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Date : 20240923


Dossier : T-2666-23

Référence : 2024 CF 1482

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2024

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

NICOLE CHARBONNEAU

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Pour les périodes s’étendant du 15 mars au 26 septembre 2020, Mme Nicole Charbonneau bénéficie de la Prestation canadienne d’urgence [PCU] au titre de la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, c 5, art 8 [Loi PCU], et ce, sans examen par un agent de validation de prestation. Mme Charbonneau demande subséquemment des prestations sous d’autres programmes d’urgence, mais les décisions concernant ces prestations ne sont pas en jeu dans la présente affaire.

[2] Cependant, le 10 février 2023, après un premier examen de l’admissibilité, l’Agence de revenu du Canada [Agence] informe Mme Charbonneau qu’elle est inadmissible à la PCU.

[3] Mme Charbonneau demande un second examen de son dossier et soumet des informations additionnelles. En juin 2023, Mme Charbonneau modifie sa déclaration d’impôt pour l’année 2019 pour qualifier ses revenus de location plutôt comme des revenus d’entreprise.

[4] Le 30 août 2023, l’agent de l’Agence chargé du deuxième examen rédige un rapport et conclut que Mme Charbonneau est inadmissible à la PCU. Mme Charbonneau demande le contrôle judiciaire de cette décision et les parties conviennent de retourner l’affaire à l’Agence pour un troisième examen.

[5] Ultimement, le 23 novembre 2023, l’agent chargé du troisième examen détermine que Mme Charbonneau est inadmissible à recevoir la PCU puisque Mme Charbonneau (1) n’a pas gagné au moins 5 000.00 $ (avant impôts) de revenus d’emploi et/ou de travail indépendant en 2019 ou au cours des 12 mois avant la date de la première demande; et (2) n’a pas cessé de travailler ou ses heures n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19.

[6] Dans le rapport qu’il rédige alors, l’agent conclut que (1) les revenus découlant de la location de l’appartement ne sont pas des revenus d’entreprise; (2) les revenus de la vente de métaux sont des revenus d’entreprises, et les revenus bruts seront, selon la conclusion des autres critères, assujettis à l’interprétation prévue au Décret de remise visant la prestation canadienne d’urgence et la prestation d’assurance-emploi d’urgence, TR/2021-19; et (3) selon les déclarations de Mme Charbonneau, cette dernière n’a pas cessé ses activités de vente de métaux à cause de la COVID-19.

[7] Mme Charbonneau demande le contrôle judiciaire de cette décision de l’agent du troisième examen ayant déterminé son inadmissibilité à la PCU. Elle demande à la Cour d’accueillir sa demande et d’annuler sa dette reliée à la PCU.

[8] Devant la Cour, Mme Charbonneau dépose l’affidavit du technicien comptable ayant rempli ses déclarations de revenus pour les années fiscales 2019 et 2020, affirmant essentiellement que, pour ses activités à titre de travailleur autonome en recyclage de métaux, Mme Charbonneau a déclaré un revenu de 6 418.00 $ en 2019 et un revenu de 178.50 $ en 2020. Mme Charbonneau elle-même ne dépose cependant pas d’affidavit au soutien de sa demande de contrôle judiciaire.

[9] Dans son mémoire des faits et du droit, Mme Charbonneau ne conteste que la conclusion de l’agent selon laquelle elle n’a pas cessé de travailler en raison de la COVID-19. Le procureur général du Canada [PGC] répond quant à lui que la décision de l’agent du troisième examen est raisonnable.

[10] En dépit de la sympathie que la Cour éprouve pour la situation de Mme Charbonneau, elle conclut cependant que cette dernière n’a pas démontré que la décision de l’agent chargé du troisième examen est déraisonnable, selon la norme de contrôle applicable. La Cour rejettera conséquemment la demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

A. La norme de contrôle applicable

[11] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]; Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 16 [Aryan]; He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 au para 20; Lajoie c Canada (Procureur général), 2022 CF 1088 au para 12). Aucune des situations justifiant le renversement de la présomption ne se présente dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Vavilov aux para 25, 33, 53; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27).

[12] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une Cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La Cour de révision doit tenir compte « du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15). La décision doit posséder les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité.

[13] Le rapport de troisième examen préparé par l’agent fait partie des motifs de sa décision (Aryan au para 22; Larocque c Canada (Procureur général), 2022 CF 613 au para 17; Mathelier- Jeanty c Canada (Procureur général), 2022 CF 1188 au para 20).

B. Le caractère raisonnable de la décision de l’agent

[14] La PCU fait partie d’un ensemble de mesures introduites par le gouvernement du Canada en réponse aux impacts de la pandémie de COVID-19.

[15] La Loi PCU exige, au titre des critères d’admissibilité, qu’une personne ait gagné au moins 5 000.00 $ pendant la période de référence et elle prévoit le type de revenu se qualifiant pour être admissible (Loi PCU, art 2 dans la définition de « travailleur »).

[16] Les critères d’admissibilité au programme sont par ailleurs énoncés à l’article 6 de la Loi PCU. Ces critères sont cumulatifs de sorte que si un travailleur ne satisfait pas l’un ou l’autre de ces critères, il sera inadmissible. L’alinéa 6(1)(a) de la Loi PCU exige que le travailleur ait cessé d’exercer son emploi, ou d’exécuter un travail pour son compte, pour des raisons liées à la COVID-19.

[17] Mme Charbonneau portait le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle satisfaisait les critères d’admissibilité pour recevoir les prestations (Desautels c Canada (Procureur général), 2022 CF 1774 au para 41, citant Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381 au para 55).

[18] Le seul critère d’admissibilité en jeu dans la présente affaire est celui d’avoir cessé de travailler ou d’exécuter un travail pour son compte, en raison de la COVID-19. Or, tel que soulevé par le PGC, Mme Charbonneau n’a pas transmis de document ni fait de représentation auprès de l’agent appuyant sa prétention qu’elle a cessé de travailler à cause de la COVID-19. Au contraire, l’agent indique, dans ses notes, que Mme Charbonneau a elle-même confirmé avoir cessé son travail de recyclage et de vente de métaux en 2020 à cause de son arthrite et pour se consacrer à la location de son logement avec Airbnb. La Cour note au surplus que l’entreprise par laquelle Mme Charbonneau vendait ses métaux, Recyclage Miller Inc., n’a pas cessé ses activités pendant la COVID-19 et que Mme Charbonneau n’a déclaré des revenus bruts totaux que de 178.50 $ pour ses activités de vente de métaux pour l’année 2020.

[19] Devant la Cour, Mme Charbonneau n’a malheureusement pas déposé d’affidavit. Or, lorsqu'aucune preuve fondée sur la connaissance personnelle n'est produite au soutien d'une demande de contrôle judiciaire, toute erreur alléguée par le demandeur doit être manifeste au vu du dossier (Moldeveanu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 235 NR 192 (CAF), 1999 CarswellNat 101 au para 15). Il n’y a ici aucune erreur au vu du dossier.

[20] Mme Charbonneau n’a pas démontré que la décision de l’agent du troisième examen ne possède pas les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité et la Cour conclut que la décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[21] Aucuns dépens ne sont accordés (Showers c Canada (Procureur général), 2022 CF 1183 au para 32).


JUGEMENT au dossier T-2666-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2666-23

INTITULÉ :

NICOLE CHARBONNEAU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 SEPTEMBRE 2024

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 23 SEPTEMBRE 2024

COMPARUTIONS :

Nicole Charbonneau

Pour LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Me Anne-Élizabeth Morin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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