que sa réinsertion dans son pays d'origine sera difficile, mais pas plus que ne l'est sa situation au Canada où il dépend entièrement de ressources publiques et où il n'a aucun réseau de soutien familial.

[25] Le procureur de l'appelant a souligné qu'il n'a pas fait l'objet d'autres condamnations depuis 2002 et voudrait que le tribunal conclut que cela indique la réhabilitation. Malheureusement, les documents médicaux produits pour prouver que l'appelant souffre d'une maladie mentale (la paranoïa), prouvent au contraire que l'appelant ne s'est pas réhabilité mais s'est adonné plutôt à la vente de stupéfiants dans le but d'avoir un « buzz » , et cela aussi récemment que le mois de mai 2004. Il va sans dire que sa colère devant le médecin aurait pu aussi faire l'objet d'une poursuite vu la probation de deux ans, mais aucune plainte n'a été déposée.

[7]                Le demandeur reconnaît que la mesure d'expulsion prononcée contre lui est bien fondée en droit, mais soutient que cette Cour devrait infirmer la décision rendue par le tribunal qui a rejeté son appel pour motifs humanitaires. Essentiellement, le demandeur fait valoir que le tribunal a erré dans l'exercice de sa discrétion en n'accordant pas suffisamment d'importance à certains facteurs positifs. À cet égard, le demandeur fait, à nouveau, état du fait qu'il a beaucoup souffert dans son enfance et qu'il a exprimé la volonté de se sortir de ses problèmes et de prendre sa vie en main. Ainsi, en 2003, il s'est inscrit volontairement dans un programme thérapeutique fermé à la Maison Aleesen, et également, la même année, il a suivi un programme de réhabilitation et réinsertion sociale pour alcooliques, toxicomanes et joueurs compulsifs à la Maison l'Estime. Il est injuste dans les circonstances de lui reprocher d'être un fardeau pour le système d'aide sociale et le réseau de santé. De même, le demandeur fait valoir qu'il doit prendre du Zyprexa, un médicament qui l'aide, semble-t-il, à traiter la paranoïa dont il dit souffrir depuis qu'il « a dû avaler 7 morceaux de crack parce que la police était là » [pour l'arrêter] (notes du psychiatre L. Beaudry qui a reçu le demandeur en consultation le 11 mai 2004).

[8]                Les reproches du demandeur à l'endroit de la décision rendue par le tribunal portent sur l'appréciation des faits et l'importance à accorder à certains facteurs considérés par ce dernier. Ces reproches n'affectent pas la validité de la conclusion générale du tribunal. Bien que la question de l'intérêt supérieur de l'enfant a été soulevée dans le mémoire écrit du demandeur, cet argument n'a pas été repris par le procureur du demandeur lors de l'audience qui a eu lieu devant cette Cour le 10 janvier 2006. Quant à la question de santé mentale, cet argument n'a jamais été développé devant le tribunal par l'ancien procureur du demandeur.

[9]                En principe, l'examen de la Cour doit avant tout porter sur la légalité de la décision, de nature discrétionnaire, rendue en l'espèce par le tribunal, et non sur le mérite de celle-ci, à moins que son caractère manifestement déraisonnable ne ressorte du dossier (voir Boulis c. Canada (Ministre de la main d'oeuvre et de l'immigration), [1974] R.C.S. 875 à la page 877; Jessani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 14 Imm. L.R. (3d) 235, [2001] A.C.F. no 662 au para. 16 (C.A.F.) (QL)). En l'espèce, rien ne démontre que les facteurs positifs invoqués par le demandeur n'ont pas été considérés par le tribunal. Ceci étant dit, il est manifeste à la lecture de la décision du tribunal et des pièces au dossier que le tribunal a tenu compte de l'ensemble des circonstances et a considéré tous les facteurs pertinents, incluant la gravité des infractions commises par le demandeur, les possibilités de réhabilitation, le comportement général du demandeur (notamment son tempérament violent), son jeune âge, le nombre d'années qu'il a passé au Canada, sa paternité, son état de santé mentale (trouble personnalité borderline et anti-sociale), la prise de médicaments (Zyprexa), son enfance malheureuse, ainsi que les difficultés de réinsertion du demandeur dans son pays d'origine.

[10]            Or, il appartenait exclusivement au tribunal de soupeser et d'accorder un poids relatif à chacun des facteurs soulignés plus haut, et ce, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. C'est ce que le tribunal a fait en l'espèce. Les conclusions de fait et les inférences négatives formulées par le tribunal sont appuyées par la preuve au dossier et n'ont pas été sérieusement remises en question par le demandeur. Les motifs invoqués par le tribunal pour accorder peu de poids aux facteurs positifs soulignés par le demandeur ne sont pas arbitraires ou capricieux. Dans son ensemble, la décision du tribunal n'est pas manifestement déraisonnable. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, le tribunal pouvait conclure que l'octroi d'un sursis n'était pas justifié en l'espèce et, conséquemment, que l'appel du demandeur devait être rejeté. Même si la décision du tribunal est lourde de conséquences ― en effet, le demandeur se retrouvera sans ressources dans un pays qu'il a quitté à l'âge de dix ans ― il ne m'appartient pas de substituer mon jugement à celui du tribunal.

[11]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit échouer. Aucune question de portée générale ne se pose en l'espèce.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNEque la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3019-05

INTITULÉ :                                        Roger Lucas c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 11 janvier 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        Le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                       17 janvier 2006

COMPARUTIONS:

Me Dominique Mathurin

POUR LE DEMANDEUR

Me Gretchen Timmins

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Dominique Mathurin

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

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